Cybel: et on dit : une héroïne, en faisant la liaison ...
Cybel: on dit : un héros, en détachant bien l'article ...
ooz: je m'en vais, à demain
Mailing liste
inscrivez votre email
Tags
posté le 31-07-2009 à 14:20:17
Philippe Soupault découvre Lautréamont.
Inconnu de son vivant, condamné à la publication de ses textes par le principe du "compte d'auteur" (l'infamie suprême de l'écrivain) Lautréamont va connaître une gloire posthume aussi singulière que tenace et propre à rassurer tout poète tenu dans le dédain par ses proches et un public futile, porté à célébrer ce qui l'est déjà, jamais assez curieux pour dénicher des curiosités esthétiques ou littéraires de sa génération, laissant ce soin à quelques érudits curieux, rats de bibliothèques ou esprits assez libres pour défier l'opinion en affichant des admirations qui ne sont pas de mise. Rémy de Gourmont (ce sédentaire, cet érudit en chambre) aura été l'un de ceux qui surent deviner l'importance des textes d'Isidore Ducasse qui va devenir le Lautréamont de la légende. Figure emblématique de la modernité, une sorte de saint célébré par le surréalisme comme figure d'ancêtre (avec Forneret, Sade, Rimbaud, Jarry ).Soupault, digne successeur de Rémy de Gourmont, va soigneusement copier à la Bibliothèque Nationale les fameuses Poésies qui sont une sorte de contre-point (contre-chant) aux Chants de Maldoror. Chants, et d'une portée musicale singulière, sans aucune mesure avec ce qui se fait autour de lui, encore qu'il s'appuie constamment sur un héritage littéraire pour y poser des mines, des explosifs. Plagiaire dans les Chants, il est pamphlétaire dans les Poésies. Naviguer dans cette oeuvre c'est ouvrir toutes les perspectives de la pensée moderne aux yeux des surréalistes. A voir d'un peu près.
C'est un ouvrage de commande. D'ailleurs pour le mener à bien Artaud use de l'aide d'un certain Auffret que lui "procure" son éditeur Denoël. Ce dernier consulte les ouvrages de référence dans les bibliothèque, donne à Artaud les éléments d'une riche bibliographie ce qui peut assurer d'un travail mené avec la rigueur du chercheur. De l'historien. Hors Artaud, par tempérament n'est ni l'un, ni l'autre, et attelé à l'histoire d'Héliogabale il reste Artaud. Il utilise son sujet (un personnage hors mesure) pour fortifier ses propres convictions, notions et croyances qui le définissent dans son orgueilleuse et périlleuse singularité.Héliogabale empereur furtif et télé-commandé par une bande de femelles enragées (Artaud les voit ainsi) devient un personnage de la théâtralogie intime d'Artaud. Un adolescent étincellant et pervers dont la mort signe l'infâmie de la vie"S'il y a autour du cadavre d'Héliogabale, mort sans tombeau, et égorgé dans les latrines de son palais, une immense circulation de sang et d'excréments, il y a autour de son berceau, une immense circulation de sperme." Le ton est donné, et tout procède de la même fureur provocatrice. Menant son récit Artaud révèle, au fur et à mesure quelques unes de ses obsessions qui vont trouver cohérence à propos du théâtre, ce Théâtre de la Cruauté où il promulgue des règles depuis largement suivies par les metteurs en scène les plus audacieux. Intervention de la voix qui vient des entrailles et non plus de la tête, et qui est la "musique" de nos instincts les plus forts les plus brutaux. Et de donner à la poésie la force d'une arme capable de bouleverser l'ordre du monde (d'où le thème de l'anarchiste qu'Héliogabale illustre exemplairement). Dans sa folie logique il transforme son règne en une cérémonie sacrée (et éprouvante, et sexuée à l'outrance) et la scène du théâtre est agrandie à la réalité qu'il magnifie en splendides fêtes orgiaques, dépassement de soi, agression constante de toute tempérance confortable. Perturbateur insupportable il étonne, exalte, effrayant au final une foule lasse de ses splendeurs et turpitudes sacrées. Précipité vers la mort la plus ignoble. Artaud en donne une description hallucinée.L'ouvrage, publié par Denoël en 1934 est tiré à quinze cents exemplaires (plus quelques exemplaires "de tête"). Il en restait encore en 1946 quand le galeriste Pierre Loeb organise une vente pour subvenir aux besoins d'un Artaud réduit à la misère à sa sortie de l'asile de Rodez.
Né en 1903, mort en 1979, Gengenbach traverse le Surréalisme sans lui apporter autre chose que ses fantaisies vestimentaires (la manie de s'habiller en prêtre), ses scandales, et une pointe d'anticonformisme qui n'est que la partie superficielle de ce que pouvait être un "acte surréaliste". Il amuse "la galerie" mais n'apporte pas à André Breton, grand quêteur de talents nouveaux, une force créatrice capable de rivaliser avec la prodigieuse poussée artistique et littéraire qu'il fédérait autour de lui.Les quelques livres (2 ou 3) qu'il a publié ne sont que des relations auto-biographiques, largement fantasmées. Une littérature qui relève presque du second rayon, mais pittoresque et propre à pimenter l'aura culturelle que le surréalisme entendait structurer sans s'effaroucher des scandales, surtout s'ils relèvent des moeurs. C'était une manière de renforcer le caractère scandaleux qu'il ne répugnait pas de revendiquer.Ernest de Gengenbach fréquentait Le Soleil dans la tête, apparemment flatté d'y voir figurer ses livres à côté de ceux de surréalistes reconnus comme tels. Il se donnait des allures vaguement démoniaques. On l'aurait bien vu dans un film de Jean Rollin où il aurait été plus à sa place que dans les réunions de la place Blanche où se décidait la stratégie du groupe surréaliste.
Dans son développement la peinture surréalisme transgresse les articulations historiques qui traitent l'art comme un long fleuve tranquille où chaque découverte enclenche son développement ou son opposition, mais dans une unité, une sorte de complicité de chaque génération qui se regroupe autour d'un principe esthétique dominant. A l'heure de l'abstraction (de ses précurseurs -1910- à sa tyrannie -abstraction géométrique et lyrique- des années 1950) le surréalisme récupère des artistes fidèles à la figuration mais lui apportant cette force de provocation, d'investigation dans l'inconscient, qui est au coeur de sa raison d'être. D'une facture assez neutre (voire conventionnelle) Pierre Molinier passe d'ailleurs à la photographie comme quoi peindre pour lui était surtout montrer et non chercher à l'intérieur de sa technique des sources nouvelles, peut-être un nouvel élan.Y domine, en constante reprise, l'exploration du corps démultiplié, un peu comme l'avait montré Bellmer dans sa série des "poupées". Le corps falsifié pour mieux exprimer la sensualité qu'il contient, la force de suggestion de certains détails anatomiques et, plus encore, de leur mise en situation par additions, croisements, déformations qui défient l'anatomie. Avec quelque chose de nocturne, de secret, de soyeux, propre à séduire un poète plus soucieux du contenu d'une oeuvre que de son expression. André Breton cautionne son travail en le révélant dans les années 50, lui assurant une audience que le caractère violemment érotique dont elle se targue la place dans une situation ambiguë entre curiosité esthétique et simple pornographie.
La lecture est un art féminin.Tout
comme la pratique du piano, largement représentée par les peintres
(Renoir, Van Gogh, Maurice Denis, Degas, Cézanne), celle de la lecture
associe souvent la femme en position de conteuse, à moins que le
peintre la représente seule, "penchée" sur la lecture, absorbée par
elle, en rapport d'intimité qui l'arrache à la réalité et lui donne cet
aspect angélique, aérien, absent, qui la fait belle du rêve qui
l'habite. Car lire, alors est une quête du rêve, son tremplin. La
peinture se fait douce, murmurante, confidentielle pour dire ce petit
miracle intime. voir lorgonmelancolique.blog.lemonde.fr
Les aventures du manuscrit des 120 journées de Sodome.
L'histoire du manuscrit des 120 journées de Sodome de Sade semble relever de la légende. C'est lors de son emprisonnement à la Bastille que Sade rédige ce texte sulfureux en collant les différentes pages du manuscrit pour constituer un rouleau, à seul fin de camoufler celui-ci dans les anfractuosités de la muraille de sa cellule.L'avant-veille du jour de la prise de la Bastille, et parce qu'il avait participé aux premiers frissons insurrectionnels qui annonçaient le 14 juillet, il est transféré à Vincennes sans avoir pu reprendre le précieux manuscrit ainsi livré aux désordres et saccages qui suivent la prise victorieuse par la populace du sinistre bâtiment.Un miracle a voulu qu'il échappe à l'infamie d'une disparition dont il était si fortement menacé. Il va passer de mains en mains, entre celles de spéculateurs et de bibliophiles avertis qui assurent sa survie, jusqu'à la publication du texte par les soins du spécialiste Maurice Heine et sa mise en orbite quasi légendaire par les surréaslites ( ces révélateurs de tant de textes essentiels).Il met en lumière le problème rencontré par des prisonniers auxquels il est interdit de pouvoir écrire et qui se livrent à des subterfuges incroyables pour y parvenir (en particulier pour les prisonniers politiques). Mais la force du verbe l'emporte toujours sur la malignité des bourreaux. On peut en tirer une parabole. L' histoire du manuscrit des 120 journées de Sodome en est la figure emblématique.
Parlons d'édition.C'était, lorsqu'on créa Le
Soleil dans la tête, le bureau des éditions Palimugre une initiative de
Jean Jacques Pauvert. Il sortait de tout petits livres avec des
signatures prestigieuses ( Sartre, Albert Camus etc...) . Grande était
la tentation de conduire une action éditoriale, encore fallait-il
en avoir les moyens (financiers et structure administrative). On se
contentera de labeliser des ouvrages dont on appréciait le contenu mais
dont les auteurs étaient sans éditeur officiel. Il y aura quelques
tentatives dont celle engagée avec un personnage hors norme, défendu
par Jean Dubuffet, et qui pratiquait une écriture totalement
réinventée, dans le voisinage du lettrisme ( on abordera un jour
l'histoire de ce phénomène littéraire qui fut, dans les années 50,
particulièrement vivace). C'était André Martel qui proposera dans sa
collection du "paralloïdre" un essai : La Fontaine n'est pas un
imbécile. L'écriture en était claire, ce qui n'était pas en
contradiction avec ses recherches langagières par ailleurs fort
risquées.
Waydelich, l'invention d'un personnage.S'il
pratique l'art de la "mise en boite" d'objets un peu dans l'esprit du
reliquaire, Waydelich le fait dans un esprit littéraire autant que
plastique. Il assemble, ajuste des objets, compose une sorte de mémoire
à travers les miettes d'une histoire qu'il reconstitue parfois avec une
tendresse mélancolique et souvent beaucoup d'humour. Il a été une
véritable révélation dans le contexte d'un programme d'expositions qui
voulaient justement associer art et littérature. Son
personnage, Lydia Jacob, est venu à lui par l'intermédiaire du
journal de cette couturière rejetée dans l'oubli et l'anonymat et qu'il
découvre sur un marché aux puces de Strasbourg. Partant d'une mémoire,
il recompose une vie, et ses oeuvres en sont les étapes, les séquences
dont il peut varier à l'infini les versions. Archiviste
de son personnage, huissier de ses biens imaginaire, Waydelich ne se
contente pas, toutefois, du simple état des lieux, de la nomenclature,
de l'inventaire, il pratique à l'égard de ce matériel, mis à
contribution au nom de la mémoire, un travail assez semblable à celui
de l'archéologue qui jalonne un terrain, le balise, avant d'y
prélever ces fragments d'une vie dont, de toutes manières on ne peut
avoir que des miettes.
Marcel
Marien est un des grands surréalistes de la Belgique toujours si
féconde en talents artistiques et littéraires. Jetons un pont entre le
Quartier Latin du Paris de Francis Carco et des Surréalistes, et
Bruxelles la fascinante. Marien en fut (avec tant d'autres vers
lesquels on ira le moment venu, comme Scutenaire, Paul Nougé, Magritte,
Jane Graverol) un des héros à la fois tonitruant et illuminé. Il faut
lire ses mémoires si savoureuses. Les poèmes sont dans la lignée des
chercheurs d'or dans les mots. A triple sens parfois, car l'humour
n'est pas loin. Rêvons d'un monde tenu par des tels hommes.
De Montmartre au Quartier Latin.De Montmartre au
Quartier Latin était l'itinéraire presqu'obligatoire de ceux qui, au
début du XX° siècle, aspiraient à la gloire. Picasso avait montré le
chemin. C'est que la Butte Montmartre avait déjà un riche passé.
Toulouse-Lautrec, côté bastringues, Renoir côté jardins avaient planté
leur chevalet parmi les moulins et Van Gogh y fait un séjour fulgurant.
On souffre et s'amuse entre Bateau lavoir ici pour la misère, Moulin
Rouge là pour les filles et la musique. En invité d'honneur le bon
douanier Rousseau y sort son violon pour faire danser la société
choisie que Picasso avait convié pour le fêter, de Marie Laurencin et
Apollinaire à André Salmon qui lui, montparno , faisait le lien entre
le passé et le futur. Toute cette joyeuse équipée va en effet quitter
la rive droite pour occuper la rive gauche, Montparnasse pour les
peintres, le Quartier Latin pour les écrivains. C'est l'histoire d'une
migration de l'esprit et de la fantaisie, avec ses cortèges de filles
ici modèles, là muses, et toujours dans l'esprit le plus inventif.
Bientôt la légende va s'emparer de cette histoire. Mais Roland Dorgelès
et Francis Carco sont des témoins de premier main, acteurs même de
cette histoire. Ils la content avec verve et un sentiment parfois de
mélancolie. La Butte Montmartre ce fut leur jeunesse, le Quartier Latin
l'entrée dans la vie publique, et même pour l'un comme pour l'autre la
reconnaissance de leur talent. Pourtant Carco aime encore évoquer des
souvenirs plus tendres où passe parmi tant d'autres ombres, celle de
Verlaine, le piéton d'un Paris de plaisir et de souffrance.
