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lettres de la campagne

posté le 29-06-2010 à 16:43:28

Goncourt sur les lieux du drame.

C'est un histoire en ricochet. Edmond de Goncourt retrouve une aquarelle de son frère Jules (qui fut un remarquable dessinateur). L'étrange amour qui le liait à son cadet rehausse toutes ses oeuvres d'une aura justifiée ici par le sujet traité : la rue de la Vieille Lanterne où Gérard de Nerval a été retrouvé pendu.Première étape.La rue de la Vielle Lanterne était plutôt une impasse (assez sordide) située dans le plus vieux Paris, celui qui s'est développé depuis le moyen-âge autour de la tour Saint Jacques elle-même si fortement attachée au souvenir de Nerval.Lors des transformations du quartier et la construction de la nouvelle place du Châtelet, on érige deux théâtres qui se font face. Celui qui fut tour à tour le théâtre de Sarah Bernhardt puis "de la ville", prend place de la rue de la Vieille Lanterne. La légende veut que cette dernière se trouvait à l'endroit exact du trou du souffleur. J'y vois une extraordinaire coïncidence ou une sorte de signe dans le temps et l'espace. De ceux qui nous rallient à des fantômes qui nous sont chers.Et si c'était Nerval qui parlait par la voix du souffleur, comme les Pythies de l'antiquité. Il ne resterait plus qu'à déchiffrer le discours. De quoi donner envie de relire les livrets de toutes les pièces qui y ont été données.Mieux encore. C'est là que le 7 juin 1946 un Hommage est rendu à Antonin Artaud.André Breton déclare alors : "Je sais qu'Antonin Artaud a vu au sens où Rimbaud et avant lui Novalis et Arnim avaient parlé de voir". Et de terminer son vibrant discours par des mots qui mènent loin, en cohorte sublime, tous ceux qui nous fascinent : "Le drame est que la société à laquelle nous nous honorons de moins en moins d'appartenir persiste à faire à l'homme un crime inexpiable d'être passé de l'autre côté du miroir". C'est ce qui avait tué Nerval.
 


 
 
posté le 29-06-2010 à 11:18:20

James Joyce rencontre Marcel Proust.

L'ambition du livre unique (invoquée par Mallarmé) James Joyce l'a vécue. Et pourtant, à en voir la suite, et d'autres recherches (Finnegans Wake), il n'aura su s'en contenter, allant encore plus loin dans l'exploration du verbe.  Pour le faire "éclater", non dans son aspect physique (comme le feront les artisans de dada), mais dans son sens profond.Le verbe se fait chair, la Bible le place en tête de la création. Sa quête mobilise l'homme  dès qu'il prend conscience de sa nature, et de n'en point maîtriser l'usage (ou mal) le condamne à croupir dans cette sorte d'enfer dont son corps est le théâtre intime, fermé sur lui-même.Avec "Ulysse" Joyce aborde tous les problèmes qui se posent au seuil de toute ambition littéraire. Baliser un territoire qui vise à l'unicité (de temps : 16 juin 1904, de lieu : Dublin) en disposant d'une palette aux nuances infinies, la diversité d'humeur, de ton, de couleur, comme le rythme des saisons. Chaque chapitre est écrit d'une manière différente, selon toutes les possibilités offertes, jusqu'à l'utilisation jusqu'alors presqu'inconnue, du monologue intérieur.Serait-ce dire que la prouesse technique se contente de n'importe quel sujet qui  n'est qu'un prétexte. Donnant crédit à l'idée que le sujet importe moins que la manière de le traiter (ce qui n'est pas toujours exact, et certains écrivains savent trouver le style qui va "donner sens" à leur sujet). Si le sujet l'emporte, c'est du reportage, ce qui différencie le journalisme de la littérature, l'écriture se colle au document, ne le transcende pas.Quand le sujet n'est qu'un prétexte, l'écriture l'emporte et se développe sur ses propres énergies.D'où l'usage du pastiche chez Lautréamont et l'idée que n'importe quel fait peut servir d'amorce pour une recherche littéraire.Par exemple : Joyce et Proust se sont rencontrés le 18 mai 1922, (au Ritz ?). La légende veut qu'il n'en est rien sorti de remarquable (On alla jusqu'à prétendre que dans le taxi qu'ils prirent ensemble, ils échangèrent des propos d'une grande banalise, ce que nous faisons tous). Reprenons les faits, et voilà le départ d'un ouvrage qui prendrait prétexte de la chose. A vos plumes !
 


 
 
posté le 28-06-2010 à 10:26:28

Joe Bousquet en gisant.

C'est une image qui m'était familière : celle de Joé Bousquet sur son lit, dans sa chambre de Carcassonne. Nous avions, dans la famille, un culte particulier pour lui, au Soleil dans la tête tous ses livres trônaient dans la vitrine.Le hasard a voulu que lors des combats du Chemin des Dames de la première guerre mondiale, il "rencontre" la balle qui devait la briser, le couper de la vie active et le rendre infirme à jamais, dans le village où je suis né. On a parlé de chagrin d'amour qui l'avait conduit à se montrer téméraire, à braver la mort.Max Ernst m'a raconté avec émotion qu'il avait réalisé, longtemps après, alors qu'il était devenu son ami, qu'il était dans le camp adverse, chez l'ennemi, de là à supposer qu'il fut responsable du drame ! Et c'est sous des images nocturnes d'Ernst que Joe Bousquet va composer des livres de braise.Un visage émacié, des drapes froissés autour du tronc posé comme celui d'une statue dans une niche, sur un fond d'oreillers. C'était là tout son espace où se mouvoir. Tout autour un désordre de livres,  de cahiers, de journaux (Les Nouvelles Littéraires), Joé Bousquet fait passer par l'écriture une vie impossible, une vie interdite.On venait à lui, comme des pèlerins, de Paulhan à Bellmer, de Dubuffet à tous les collaborateurs des Cahiers du Sud qui accueillaient avec enthousiasme, ses écritrs.Toujours fasciné par cet effet de substitution que je vois dans quelques oeuvres clefs : celle de Sade par l'enfermement, de Walser par la folie, de Raymond Roussel par l'isolement radical et le repli obsessionnel sur soi. Imaginera-t-on Proust dans cette voie du retrait du monde (lui qui l'a tellement aimé et fréquenté, mais la chambre de liège compense les Salons snobs des aristocrates dont il aimait surtout les nom). Lui aussi a radicalisé son entreprise, se coupant du monde dans l'atmosphère calfeutrée, étouffante d'une chambre close.La littérature reconstruit un monde interdit. N'est-ce-pas, à tout prendre, le principe même de la création.Joé Bousquet dans l'espace du grand sommeil.Son voisin, ou presque, habitant la même terre âpre et martelée par le plus violent soleil, qui est aussi celui de l'âme, Gaston Puel, un poète qui a déjà façonné sa légende en préservant sa solitude, m'entretenait en des lettres chaleureuses, des éclats durcis par la mémoire de son exemple.Il y a longtemps, alors que je découvrais la poésie à travers lui et ses amis, s'est imposée à moi l'image de cette plongée dans le sommeil, de cette immersion à la fois enrichissante et castratrice parce qu'il faut faire vivre ses rêves dans la vie réelle (Nerval en exemple). Le dormeur peut entreprendre les plus fabuleux voyages. A quoi rêvent les gisants. Le marbre les a figés et le temps, lentement à poli leur visage comme celui des idoles.
 


 
 
posté le 26-06-2010 à 11:43:54

René Char bien illustré.

