C'est une image qui m'était familière : celle de Joé Bousquet sur son lit, dans sa chambre de Carcassonne. Nous avions, dans la famille, un culte particulier pour lui, au Soleil dans la tête tous ses livres trônaient dans la vitrine.Le hasard a voulu que lors des combats du Chemin des Dames de la première guerre mondiale, il "rencontre" la balle qui devait la briser, le couper de la vie active et le rendre infirme à jamais, dans le village où je suis né. On a parlé de chagrin d'amour qui l'avait conduit à se montrer téméraire, à braver la mort.Max Ernst m'a raconté avec émotion qu'il avait réalisé, longtemps après, alors qu'il était devenu son ami, qu'il était dans le camp adverse, chez l'ennemi, de là à supposer qu'il fut responsable du drame ! Et c'est sous des images nocturnes d'Ernst que Joe Bousquet va composer des livres de braise.Un visage émacié, des drapes froissés autour du tronc posé comme celui d'une statue dans une niche, sur un fond d'oreillers. C'était là tout son espace où se mouvoir. Tout autour un désordre de livres, de cahiers, de journaux (Les Nouvelles Littéraires), Joé Bousquet fait passer par l'écriture une vie impossible, une vie interdite.On venait à lui, comme des pèlerins, de Paulhan à Bellmer, de Dubuffet à tous les collaborateurs des Cahiers du Sud qui accueillaient avec enthousiasme, ses écritrs.Toujours fasciné par cet effet de substitution que je vois dans quelques oeuvres clefs : celle de Sade par l'enfermement, de Walser par la folie, de Raymond Roussel par l'isolement radical et le repli obsessionnel sur soi. Imaginera-t-on Proust dans cette voie du retrait du monde (lui qui l'a tellement aimé et fréquenté, mais la chambre de liège compense les Salons snobs des aristocrates dont il aimait surtout les nom). Lui aussi a radicalisé son entreprise, se coupant du monde dans l'atmosphère calfeutrée, étouffante d'une chambre close.La littérature reconstruit un monde interdit. N'est-ce-pas, à tout prendre, le principe même de la création.Joé Bousquet dans l'espace du grand sommeil.Son voisin, ou presque, habitant la même terre âpre et martelée par le plus violent soleil, qui est aussi celui de l'âme, Gaston Puel, un poète qui a déjà façonné sa légende en préservant sa solitude, m'entretenait en des lettres chaleureuses, des éclats durcis par la mémoire de son exemple.Il y a longtemps, alors que je découvrais la poésie à travers lui et ses amis, s'est imposée à moi l'image de cette plongée dans le sommeil, de cette immersion à la fois enrichissante et castratrice parce qu'il faut faire vivre ses rêves dans la vie réelle (Nerval en exemple). Le dormeur peut entreprendre les plus fabuleux voyages. A quoi rêvent les gisants. Le marbre les a figés et le temps, lentement à poli leur visage comme celui des idoles.