Prudemment il est annoncé que le Moine (oeuvre légendaire de Monk Lewis dont la traduction avait été confiée à Antonin Artaud) est, de fait, "raconté". Moins traduction selon les lois en usage que repris à son compte, et selon ses propres fantasmes, par un Artaud qui trouve là matière à donner libre cours à sa fougue verbale, son déchaînement imaginatif. Un texte brûlant et confinant à la folie, qui témoigne bien de cette vague (typiquement anglaise) du "roman terrifiant" où se distingue aussi la romancière Anne Radcliffe.Le texte, pour significatif qu'il soit, n'est pas essentiel pour la compréhension de la pensée d'Artaud, encore qu'il entre incidemment dans la constitution de sa légende accordée aux excès gestuels de ses théories scéniques (largement imitées depuis) et à ceux du verbe qui va chercher, au coeur des mots, dans la coulée furieuse des phrases, une sorte de vérité intérieure, physiquement vécue, propre à réveiller les instincts du corps écrasé par les conventions sociales, occulté par la civilisation occidentale que toute agression, surtout fantasmée, doit nous faire éprouver pour en retrouver l'énergie primitive.
Fuyant l'occupant Breton et André Masson voguent vers l'Amérique, terre d'exil lors de la dernière guerre. Ils font escale à la Martinique et découvrent un univers qui entre totalement dans leur vision de la réalité foisonnante, émerveillée, porteuse de riches échos mémoriels et sensuels. Par le dessin d'André Masson, plus que tout autre à la démesure de cette épopée lyrique de la nature, et un dialogue poétique avec André Breton, se conçoit, spontanément, un livre assez singulier, et pourtant dans la logique de deux complices qui trouvent un sujet, un climat, dans la pérennité de leur démarche, de leurs appels. On a une sorte de poème repris, comme poussé par les lois du désir, scandé comme un chant rituel, le dessin foisonnant autour et entre les mots, retrouvant tout le lyrisme du douanier Rousseau ce grand rêveur de tropiques inventées.Il est dédié au poète qui incarne le mieux cette fièvre exotique : Aimé Césaire. Il créera un relais martiniquais du surréalisme et de sa ferveur.
Dandy oui, et le suicide pour destin. C'est l'histoire de Jacques
Rigaut, personnage emblématique de la mythologie surréaliste. Il a peu
écrit, mais intensément, dans l'absolue nécessité de "se dire" (mais
aussi de manifester une dose d'humour exemplaire). C'est toute la
question de l'écriture. Elle ne peut se résumer à se raconter quand
c'est dans la banalité de ce que vit toute personne qui n'a que son
destin en main et une mesure banale de la vie.
Vostell au coeur de la cité. Ajouter une photo / un podcastC'est
par l'intermédiaire de François Dufrène que Wolf Vostell est venu rue
de Vaugirard avec un carton plein de "décollages" c'est à dire des
compositions basées sur des emprunts les plus divers (au mur, aux
magazines, des photographies arrachées, décomposées sous l'effet des
acides), bref toute une "cuisine" graphique qui n'était peut-être pas
totalement originale parce que la méthode était "dans l'air" :
palissades de Villéglé, Hains, photos projetées dans la peintre de
Bertini, tout un appareillage destiné à inclure la réalité dans la
peinture. mais Vostell y intégrait l'événement, sa violence.On
était alors aux heures triomphantes du pop-art et dans le sillage de la
Figuration narrative (on en reparlera), un front commun contre
l'académisme de l'abstraction ou se qui passait pour tel. Mais Vostell
va s'emparer de la réalité dans ses formes les plus quotidiennes, dans
une appropriation immédiate de l'objet, sortant des limites de la
toile, abandonnant ce qui relevait encore de la peinture de chevalet,
pour aborder le domaine de l'installation. On y reviendra.
Mandiargues et ses masques.C'était un personnage mystérieux et vaguement inquiétant. Pour
Eric Losfeld qui préparait l'édition de son livre Astyanax, j'étais
allé chez lui, dans le Marais, dans ce bel et sombre appartement qui
voisinait celui de Léonor Fini ; d'ailleurs une toile de cette dernière
se devinait dans l'atmosphère veloutée et frileuse du bureau d'où
Mandiargues avait vue, directe, sur le charmant petit square du Musée
Carnavalet dédié à la mémoire de Julien Cain . Il était peuplé
d'animaux sculptés provenant des hauteurs de quelques églises
parisiennes en restauration ( à moins que ce fut la Tour Saint Jacques,
ce haut lieu de l'ésotérisme parisien). Mandiargues venait souvent au
Soleil dans la tête et écrira un poème-préface pour Unica Zurn quand
elle y fit son exposition. On y aimait ses livres et on les
recommandait volontiers pour lui trouver de nouveaux lecteurs. C'est
ainsi que se forment des familles autour d'écrivains. Une communauté et
une complicité enrichissantes.
Nerval timbré.Etre choisi pour orner un timbre a plus
de prix, et de signification qu'on le pense souvent. Une figure sur
timbre a une valeur d'icône. Elle a, de surcroît, l'avantage d'être le
véhicule des mots qu'elle marque de son empreinte. Aux chefs de guerre
et autres célébrités que retient l'Histoire, on peut préférer les
silhouettes des poètes, ces meneurs de mots, ces troubadours toujours
en voyage. Surtout Gérard de Nerval, un SDF hanté par les couleurs et
les brillances de l'Orient. Un courrier timbré Gérard de Nerval ne peut
être quelconque et surtout pas vulgaire. Il fait déjà rêver alors qu'on
a pas encore déchiré l'enveloppe qu'il orne. Il faut bien choisir les
timbres de nos envois postaux. Ils sont nos ambassadeurs, ils sont le
signe secret de nos alliances, de nos complicités, de nos songes.
Allons dans les nuages.A propos de Boudin qu'il voyait peindre sur les plages normandes Baudelaire saluait les merveilleux nuages. Le
prenant aux mots, toute une génération de peintres, dans les années 60,
se livrent à une véritable investigation du ciel, ouvrant la toile aux
élans d'une main légère qui écrit les nuages, suggère la légèreté de
l'air et jusqu'à son parfum. Ce fut un formidable élan dont on suivait
de près les étapes à travers les oeuvres de visiteurs amis comme
Benrath, Duvillier, René Laubiès, Nasser Assar, Graziani, qui avaient,
pour défenseur auprès de l'opinion, le discret, subtil et énigmatique
Julien Alvard. Ca et là, à propos d'une exposition, autour de la revue
Sens Plastique qui prend leur défense et s'attache à leurs découvertes,
les peintres baptisés "nuagistes" vont influencer de plus jeunes
encore, des débutants, avec la perte inévitable en chemin de promesses
non tenues, de carrières brisées. Mais c'est une belle et tumultueuse
histoire. On en trouvera ici, des échos. Aujourd'hui tout cela est
passé dans l'Histoire, entre les mains des théoriciens. Pourquoi pas
?
Marcel Béalu l'oeil de la nuit.Avec
Béalu on aborde le domaine du fantastique. Sobre et angoissant, dans la
ligne du Kafka du Château avec Mémoires de l'ombre, dans la tradition
du genre, et voisin parfois d'André Pieyre de Mandiargues, avec
L'Araignée d'eau. Un
registre large mais dominé par une relation étroite et savante avec la
peinture qu'il pratique d'ailleurs lui-même, avec, toutefois, une
modestie qui freine la reconnaissance de cet aspect curieux de sa
démarche. Moins peintre que dessinateur comme les poètes qui abordent
cette discipline, la peinture supposant l'affrontement de certains
problèmes techniques qui ne l'intéressent pas alors que le dessin se
prête bien à la liberté de la main, sa volubilité. Béalu développe des
retombées de corps qui s'enlacent, se cherchent, se chevauchent avec
une douceur sensuelle, une volupté distinguée. Il
est lui-même, en libraire, fort attentif à la littérature érotique qui,
dans les années 50-60, tombait encore sous le coups de l'interdit qu'il
enfreignait avec une vigoureuse audace. Le
voici au coeur d'un espace qui échappe aux modes, rassemble au delà des
siècles de multiples personnalités et des auteurs qui pour être du
second rayon sont aujourd'hui des classiques. Guillaume Apollinaire
n'est pas étranger à cette réhabilitation.
La fête d'Avril.Il
a d'abord un nom qui porte à faire travailler l'imaginaire : Armand
Avril. On l'avait déniché chez un étonnant découvreur de talents
lyonnais, relieur, qui tenait boutique dans le vieux Lyon sous le sigle
Le Lutrin. Dans le désordre des livres, festoyait l'art à la fois
cocasse, narquois, insolite ( et insolent) d'un ancien maçon passé à la
peinture et qui s'était essayé à la peinture de chevalet à travers ce
qu'il voyait autour de lui, dont Fusaro, artiste lyonnais alors connu
(il l'est peut-être encore et son travail est de plus intéressants).
Mais Avril avait brûlé les étapes et s'était lancé dans l'art de la
récupération, de la remise en vie des déchets du quotidien. On est là
dans une des voies majeures de l'art contemporain, mais il sait lui
donner un sens nouveau, un esprit, une couleur qui ne sont qu'à lui.
Vieux bois, pinces à linge ( beaucoup de pinces à linges qui font des
silhouettes si drôles de petits personnages), bouchons (il devait
beaucoup boire ! ) et une passion pour les arts primitifs. Cela donne
quelque chose de nouveau, spirituel, parfois inquiétant, toujours
excitant, et dans le voisinage du grand et énigmatique Louis Pons. On
avait d'ailleurs, au début, pensé qu'il l'imitait, pour découvrir enfin
qu'il volait de ses propres ailes, jouait de ses propres mains qui
faisaient des miracles. Il est aujourd'hui assez répandu et bien
reconnu. Mais il s'est envolé depuis Le Soleil dans la tête dans les
années 7O.
Dans
ce souci de toujours aller vers l'esprit du lieu, d'en mieux connaître
l'essence profonde et par conséquent son histoire, doit-on rappeler que
le Soleil dans la tête fut, bien avant que Jean Jacques Pauvert en est
fait le centre névralgique de ses éditions "Palimugre", une bouquinerie
tenue par le poète Robert Ganzo, auteur de quelques rares mais superbes
livres dont Lespugue, Langage, Rivière, Domaine, Orénoque, illustrés
par quelques grands peintres comme Jacques Villon ou Fautrier. Des
ouvrages de bibliophilie, support d'une langue qui cherche sa
perfection formelle en marge de tout effet de modernité.
Archéologue-amateur (il est l'auteur de plusieurs ouvrages d'ordre
historique) il cisèle le mot dans la tradition instaurée par Mallarmé
et Valéry."Tout commence ici. Pas de routesMais - tiré d'un os de quel mort ?-un chant comme premier remords,s'élève du fond de ces soutes."
Le Surréalisme, mais surtout Breton, était friand des cas sociaux, de ceux qui refusaient de suivre des traces préparées pour eux, ou conformes aux usages. Ernest de Gengenbach répondait au mieux à ces exigences intellectuelles. Car rien, dans sa démarche, ne pouvait apporter au surréalisme qu'une poignée de soufre, un zeste de cette fantaisie de potache attardé, quand sa vie n'est qu'une longue suite de provocations gratuites, d'aménagement avec les modes, et un à-propos qu'autour d'André Breton on ne se privait pas de dénoncer."L'expérience démoniaque" se résume à un rapport sulfureux avec la religion. Sorti du séminaire (par la porte des cuisines) Gengenbach va jouer de cette situation pour exhiber les attributs du prêtre sans en assumer les fonctions.Se montrer aux terrasses des café de Montparnasse en soutane et galante compagnie consisterait-il ce pur geste surréaliste préconisé par Breton ? Gengengbach exploite littérairement ses déboires, ses foucades et ses frasques. Sa reconnaissance par Breton repose, tout au plus, sur une équivoque.
Paris au plus près, au ras des talus (Jacques Réda) dans le sillage des virées nocturnes avec Brassai (Léon Paul Fargue), nous est familier jusqu'à l'usage des mots qui sont ceux de l'émotion immédiate, du pittoresque quotidien (vu aussi par Doisneau). Avec André de Fouquières et Maurice de Waleffe, on pénètre dans les salons. Ce serait l'univers de Proust au stade de la simple énumération des noms, des lignages, des relations plus ou moins brillantes qui donnent du poids à un carnet d'adresses. Point d'émotion mais un état des lieux qui vaut pour ce qu'il permet de situer dans le Paris que nous sillonnons pour notre plaisir, de repérer des présences au passé. C'est un défilé d'ombres (femmes vêtues par Worth et hommes sortis des romans de Maupassant ou de Paul Bourget). Paris était une fête nous est-il assuré. L'était-il pour une société qui avait ses rites, ses préjugés, ses grandeurs et ses faiblesses avec quoi l'on fait une civilisation, dont celle d'une classe qui a sa culture, ses pouvoirs et ses fatuités.Pour un lecteur d'aujourd'hui, c'est un peu au niveau des rubriques mondaines de Stephane Bern dans le "Figaro madame". Un rien suranné. D'où un certain charme.