Avec Tristan Tzara, René Char aura un des poètes de sa génération qui aura apporté le plus de soin aux éditions bibliophiliques de ses poèmes.L'amitié naturelle qui aura lié le poète avec les peintres de sa génération, ceux dont la sensibilité s'accorde avec la sienne et dont le regard fonctionne en complicité avec la lecture du réel (et de ses traductions), situera René Char au coeur des rapports enrichissants qui s'établissent entre peintres et poètes. De Giacometti, à Picasso en passant par Vieira da Silva, Valentine Hugo, Georges Braque, Wilfredo Lam, Joan Miro, Zao Wou Ki, le poète trouve des échos, fertiles à ses propres incursions dans l'univers  lumineux qu'il réinvente à la mesure d'homme, lui qui en a éprouvé les forces et les angoisses dans les remous de l'Histoire où il a sa part. Non qu'il fasse de celle-ci une chronique ( il est loin de toute vision réductrice et anecdotique) mais le ciment d'un nouvel humanisme, altier et généreux, probe et imprégné de cette force qui a ses racines dans une profonde connaissance du monde, frôlant même le registre de la philosophie sans s'y faire son territoire, et donnant au mot, dans son intégrité, tout son poids d'exemplarité.
 


 
 
posté le 26-06-2010 à 11:23:40

Lewis Carroll n'est pas pour les enfants.

C'est une bien étrange idée que de confier à la lecture d'esprits encore innocents, et surtout disposés à mieux sentir toute chose pour la sentir la première fois, les Aventures d'Alice (au pays des merveilles). Les adultes sont armés pour tous les coups, et les inventions diaboliques de Lewis Caroll ne le troubleront pas. Il regardera les aventures d'Alice comme une divertissement distingué, un peu bizarre, mais sans doute ainsi parce qu'anglais. On place l'humour anglais là où il se déploie avec le plus d'aisance, et surtout dans la montée en force des mots à double sens. Dire qu'Alice est précipitée au "pays des merveilles" c'est placer le merveilleux non dans l'enchantement attendu mais dans l'incongruité, l'inattendu, l'espace des prodiges qui est aussi parfois celui des cauchemars. Où situer les aventures, les épreuves, les rencontres qu'Alice affronte, sinon dans un pays qui n'a pas nos règles (convenues) ni notre mesure (le poids des habitudes). D'ailleurs elle y parvient dans une longue chute. Premier indice qui retient l'attention des psychiatres amateurs. De là à évoquer la matrice originelle, quelque exploration dans la libido, il y a toute la distance entre un regard innocent et celui qui prenant ses distances peut établir des analogies, dresser des comparaisons auxquelles tout esprit encore vierge échappe.Reste les animaux rencontrés, un bestiaire que n'aurait pas dédaigné Lautréamont non ? il se métamorphose en jeu de cartes. Comme quoi, disposer d'un bon jeu dans une partie (bridge ou poker), c'est un peu établir une alliance, un contrat, avec quelque force supérieure. Peut-on se fier au chat du Cheshire Humpty ? Tous les illustrateurs l'ont vu grimaçant et pas loin de la morphologie d'un monstre.Lewis Carroll lui-même est un bien étrange personnage, à double face. Quand il est le révérand Charles Dogson il est de figure sévère qui déplaît à ses élèves au point que circule une pétition pour se dispenser de ses cours (de mathématique), mais quand il est Lewis Carroll, et surtout en barque en compagnie de petites filles, il est l'homme le plus charmant, le conteur le plus captivant. Et quand on sait que c'est pour séduire quelques unes d'entre elles (le soeur Liddell), il devient l'homme le plus doux, le plus charmant, le plus séduisant. A-t-on assez bien noté que son conte est d'une violence assez calfeutrée, de ce confort un peu étriqué du sweet home britannique. Comme une main de fer dans un gant de velours.Ajoutons la manie de photographier les petites filles assez dénudées et l'on aura un portrait plus ou moins ambiguë du charmant homme. Pour les photos on repassera un autre jour.
 


 
 
posté le 26-06-2010 à 11:03:12

Pour saluer Jacques Callot.

Pour saluer Jacques Callot.Il est, des promenades les plus innocentes, ce qu'il est du fil d'une vie bousculée (déchirée) par un incident, une rencontre. L'inattendu.Le voiture glisse en toute innocence sur l'asphalte. Marqué, ici ou là, par l'empreinte boursouflée des défections bovines. C'est le charme des itinéraires campagnards de s'orner de ces fleurs nocturnes que picorent les oiseaux en flamboyantes danses qui donnent priorité aux plus hardis. Et pas nécessairement les plus épais de chair et de poils. L'agilité est une forme de pouvoir qui gagne sur la lenteur, sur l'immobilité forcée des plus massifs.On s'endort presque sous le ronronnement technologiquement programmé, cet indice de sécurité, une raison de plus de choisir ce modèle qui assure tout confort et la modulation tranquille d'un moteur puissant sans ostentation.Le paysage se déroule comme un décor que l'on déploierait avec la sveltesse des commis aux préparatifs d'une cérémonie, et que le tapis rouge en est l'objectif le plus voyant.Nulle surprise quand on l'aura franchi maintes fois pour de futiles raisons pratiques. Et puis voici qu'au détour d'un caprice de la route, une inflexion douce autant que paisible qui confère au paysage ce charme qui n'a d'autre prix que de décliner le catalogue des saisons, voici qu'apparaît, en surprenante agression quand on attend que l'harmonie promise par la familiarité des formes végétales, voici que s'inscrit dans le ciel, encore transparent car il annonce une tempérance du climat, la longue fusée inquiétante d'un piquet fiché dans le sol solitaire au milieu des coquelicots, ces tâches de l'innocence dans l'effort du blé à naître, et, pendue à un fil, la forme noire (un noir d'encre) d'un grand oiseau aussi immobile qu'un cadavre pendu à son gibet. On aura, au passage, par une coquetterie de la culture qui nous chatouille, pensé à Jacques Callot qui d'un stylet aussi vif que cruel, énuméré les massacres d'une guerre intestine qui saigne le petit peuple. Mais la terre a besoin de sang frais pour  forcir ses cultures et donner sa ration de blé à ceux qui la cultivent Repassant à quelques temps de là, on découvre que l'oiseau que l'on croyait mort tournoyait toutes ailes déployées autour de l'infernal piquet., les pattes soigneusement attachées au fil qui rendait vain tout effort.Et cette soif d'espace et de liberté se trouvait réduite à un ridicule encerclement de la prison immatérielle.Je pensais alors aux jeunes enfants qui s'étourdissent du manège où il avaient le choix entre une voiture de sport ou un cheval de cirque.Et si le manège ne s'arrêtait pas ?
 


 
 
posté le 26-06-2010 à 10:58:32

La théorie des traces.

De la manière de faire des livres.J'admire jusqu'à les envier ces écrivains qui achètent à l'épicerie du village le cahier d'écolier de 100 pages, couverture ornée d'une Jeanne d'Arc virile, et dans un café, dans le brouhaha des parties de belote, suivent au fil de la plume l'histoire qu'ils ont dans la tête et se dévide, régulièrement, comme d'une pelote.Un livre en sort, qui aura la cohérence de sa fabrication même, une logique et cette continuité fondamentale d'une écriture en continuité. Linéaire, ramassant au passage personnages, situations et décors pour en faire une histoire attachante.Mon propos, la manière anarchique, éclatée de l'élaboration découle de l'ampleur (vaine ?) d'un projet qui veut construire une sorte de mosaïque où des pièces rapportées, assemblées, venues de tous les horizons, s'agencent peu à peu, dessinant un motif qui prend son allure générale, la forme souhaitée, au terme d'un nombre de manipulations indéterminables, nécessitées progressivement par des besoins qui surgissent et qu'on n'aura pas obligatoirement prévus.Des incises s'imposent, des annexes doivent s'agglomérer, des échappées qu'il faut retenir. Un mixage épuisant et difficile, où écrire constitue alors à placer des balises, des poteaux indicateurs.Un livre est un territoire fléché où le lecteur suivra l'auteur dans les méandres labyrinthiques de ses fantasmes, de ses propres investigations, car écrire c'est aussi  explorer, découvrir, se risquer dans l'inconnu de soi-même.J'en confonds volontiers la pratique avec celle de l'archéologue qui fouille le sol apparemment vide et sans vie, pour en tirer des villes fabuleuses, des vies légendaires.D'où le titre général donné à ce qui n'est ici qu'une parcelle indécise et largement ouverte sur le hasard, de THEORIE DES TRACES.
 


 
 
posté le 21-06-2010 à 15:12:53

La modernité en question.

Avant qu'une guerre effroyable n'en ait démontré les limites, n'en ait fustigé l'énergie, la Modernité aura été le grand rêve du début du XX° siècle. Elle avait ses chantres, en poésie Apollinaire et Blaise Cendrars, en peinture Fernand Léger, les Delaunay, Picabia. Complices en des oeuvres menées en commun ils vont instaurer le règne des formes dynamiques, de la vitesse et des utopies liées à l'idée de progrès.C'est Apollinaire, faisant l'expérience de la guerre de tranchées et saluant la beauté des tirs d'artillerie qui font une sorte de feu d'artifice, c'est Fernand Léger s'inspirant du canon de 75 pour le renouvellement de ses formes géométriques, froides et impérieuses.La passion des automobiles de sport, des voyages en transatlantique, du télégraphe qui inspire une nouvelle forme de poésie, entrent dans l'espace de la poésie qui sort de la simple expression des sentiments pour exalter des forces nouvelles.Un retour de l'Histoire, une nouvelle prise de conscience aura entraîné cette mythologie de la modernité vers des pages expirées, (dépassées)  laissant la place à une prise de conscience qui dévalorise ce qui avait été exalté.La modernité aura été le romantisme du siècle de la machine, un rêve de progrès, une exaltation des formes nouvelles, une mise en valeur des comportements qui ont perdus tout crédit aujourd'hui.On a tourné la page.
 


 
 
posté le 21-06-2010 à 15:01:16

Femme au piano.

Plus que tout autre, le XIX° siècle cultive les vertus bourgeoises. Elles décident de l'éducation des filles et de la formation de la future femme qui sera condamnée au foyer. Hors de celui-ci, il n'y a d'autre issue que la galanterie. D'où ce partage systématique entre courtisanes et femmes d'intérieur, accordées au rytme de la vie domestique sans pour autant y déchoir. Si, sous l'impulsion du naturalisme, on y dénonce la condition de la femme prisonnière d'un système qui l'écrase et la nie, elle règne aussi, mais dans une minorité, sur le foyer en lui apportant toute la grâce que l'on attend d'elle, qu'elle incarne par sa présence même.L'Impressionnisme, ce baromètre de la vie sociale de l'époque, s'était volontiers attardé sur cette femme d'accompagnement et de délectation, de sérénité et d'équilibre qui est au coeur de la vie d'intérieure.Au foyer, la femme règne au salon, à la table, dans les exercice paisibles de la vie sociale. Au piano, elle acquière un statut d'exception. Souvent elle est encore jeune, et "promise".Toute jeune fille au piano semble destinée  à quelque avenir placé sous le signe du bonheur, où l'homme interviendra. Qui est le spectateur, le prétendant. Gants blancs et fleur à la boutonnière.Renoir, le peintre de la séduction féminine, assemble autour du piano, dans la, douce complicité familiale, de jeunes femmes qui s'appliquent à déchiffrer la partition. Il suppose un climat de quiétude tranquille, de douceur partagée, d'un luxe aimablement bourgeois. S'il entre dans les rites d'une classe, s'il traduit la qualité d'une éducation, l'art du piano, et sa pratique, entrent aussi pour beaucoup dans l'art de la séduction qu'exerce une femme dans la qualité de ses rapports intimes avec les arts. Musicienne on lui prête une âme élevée et un coeur ardent. La séduction n'est pas sexualisée si elle est féminisée, à tel point qu'il se créé une musique tout exprès conçue pour les rapprochements studieux, les duos amoureux, les tendres rêveries sur le clavier.Même le rugueux Van Gogh, débarquant comme un vagabond dans la famille du paisible docteur Gaschet, peint avec une tendresse patiente et presque appliquée la fille de la maison à son  piano, jouant une romance.C'est à Marthe, tout récemment entrée dans sa vie que Maurice Denis dédie cet hommage de la femme au piano, offrant un portrait aussi attendri qu'apaisé, etet sortant de la pratique audacieuse de son art pour se glisser dans une facture intimiste, moins énigmatique que réfléchie et imprégnée de cette conception idéaliste de l'amour. L'homme des images de piété sait trouver le ton pour donner une dimension sacrée à une scène domestique.Le bourgeois provincial qu'est  Cézanne use de la même pudeur imprégnée de sentimentalité pour décrire la scène typée où s'inscrit tout le confort bourgeois et l'espèce de rigueur pincée qui l'accompagne.Extrait de "Maurice Denis le peintre de l'âme" éditions ACR.
 


 
 
posté le 21-06-2010 à 13:48:42

Conversation dans la bibliothèque.

Conversation dans la bibliothèque.Fallait-il converser ?  On se retrouvait, disait-on, pour échanger des idées, faire un petit tour du monde comme on aimait le faire, et il arrivait que dans des lieux publics on soit peu à peu au centre d'une grande agitation des cervelles quand, par nature, nous sommes plutôt des êtres amoureux du secret.Ma fréquentation des bouquineries du Quartier Latin (elles deviennent rares) suppose une certaine solitude de la pensée, une disponibilité. Et les échanges se font, furtivement, avec le bouquiniste s'il en a le loisir. Beaucoup ont le nez plongé dans un polar ou, crayon à la main, dans de mystérieux comptes.Dans un "chez soi" douillet la conversation se déroule par saccades, un livre à la main, pour le commenter ou parce qu'il y a des livres qui ont le pouvoir d'allumer au fond de notre tête une idée qui va faire son chemin. Ne fusse-ce que dans le plus modeste dialogue.Je me souviens du peintre Benrath (celui-là aussi on va l'oublier !) qui venait au Soleil dans la tête (le matin à l'ouverture quand l'eau des caniveaux chantait le long de la rue de Vaugirard jusqu'aux frondaisons du jardin du Luxembourg) et feuilletait fébrilement les livres de poèmes pour y trouver, disait-il, des titres pour ses tableaux. S'en tenir au titre est-ce trahir le livre. Je pensais alors qu'il aurait été curieux de construire un texte à partir du titre de n'importe quel livre et de comparer ensuite. Ce serait une histoire en cascade me disais-je.On est, là, dans le fouillis sympathique des livres entassé en fantaisie, rangés ils seraient déjà morts, d'être placés un peu au hasard de leur arrivée leur donnait quelque chose d'incongru et provoquait des voisinages surprenants.Sur le conseil de ma fille Camille j'avais, un moment, placé les livres sur les rayons de ma bibliothèque au fur et à mesure de leur acquisition dans les brocantes que je fréquentais avec une fureur de chasseur. Imaginez le catalogue que cela pouvait créer. Et, dans tout ça, la conversation. Ce sont les livres qui la menèrent.
 


 
 
posté le 21-06-2010 à 11:35:49

Gaston Chaissac poète.

Gaston Chaissac a entretenu une vaste correspondance auprès de ceux qui venaient lui rendre visite (ici à Vix), ou qui marquèrent un intérêt (qui fut croissant) pour son oeuvre. Des personnalités aussi différentes que Jean Dubuffet (qui lui doit beaucoup), Michel Ragon (originaire de Vendée, le territoire de Chaissac), Benjamin Péret, furent ses correspondants préférés. Chaissac écrivait pour se raconter, raconter le village, il y est une sorte de Marquise de Sévigné du bocage vendéen, d'une campagne pittoresque où il descelle des personnalités bien croquées, des faits saugrenus, ou plutôt qu'il rend saugrenue par une tournure d'esprit où cohabitent une humour très personnel, une pensée originale et volontiers frondeuse.Il adresse un curieux poème à Christian Ouvrard (à identifier, Google ne donne de ce nom qu'un médecin du travail...)"De la Canchère à Vixvia le bled de Janay-clanc'est le chemin des écoliers...Des Dieux qu'on attisepour les rendre combustibleset finirent étoilesprêtes à servir de cibleaux plus vulnérablesne doutant encore de rienau point de s'incruster vénérables,sublimes et grands vauriens"
 


 
 
posté le 18-06-2010 à 11:12:35

Lecture intime.