C'est un itinéraire quotidien, rituel, depuis les grands boulevards jusqu'au faubourg Montmartre. On bute alors sur l'immeuble dont le rez- de- chaussée est occupé par la maison Fichet (coffre-fort, porte blindée, sécurité garantie). Ce fut l'une des adresses de Lautréamont lors de son cours séjour parisien. Avant d'aller au 7 du même faubourg, (restaurant Chartier). Il y est mort. Quasiment seul, et enterré presque clandestinement.La suite des passages peut enchanter le regard du curieux, ils sont aussi la caverne aux trésors des chineurs (de bons libraires, dont le délicieux "Farfouille" qui vend des livres sur l'extérieur à des prix raisonnables). Lautréamont dans cet univers ! L'amateur d'étrangeté devait y trouver pâture à bien des délires oniriques. Point de bête fabuleuses cependant. Il aura ses premiers textes imprimés "à compte d'auteur" présentés là parmi des occasions (déjà) et dans le tohu-bohu des promeneurs. Il y a beaucoup de solitaires. On pourrait imaginer que c'est une promenade d'amoureux. On y voit surtout des touristes, et, sans doute des riverains qui viennent là prendre l'air et furtivement se griser de rencontres impossibles. Curieux que Nadja n'ait pas été roder là quand elle prenait le bras d'André Breton, sillonnant le quartier. Y fut-elle, anonyme ?
Le maître d'école.Ce
sont les événements qui décident de l'orientation de la poésie durant
l'occupation. Les surréalistes tentent la résistance "de l'intérieur"
et sont fixés à Paris autour de "La Main à Plume" de Noél Arnaud
; en province, et surtout à Nantes, c'est autour de Jean Bouhier
que vont se rassembler les poètes qui refusent à la fois la
collaboration et l'allégeance à Vichy. Jean
Bouhier a une formation de pharmacien et tient officine à Rochefort sur
Loire d'où le nom donné depuis à ce regroupement de poètes où se
distingue bientôt René Guy Cadou. Il
y a là, Michel Manoll, Luc Bérimont, Marcel Béalu, Jean Rousselot,
Yanette Deletéang-Tardiff, Gabriel Audisio. La publication des "Cahiers
de Rochefort" va drainer toute une génération de Guillevic à Jean
Follain et Maurice Fombeure . Son oeuvre personnelle (Vis, Dompter le
fleuve, Toiles de fond, De mille endroits), est marquée par un sens
profond de la dimension humaine. Ce sont des vers amples et bien
rythmés, sans coquetterie de style avec une pointe de gravité, une
volonté de convaincre et donner un sens à la vie. On parlera à son
propos d'une mystique de l'unité, il faut comprendre : "de l'amitié".
Robert Sabatier, maître es-poésie.Romancier
célèbre et populaire, Robert Sabatier n'est pas que cela. On lui doit
une suite impressionnante de romans savoureux inspirés par son enfance
montmartoise, mais son attention s'est aussi portée sur la poésie d'où
l'énorme étude qu'il a conduit, portant sur la poésie française depuis
ses origines jusqu'aujourd'hui (9 volumes) qui sont la contribution la
plus exhaustive aujourd'hui sur le sujet.C'est Michel Ragon qui
nous l'avait fait connaître en l'entraînant au "Soleil dans la tête"
(n'a-t-il pas justement rassemblé ses poèmes sous le titre "Les fêtes
solaires" ?). Il y a une certaine complicité entre les deux hommes. Un
goût partagé pour "les gens de peu" comme disait Pierre Sansot
(l'éminent sociologue), ceux qui ne sont pas aux postes de décision et
que l'on n'écoute guère. Non qu'il fasse de la littérature populiste
mais largement inspirée par une masse humaine traversée par des cas
personnels, des drames de famille, des émois d'enfant, toute la gamme
sensible qui façonne un homme et lui donne sa véritable dimension. D'où
l'intérêt de cette oeuvre romanesque qui tourne le dos aux recherches
expérimentales de la littérature, et perpétue des traditions
nécessaires pour maintenir l'intérêt d'un large lectorat.
Les lettres de Rodez.Henri
Parisot, directeur littéraire chez Flammarion (un voisin), venait
longuement, au Soleil dans la tête, parler avec douceur et un rien de
moqueur (dans le regard) des poètes qu'il aimait (c'est le grand
spécialiste de Lewis Caroll). Il était le destinataire des
fameuses "Lettres de Rodez" qu'avait publié GLM et je ne pouvais
m'empêcher, alors qu'il m'en parlait, de me propulser mentalement dans
cette grise mais prenante ville dont j'imaginais le poids qu'elle
pouvait exercer sur Artaud, prisonnier alors de sa folie et errant dans
la ville, cahier dans le poche et crayon pour y noter, comme il le
faisait continûment, un bout de poème, une pensée, le plus souvent un
cri. Regardons l'édition de ce modeste livre tiré avec tout le
soin et la ferveur que Guy Lewis Mano mettait à l'édition de ses
ouvragres.Singulier qu'une telle angoisse, une telle fureur, une
telle souffrance tiennent en un si modeste volume qui a, de surcroît,
l'audace d'être élégant.
Les voici, cote à cote, dans un intérieur sobre et d'intellectuels assagis, un rien bourgeois (ils le sont malgré eux) et pourtant, derrière cette dignité distinguée c'est le drame de l'amour qui s'agite. Il est au coeur de l'oeuvre de Katherine Mansfield, il est analysé par Middleton Murry dont les souvenirs sur Katherine Mansfield épousent avec ferveur les divagations d'un coeur errant . L'amour serait il le seul argument pour lire Katherine Mansfield ce serait diminuer son talent, voire son génie propre. Qui s'appuie sur l'expression des sentiments pour développer les forces d'une sensibilité apte à capter tous les indices de la vie frémissante qui s'accorde aux oscillations de l'humeur, tantôt chagrine, tantôt juvénilement enthousiaste. Qu'il est difficile de vivre au quotidien cette intensité, cette force d'adhésion avec sa sensibilité, et de s'y voir condamné à la solitude. On vivra les signes extérieurs de l'amour, on demeurera lové dans les plis secrets de ses angoisses. Le texte de Middleton Murry vaut pas l'intimisme qu'il exprime, et sans doute, l'espèce de fascination qu'exerce Katherine en dépit de ses caprices, de ses exigences, de son mal à vivre.Une confidence enfin. La vie et l'oeuvre de Katherine Mansfield font parti de ma propre existence depuis l'enfance. Ses livres figuraient dans la bibliothéque familiale il est vrai marquée par la mode de la littérature anglo-saxonne qui flambait dans les années 30 où l'on célébrait Aldous Huxley, D.H.Lawrence, Charles Morgan. Comment ne pas avoir été imbibé de cette culture qui amenait dans le ciel français les brumes de Londres, et celles du coeur.
Staudacher, la fougue du dessin.Il venait de
Vienne (Autriche) le pays de la Secession de Sigmund Freud et de
Strauss. Il portait en lui une énergie qui se déployait par une
constante prise de position de l'espace du papier qu'il avait toujours,
vierge, à ses côtés.Un dessin proche de l'écriture et qui avait sa
force, son énergie et ses frémissements. Bien sûr on pensait à
l'américain Pollock bien que ce ne soit pas lui qui ait inventé le
"dripping", cette façon de peindre en se plaçant au dessus de la toile
et en dansant autour d'elle, un pinceau chargé de couleur à la main.
Avant guerre, dans les années 3O, le peintre français André Masson
avait déjà pratiqué cette forme d'écriture en projetant du sable sur
une toile enduite de couleurs. Il mettait ainsi toute la plage sur la
surface peinte. Staudacher enfant de l'un et de l'autre, jouait aussi
la frénésie, la jubilation graphique.
18h41 - A la gloire du bouquiniste.
-
Général
Sur le librairie, limité à l'exploitation des "nouveautés", le
bouquiniste a l'avantage d'avoir des rapports plus intenses, plus
aventureux ( hasardeux mais féconds pour des "découvertes") avec le
livre. De surcroît il a des rapports plus intimes avec lui. Parce qu'il
est ancien, parfois en mauvais état, il doit le restaurer, le couvrir,
avoir à son égard des liens de sollicitudes que le libraire ne peut
réserver en raison d' un passage rapide des livres qu'il diffuse. Le
bouquiniste est un lecteur toujours à l'affût de l'inconnu, il est en
mesure de dénicher des "trésors" dans la circulation des livres qui se
fait par à-coups, hasard. Il a quelque chose du chasseur. Il faut le
voir, ayant acquit une bibliothèque, extraire des cartons des livres
dont parfois il ignore tout et qu'il "découvre". Il y a de l'expert en
lui. Il a, forcément, de la littérature une connaissance plus large.
Souvent il est autodidacte, d'où sa soif inextinguible de connaissance
et son absence de tout préjugé.Large
et pittoresque la gamme des bouquinistes, depuis celui qui n'est pas
éloigné du chiffonnier, jusqu'à celui qui a gagné une sorte
d'aristocratie du livre, traitant les ouvrages dans la rareté, la
valeur historique, bibliophilique et même affective : rôle de la
dédicace, du propriétaire d'origine donnant au volume un prix
sentimental.L'édition de catalogue mettant la pointe finale à cet
art d'une suprême élégance qui confère, à chaque livre négocié, le prix
d'une véritable histoire, dont chaque livre est le porteur.
15h28 - Jean-Louis Depierris et le palais de Dioclétien.
-
Général
Jean Louis Depierris.Jean-Louis Depierris
a été un navigateur au long cours dans les eaux tumultueuses de la
poésie contemporaine. Son rôle de directeur de centres culturels à
l'étranger (Yougoslavie, Islande, Maroc) l'a placé au meilleur poste
d'observation pour dénicher les talents et les rassembler dans des
anthologies diverses (voir son site sur google). Il fut l'un des
animateurs de la revue Sens Plastique pour laquelle il avait conçu un
riche numéro d'étude sur la situation de la poésie aujourd'hui (c'était
dans les années 6O). Au coeur de son oeuvre poétique il faut retenir
"Bas Empire" inspiré par le palais de Dioclétien à Split dont il
connaissait les recoins les plus secrets. Il avait été fasciné par la
figure de cet empereur fastueux et haut stratège placé en figure de
proue sur un Empire à la dérive. Je fus moi-même longtemps hanté par ce
lieu d'autant plus singulier qu'une ville s'est créée à l'intérieur
même de l'enceinte du palais, recueillant des lambeaux de sa splendeur
passée, faisant sourdre par endroit la magie des rites et des
célébrations dont il fut le cadre. En illustration : palais de Dioclétien consulter : fuaj.org/
Flamboyant Christoforou.D'origine
grecque mais citoyen britannique, il a participé activement à la
dernière guerre (dans l'aviation), sa vie s'inscrit dans le sens de
l'Histoire et la conscience de sa tragédie. Son oeuvre picturale
s'ancre dans son expérience humaine. Il ne peint pas par délectation
mais protestation. Il ne descend par d'un Bonnard mais du Picasso de
Guernica. Violence et flamboiement de la couleur, posée en longues
coulées comme une lave brûlante et saccageuse. Il ne flatte pas l'oeil
mais l'agresse, impose des masques puissants et terribles, créant un
théâtre d'ombres et de menace. Il traverse aussi bien l'univers de
Kafka que celui de Jarry, entre terreur et sombre farce. Derrière
l'apparence tranquille d'un homme au parlé discret, au regard tendre,
il y a un feu qui couve et parfois jaillit comme d'un volcan. Il a
souvent exposé, tant en France qu'à l'étranger, et suscité une riche
littérature critique encore que son oeuvre peut effrayer le non initié,
celui qui cherche dans l'art le seul plaisir des sens. Christoforou
parle aussi à sa conscience.
Jan Voss, la BD qui grince. Parlons du jeune Jan
Voss venu à Paris dans les années 6O. Il travaille alors dans la
banlieue sud de Paris (du côté de Gentilly). Son atelier ( il me semble
une ancienne usine, en fait l'un des premier loft que je voyais) était
la cadre de grandes fêtes chaleureuses où l'on retrouvait les amis de
la revue KWY dont il était l'un des animateurs. Lourdès Castro, René
Bertholo, Christo et beaucoup de portugais, lui étant allemand. A
l'époque il dessine de longue bandes narratives bourrées de personnages
(chiens et humains) dans une frénésie un peu angoissée et pleine de
saveur. Il a le trait prompt, nerveux, glissant en d'interminables
histoires avec de volontaires gaucheries. Il faisait penser à un
conteur emporté par le rythme frénétique même de son récit, butant
parfois sur un mot, sur un signe, une image. On parlera à propos de ce
dessin "abrupt" de graffiti, il en a retenu la verve jaillissante,
l'insolence et la mise à jour du banal, du quotidien, voire de
l'absurde. Aux figures (marmonnées) se mêlent les mots, eux aussi
ébauchés, jetés sur la toile dans une hâte qui dénonce le fond même de
cette démarche qui ressemble à une quête.
12h18 - La grande bibliothèque.
-
Général
Parlons de bibliothèque. En vrac, me revient à
l'esprit celle de Montaigne, dans sa tour et les inscriptions sur les
poutres du plafond ; celle de "Au nom de la rose" : une vision à la
Piranèse ; celle que fréquente le jeune Blaise Cendrars qui s'affole
alors devant la masse de livres à lire: celle de Jean Paul Sartre dans
"la Nausée", et ce lecteur qui entreprend de lire tous les livres en
suivant l'ordre alphabétique des auteurs. Une folie logiqueOn
rencontre maintes bibliothèque dans la littérature. Toutes celles
où se sont formés des savoirs. A La B.N, à Paris, celle de la rue de
Richelieu, je revois encore Georges Perrec, un crayon dans la bouche,
égaré dans les fichiers ; celle du Dulwich Collège de Dublin
(l'une des plus belles sans doute) que fréquentait James Joyce en sa
jeunesse, une autre, d'un couvent à Prague, dans la ville haute. Toute
d'or et de voluptueuses sculptures ornée. Les moines tiraillés entre
l'écriture sainte et la volupté. Une bibliothèque peut vous mener en
enfer. D'ailleurs elle avait le sien que fréquentait Guillaume
Apollinaire quand il en établissait le catalogue avec l'étrange
monsieur Fernand Fleuret.