Lecture intime.Des habitudes prises pour rythmer l'évolution d'une amitié, la progression d'une reconnaissance mutuelle, d'une rencontre émerveillante, il y a celle de la lecture. A haute voix. Julien se souvient (il en a une reproduction) du tableau de Cézanne. Il est médiocre mais on sent, sous la pâte, le frémissement d'une impatience qui le touche. On y voit Paul Alexis faisant la lecture à Zola. Celui-ci est mollement assis sur un tas de coussins. Accoudé et pensif. Le cadre est sobre, sévère. On y partage une saine pauvreté. Mais le verbe a, un instant, occupé l'espace, empli la pièce de sa musique, les mots ont fait leur corbeille multicolore. Ce sont d'immenses bouquets suspendus au plafond tandis que la lumière du modeste logis s'épuise. Les amis communient dans cette fête verbale.Et comment ne pas évoquer les séances amicales, plus goguenardes, plus rocailleuses, plus forcées dans le ton et le timbre, de Flaubert réunissant autour de lui, Maxime du Camp et le fidèle Bouilhet, pour lire la première version de "La Tentation de Saint Antoine". Echec. Les amis vont remettre l'auteur dans le droit chemin. Tristesse. La communion s'est brisée sur la critique. Il faut, d'un revers de la main, effacer une erreur, oser l'aventure sur un autre rythme, avec une autre ligne d'horizon.Julien n'a, pour auditoire, que Charlotte. Mais il en apprécie la pensive attention, la tendre complicité quand tout est en place. La fête des mots les unit, ils se fondent, complices, dans la lente avancée de l'histoire que Julien invente pour lui plaire. Il ne l'invente pas vraiment, il brode autour de l'histoire de Marat. Un choix moins futile ou gratuit qu'il peut y paraître. Il n'est pas historien, il n'apportera rien à ceux qui compulsent fiévreusement des archives. Il a choisi de vivre, pourtant, là où son héros a vécu. Là où il est mort. Se disant que des échos de cette mort subsistent, que l'air est saturé de l'Histoire qu'il enveloppe tendrement de ses effets, de ses nuances.Le choix de Marat c'est celui d'une aventure immense et fracassante, portant un homme doté d'une âme hors mesure, depuis les solitudes d'une enfance bercée de romantisme, jusqu'aux clameurs monstrueuses de la Révolution. Il s'est brisé, pensait-il, dans l'action, dans le verbe qui la porte, la suscite, la justifie. Manieur du verbe il est, telles les pythies des temples antiques, le souffleur du bruit et de la clameur, de la tempête qui passe sur la tête des hommes et les précipite vers la mort.La vie de Julien allait être une lente agonie, et il ne le savait pas encore. Charlotte, telle la mère nourricière, la soeur complice, l'amante attendrie, allait l'aider à parfaire son destin. Elle ne le savait pas encore. Extrait de Maratmort.
 


 
 
posté le 17-06-2010 à 10:47:53

Artaud face à Van Gogh.

Il se serait assis dans le fauteuil vu par Van Gogh (était-ce le sien) ou un tout pareil, car on peut imaginer l'entresol de Pierre Loeb (à l'angle de la rue des Beaux Arts et de la rue de Seine) meublé ainsi "à la rustique". On est au dessus de la galerie qui, sous l'enseigne toute simple de Pierre, a joué un si grand rôle dans l'histoire de la peinture de l'entre deux guerres. N'a-t-il pas exposé Miro (1925), Picasso (1927), Giacometti (1930), Balthus (1934), Lam (1939), ou encore Hélion, Brauner, Magnelli, Gonzales, Henri Michaux, Riopelle, Zao Wou Ki. J'en avais, pensionnaire, collégien, suivi l'aventure par la presse (à travers Arts et Loisirs et Les Nouvelles littéraires dont je fus, bien après, un fidèle collaborateur) et lors de mes virées parisiennes souvent visité les expositions. Jeune critique, assez ignorant de l'actualité artistique qu'on apprenait "sur le tas", il me donna les bons conseils, m'aida à me "former". J'en conserve une sorte de tendresse au delà du gouffre du temps qui a si cruellement défiguré le sens de la peinture pour l'abandonner à ses derniers excès. S'il y a crise, et il l'annonçait, c'est bien parce que les poètes déjà en parlaient (relisons Baudelaire). Bref, chez Pierre Loeb, Antonin Artaud, qui venait de sortir, brisé, de l'asile de Rodez, grâce à quelques amis comme Marcel Bisiaux, Henri Thomas, et le parrainage de Jean Paulhan, était chez lui. Au dessus de la galerie dans cette pièce qu'ornaient des toiles somptueuses de Vieira de Silva, Zao Wou Ki, Georges Mathieu, Artaud pouvait se réchauffer au vieux poêle semblable à ceux qu'on avait alors dans nos salles de classe. Le mobilier, lui, était de bric et de broc, chaises et table de jardin, profond divan avec ses couvertures de vive couleur qui évoquaient de lointains pays, Artaud, revenu de l'exposition Van Gogh ( qui fut, dans cet après guerre, un événement) va, avec cette frénésie qui domine sa pensée et son écriture, sur les cahiers d'écolier qui sont de son ordinaire, tracer les lignes fébriles (l'écriture le prouve) qui suivent une pensée qui ne l'est pas moins. Et Van Gogh trouve, là, sa véritable dimension, son rôle moteur dans la pensée de l'art qui accompagne celle du destin des hommes qui y disent et y lisent l'essentiel de ce qu'ils sont, chacun luttant pour survivre au delà de ses rêves, de ses angoisses, sortir du quotidien qui l'étreint. Le problème de la folie qui n'est pas étranger à Artaud lui inspire des pages bouleversantes. C'est "Van Gogh ou le suicidé de la société".
 


 
 
posté le 16-06-2010 à 14:56:58

Colette Thomas, fille de coeur d'Antonin Artaud.

Colette Gilbert (née en 1918) était devenue Colette Thomas en épousant le romancier Henri Thomas et par lui elle découvre (lors d'une visite à l'asile de Rodez) la personnalité à la fois captivante et redoutable (pour un esprit fragile) d'Antonin Artaud. Comédienne jusqu'alors restée dans l'ombre elle sera, aux dires d'Artaud : "la plus grande actrice que le théâtre ait vue", sans doute porté aux excès du langage (surtout à la fin de sa vie) il ajoutera "c'est le plus grand être de théâtre que la terre ait eu". Ce qui ne la portera pas au premier rang et, de fait, sa carrière théâtrale sera brève autant qu'obscure.Pourtant, de l'expérience Artaud qui fut volcanique, elle tirera un texte devenu mythique :  "Le Testament de la fille morte" que Gallimard publiera en 1954 sous le pseudonyme de René et Colette Thomas sombrera dans une sorte de nuit mentale jusqu'à a mort en 2006. Avant d'aborder une carrière de comédienne elle avait été étudiante en philosophie et rencontré alors Gabriel Marcel, Jean Paul Sartre, Jean Wahl et Maurice Merleau Ponty chez lesquels elle a laissé le souvenir d'un être exquis dont la fragilité était perceptible et émouvante. Elle fut, par la suite, dans le sillage de Charles Dullin et Louis Jouvet. Elle participera aux activités de Théâtre et Culturelle et aurait joué dans la pièce d'Audiberti "Le Mal court".Les rapports d'Artaud avec les femmes ont toujours été complexes. Jeune acteur, d'une beauté rayonnante, il vivra des aventures sans lendemains du temps de la courte vie du Théâtre de la Cruauté, mais Colette Thomas surgira alors qu'il est aux bords de sa mort, vieillard éructant, porté par une gloire sulfureuse et lui-même  enfermé dans une virulente haine du sexe et comme frappé d'un esprit d'inquisiteur. Colette ne pouvait qu'être une de "ses filles de coeur". Elle héritait de cette brûlure intérieure qui devait la conduire à la folie. Eprise d'amour autant que de chasteté.
 