René-Jean Clot et ses fantômes.Il
habitait Versailles, pas très loin du château, dans un appartement
sombre entouré de masques africains et de figures hallucinées. Celles
qu'il peignait avec une force singulière, obstinée, comme s'il voulait
conjurer ses mauvais rêves.Il croisait quotidiennement l'exercice de la peinture et celui de l'écriture.Estimé
par Jean Paulhan, l'homme des coulisses chez Gallimard ; d'Audiberti,
l'excellence de l'incongruité et de la truculence; de Roger
Caillois, l'observateur bachelardien du monde; de Marcel
Jouhandeau, l'homme des intrigues de l'âme, il conduit une oeuvre
romanesque étalées sur près d'une trentaine de volumes : romans
foisonnants et ardents. Imprégnés de sa propre vie ; l'oeuvre
littéraire ne vise pas la nouveauté du style, ni l'audace d'une
recherche, elle s'impose par sa force tranquille, charriant ses
propres scories, ses troublantes et récurrentes névroses. Reflet d'une
vie, d'une figure, d'une quête.
A la lumière naturelle
il s'est penché sur son casier où les caractères d'imprimerie,
soigneusement classés, sont à sa disposition pour composer son texte. Restif
de la Bretonne, ouvrier typographe, composait directement ses livres en
puisant dans les caractères. Sans passer par la phase de l'écriture,
comme aujourd'hui on écrit directement sur le clavier de l'ordinateur,
négligeant de passer par le stade du manuscrit, surtout quand on a
l'écriture brouillonne, trop hâtive et qui rend difficile la relecture.
Il
y aurait toute une étude (elle se fera) que l'on pourrait mener pour
observer l'influence que peut avoir cette approche directe avec les
mots qui sont les éléments indispensables à la visualisation de la
pensée (de la sensation). Mais alors que la manipulation des caractères
d'imprimerie freinaient sans doute le rythme de la composition,
l'ordinateur l' accélére, lui donne un aspect définitif, le projette à
l'oeil du scripteur avec une force d'évidence. Dangereuse sans doute.
C'est une manière de fuir les retours incessants sur les mot, pour en
fignoler la forme. On voit mal un Raymond Roussel s'en contenter, ni un
Mallarmé, mais un poète lyrique peut y trouver sa source même, suivre
le flot verbal qui va jaillir de la machine. Une littérature en devenir
?
Jean Messagier dans le flux de la vie.C'est
notre Courbet, il prend la nature à pleine main, la vie à bras le corps
et traduit sur la toile le flux mystérieux de cette énergie qui peut
s'appeler désir, angoisse, turbulence de l'âme, épanouissement du
printemps. Car c'est sous le signe du printemps ( et en toute logique,
de l'été) qu'il aborde l'espace de le toile ou le cuivre qu'il grave
car c'est un graveur prolixe et impétueux. J'ai eu la joie de réaliser
avec lui une petite plaquette avec des poèmes et deux gravures de lui :
"Préparatifs pour un matin". Titre qui convient pour toute son oeuvre.
Il a le goût de la fête, il en organise, ses voisins, amis, admirateurs
de France Comté où il avait son atelier, s'en souviennent. Quelle
jubilation de couleurs et de gestes. Chez lui le geste domine, c'est
lui qui impose sa force, représentation ou non, et préférant finalement
la simple suggestion. La vibration d'une émotion, de l'énergie, car
tout, chez lui, annonce l'homme des grandes empoignades. D'où
l'évocation de Courbet.
Les silhouettes de Lourdès Castro.Elle
est l'âme de la revue KWY, elle en est la muse. Elle fait les portraits
de ses amis. Ne pas s'imaginer qu'elle vous fait poser et scrute,
pinceau en main, les traits qui vous définissent. Non. Elle vous place
devant une feuille blanche épinglée au mur, projette sur vous la
lumière crue d'un projecteur et d'un crayon aussi ferme que délicat
cerne votre silhouette en respectant la blanc du fond. Ultérieurement,
il arrivera qu'elle y distille une couleur. Toujours fraîche et
délicate. Ce qui donne à son art cette franchise et cette grâce c'est
de fixer ce qu'il y a de plus fragile en chacun, la marque d'un passage
furtif. Curieusement, ses portraits sont extraordinairement
ressemblants. Elle s'accorde quelques fantaisies gestuelles, donne à
ses modèles, dans la pose initiale, une temporalité qu'elle traduit
admirablement. Ses portraits ont la force de la photographie sans en
avoir le caractère parfois anecdotique. Elle créé ainsi une série
d'icônes de l'intimité d'un instant.
La main à plume fait écho à Rimbaud. C'est le
regroupement, durant l'occupation de poètes soucieux de maintenir
l'esprit du surréalisme, les membres de ce groupe, dont André Breton,
ayant quitté la France pour les Etats Unis.Regroupement de poètes
et de peintres venus de divers groupes déjà constitués comme celui des
Réverbères (Jean-François Chabrun, Gérard de Sède, Jean Marembert), des
jeunes surréalistes comme Gérard Vulliamy, Achille Chavée, Léo
Malet, que rejoignent ceux qui étaient restés à Paris, comme Paul
Eluard et Picasso. Un nouveau venu Noel Arnaud va jouer un rôle
important par la suite en créant plusieurs publications d'obédience
surréaliste mais surtout marquées par une admiration inconditionnelle
pour Alfred Jarry.Le point commun de tous ces créateurs, outre leur
souci de sortir des sentiers battus, sera la résistance. Beaucoup en
périrent. On le retrouvera un à un, au cours de ces promenades.
Une affaire de tours.Si
la tour Eiffel symbolise Paris aux yeux des touristes, elle est aussi
un thème en conformité avec les chantres de la modernité d'Apollinaire
à Robert Delaunay en passant par Fernand Léger, Paul Morand, et même le
douanier Rousseau. Mais la tour Saint Jacques a une toute autre
vocation. A en croire ceux qui la célèbrent (à commencer par André
Breton) elle est porteuse de forces telluriques, et étroitement liée à
l'exercice de l'ésotérisme. Une
revue portant son nom a décrypté les sciences obscures que manipulent
des esprits aigus et aventureux comme Nicolas Flamel qui en fut
d'ailleurs un voisin et dont le souvenir reste vivace pour ceux
qu'intéresse l'histoire de ce singulier monument du Paris médiéval.
Gérard de Nerval, lui aussi un "riverain" (il est né et il est mort
dans son voisinage immédiat,) est étroitement lié à la magie du lieu. Ceux que le problème intéresse peuvent aller fort opportunément se rendre sur le site :belcikowski.org/ la dormeuse/nerval flanel.php.
Parce
que l'origine du Soleil dans la tête est la suite d'une tentative
d'édition artisanale (oh combien !) on ne peut dissocier son aventure
de celle de l'imprimerie dont l'Histoire est un des maillon fort de la
vie culturelle. Les ouvrages qu'on y diffusait étaient plus souvent
d'origine modeste, conçus par ces petits imprimeurs qui généralement
vivent en province et dont les ateliers sont en familiarité avec
l'environnement naturel qui les encadre. Des presses avec vue sur
jardin... Un rêve. La poésie passe mieux dans ce véhicule qui exige la
complicité d'une main d'artisan, d'une main amie comme disait Blaise
Cendrars qui fut, justement, un auteur sensible à cet art du mot dans
son développement sur le papier, pour en exalter le pouvoir.
Paul Armand Gette.Avant
de se lancer dans une forme très particulière du "land art, c'est à
dire un travail directement sur le terrain, en arpenteur inspiré, Gette
fait des sculptures à base de caractères d'imprimerie. Il détourne la
lettre (généralement taillée dans un bois très dur) et ignore sa
signification pour n'en retenir que sa forme, la suggestion plastique,
et dans le jeu des rapprochements créant une sorte de chemin chaotique,
une coulée, un élancement qui égrène les lettres dans la magnificence
de leur solitude car arrachée au mot au sens littéral la lettre est
comme le rebut d'une histoire oubliée, dépassée, ignorée. Comment ne
pas penser au sonnet de voyelle de Rimbaud, à chaque lettre donner un
sens nouveau. La beauté propre au caractère d'imprimerie n'a pas fini
de nous attirer. Consulter le très riche site Imprimerie sur Google
pour retrouver l'illustration jointe.
Il
ne fait pas de doute qu'un lieu porte en lui la mémoire de ce dont il a
été le témoin. Il est comme un fabuleux théâtre où se sont déroulées
des actions dont la trace est cachée. La rue de Vaugirard a une longue
histoire liée aussi à deux personnages clefs du XVIII° siècle. On
parlera plus tard de Sade qui fut, enfant, un galopin jouant ici avec
son cousin Condé, mais aujourd'hui c'est de Restif de la Bretonne qu'il
sera question. Il a hanté le quartier, depuis les rues proches de la
Seine, autour de Saint Séverin, jusqu'à ce qui fut là la campagne où il
vint en galante compagnie. Comment pouvait-il en être autrement avec
lui, toujours à la quête d'un sourire d'une grisette, du pied mignon
d'une marquise. Le voilà, nocturne, avec sa grande cape et son chapeau
qui lui mange de le visage, et dans une alcôve, minaudant avec une
coquette. Il faudra aller se plonger dans ses livres qu'il composait
lui-même, comme un parfait linotypiste. Il est au coeur de l'aventure
de l'imprimerie, écrivant ses livres en maniant des caractères
eux-mêmes. Un exemple à suivre. L'écrivain est aussi un artisan.
L'Hôtel de Condé.Il faut s'imaginer que l'espace
aujourd'hui circonscrit par la rue de Vaugirard, celle de Monsieur le
Prince et la rue de Condé représentait en gros celui de l'Hôtel de
Condé proche alors du palais de Marie de Médicis (aujourd'hui celui du
Luxembourg). C'est dans cet hôtel de Condé que le jeune Donatien
Alphonse de Sade s'ouvrait au monde. Il n'était alors qu'un jeune noble
destiné à une brillante carrière militaire et mondaine. L'écrivain
naîtra bien après sous le signe de l'enfermement. C'est dans les
différentes prisons où il fut enfermé qu'il rédigera son oeuvre à la
fois abondante et scandaleuse. S'il scandalise ce n'est pas tant
pour le caractère excessivement érotique de ses textes que l'énorme
gouffre qu'elle ouvre dans la conscience du lecteur. Une prose de glace
et de feu qui déverse ses torrents d'images suppliciantes et outrées.Il
revient à des savants comme Maurice Heine et Gilbert Lely d'avoir donné
une dimension historique et littéraire à cette prose que publiait, dans
les années 5O, très courageusement, Jean-Jacques Pauvert.Une
production inépuisable. Je me souviens de mon étonnement quand Eric
Losfled (éditeur sous le sigle d'Arcanes et de le Terrain vague) disait
qu'il allait chercher des inédits à Condé en Brie dont le château était
encore occupé par les descendants du "divin marquis". J'imaginais des
greniers gigantesques, des malles ancestrales bourrées de ces feuillets
écrits dans la passion et dans le climat d'une prison.
Aujourd'hui Sade est en livre de poche et à l'emplacement de l'Hôtel de
Condé s'élève, construit sous le règne de Louis XVI, le théâtre de
l'Odéon.
Jacques Baron, le Rimbaud des surréalistes.Il
était le plus jeune des membres du groupe surréaliste au moment de sa
fondation dans les années 2O. Avec son allure de collégien doué, son
insolence d'adolescent affrontant le monde, il séduit André Breton qui
préside à l'édition de ses premiers poèmes et l'assure de son estime.
Il participe alors vivement aux activités du groupe dont les fameuses
promenades dans un Paris que ces jeunes poètes découvrent sous un angle
nouveau. Loin des poncifs du tourisme culturel, et plutôt portés à
privilégier les lieux insolites, les monuments inconnus, les étrangetés
de la ville, dans le sillage d'un photographe comme Atget qui domine de
sa patiente introspection de la ville toute la recherche menée depuis
pour en mieux comprendre le sens caché, les mystères et les beautés
négligées.Il
annonce tout à la fois Le Paysan de Paris d'Aragon et le Nadja d'André
Breton mais aussi le regard du jeune Jacques Baron qui sera aussi, et
bien plus que tous ses amis surréalistes, sensible à la peinture,
brossant un panorama appuyé sur des relations intimes avec les
peintres, une approche sensible et sans préjugé d'école de style et
hors des modes.
Jacques Spacagna et les lettristes.Rallié au mouvement lettriste Jacques Spacagna a aussi abordé la peinture.Conduit
par Isidore Isou, un mégalomane illuminé, le lettrisme (où
l'on trouve également François Dufrêne, Gabriel Pommerand ) se voulait
l'héritier du surréalisme, adoptant la technique du travail en groupe
et du scandale sur les lieux de l'activité culturelle. Spacagna, quand
il se fait peintre, retrouve plutôt la poétique rêveuse d'un Max Ernst.
"Il peint comme l'on rêve, avec une certaine et délicieuse nonchalance
qui supprime toute rigueur, toute sécheresse au jeu savant des taches".
On pense aux "microbes" de Max Ernst "dans un tableau à peine plus
grand qu'un ongle, il inscrit tout un tremblement de terre très doux,
une rivière pétrifiée, les délires des végétaux d'une planète
inconnue". D'où le titre de son exposition au Soleil dans la tête en
1961 : Autres Rives.
Sous ce sigle énigmatique s'était créé un petit groupe
d'artistes où dominaient les portugais et qui s'étaient placés sous le
parrainage de Vieira da Silva, la plus célèbre peintre portugaise.Lourdès
Castro, son compagnon René Bertholo, l'allemand Jan Voss, le bulgare
Christo, les portugais José Viera, Costa Pinhero, José Escada, Gonçalo
Duarte éditaient une très originale revue tirée en sérigraphie dans les
combles de cet immeuble de la rue des Saints Pères qui fut celui des
éditions François Bernouard, au 73, qu'avaient habité Remy de Gourmont
et Pierre Albert Birot. Nulle autre unité, dans ce groupe, que
l'amitié et les rapports étroits entretenus avec des poètes de l'avant
garde. Mais les rapports avec l'édition étaient ceux d'un artisanat
sensible aux raffinement des papiers-supports, de la typographie, des
illustrations très proches des originaux et s'inscrivant dans la
tradition des ateliers anciens. Cela au service d'une expression
plastique des plus aventureuses, de la plus grande originalité.
Dessins de poète.Il n'est pas interdit de
pratiquer le dessin dans le prolongement des mots. Mieux encore,
l'usage en est fréquent et toujours bénéfique. Sans remonter jusqu'aux
exemples légendaires du côté de Victor Hugo ou d'Alfred de Musset on
peut, s'en tenant aux contemporains, retenir un René Char ou un Henri
Michaux. On sera, au Soleil dans la tête, particulièrement
attentif à cette pratique et de nombreuses expositions en soulignent la
richesse. On citera Marcel Béalu, ou encore Jean Rousselot qui fera
l'objet d'une exposition qui révélait un aspect de son oeuvre mal
connue de ses intimes mêmes. Une verve et une touche aux accents
nerveux, on est là face à des problèmes qui ne sont pas ceux du
"plasticien" à la recherche d'une technique dont il deviendra maître,
mais devant une expression "au naturel". Le style n'est pas une
recherche artistique et n'entre pas dans un problème théorique ou
esthétique, mais une sorte d'écriture en plus, en prolongement du
simple graphisme qui conduit, sur la page l'ordre des mots.
Raymond Roussel ou l'enfermement dans le livre.Retiré
du monde, enfermé dans son luxe et ses manies, Raymond Roussel a, de
surcroît, inventé une écriture si complexe, aux contraintes multiples,
qui l'enferment dans une recherche qui obscurcit son travail et rend
difficile son accès même. On le voit s'échiner sur la recherche
des mots pour les agencer selon un ordre minutieux et arbitraire dont
un récit souvent dérisoire est le prétexte. Loin des agitations de la
ville il se retire dans une sorte de laboratoire du verbe qui a un
caractère fascinant même s'il échappe à toute catégorie littéraire et
avance un étrange objet de réflexion dont maints écrivains
contemporains vont prendre l'exemple et puiser des forces ou des
prétextes pour s'éloigner de l'écriture traditionnelle. On y reviendra.
Dans la grande bibliothèque. La
voici, telle que l'a rêvée l'architecte Boullée, qui est, avec Ledoux,
l'un de formidable "penseurs" de l'architecture. Pourquoi cette étape
dans cet espace aux dimensions de cathédrale ? mais une bibliothèque
n'est elle pas : ici une chapelle, là une église, enfin cette
cathédrale évoquée, et cela en fonction de la taille, et de la fonction
qui lui a été attribuée.La grande bibliothèque donc, parce qu'elle
contient tous les livres, les offre tous à notre curiosité. Elle est la
gare de départ de tous les itinéraires possibles. Ce blog construit
comme un labyrinthe nous promène d'un artiste à un poète et celui-ci,
complice de celui-là. Un jeu de ricochet ou de saute mouton.Parti
de l'histoire d'une librairie (Le Soleil dans la tête), d'une revue qui
y était intimement attachée (Sens Plastique), on aura trouvé sur notre
chemin des artistes, des écrivains, qui tissent le formidable réseau de
création où nous aimons nous perdre. Suivez le guide !
15h26 - René Bertholo en Petit Poucet.
-
René Bertholo le scripteur inspiré.Le dessin, chez
René Bertholo,, est intimement lié à l'écriture il lui emprunte ses
circonvolutions, ses méandres chamarrés, ses excroissances, ponctuées
de délicieuses notations, de détails narquois ou insolites. C'est dire
qu'il court sur la page et laisse sur son passage, comme les cailloux
du Petit Poucet, des preuves tangibles de son monde mental, de sa
mémoire, de ses impressions toujours en hésitations entre tendresse et
morsure, sentiment et dérision.La surface est un formidable
vide-poche, réceptacle d'un jaillissement imprévisible de "choses"
incongrues, faisant parfois référence au quotidien. Imaginez votre
cuisine en folie, votre armoire qui déménage. Il y a là un formidable
humour qui me faisait penser à certains burlesques américains. Un côté
jazz aussi dans le rythme, à la fois emporté et bien marqué. Un
dynamisme entraînant tout à fait séduisant.Il avait participé, en
l'ornant de deux lithographies, ( en compagnie de Hervé Télémaque, Jan
Voss, Rancillac et Klasen) mon texte "Royal Garden Blues" qui aura été
l'un des rares livres de cette génération entre pop-art et
Nouvelle Figuration.Il avait aussi créé, dans le cadre d'une
exposition organisée par Henri Chopin, sous le titre Poésie Objective,
une "bande dessinée" : Mythologie. Un délice d'humour et de facétie
poétique.
Gabriel Pomerand enfant de Saint Germain des Près.
15h23 - Gabriel Pommerand, un enfant de Saint Germain des Près
-
Général
Evoquer Gabriel
Pommerand c'est entrer de plein pied dans la légende de Saint Germain
des Près. Il y était en territoire familier, sans doute conquis, et
chargé déjà de toute cette légende qui accompagne une génération
trempée par les épreuves de l'occupation et découvrant un Paris gris
mais passionnant, favorable à la création. Elle a rarement été aussi
riche et radicale qu'en ces années 45-5O où l'on célébrait le retour
d'asile d'Antonin Artaud, découvrait la fébrilité de Boris Vian,
regardait J.P.Sartre, sirotant son apéritif à la table du Flore en
compagnie de Simone de Beauvoir, bousculait Jacques Prévert musardant
avec son chien, Juliette Greco promenant sa beauté un peu sauvage,
suivant Jean Paul Clébert dans ses incursions insolites, ou Robert
Doisneau l'oeil sur l'objectif et le coeur ouvert aux plus modestes.Mais
Gabriel Pommerand c'est aussi l'aventure lettriste ( Isidore Isou se
prenant pour l'André Breton de cette nouvelle aventure !), ou la
recherche d'autres mots, d'autres formes ( il peint aussi) et se lance
même dans le cinéma ( il fait un film sur Léonor Fini).La rue
Visconti est au coeur du quartier, un lieu de mémoire qui confond, dans
un même élan,, Racine et Piero Graziani, Serge Berna (découvreur d'un
manuscrit d'Artaud) et surtout Balzac qui y a son imprimerie lors de sa
jeunesse. Maints photographes sont séduits pas son charme. D'Atget à, René Jacques.voir le site robertgiraud.blog.lemondee.fr (particulièrement intéressant).
L'art de la lecture.Il
revenait autrefois aux Grands mères, de faire la lecture à des enfants
qui l'entouraient respectueusement, goûtant le plaisir des mots, des
images qui sortaient du livre, l'objet de tout le cérémonial qui
entraient dans les moeurs familiales. Peut-être ( sans doute ) bien
dépassées aujourd'hui. La lecture se fait intime, égoïste, pleut-être
parfois clandestine, lire est un péché pour certains.On peut
choisir l'image sereine, savante, un peu recherchée de la lecture du
cercle d'amateurs (il y a du dandysme littéraire à faire partager à
haute voix son plaisir). Le peintre Théo Van Rysselberghe a réuni
autour de Verhaeren, Maurice Maeterlinck, André Gide, Viélé Griffin,
Henri Ghéon, Felix le Dantec et Felix Fénéon. La lecture est un acte de
création collective. Commentaires, échanges d'idées vont compléter la
connaissance du texte. C'est la lecture laboratoire.
La main à plume. Avoir accès au manuscrit offre
le plaisir de découvrir le texte dans son élaboration, sa naissance
(parfois difficile). C'est à l'accouchement même que l'on assiste. Elan
de la main, conquête de l'espace, et cette manière si particulière,
selon son tempérament, des circonstances, du cadre même de l'écriture,
d'occuper la page : dans l'économie, la prodigalité, avec méthode,
assuré et triomphant ou dans l'effort, la difficulté, les remords.
D'où, le plus souvent les ratures, les biffures cette bataille pour
trouver le mot juste et dont on est alors le témoin. On entre dans
l'intimité de la création. Au stade le plus essentiel, le plus
douloureux quand l'échec est encore possible. Imprimé, le
texte affirme sa victoire, manuscrit, il est encore l'enfant fragile,
choyé que l'on veut élever à sa forme la plus juste. Victor Hugo est à l'ouvrage.
Surprenant Max Jacob, on n' en
aura jamais fini avec lui. On le rencontre en tous lieux, où il vivra
d'une manière misérable, en toute oeuvre qu'il aura croisée et qui aura
marquée le XX° siècle. Partout et toujours égal à lui-même, pathétique
et un peu farceur. Jouant avec les mots, défiant la pensée cartésienne,
sensible jusqu'à l'excès, pudique jusqu'à l'ascèse. Poète jongleur des
mots il est aussi peintre. Peignant pour le plaisir et conduit à le
faire pour survivre. Mais à la manière d'un écrivain, avec des moyens
dérisoires, sur sa table de travail, parmi les manuscrits, dans une
perspective qui n'est pas (sauf de rares exceptions) celle de la
peinture de chevalet. Son oeuvre plastique n'est pas pris en compte par
l'Histoire de l'art, sinon comme une curiosité (en ses marges), mais
n'est-ce pas le sort de toute oeuvre artistique émanant d'un écrivain.
C'est plus une ouverture sur sont intimité mentale, des échappées de
ses humeurs, de ses phobies, qu'une construction plastique cohérente. On
rencontre parfois des oeuvres de Max Jacob plus élaborées. Il faut
aller du côté de la galerie Roussard, sur la Butte Montmartre. Il est
là dans le voisinage d'une autre curiosité de l'art d'aujourd'hui : le
peintre Gen Paul. Rien à voir, celui-ci fut l'ami de Louis Ferdinand
Céline. On est dans un autre monde.
15h46 - Henri Chopin, poèmes à crier.
-
Général
Avec un nom à créer toutes les confusions, surtout qu'il
pratique la poésie comme une musique, Henri Chopin aura une vie
aventureuse et même douloureuse, entre camps et migrations dans les
neiges de l'Europe de l'Est. Mais il en sort plus grand et mûr pour la
riche aventure poétique qu'il mène depuis, jalonnée par des
expositions, des festivals, et la publication de livres et de revues
expérimentales comme Cinquième Saison et Où, qui offrent une vivante
tribune aux recherches sur la poésie phonétique. On y évoque volontiers
les futuristes italiens, Arthur Prétonio, Raoul Hausmann, à lui seul un
homme orchestre, entre peintre et poésie, photo et "interventions."
(dessin photo)Installé en Angleterre, après avoir vécu à Paris et
s'y être manifesté, Henri Chopin provoque des rencontres dans sa vaste
maison aux 27 pièces et 3 jardins qui sont un véritable laboratoire de
la poésie au delà des mots. Dans la tradition des poèmes à crier et à
danser, du légendaire Pierre Albert-Birot . Voir www.cipmarseille.com/auteur
Emile Compard le pari de l'abstraction.La
grande "affaire" de l'art du XX° siècle aura été la position adoptée
par l'artiste face à une abstraction envahissante qui revendiquait le
pouvoir de mieux percevoir l'essence même du monde quand la figuration
se contentait de le montrer.On verra pourtant des artistes comme
Gaston-Louis Roux ou Jean Hélion, passer de l'abstraction (chez le
dernier, géométrique), vers une figuration qui, en revanche, adoptent
les sujets les plus ordinaires comme par une volonté d'affirmer leur
indépendance vis à vis de ce qui était devenu une mode, voire une
tyrannie intellectuelle. Emile Compard mène sa carrière d'une
figuration paisible, familière, vers une abstraction purement
suggestive, faite de touches légères, d'approche sensible et d'une
suggestion de l'espace avec un jeu de transparences d'une
extraordinaire maîtrise.Et pourtant si proche des choses, si sensible à
leur toucher.Il a, dans sa jeunesse, le soutien de Félix Fénéon (le
révélateur de Seurat) et de Bonnard dont il partage le goût pour le
caractère exquis, mais jamais fade, de la matière. Jeu de taches, de
signes, dont on perçoit la venue dans la délicatesse de sa figuration
faussement tranquille. Une certaine vibration des formes, de la
lumière, annonce une grande aventure picturale.
K chez le Facteur Cheval.Presque clandestin, sa référence à Kafka devait mettre sur la voie, sous le sigle K un jeune éditeur s'est affirmé dans les années 50 avec une production éditoriale qui n'a jamais trouvée son rival.Qu'on
en juge par les auteurs choisis : Aimé Césaire, Arp, Camille Bryen,
Antonin Artaud (pour le si fameux "Van Gogh, le suicidé de la société"
et "Pour en finir avec le jugement de Dieu"). L'objet livre est
particulièrement soigné et original. Outre des textes poétiques, K
organise aussi des thèmes comme "L'Humour noir" ou "La poésie
naturelle" ( notre photo ) avec la collaboration du peintre Camille
Bryen. On va le retrouver seul sur son chemin ce Camille Bryen,
toujours complice des poètes de sa génération, entre Mathieu et Wols
mais maître de sa main errante de dessinateur narquois et inspiré,
s'envolant dans l'espace de l'imaginaire sans mesure. Peintre il est
aussi poète, de quoi retenir notre attention.