 
 
posté le 15-06-2010 à 13:55:34

Dans les jardins du Prince Louis.

Ici l'eau se divise en de multiples canaux au parallélisme nonchalant, enfermant des carrés d'herbe sauvage où se posent, après de longs encerclements de leur vol planant, des oiseaux migrateurs.En des temps de splendeur, on a voulu canaliser cette richesse aquatique, construit des murs avec leurs balustres ouvragées, esquissé des pontons, des perrons, des points de vue, des zones d'embarquement pour de coquines Cythères, l'usage du lieu se confondant avec un canotage pompeux et le goût des promenades en lourdes barques richement ornées où les dames posaient un pied effrayé de sa propre audace, avant de se caler, toutes crinolines étalées qui leur faisait des sortes de nids douillets où s'égaraient des mains finement baguées mais impertinentes, de galants à la charge de jouer les nautoniers.Je parle là d'un temps où l'olifant, dont on entend en écho lointain le son doucement voilé, trace dans l'épaisseur des forêts environnantes, le chemin des cavaliers forçant cerf  ou loup. On chassait la bête malfaisante, et les paysans s'assemblaient sur le chemin pour, d'un bâton énergique, fracasser le crâne de l'animal apeuré, se vengeant sans remords de la mort de brebis retrouvées éventrées dans les champs de pâquerettes. C'était au grand mécontentement des pages qui encadraient la marche galopée de leur maître furieux d'être privé du plaisir d'aller plonger un élégant poignard à manche d'argent, dans la gorge de l'animal vaincu. Bientôt, après le retour en fanfare, ce serait la rencontre tant attendue du chasseur fourbu, mais le pied léger, avec des belles qui portent, jusque dans leur démarche, le souvenir du bercement de la barque dont on les arrache dans une grande envolée de soie tissée de fils d'or.Un souvenir donné :  la fête s'est achevée dans un massacre, aurait dit l'histoire locale. Une bande de malfrats, rudement armés, surgissant, alors qu'on attaquait un menuet. Sur un trône dominant la salle toute en verdure au pied de son château, le seigneur sera le premier frappé. D'un coup bien ajusté sur la nuque. Il se sera affaissé d'un seul coup, comme l'arbre qu'on abat, sur le sol qu'ornaient  de somptueux tapis. Ils furent gâchés quand le sang mousseux ira en rigoles redessiner les fleurs de fantaisies qui en faisaient l'ornement. Le soir vient en douceur, fermant, dans une ombre tremblante, des pans entiers du jardin portant nom d'un prince d'antan dont on vantait le luxe et la frivolité, et qui fit ici séjour de tous les plaisirs au milieu de la misère du peuple fait de pêcheurs en eau douce et de bûcherons.Rendu aujourd'hui au citoyen en ses ultimes beautés qui sont celles de la ruine quand elle entaille dans les murailles des brèches où dorment les oiseaux de nuit, et dépouille les pelouses de leur héros de marbre rendus aux frissons du lierre qui les enserre.Une indication certifiée par la signature des élus locaux, précise la réglementation du jardin où il est seulement interdit de cueillir les fleurs plantées en terre-pleins encadrés de buis taillé au carré, et de circuler à bicyclette, mais on peut y promener son chien.Nous nous y sommes risqués, après la longue coulée d'asphalte d'une voie de grande circulation, séduits par l'appel du nom du lieu et son encadrement de ruines qui, curieusement, conservent quelque chose de la grâce des ciselures médiévales annonçant la Renaissance. Des fleurs et des animaux taillés dans la pierre s'enrobent de mousse, et le ruissellement tranquille des eaux donne à l'endroit une atmosphère de bonheur nostalgique. On y vient comme dans un salon dépouillé de son luxe d'origine mais ayant conservé quelque chose de ce qui fit sa beauté.J'allais, obtempérant à l'invitation d'aller dîner en quelque auberge de l'endroit, préalablement repérée en raison de ses tonnelles et ses jardinières encadrant une aire réservée au plaisir des clients quand, venait vers moi, sur le chemin gravillonné, une haute silhouette dont il me paru, quand je la croisais, que le haut manteau qui l'enveloppait la situait dans un autre temps.J'ai toujours aimé le décalage des modes, regrettant que le style vestimentaire impose des règles propres à uniformiser l'aspect de ceux qui les suivaient. Repérant avec sympathie dans une foule celui ou celle qui y déroge. Imposant sa manière propre d'être. Et de se montrer.C'était une femme dont on devinait à peine le visage tant était haut son col et la lumière déclinante effaçant l'éclat de ses traits. Je la voulais belle. Elle ne pouvait que l'être à en juger par sa démarche à la fois déterminée et légèrement hautaine.Après qu'elle m'eut croisé, elle emprunta brusquement une allée transversale et alla s'appuyer avec une nonchalance  étudiée sur un parapet contre lequel l'eau coulait avec un très doux bruit qui dénonçait l'idée qu'elle devait être claire, translucide et heureuse. Il en est des eaux comme des êtres. On en rencontre de toutes natures. Des sombres et tourmentées, des agiles et souriantes, des impétueuses et narquoises, des fines et caressantes.Est-ce l'insolite de l'heure tardive ou cette manière de se pencher presque pour l'admirer, et semble-t-il tendre l'oreille à sa musicale allégresse, la femme mystérieuse semblait attendre.Intrigué, je me suis arrêté. Ce fut, un court instant, deux silhouettes immobiles qui semblaient se surveiller, comme les personnages dans les coulisses du théâtre attendant leur tour d'entrer en scène.Fallait-il qu'il y eut une pièce à jouer ?Après avoir hésité je renonçais au rôle qui pouvait m'échoir n'ayant pas une vue suffisante de ce qu'il pouvait être.Au sortir du jardin je croisais deux garnements suivant un chien à qui ils étaient sensés faire faire sa promenade hygiénique du soir. C'est ainsi qu'on qualifierait leur démarche à supposer qu'il y ait reconstitution de l'événement dans le regard scrupuleux, mais convenu qui est celui de la police lors d'une enquête.Sans bien savoir ce qui pouvait susciter une telle décision, je rebroussais chemin et, de loin, suivais les promeneurs qui se déplaçaient avec vélocité et comme habitués des lieux.Ils menèrent à travers les circuits quadrillés des allées, jouant avec le parcours géométrique des eaux, jusqu'à la femme toujours à sa place et comme une statue immobile et qui bientôt se confondait avec l'ombre qui l'enveloppait.A cet instant j'entendis au loin, la sirène d'une ambulance qui devait s'engager dans les rues tortueuses du village. Les deux promeneurs encadraient la femme sans qu'elle manifeste le moindre signe de crainte ou de refus. Elle écartait son manteau. L'un après l'autre, il était facile de l'imaginer à leurs gestes, l'empoignaient avec toute la force saccageuse du désir et la laissèrent pantelante après un long orgasme qu'elle manifestait par un cri modulé comme celui d'une bête qu'on égorge. Puis les promeneurs s'enfoncèrent dans la nuit avant que j'eusse pu prendre une décision, et je fus bientôt bousculé par deux infirmiers dont la blouse blanche faisait dans l'ombre le dessin presque comique d'un sismographe affolé. Ils allaient vers la femme agrippée au muret et la trouvèrent pantelante, entre l'extase de la jouissance et les premiers spasmes de l'agonie. Outre le viol auquel il semblait qu'elle fut consentante, ses agresseurs avaient planté un couteau de cuisine  en son flanc ensanglanté qui ruisselait sur la peau à nue sous le lourd manteau... Je m'égare, c'était l'ombre portée d'une histoire que j'avais lue, relatant un incident survenu en l'endroit en l'an de grâce 1461, alors que Charles VII régnait sur une France en morceau.En sortant du jardin j'ai vu qu'il y avait un hôtel arborant le nom du souverain comme une enseigne. J'y ai passé une nuit agitée. Il y avait un bal dans la salle commune. On me dit que c'était pour le mariage de la fille de la maison. Son promis était le jardinier du parc public que dominent, en silhouette agressive et zébrée comme par la chute de la foudre, les restes d'une tour médiévale que l'on peut visiter de 14h à 18h tous les jours, pour la modeste somme de 15 francs, gratuit pour les enfants.Quand je disais que je pratiquais le tourisme culturel !
 