Le Cercle du Livre Précieux.L'éditeur Tchou,
créateur du Cercle du Livre Précieux, avait, dans les années 5O choisi
pour adresse celle du Soleil dans la tête, 10, rue de Vaugirard qui se
trouve ainsi nanti d'un important catalogue d'ouvrages érotiques
"classiques", ceux-là même dont Apollinaire avait, avec le facétieux
Fernand Fleuret, constitué le catalogue à l'Enfer de la Bibliothèque
Nationale. C'étaient des ouvrages finement édités, précieusement
reliés. Où l'on trouvait la fine fleur de la littérature jusqu'alors
publiée honteusement "sous le manteau" quand elle avait enfin trouvé
l'aspect du livre de luxe. On pouvait aller de Restif de la
Bretonne, le piéton d'un Paris nocturne, à Nerciat, de Théophile
Gautier à l'Arétin. L'ensemble constituant un véritable patrimoine de
la descente de l'écrivain dans les arcanes secrètes de l'esprit et le
jardin foisonnant des fantasmes. On pourra feuilleter quelques uns de
ces livres cultes (aujourd'hui édités "en poche") .Mais l'attention
ne se porte pas seulement sur la littérature "débauchée". Singulier
dans son aspect, émouvant dans sa simplicité, il y a aussi "L'Album
Zutique". Là on a rendez-vous avec Rimbaud.
Sade, encore.Elle est loin l'époque où la
lecture des oeuvres de Sade suscitait un mouvement de recul, n'y voyant
alors que le caractère effrontément licencieux. Les études
successives de Maurice Heine et de Gilbert Lely permettent
d'avoir un regard plus objectif et rationnel sur la démarche, le
comportement et l'oeuvre de Sade en qui l'on peut voir un précurseur de
la Révolution ( au stade du comportement, des moeurs et de la notion
même de la vie). Pour être toute mentale ( ses foucades sexuelles sont
sans rapport avec le feu de son imagination) l'entreprise de Sade
rejoint celle des philosophes ( une philosophie dans la boudoir pour le
paraphraser). L'installation du Soleil dans la tête coïncide avec
l'émergence de cette oeuvre que même les universités mettent au
programme de leurs études. Une foison d'ouvrages sont alors publiés qui
éclairent progressivement l'homme et son oeuvre. Même la bibliophilie
s'en empare, et se multiplient les éditions luxueuses auxquelles ne
dédaignent pas de collaborer les meilleurs artistes de l'époque. On
avait toujours une petite pensée d'historien, n'oubliant pas qu'enfant
Sade, apparenté à la famille des Condé (une des premières de France),
jouait dans un jardin sur lequel étaient construits les immeubles où le
Soleil dans la tête était venu se nicher.
Henri Gaudier-Brzeska.Dans
le "flot" de l'écriture (Ezra Pound a la force du Niagara) il a
consacré un essai sur un sculpteur curieusement peu connu (injustement)
: Henri Gaudier-Brzeska , un enfant du Loiret (il est né à Saint Jean
de Braye) et mort lors de la première guerre mondiale, jeune encore. Il
aura eu le temps de concevoir une oeuvre forte et riche dans le
contexte artistique et littéraire de Londres dominé alors par Ezra
Pound. D'où cette reconnaissance du poète envers un sculpteur que
l'on peut comparer à tous ceux de sa génération comme Lipchitz,
Archipenko, Duchamp-Villon ou Henri Laurens. Des explorateurs d'une
forme de synthèse, avec des rythmes vifs, Une virilité plastique
n'excluant pas la sensualité. A découvrir.
Olivier Brice et le complexe de Pompéi.Il avait
fait un départ fulgurant dans les années 75-80, les galeries se
disputaient son oeuvre et des publications nombreuses en révélaient les
facettes secrètes, les références. Cette obsession de la mort, cette
douceur des gisants, cette relecture des grands chefs d'oeuvre de la
sculpture antique. Un travail mené avec méticulosité qui aura été
brutalement interrompu par la mort de l'artiste. Bizarrement, on trouve
à peine ses traces sur google, ce répertoire de toute la création. On
vient pourtant d'ériger l'une de ses sculptures place du Caire à Paris.
Mais que sont devenues les innombrables sculptures qu'il avait conçues
à partir des moulages du Louvre ? Un silence inquiétant pour une oeuvre
qui méritait de survivre à son auteur. Mais les lois du marché de l'art
sont si cruelles que, sans galerie pour le soutenir, perpétuer sa
mémoire, l'artiste disparaît du paysage artistique. Il aura été à
l'origine d'un petit ouvrage "Le Complexe de Pompéi" (éditions Pierre
Horay) qui le situe dans le contexte de l'art d'aujourd'hui, entre
Arman et César.
D'un livre mythique.Certains livres sont précédés
d'une légende, attirent la convoitise des collectionneurs, inspirent
des amateurs, suscitent des vocations, et d'objet de culture deviennent
fétiche d'un étrange culte.Ainsi en est-il du livre de Remy de
Gourmont : Le Latin mystique. Il eut, pour lecteur privilégié, Georges
Bataille, Blaise Cendrars, Henry Miller entre autres.L'objet livre
se présente comme un volume de 400 pages, édité par le Mercure de
France en I892. Les catalogues de libraires qui le proposent évoquent
la série du "tirage de tête" (ces exemplaires tirés sur papier
différents et numérotés). Il y a 1 wathman, 1 hollande van Gelder, 1
vergé des Vosges, 7 japon pourpre cardinalice, 9 japon violet-évêque,
10 hollande, 190 papier teinté. J.K.Huysmans donne une préface et
Filiger une illustration pour la couverture.Il y aura une nouvelle éditions chez Crès en 1913 avec un frontispice de Maurice Denis. Dans
ses souvenirs Blaise Cendrars en parle avec une sorte de dévotion. Il
le découvre à la Bibliothèque Nationale. Il "prend rendez-vous" avec
lui et c'est le début d'une lecture magique. De ces lectures dont on
conserve la mémoire.
Ida Karskaya.C'était un
"tout petit bout de femme" au visage éclairé par un immense sourire et
la chevelure en désordre, qu'on aurait dit descendue d'une scène de ce
théâtre russe riche en personnages pathétiques et torturés. Des agrès
de gymnastique jetaient dans son vaste appartement-atelier de la rue
Saint Jacques une note insolite.On avait évoqué le souvenir du
"Roman de la rose" qui fut écrit dans le voisinage Blaise Cendrars qui
passa par là le mentionne. Curieusement, c'est Francis Carco (plutôt
porté vers les artistes "montmartrois") qui, le premier, cautionne son
oeuvre par une préface. Les écrivains seront nombreux à lui faire
cortège. Venue du "réalisme" son oeuvre se développe dans l'absorption
d'éléments hétéroclites, de la matière brute. Elle se trouve ainsi à la
croisée de ceux qui récupèrent les déchets (les Nouveaux Réalistes") et
de la "matériologie" invoquée par Dubuffet. Ce qui l'entraîne vers des
recherches de plus en plus intimistes sous le titre générique du "gris
quotidien". Paulhan (entre autres) s'attache à son oeuvre ainsi que
Ponge. Comme tant d'autres artistes "singuliers" elle devient la proie
des artisans du mot.
Pierre Bettencourt.Retiré
(né en Normandie, mort en Bourgogne) il avait d'abord, sur une presse à
bras, édité les textes de ses amis : Henri Michaux (Je vous écrit d'un
pays lointain 1942, Arriver à se réveiller 1950), mais aussi des
recueils de Ponge, Artaud, Dubuffet, Béalu, Malcom de Chazal, Marcel
Jouhandeau, et toute une famille de poètes dont l'oeuvre participe du
même esprit. Ecrivant lui-même et créant d'étranges et agressifs
reliefs (à base de coquilles d'oeufs, d'objets au rebut).C'est tout
un univers grimaçant, grinçant, chahutant, gouailleur et inquiétant.
Sortes de totems, de figures d'un culte inconnu et certainement
sulfureux.Il est défini comme "poète, conteur et fabuliste" sa
démarche échappe à toute classification, à toute référence, à moins
qu'on ne suggère qu'il est une sorte d'Arcimboldo de la décharge. Il
invente une mythologie, il la créée avec les résidus de sa poubelle.
Braque en majesté.Il
est souvent sous le feu croisé des mots que lui dédient Ponge et
Paulhan, mais d'autres aussi car il est de ces peintres qui inspirent
les poètes. On l'a souvent confronté à Picasso, parce que lui-même s'y
est essayé et s'est imposé comme lui en figure exemplaire de l'art de
son siècle. Picasso dans la remise en question permanente de son art,
Braque, héritier d'une tradition française plus attaché à parfaire son
art dans l'intériorisation, l'espace de la réflexion (plus que du rêve)
et une volonté d'artisan. Ce qui ne pouvait que plaire à Ponge et
Paulhan eux-mêmes "ouvriers" du verbe, plus attachés à la lenteur qu'à
l'éclat, pariant moins sur l'audace qu'un travail obstiné sur les
vertus du langage dont ils disposent. Ils ne sont pas les artisans
d'une révolte mais d'une réflexion sur l'héritage qu'ils assument.
Jean Paulhan en figure de sphinx.Leurs deux
bureaux ( de notaire) se faisaient face au siège de la NRF chez
Gallimard, d'où l'on avait vue sur les jardins, avec, au fond, le
pavillon où Dubuffet avait exposé dans les années 45-5O.Arland avec
un minuscule crayon notait des manuscrits et Paulhan, le torse
avantageux, le regard sombre, le timbre de voix étrangement aigrelet,
lançait des aphorismes, des mots qui seraient rapportés dans les salons
parisiens. Il impressionnait. Sa connaissance de la peinture (celle
d'Arland était tout aussi avertie) le portait vers des individualités
plutôt que des "écoles" et c'est ce que j'aimais en lui. En fait ce
sera le propre des écrivains qui s'attachent plus à des peintres qu'à
des principes, des théories et des mouvements. On le voyait donner
des commentaires, tisser le trame des mots, en marge de Braque, de
Karskaya (on la retrouvera bientôt) de Janine Arland, de Dubuffet, de
Fautrier. Ce qui faisait une sorte de famille d'esprit. J'y faisais mes
classes il en restera quelque chose et la conviction qu'ils sont dans
le vrai. La peinture n'est pas un instrument du progrès mais
l'exploration d'un monde personnel. Vive l'individualité.
Gaston-Louis Roux (qui n'est pas à sa place dans l'histoire de la peinture contemporaine et que les institutions négligent d'une manière scandaleuse) m'avait donné l'affiche qu'il avait conçue pour la théâtre Alfred Jarry qu'avait créé son ami Antonin Artaud. On retrouve sa reproduction dans l'ouvrage consacré à Artaud édité chez Veryrier. Affiche d'une étonnante impétuosité, traduisant tout à la fois "l'esprit tragique" d'Artaud et la malice fanfaronne et bouffonne de Jarry pour l'aventure d'un théâtre qui fut brève et malheureuse. Le jeu d'Artaud y était singulièrement agressif et provocant et la maîtrise du verbe qui était à la base de ses théories n'y trouvant pas le débouché qu'il pouvait en attendre. Gaston Louis Roux est alors au stade d'une profonde mutation de son style. Ce qui lui vaut d'être rejeté de sa galerie prestigieuse (Kahnweiler) et de connaître l'errance des peintres dépourvus de ces attaches matérielles qui leur permettent de trouver leur public. On le voyait dans son atelier (et dans la nature qu'il scrutait avec l'oeil d'un entomologiste) retrouvant la fascination du réel non sans être passé par l'exemple de Giacometti, son ami alors.
L'homme des marges.Alors
qu'il est le gendre de Paul Eluard, l'ami d'André Breton, Gérard
Vulliamy restera toujours en marge des événements qui jalonnent
l'histoire du surréalisme. Il n'en est d'ailleurs pas un des plus
strict représentant. Ni dans sa participation aux expositions, ni dans
son style qui se cherchera à travers plusieurs "écoles" et
s'épanouissant, au final, dans une sorte d'extase naturaliste bien
éloignée des préceptes édictés par les tenants de l'orthodoxie
surréaliste. Sa rencontre avec Francis Ponge se fait au nom de la
poésie. Il donne à l'un des livres majeurs de ce dernier une série de
burins. C'est "La crevette dans tous ses états". On est au lendemain de
l'occupation. Gérard Vulliamy a milité dans le cadre du groupe de "La
Main à Plume" et participé à une action de résistance en usant de ses
armes : la peinture. On le voit aussi bien aux marges de Cobra, dans
l'espace de l'abstraction géométrique ( groupe Cercle et Carré), de
fait toujours libre et indépendant. Ce qui ne pouvait que freiner sa
"carrière" mais le livrer à l'attention des poètes. Une autre
gloire
Ponge et le peinture Fanfare pour Jean Hélion.Titre
approprié quand le poète si proche des objets rend hommage au peintre
qui défiant la "logique" de l'Histoire de l'art et venant de
l'abstraction la plus radicale, s'attache à l'observation intense des
objets. Des fruits (comme Francis Ponge) dont il creuse la présence
anecdotique pour révéler leur vérité profonde. Travail mental avant
qu'il ne guide la main du peintre et lui donne l'assurance qui rend si
évidente une présence. L'aventure de Jean Hélion est exceptionnelle et
singulière quand on le voit militant pour l'abstraction la plus
radicale (groupe Cercle et Carré) revenir à la figuration la plus
"ordinaire". Volontairement, il a choisi des sujets de la plus grande
banalité, mais les traite d'une manière qui n'est qu'à lui. "Ecrivant",
sur la réalité, sa vision de la peinture. Comme Ponge il va vers le
banal, l'objet du commun. Il en sort chez l'un une sorte de
philosophie, chez l'autre un autre regard. A nous ouvrir les yeux sur
notre environnement.
Fautrier l'enragé.L'expression n'est pas de
Ponge mais de Paulhan et aurait pu très bien être trouvée par celui qui
considère le peintre comme le plus important de son siècle."Chacun
de ses tableaux s'ajoute à la réalité avec vivacité, résolution,
naturel" écrit il dans un de ces nombreux textes qu'il lui consacre. Il
est, avec Dubuffet, le chantre de la matière traitée pour elle-même, en
pâte ardente et puissante qui ne traduit pas la réalité mais en donne
une sorte d'équivalence. En toute logique, partant d'une réalité "drue"
(où l'on peut voir l'influence de Courbet), Fautrier passe à cette
"matériologie" qui ne cherche pas à plaire ni à conter le monde, mais
lui donne un écho retravaillé par la mémoire, la force intérieure qui
conduit le peintre à s'exprimer, en fait le justifie. Fautrier est bien
au coeur de cet acquit de la modernité (dénoncée par Baudelaire à
propos de Manet) où peindre c'est dire la profondeur du monde et non
son aspect et ses anecdotes.
Fautrier bis.L'approche
de la peinture ne se fait pas chez le poète selon les critères de
lisibilité immédiate et convenue qu'exige le journalisme mais par un
travail sur l'écriture même qui conjugue à la fois la raison d'être de
la peinture et celle de l'écrivain lui-même. D'où une difficulté,
parfois, de compréhension. Elle exige du lecteur qu'il fasse un effort
pour aborder dans le même temps l'esprit de l'un et de l'autre. C'est
dans la force de cette conjugaison que peut naître la révélation. On
reprochera à Apollinaire une critique un peu superficielle ( même si
elle est souvent prémonitoire et subtile). Il écrit dans le contexte du
journal. Francis Ponge écrit dans l'espace du livre qui est souvent
celui d'une rencontre avec l'artiste. Le lecteur en est exclu s'il n'a
pas les clefs.Combien fine mais apparemment "difficile" une
notation comme celle ci : "Nous savons bien que le nu est aussi une
architecture, mais nous connaissons le moment où l'orgue intérieur
faisant tressaillir les piliers, et se bander les arcatures, les ogives
s'entrouvrent, par où s'écoule le flot nuptial".
15h03 - Le génie du lieu.
-
Général
Ponge en ses lieux.Grande et la tentation d'emprunter le site : http///remue.net/IMG/jpg/RuelLH-DH.jpg.Il
nous entraîne vers l'immeuble où Ponge écrivait ( et qui fut, avant
lui, le logis de Jean Dubuffet). Quand l'errance parisienne, renouant
avec la grande tradition des piétons observateurs (Restif de la
Bretonne par exemple), nous offre à site ouvert les lieux où souffle
l'esprit.
Ponge et la peinture 1.Nombreux sont les poètes
qui se sont engagés pour la défense des peintres qu'ils estiment et
avec lesquels, souvent, ils sont amenés à travailler, leur confiant
l'illustration de leurs ouvrages. Francis Ponge est l'un des plus
entièrement engagé dans cette aventure qui solidifie des complicités.
De beaux ouvrages relevant de la bibliophilie concrétisent cette
attitude. Les mots et l'aventure plastique se donnent rendez vous dans
les pages d'un livre. Hautement significatifs sont les essais de Ponge
qui pratique tout à la fois le commentaire et le dialogue. On aura
ainsi le loisir de visiter les domaines de la création autour de
Braque, Dubuffet, Hérold, Fautrier, Charbonnier et d'autres encore. A
chacun sa victoire.
Ponge et le peinture.2.Dubuffet est le plus
audacieux, le plus contesté et son aventure est la plus radicale de sa
génération. Abordant le portrait (Paul Léautaud, Jean Paulhan, Antonin
Artaud, André Dhotel, George Limbour, Henri Michaux, Henri Calet ou
Francis Ponge) il est dans la logique de sa démarche. Abordant la
matière à sa force première, sa "présence", à l'état brut. Il croise un
Ponge qui évoque la rage de l'expression. On est loin des usages du
"bon goût" qui accompagne l'exercice du portrait plutôt domestiqué par
les conventions sociales, et flatteur, sinon opportuniste. Bizarrement,
les modèles finissent par ressembler à leur portrait comme la peinture
de Dubuffet ressemble si bien à la prose rude, sans concession d'un
Ponge acharné à sortir l'objet de sa réalité. Un regard sans
complaisance mais dynamisé par une sorte d'insistance qui annonce les
plans fixes du Nouveau Roman.
Bertini, la force de la modernité.On
croyait encore, dans les années 6O, aux forces de la modernité. Fasciné
que nous étions par les rythmes nerveux de la poésie de Blaise
Cendrars, celle d'Apollinaire empreinte de tendresse et de mélancolie ;
nous admirions la modernité clinquante de Fernand Léger, les
expériences audacieuses de la poésie depuis Ezra Pound jusqu'aux
recherches du son pur des lettristes ou d'un Henri Chopin. On était des
héritiers aveuglés par l'éclat d'une turbulence qui annonçait des
lendemains triomphants. Dans ce climat l'émergence de Gianni Bertini
fut célébré comme une aubaine. Il était inventif, remuant,
entreprenant, mobile à l'excès et très maître de la peinture si bien
qu'il pouvait en faire ce qu'il voulait, même la défier. On aura
suivi avec une attention admirative cette oeuvre qui va traverser les
années 60-90 en se renouvelant sans cesse, en inventant de nouvelles
techniques, en abordant le mixage peinture et photographie ( un pas
important sur lequel il faudra revenir). L'oeuvre est forte, abondante,
jalonnée de nombreuses expérimentations dans le monde du livre ( sa
carrière d'illustrateur est considérable); bref on a pas fini de le
rencontrer sur cet écran.
Avec son bonnet de
dentelles, madame Campan, au "soir de sa vie", après avoir vécu les
fastes de la monarchie jusqu'à son déclin, incarne bien le type de
femme qui, au XIX° siècle, prépare la nouvelle condition de la femme en
s'appuyant sur l'éducation. Elle l'exerce d'abord à Saint Germain en
Laye puis à Ecouen et devient, grâce à la protection de Napoléon (qui
lui avait confié l'éducation des enfants de Joséphine de Beauharnais et
de ses deux soeurs Caroline et Pauline), la directrice de
l'établissement de la Légion d'Honneur (aujourd'hui à Saint Denis).Entrée
comme simple lectrice des filles de Louis XV, elle accède au poste
envié de femme de chambre de Marie Antoinette et devient le témoin
privilégié de la vie de cette dernière, depuis les grâces du Petit
Trianon jusqu'aux tragédies de la Révolution.Le livre de Inès
de Kertanguy, qui lui est consacré, a le mérite d'offrir des
renseignements nombreux sur la vie de cette bourgeoise côtoyant les
"grands" à Versailles ( mais n'est pas Saint Simon qui veut, et ses
mémoires sont plus proches de considérations mignardes que d'une
observations aiguë de la société de Cour) et créant, à la chute de la
monarchie, un type d'enseignement où elle se montre particulièrement
novatrice.Inès de Kertanguy n'échappe pas à un sensiblerie un peu
naïve et son écriture est souvent relâchée, mais on apprend beaucoup de
choses à la lire.
On ne peut pas aborder la
vie intime de Marie Antoinette, comme le fait madame Campan, sans
aborder l'histoire du Collier de la Reine ( un fougueux roman
d'Alexandre Dumas en reconstitue le déroulement). Un détour du
côté de cette bande d'aventuriers, dans le voisinage du benêt cardinal
de Rohan, du sulfureux Cagliostro, et de la ravageuse Jeanne de Valois
mariée à un La Motte, descendante (bâtarde) d'Henri II et le faisant
bien savoir, ne vivant que pour retrouver un mode de vie auquel elle
prétendait avoir droit du fait de ses origines. Une histoire de
faussaires, de voleurs et d'arnaqueurs. Elle va jeter la "première
pierre" de suspicion qui va perdre la monarchie. Pour les hiistoriens
les plus sérieux elle annonce la Révolution. Dans le rythme
haletant de cette histoire, l'avancée de la prostituée Oliva, dénichée
dans les bosquets du Palais Royal, et qui va être le personnage clef de
la nuit du Bosquet de Venus dans le parc de Versailles. Un histoire qui
fait le bonheur des chroniqueurs de la petite histoire et des
scénaristes de cinéma.
Dans
ce que j'avais appelé "le fauteuil d'Emannuelle" (voir l'hommage à
Andrré de Richaud dans la revue Europe n° de juin-juillet 2OO7), Armel
Guerne aimait bien se reposer. De longues heures de rêverie et
d'observation. Il suivait, d'un oeil faussement absent, les allées et
venues, les interventions des visiteurs, se réservant de commenter
ensuite et de donner des conseils que je respectais, lui ayant reconnu
un qualité exceptionnelle de compréhension des êtres (des plus modestes
en particulier). Il avait une opinion très tranchée sur le comportement
à tenir devant les mendiants (très nombreux) qui franchissaient le
seuil de la librairie pour obtenir quelques miettes de notre pauvreté
endémique les affaires n'étant pas bonne et la caisse souvent vide. Il
m'avait semblé que Guerne, amusé, avait choisi ce poste d'observation
tout en abordant (avec beaucoup de pudeur et de réserves) des propos
que nous avions à coeur de tenir en sa compagnie, appréciant tout
spécialement son oeuvre de poète. Sa connaissance prodigieuse des
langues me fascinait et il ne répugnait pas d'aborder le domaine des
science occultes que l'on cultivait autour de la revue La Tour Saint
Jacques. Elle apparaîtra un jour dans notre paysage.se reporter à l'excellent blog des amis d'Armel Guerne -photo-.
L'aventure
de Jean Raine traverse à la fois le surréalisme et le cinématographe.
Le Soleil dans la tête lui consacre une exposition en1972 (préface de
José Pierre et René Deroudille) qui marque un retour dans l'actualité
d'un artiste qui par la fougue même de sa nature s'inscrivait
difficilement dans les rites de la vie quotidienne. Peintre des forces
de l'instinct il pratique le "dripping" (inventé par André Masson,
systématisé par Pollock) qui libère la peinture de toute volonté
de représenter, exaltant le geste naturel, ouvrant de vastes espaces à
l'imaginaire. Il frôla le groupe Cobra, mais finalement oeuvre dans une
relative solitude. Son oeuvre est au coeur du problème, souvent évoqué
ici, des liens entre poésie et peinture. Le signe, le geste pictural ne
sont-ils pas des conséquences du mot, son échappée. On aura de
nombreuses relations de ce problème dans l'art contemporain où se
retrouvent aussi bien Mathieu que Henri Michaux, Novelli que Jan Voss.
On les rencontrera.
Dada à Paris.L'Histoire
le dit, né à Zurich, et simultanément à New York et Berlin, Dada, à
Paris, fait la synthèse de ces mouvements de contestation qui tiennent
du monôme d'étudiant et d'une remise en question des formes
d'expression que sont les arts plastiques et l'écriture. Toute remise
en cause, et chahut des choses données, ne va pas sans désordre,
conflits, contradictions et moments "forts". Toute une jeunesse (celle
qui sort meurtrie des épreuves de la première guerre mondiale) va y
faire ses classes et il sortira le surréalisme qui est une nouvelle
morale autant qu'un art nouveau. On en est les héritiers. Un peu
abusifs sans doute. Si l'art actuel est en si mauvaise passe (voir les
expositions officielles consacrées à la création contemporaine) , c'est
sans doute qu'on ne sait pas bien sortir d'une telle crise, alors on
radote on insiste on se contente de copier les oeuvres clefs de cette
aventure, d'où la position de "maître à pense" de Marcel Duchamp.
Gaston Criel enfant du jazz et de Saint Germain des Près.
Gaston Criel un enfant du jazz et de Saint Germain des Près.Il
aura été l'un des premiers à franchir le seuil du Soleil dans la tête.
C'est qu'il venait de sortir un livre et assurait sa promotion. C'était
"La grande foutaise" publié chez Fasquelle et dont on parla,
fugitivement, pour le Goncourt. On disait qu'Henry Miller le "portait
aux nues" ce qui était une référence. On fit en son honneur une vitrine
qui soulignait ses liens étroits avec le monde de Saint Germain des
Près et le jazz.Ce dernier lui avait inspiré un ouvrage (Swing) qui fut rapidement salué par toute l'intelligentsia de l'époque.Il
est alors secrétaire d'André Gide, et vivait dans une chambre que lui
louait Jean Paul Sartre, 42 rue Bonaparte, l'immeuble dans lequel le
philosophe vivait avec sa mère.L'homme
annonçait par son apparence physique l'oeuvre, lui donnait corps. Le
visage émacié, le verbe sonore, il faisait parti de la famille
d'Antonin Artaud, des irréductibles, des rebelles. Il avait, dans son
comportement, quelque chose d'impressionnant. Mais il sera emporté par
la vie, écrasé par elle.Gaston
Criel a une vie mouvementée. Tantôt assistant de cinéma (pour "La Belle
et la bête" de Cocteau) tantôt secrétaire à la galerie Maeght.On
le retrouvera ensuite dans sa région natale (Seclin), où il travaille
dans la publicité et, ayant perdu sa place, s'installe avec sa compagne
dans un mobil-home, où il créé un bar au bord de l'autoroute.
Les Minutes d'Alfred Jarry.Il est mort, il y
juste cent ans. Je viens de trouver sur une brocante son Ubu, préfacé
par Jean-Hughes Sainmont, (le grand spécialiste de Jarry devant le
seigneur), qui fréquentait assidûment le Soleil dans la tête. J'y vois
un signe, peut-être un appel. C'est décidé, on va cohabiter avec Jarry
pendant quelques séquences. Histoire de retrouver le sens vrai des
choses : derrière l'humour, la grimace, les provocations. Une quête
pathétique.
Tout comme Marcel Duchamp
est la référence absolue de la création plastique contemporaine, Alfred
Jarry est celle du théâtre et par glissement progressif celle de la
littérature comme instrument de perversion des traditions et remise en
place des idées-forces. Ils sont quelques uns comme cela, au fronton
d'une nouvelle manière de penser : Rimbaud en figure d'ange fatal,
Lautréamont, passant considérable pour reprendre les termes d'André
Breton, et Alfred Jarry qui conservera jusqu'à sa mort son "âme
d'enfant". Et si le point commun à tous ces créateurs était justement
d'avoir préservé, en dépit des agressions de la réalité et de la
banalité du quotidien, cette force première qui suscite les découvertes
et les colères, les passions et les refus.