 
 
posté le 14-06-2010 à 22:34:08

Flaubert et le voyage en Orient.

Le voyage en Orient était, au XIX° siècle, la suite du "grand tour" qui faisait parti de l'éducation des jeunes gens de la bonne société au XVIII° siècle. Une sorte de rite d'initiation plus qu'une quête qui suppose la recherche de la vérité, alors qu'il ne s'agissait que de Savoir, cette nouvelle religion.Le XIX° siècle, lui, apporte une note d'exotisme en élargissant le champ d'investigation (le grand tour était celui de l'Europe des capitales culturelles), et en menant des pointes jusqu'en Asie.Le "de Paris à Jérusalem" d'Ernest Renan donne le ton, comme le voyage de Byron ou de Chateaubriand. Ce n'est point en se mettant sur les pas des Croisés (et Jérusalem n'est pas perçu sous un angle strictement religieux), mais à la recherche d'horizons nouveaux, d'une lumière qui soit de nature plus colorée. L'exotisme est à la mode, les peintres vont chercher de nouveaux motifs, les écrivains de nouveaux sujets d'inspiration.Gustave Flaubert chaussera ses chaussures de longue marche, il les avait expérimentées dans ces promenades "par les champs et par les grèves", un remarquable journal de voyage où il grave quelques paysages qui seront ceux de sa Bovary.En allant en  Orient, et toujours en compagnie de Maxime du Camp alors son ami (et qui se montrera si peu digne de cette amitié sans calcul), Gustave Flaubert se fait le journalier de ses déambulations . L'Egypte, la Palestine, Le Liban, Rhodes, l'Asie mineur puis Constantinople enfin la Grèce.Il tient scrupuleusement sa relation de voyage qui semble avoir été rédigée chaque soir à l'étape (le lieu et l'heure sont indiqués à la fin de chaque texte).L'esprit scrupuleux de l'écrivain, accumulant des informations se traduit bien dans ces pages curieusement venues d'un trait, comme si l'impression première devait être respectée. C'est comme une sorte de flash photographique. D'ailleurs, dans le même temps, Flaubert se livre à la photographie, l'art de saisir la réalité dans l'instant et sa totalité. De quoi donner à un écrivain en formation une orientation pour son devenir.
 


 
 
posté le 14-06-2010 à 22:26:46

Man Ray, un dessin sur la poussière.

Man Ray en passant considérable. En culottes courtes Valentin H.. l'alla voir en son antre de la rue Férou. Une amitié a lié l'homme alors presque oublié de tous et un adolescent qui frémissait rien qu'à l'évocation du nom de Rimbaud. Dans l'atelier que le temps avait scellé dans la grisaille de la poussière, parfois une belle visiteuse s'aventurait.Celle-ci avait ôté ses gants avec cette lenteur qui fait la femme exquise quand elle se penche sur elle-même, comme une fleur qui s'enivre de son  propre parfum.Me venait à l'esprit l'image tout de fulgurance et de défi de Rita Hayworth jouant de ces gants qui gainent l'avant-bras comme une cuissarde le fait pour une jambe et lui confère une majesté équivoque et troublante.Plus nue que nue, elle, s'avançait dans l'atelier encombré de choses qu'elle, bouscule parfois par maladresse, le plus souvent contourne avec des soins d'animal se frayant un passage dans un épais fourré, ou dans les abords touffus de roseaux plantés aux rivages d'eaux dormantes.Man Ray, l'appareil photographique à la main, et déjà l'oeil dans l'objectif en pensée, la suivait de son gros oeil malicieux. Il l'avait convoquée. Ou plutôt, elle l'avait sollicité pour qu'il "tire son portrait". Elle avait énoncé de cette manière un peu vulgaire et un rien stupide son désir et Man Ray s'était dit que c'était bien dire, en fait, les choses. Car il savait être cruel autant que lascif. Celle-là, modèle d'occasion, venue des salons où l'on s'étouffe les jours de réception, avait plutôt flairé la bonne idée de se voir à travers le regard du fantasque américain dont tout Montparnasse se vantait de l'avoir accueilli dans ses méandres de soupers fins et d'Amer Picon dégustés à  la terrasse du Dôme ou du Sélect, et dans ce va-et-vient de vagues qui suit le rythme de la marée, poussant des femmes vers des divans et des peintres à leur chevalet dans cet échange fructueux du désir et du talent où l'art trouve son compte.La voilà en pleine lumière, ou, plutôt, dans un rayon comme celui qui, dans une église, vient frôler la tête penchée d'une Vierge à l'enfant et a subitement saisi dans sa trajectoire la silhouette ambiguë de la femme qui, surprise, cligne des yeux, ce qui lui donne cet air égaré des oiseaux de nuit brusquement affrontés aux violences d'un phare d'automobile.Man Ray a porté l'appareil à sa joue. Il dit qu'il le caresse tandis qu'il appuie sur le déclic. D'un seul coup, comme l'on tire, d'une baguette magique, l'ouverture d'une boîte à merveille. Un jour il commente  - Comme le chasseur appuie sur la gâchette pour tuer.La séance est terminée. Un seul coup d'oeil aura suffit. On rebrousse chemin.C'est alors que Man Ray remarque que, d'un doigt distrait, son modèle aura laissé une marque discrète sur "l'élevage de poussière" qu'il entretenait sur Le Grand Verre de Marcel Duchamp.Loin de s'en affliger, il la regardait avec tendresse. C'était un dessin hasardeux, créé avec la douce mollesse d'un doigt étourdi. Man Ray en fait une photographie et décida qu'était là le vrai portrait de sa visiteuse. 
 


 
 
posté le 11-06-2010 à 16:41:10

Gérard de Nerval admirateur de Weimar.

Nerval décrit à  Liszt les conditions de travail de "L'Imagier de Harlem"."J'ai souffert d'une maladie nerveuse dont la convalescence a été longue et qui a commencé à la suite d'un excès de travail occasionné par une pièce de théâtre jouée dans l'hiver de 1851 à la Porte Saint Martin. Je vous avais parlé de ce sujet à Weimar. C'est une sort de second Faust que j'ai arrangé avec Méry parce que Dumas, avec qui je devais le fa    ire d'abord, n'était plus en France. Je me faisais une joie de vous proposer cela accessoirement comme sujet d'opéra pouvant être traité dans un goût allemand. Puis la maladie arrive. Puis rien..."  Et de préciser qu'il s'était attaché à Weimar,  "par vous, ainsi que par mon admiration pour cette vieille terre privilégiée des poètes et des artistes, à la considérer comme la vraie patrie des intelligences, triomphante des chances qui peuvent faire que le reste soit submergé"A l'exemplaire de "L'Imagier de Harlem" offert à Liszt, signé par Méry, Gérard de Nerval a ajouté sa signature. Modeste, à son image, et comme se coulant depuis les coulisses pour murmurer qu'il est pour quelque chose dans cette oeuvre.Quant à Weimar, il me souvient, lors d'un voyage culturel, alors que la ville était encore sous le joug communiste, qu'on montrait, dans un gastaus du centre ville la banquette où Hitler venait savourer une bière. On hésitait à s'y asseoir.
 


 
 
posté le 10-06-2010 à 10:21:42

Lautréamont sur le Boulevard.

Publié à part, le Chant premier de Maldoror le sera chez Balitout, rue Baillif entre la rue de la Croix des Petits Champs et celle des Bons Enfants. L'édition définitive, complète, sera confiée à l'éditeur Lacroix, boulevard Montmartre (les Poésies paraîtront à la librairie Gabrie passage du Verdeau). C'est baliser, du même coup le champ d'exploration piétonne de Lautréamont qui tient à un espace réduit, que le Second Empire avait il est vrai doté de tous les prestiges. Ce sera le mythe des Bopulevards.Lautréamont n'avait pas a aller bien loin pour se tenir au courant de l'actualité littéraire. C'est du temps où il habitait la rue Vivienne (plus tard ce sera celle du faubourg Montmartre) qu'il peut découvrir à la vitrine de l'éditeur Michel Levy, les nouveautés.Ce solitaire hautain et splendide, errant sur le boulevard, frôlant les passants comme des ombres quasi irréelles " subissait le sortilège de la grande ville, captant ses messages et, la démarche somnambulique, cherchant de la rue Vivienne à la rue de la Paix, l'ombre des héros de ces romans noirs dévorés dans la solitude de Bazet".Descendu de sa chambre d'hôtel, il est la proie de toutes les fantasmagories qui le harcelent, la solitude le rendant moins impropre au contact d'autrui,  que porté par le pouvoir de transfigurer dans son espace imaginaire les remous du réel, dans une autre dimension.Fondu dans le foule il en extrait des forces suffoquées de cruauté ou d'angoisse, et la portée de son texte est si périlleuse qu'il le publiera d'abord dans l'anonymat le plus complet (les trois étoiles !) avant de se camoufler derrière un nom d'emprunt.
 


 
 
posté le 09-06-2010 à 15:29:44

Louis XVI et la loi du sang.

La loi du sang.La légitimité du roi reposant sur le sang (sa pérennité à travers les générations) il n'y avait d'autre solution pour gommer à tout jamais son pouvoir que de le "verser au nom du peuple". L'exécution de Louis XVI prend ainsi une valeur absolue à laquelle il semblait qu'on ne pouvait échapper si choquante que puisse être sa mise en spectacle. Car elle tenait sa valeur de la seule scénographie qui l'accompagnait.  D'ailleurs, les exécutions des assassins et autres condamnés par la justice, se déroulaient toujours en public et dans un grand déploiement de rites qui en soulignaient le caractère atroce, pour souligner le principe de justice auquel  elles étaient censées répondre.La mort d'un roi signifiait la mort de la royauté. Le sang versé l'était au nom d'une justice à laquelle le mouvement révolutionnaire était censé apporter une réponse.Mesurer la cruauté du geste selon les normes sensibles du commun c'est ignorer le sens symbolique qui y est attaché. L'imagerie qui accompagne l'exécution de Louis XVI est abondante, et toujours inspirée par un point de vue qui peut être aussi celui de la réprobation. On voit ainsi cohabiter des images qui l'exaltent  et d'autres qui la condamnent. C'est, déjà, le règne de la communication qui prendra, avec les techniques modernes, des proportions telles que c'est la manière de rendre compte d'un événement qui a une réelle valeur. La mémoire de l'Histoire est toute entière contenue dans notre façon de la rapporter et de l'illustrer, d'où l'importance de l'iconographie qui l'accompagne, en prolonge les effets, en reforme  les faits eux- mêmes, leur donnant le sens voulu
 


 
 
posté le 09-06-2010 à 11:17:14

La pluie des mots de Pierre Albert-Birot.

Ils sont, dans l'histoire de la littérature, des sortes de repères vers lesquels ont est sans cesse ramené, tant leur oeuvre, même, comme dans le cas de Pierre Albert Birot, tenue dans les marges, et d'une audience discrète, aura exploré des forces nouvelles des formes inédites et imposé une vision qui nous aura séduit.Pierre Albert-Birot (tout comme James Joyce et, bien avant, Laurence Sterne) aura exploré une nouvelle manière de conter, de dire le monde dans ses multitudes et ses frissons.Grabinoulor est le livre clef de son oeuvre mais il a de multiples satellites comme un soleil et avec lesquels se sont établis des liens subtils et essentiels, car, de fait, ils constituent un tout autonome où l'on se retrouve dans le même climat, qu'on aille de l'un à l'autre. Et c'est bien l'enjeu d'une action créatrice qui ne papillonne pas d'un sujet à un autre mais explore un monde par des chemins différents, ses voies multiples.Les "gouttes de poésie" qu'évoque Pierre Albert Birot sont la pluie bienfaitrice qui nous réconcilie avec les mots.
 


 
 
posté le 09-06-2010 à 10:10:15

Verlaine vu par Jean Teulé.

Le principe est excellent. Faire d'une biographie un roman. Faire passer dans l'exposé d'une vie le souffle de l'imaginaire, reconstituer ce qui fut, faire comme si on y était. Témoin. Jean Teulé a inventé un personnage (un jeune admirateur du poète) qui vient à Paris pour rencontrer son idole, et le suivre dans sa démarche zigzagante alors qu'il est sur la pente déclinante de sa chute finale.Hôtels sordides,  bordels, hôpitaux, le pauvre Lélian se fabrique une légende de martyr.S'il s'attarde à reconstituer le climat de l'époque (bien schématiquement) Jean Teulé n'échappe pas à des facilités et une complaisance à peindre l'horreur (l'abattoir) qui colore son récit sans lui donner la juste dimension du cas Verlaine. Il force le trait, et l'on débouche sur la simple caricature avec des relents de roman populaire, l'utilisation de procédés narratifs (et d'images) qui viennent tout droit de Paul Féval ou d'Eugène Sue.  Verlaine, là dedans, ne ressort par bien grandi (on peut l'être jusque dans l'horreur).  Finalement, on se trouve coincé dans une histoire qui nous retient en raison du personnage qui en est le héros, mais irrité sans cesse par des procédés simplistes et vulgaires..
 


 
 
posté le 07-06-2010 à 17:34:37

Un livre fétiche d'Apollinaire.

L'objet - Les faits.Certains livres sont comme des fétiches. Souvenir, souvent d'amour, lien avec une personne entrant dans notre mythologie personnelle.Sur un exemplaire d'  "Alcools", qu'elle marque de sa signature, Marie Laurencin colle la photo du premier amour d'Apollinaire, Annie Playden qu'il avait rencontré en Belgique  dans la famille où il était précepteur des enfants . L'amour qu'elle lui inspira (peu payé de retour) sera marqué par quelques uns des poèmes qui figurant dans "Alcools", d'autres (Le pont Mirabeau, Cor de Chasse) étant en revanche, des poèmes inspirés par la rupture du poète avec Marie Laurencin. Triste bilan que Marie Laurencin semble souligner en faisant allusion à celle qui fut la première d'une longue suite d'aventures amoureuses plutôt marquées par l'échec. Supputations.Etrange démarche, où l'on peut voir une marque d'attention très équivoque, ou la simple volonté de tracer une sorte d'itinéraire amoureux de celui qui vivait l'amour comme un destin, dont elles étaient les étapes et les enjeux. D'autres muses vinrent et d'autres poèmes pour les célébrer. Ainsi une oeuvre se fait et progresse entre désir et mélancolie. Au coeur de cette cosmogonie amoureuse Marie Laurencin tient un rôle de prestige. Elle lui doit aussi d'être reconnue comme peintre "cubiste", elle poursuivra son chemin sans lui, mais sans doute sans totalement l'oublier.Livre fétiche.Sa valeur d'origine est mince, de plus c'est la quatrième édition. Ou bien Apollinaire lui aura donné un exemplaire de la première édition (qui aura disparu) et Marie Laurencin n'aura conçu son montage qu'après avoir relu les poèmes et peut-être tenté d'en retracer l'histoire, d'en situer les origines.La valeur du livre pourtant est considérable au regard d'un amateur et surtout d'un admirateur d'Apollnaire. Tant par son destinataire que l'usage qui en a été fait, l'intervention biographique qui l'aura détaché d'une situation banale pour en faire une sorte de monument de la mémoire amoureuse.
 


 
 
posté le 07-06-2010 à 09:12:52

Promenade à Montmartre.

Si elle perd, jour après jour, son caractère champêtre, la Butte Montmartre reste l'un des "coins" les plus pittoresques et charmants de Paris. Non qu'y subsiste l'esprit de Gérard de Nerval qui y faisant un séjour à la clinique du docteur Blanche y musardait, donnant de ses promenades dans ce qui était alors la campagne des notations délicieuses et teintées d'une sensibilité qui fait tout l'attrait de ses écrits. Ce n'est pas, non plus, pour y retrouver l'esprit de la bohème qui entourait la bande de copains peintres et poètes du Bateau lavoir.  André Warnod, Roland Dorgelès, Francis Carco en ont donné des souvenirs et rumeurs qui sont entrés dans l'Histoire par la porte de la légende. Enfant, aux mains d'un Grand d'Espagne, cadet de famille, devenu coiffeur des stars de l'époque, et par des liens de famille un cousin, je découvrais les derniers témoins de cette aventure qui fit l'art du XX° siècle, de Picasso à Van Dongen, de Max Jacob à Pierre Reverdy, de Juan Gris à Georges Braque, en passant par Gen Paul et Mac Orlan que me contais avec une verve attendrie Paul Yaki, l'historien attitré du lieu. Bien longtemps après j'avais grand plaisir à rendre visite à Jacques Baron qui fut le Rimbaud du surréalisme. Il restait un "jeune poète" jusque dans les rigueurs et la banalité du quotidien qu'il défiait avec une sorte d'humour rageur. Se faisant, par nécessité financière, l'ultime historien du surréalisme, l'ultime témoin d'une folle aventure.Sortant de chez lui, il fallait affronter les cohortes de japonais,  appareil photo sur le ventre et en bandoulière, qui suivaient docilement le porte drapeau du tourisme pour découvrir dans la même foulée le Sacré Coeur et le Lapin Agile. Alliance heureuse de la piété et d'une nostalgie de la débauche, encore que le Lapin Agile, avec le temps, n'était plus qu'un vague écho de sa pétulance première.
 


 
 
posté le 03-06-2010 à 10:28:23

L'autre côté d'Alfred Kubin.

L'autre côté d'Alfred KUBIN.Le titre de son seul roman est une clef pour pénétrer dans son oeuvre aussi énigmatique qu'inquiétante. L'imagerie qu'il gère avec une sorte de frénésie maladive (il travaille volontiers selon la loi des suites, des séries), une acuité de voyeur (par la douleur il s'est fait voyeur), ne procède d'aucun monde connu, et il l'invente, le parcours avec une sorte de fièvre communicative. Voici l'art habité, qui n'existe qu'en fonction de la vie (des souvenirs) de celui qui en explore toutes les issues, les cheminements les plus inattendus, les plus périlleux à qui peut craindre la violence de ses rêves. S'il ne peut revendiquer aucune référence antérieure à son oeuvre, il sert de référence à bien de ceux qui le découvrent, et cela peut aller jusque chez des écrivains (Kafka, Henri Michaux ?). On aura dit qu'il résumait à la fois Goya et Brughel, voisinait avec Rops, Redon, Munch et même Ensor. C'est plutôt l'esprit d'une époque qui, plus que toute autre, était en mesure de le comprendre. De fait, c'est une aventure très solitaire. Dans un contexte familial assez éprouvant, son père se mariant successivement avec trois femmes qui  meurent prématurément, dont la mère de Kubin et  dont il éprouve grande douleur. Il aurait tenté de se suicider sur sa tombe. Un choix, un cadre, un geste qui entrent au coeur de ce monde situé entre le rêve et la réalité. On ne peut s'empêcher de songer à Nerval qui s'enivrait de ses propres songes au point  de perdre conscience du réel, de perdre pied et d'en devenir fou. "L'autre côté" de Kubin est peuplé de visions infâmes, de formes fantomatiques dans une lumière de catastrophe. Une lumière de demi jour, d'entre nuit. Un pays de landes stériles, de vastes plaines hostiles, Peuplées par d'étranges créatures venues d'ailleurs et point disposées à nous apaiser, entretenir la sérénité. Plus que de rêve on devrait parler de cauchemars.
 


 
 
posté le 02-06-2010 à 14:28:39

Saint Louis rendant la justice.

La notion de sainteté s'accorde assez bien à celle du pouvoir. Dans son principe même, celui qui détient ce dernier se devait d'être perçu comme un individu échappant aux faiblesses de l'homme ordinaire. Et pourtant elle ne s'affirme pas comme le moteur principal de son efficacité. Elle l'auréole cependant d'un prestige particulier. Et l'on verra, par exemple, Louis IX entrer dans la légende par le biais de son attitude qui prépare à l'idée que l'on se fait de la sainteté. On fera (dans l'imagerie qu'il inspire) étalage de gestes et d'une attitude qui, n'étaient, en fait que l'application d'une éducation toute entière tendue vers la charité, le respect d'autrui. Et la prééminence de Dieu dans la vie quotidienne. La sainteté de Louis IX n'est pas contemplative et jamais pétrifiée dans une égoïste abstinence (il aura une vie normale de mari et de père), ignorance du monde (sa fonction le lui interdisait) toute action qui dégage la responsabilité de l'homme au nom d'une quête sanctifiante (l'état du moine voué à la prière). Mieux encore, elle s'exprime dans l'engagement. Celui de la charité au quotidien, celui de la guerre en période de crise, et par nécessité. Ce n'est pas l'un des moindres paradoxes de l'Eglise que d'admettre, sinon de promouvoir, l'action des armes au nom de la vérité qu'elle défend. D'où les Croisades.Elle avait, jusqu'alors, accrédité cette violence des armes sans qu'aucune figure centrale en soit porteuse, dotée d'un caractère sacré, quoique sanguinaire, et qui va justifier les razzias des carolingiens, car c'était une affaire collective, une responsabilité partagée par tous et par tous vécue comme la conséquence d'une adversité devant laquelle il convenait de trouver une parade.Le goupillon justifiait l'épée. Alliance périlleuse mais rendue nécessaire par les appétits multiples qu'éveillait le savoir-faire de l'Eglise dans l'organisation des territoires qu'elle dominait, soutenue par l'épée des princes.Bien plus que les féodaux de l'époque antérieure, surtout affairés à leur querelles intestines de prérogative et leur concupiscence primaire, imprévoyants parce que motivés uniquement par des actions immédiates, une politique ponctuelle, sans programme cohérent, l'Eglise saura organiser les territoires à l'appropriation desquels elle travaille, avançant ses pions, et les souverains qu'elle accrédite.Les fastes qu'elle exige, les structures rigoureuses de son administration sont autant de facteurs propres à dynamiser le commerce, ciment des économies qu'elle recouvre de ses bénédictions.L'Eglise est provocatrice de richesses ; elle va susciter des envies, éveiller des appétits. Jamais la spiritualité ne se sera aussi intimement mêlée à la matérialité qui est censée l'incarner. Le luxe inouï dont la société de ce temps entoure la célébration du culte religieux s'accompagne d'une grande sobriété de ceux qui se placent sous sa protection et affichent, ainsi, par ne vif effet de contraste, une allégeance qui fait leur puissance.Homme de guerre au nom de Dieu, Saint Louis est, avec Jeanne d'Arc, une grande figure d'une France qui se cherche une image de perfection, alors même qu'elle est territorialement inachevée, sinon menacée (et, dans le cas de Jeanne d'Arc, en lambeaux).Territorialité menacée de l'intérieur, par des féodaux félons, sous Louis IX, de l'extérieur par la anglais sous Jeanne d'Arc. Toute lutte, fut-elle sanglante, trouvera, du même coup, sa justification. Son excuse. Si l'on demande à Jeanne d'Arc la virginité, on demandera à Saint Louis, le sens de l'équité. Ce sera le " Saint Louis rendant la justice", dont l'imagerie s'est emparé et a largement réinventé.