Arthur Cravan bis.On
n'en finira jamais avec lui. Il est au coeur de cette quête qui donne à
nos vies sa raison d'être. C'est à dire sortir de l'horrible quotidien
que dénonçait déjà Rimbaud et que toute une forme de poésie ( dont
Cravan est un héros) tente de défier, sinon de nier, du moins de nous
sauver. Oeuvre mince que la sienne. Forte comme un élixir (Apollinaire
n'a-t-il pas intitulé "Alcools" ses plus importants poèmes ?) elle
porte aussi les marques d'une époque sans jamais vieillir pour autant.
Dans sa modernité elle offre quelque chose de viril, de dopant qui nous
transporte.
Et si l'on parlait du dandy.
Au XIX° siècle son élégance visait à s'imposer au monde comme à la
séduction sur les cocottes qui l'entouraient. Au XX° siècle (on peut y
voir un signe des temps) c'est plutôt une approche élégante de la mort.
Une certaine manière de la défier tout en s'y engageant. Flirter avec
elle, comme Jacques Rigaut (on va le rencontrer bientôt) qui lui donne
rendez vous sur un miroir. Il n'a pas voulu, comme Alice, le
franchir, mais se briser sur son reflet. A méditer.
le parc Monceau livré à la littérature.Comme
beaucoup de parcs parisiens (Luxembourg, Tuileries, Buttes Chaumont) le
parc Monceau est très intimement lié à la littérature. Les personnages
de la Recherche du temps perdu y étaient dans un cadre à leur
ressemblance. C'est que tout l'élégance aristocratique du XVIII°
siècle, qui l'avait inspiré, trouvait son écho dans cette société qui
pratiquait l'art de ne rien faire en faisant beaucoup de bruit, dont
Proust tirera des portraits cinglants et d'une rare cruauté. Gustave
Flaubert fut un riverain (rue Murillo) et Zola a admirablement situé
des scènes de son roman "la Curée" dans son opulente et sensuelle
ambiance. La légende voulait aussi que des rencontres furtives et
"scandaleuses" y étaient dans ce temps de la "fin de siècle" faciles et
lascives. On ira les retrouver du côté des pages sulfureuses des petits
maîtres de la décadence ou chez un Jean Lorrain, chroniqueur aussi bien
de la société mondaine que des bas-fonds de Paris. N'oublions pas le
charme des ruines qui y sont disposées pour le plaisir de la promenade.
Ce fut le rêve d'un prince, organisé par le délicieux et prodigue
Carmontelle.
Avec
son visage d'ange et son allure de jeune fille sage elle trompe bien
son monde. Derrière cette allure calme et convenue une ardeur contenue
s'exprime et elle tente de vivre, de survivre, derrière les
capitonnages et les futilités de sa classe, de son quotidien.Elle
est toute entière dans son Journal. Complaisante vis à vis d'elle-même,
étroitement attachée aux usages mondains et aux rites qui rythment sa
vie. Elle peint (d'une manière conventionnelle mais avec un réel
talent). L'écriture n'est pas que sa vie cachée, rêvée, elle est sa vie
totale. Elle pose cependant le problème du journal intime qui n'a
d'intérêt que lorsqu'il donne accès à une vie elle même créative,
exemplaire. Pourtant, il se dégage de ces pages un feu, une flamme qui
peut toucher. De peu de choses, sinon ses angoisses intimes, son
appétit de vivre, elle fait une oeuvre qui n'est pas qu'un témoignage
de son époque, elle est aussi l'aveu d'une féminité qui veut sortir de
ses contraintes, d'une certaine banalité imposée. On est dans le monde
de Proust, où passe l'orage de la passion.
Ruines aux champs.L'amour
de la nature passe aussi par celui des ruines. Une leçon donnée par les
philosophes et les amateurs de jardin du XVIII° siècle. Il ne subsiste
presque rien de ces rêves d'amateurs qui vont à Ermenonville,
Méréville, Monceau, ériger, avec la collaboration d'Hubert Robert,
Carmontelle, des itinéraires champêtres ponctués de fausse ruines
exprimant la mélancolie que suscite ce retour à la nature qui rêve d'un
jardin d'Eden, évoque l'Arcadie et distille des préceptes
philosophiques sur les pierres qui sont de larges livres ouverts où
s'expose la sagesse.Ce retour à la nature passe par la
littérature et s'appuie sur des références, des conventions, des mots
de passe et des recueillements Nous allons en emprunter quelques
uns. Et pourquoi ne pas remonter dans le temps, et aller rendre
visite à Adrien, en sa villa ! On peut, pour le plaisir, relire
le si beau livre de Marguerite Yourcenar : "Les mémoires d'Adrien".
Ainsi les jardins nous entraînent aussi vers l'Histoire.
Quelques pas dans un jardin anglais.Il
n'est pas illogique d'évoquer l'art des jardins dans ce blog du Soleil
dans la tête. Plusieurs expositions y furent présentées qui avaient
pour sujet le jardin dans ses rapports avec l'art et la littérature. La
peinture actuelle est largement nourrie d'évocations "jardinières". La
peinture, dans ses rapports avec la nature, échappe à la simple
description et s'appuie sur les ressorts de la peinture dite
"abstraite" qui est une approche plus sensible, plus approfondie du
phénomène de la nature. L'Impressionnisme annonce cet accord
fondamental avec la nature. Le jardin anglais qui échappe aux règles
contraignantes de la rigueur classique (incarnée par Le Notre, à
Versailles) constitue lui aussi une approche de la nature "pour ce
qu'elle est", acceptant ses caprices, ses diversités. Le jardin est
alors une invitation à la promenade ( surtout sentimentale) rêveuse et
en harmonie avec les éléments qui y portent leur marque.
Dérive, errance.La
lecture a le pouvoir de nous sortir de nous même, d'un présent parfois
contraignant et nocif pour l'éclat de la pensée, la saveur de
l'émotion. On évoquait un labyrinthe, on en a suivi les méandres,
traînant avec soi des souvenirs et un savoir (volé au hasard des
rencontres, des lectures, des accidents du quotidien) on y rencontre
des images d'une puissante force de suggestion. Les seuls portes de
sortie (comme il y a des sorties de secours dans les salles de
spectacle). En voici une, arrachée à quelque livre d'épopée et de
flamboyante victoire et qui parle aussi de la vie de tous les
jours. Qu'on ne s'y trompe pas, ce n'était qu'un intermède, une dérive,
l'errance d'un instant. Pour prendre l'air d'hier, découvrir les
rumeurs d'un marché, le cri des marchands à l'étal, le meuglement des
animaux qui sont en si étroite intimité avec la vie des hommes, leurs
bourreaux. On marchande, on cancane, bientôt la nuit venue tout
rentrera dans un ordre puissant et menaçant.
La main à plume. Avoir accès au manuscrit offre
le plaisir de découvrir le texte dans son élaboration, sa naissance
(parfois difficile). C'est à l'accouchement même que l'on assiste. Elan
de la main, conquête de l'espace, et cette manière si particulière,
selon son tempérament, des circonstances, du cadre même de l'écriture,
d'occuper la page : dans l'économie, la prodigalité, avec méthode,
assuré et triomphant ou dans l'effort, la difficulté, les remords.
D'où, le plus souvent les ratures, les biffures cette bataille pour
trouver le mot juste et dont on est alors le témoin. On entre dans
l'intimité de la création. Au stade le plus essentiel, le plus
douloureux quand l'échec est encore possible. Imprimé, le
texte affirme sa victoire, manuscrit, il est encore l'enfant fragile,
choyé que l'on veut élever à sa forme la plus juste. Victor Hugo est à l'ouvrage.
Léautaud chez le Père Tanguy.On le sait, le père
Tanguy tenait boutique 14, rue Clauzel, où se fournissaient en matériel
les peintres qui furent les impressionnistes. Le père Tanguy se faisait
payer en tableau et c'est ainsi qu'il avait dans son arrière boutique
des oeuvres de Cézanne, de Van Gogh, de Gauguin, de Monet. C'est
dans le voisinage de ce modeste, mais haut lieu de la vie artistique,
que Paul Léautaud vivra son enfance, en cette fin de siècle, entre un
père souffleur au théâtre et une mère "cocotte" qui l'abandonnera
et qu'il rencontrera dans une maison de passe de la rue
Laferrière.Il habite avec son père, 13 puis 21 rue des Martyrs et
14 rue Clauzel, chez sa "nounou" cette Marie Pezé à qui il rendra
souvent hommage dans sa vie de vieux célibataire ronchon, lorsqu'il
vivra enfin dans la petite maison de Fontenay aux Roses. Il fait
quotidiennement le voyage (en train) jusqu'à la station Luxembourg, (où
on pouvait le rencontrer, cabas à la main plein de la nourriture qu'il
réservait pour ses nombreux chats), et la rue de Condé, où il
travaillait au Mercure de France. L'écriture de son Journal, à qui il
doit sa gloire posthume, se fait lors de ses soirées solitaires dans
cet enfermement qu'il a choisi. Autre exemple d'écriture en immersion
radicale sur sa propre sensibilité, en lieu clos. D'où l'importance de
la chambre dont on peut voir une reconstitution au musée Carnavalet.A signaler le remarquable travail d'historien de Bernard Vassor: pour le Père Tanguy voir : paperblog.fret d'une façon plus générale : wikio.fr/news/BERNARD VASSOR.
Anna de Noailles.Elle aussi est condamnée à
"garder la chambre" pour raison de maladie. Elle aussi, née Brancovan,
fréquente, surtout après son mariage avec un de Noailles, ce monde que
Proust avait déjà investi. Le même, entre futilités, vanités et
calculs, qui n'altère pas les forces principales de son génie propre.
Une adhésion sensuelle, profonde, avec la nature. Retirée dans sa
chambre du 40, rue Scheffer (dans le 16° arrondissement de Paris), elle
poursuit une oeuvre surtout poétique : L'ombre des jours, Les
Eblouissements, Les Vivants et les morts, Les Forces éternelles. Sa
gloire quasi officielle cache la part la plus captivante de sa
démarche. Une saturation sensuelle qui vidant le corps de sa substance,
nourrit un verbe d'ardeur et de souffrance, à la sensualité chargée de
coloration orientale due à ses origines. Tout comme Proust exploite
avec ferveur les souvenirs d'une enfance aux riches connotations
sensorielles et mémorielles, Anna de Noailles s'appuie sur le caractère
merveilleux (et d'un luxe tapageur) mais qui l'écrase, entretenu dans
l'hôtel particulier du 34 avenue Hoche, où l'on cultive le souvenir d'
ancêtres prestigieux, en leurs terres de Valachie et dont se sent
débiteur son père Grégoire Bassaraba de Brancovan, et la "campagne" des
bords du lac de Genève où sa famille possède une villa à Amphion, où
elle "écoutait, les voix de l'univers". Une oeuvre formée dans
l'enfance et formulée dans le tapage d'une vie d'abord mondaine avant
d'être recluse.
D'avoir été le fameux "piéton de Paris", balisant de
mots et de formules saugrenues le macadam parisien, et de finir cloué
dans un lit ( dans l'immeuble du café baptisé le François Coppée, à
Montparnasse) a quelque chose de tragique. En aucune logique avec un
esprit plutôt porté à la fantaisie. Celui qui fut, jeune, le compagnon
de tournées nocturnes d'Alfred Jarry, l'un des piliers de la NRF, le
compagnon d'un autre noctambule célèbre en la personne d'André
Beucler, va devoir cohabiter avec la lenteur de la méditation en
chambre, les lourdeurs d'une vie sans sommeil, et l'atteinte
progressive de ses moyens intellectuels. La maladie aura mis du plomb
dans ses "'semelles de vent" qui en faisait, tel Rimbaud, un aventurier
du hasard objectif, un chroniqueur savoureux d'un Paris qui va de
biais, n'obéissant pas à la logique d'un urbanisme pragmatique, volant
à l'instant des splendeurs qu'il savait saisir comme au clic-clac d'un
appareil photographique. Un épigone du précieux Jacques Réda qui a
repris, pour son compte, la tradition de l'errance, un frère en
piétonnerie de Jean Follain, car ils sont quelques uns à donner du prix
à la promenade de la saveur au quotidien, du sel à la vie. La
chambre est alors l'antichambre d'une chute finale. L'ultime souffle
d'un destin.0 miam[0 commentaire][0 TrackBack(s)
Le laboratoire central.Le titre, inventé par Max
Jacob, couvre, au delà de ses propres textes, une activité littéraire
qui se concentre en un lieu fixe, chargé, et diffuseur d'une pensée.
Celle de l'écrivain qui se referme (se renferme) sur son cabinet de
travail, et dans certains cas, qui en accuse le caractère intimiste,
dans sa chambre, et souvent, pour des raisons médicales, comme
l'illustre exemplairement Joé Bousquet. Blessé au cours de la première
guerre mondiale, il est condamné "à la chambre" jusqu'à la fin de ses
jours. "Dans cette maison de la rue de Verdun, à Carcassonne, cette
maison aux voletes toujours clos, il y avait un lit immense avec le
coussin réceptacle de son corps, un petit guéridon rond plein de
médicaments, une table pour les manuscrits et la bibliothéque basse.
Quelques tableaux et des lampes toujours allumées". C'est autour de ce
lit (et sa couronne de tableaux porteurs d'une énergie poétique, de Max
Ernst, Tanguy, Bellmer, Fautrier, Magritte, Paul Klee) que Joé Bousquet
recevait ses visiteurs : René Nelli, un voisin, et, de passage : André
Gide, Paulhan, Aragon, et beaucoup de ceux qui vont le mieux illustrer
la vitalité de la littérature française dans les années 30-50, avec une
plus forte concentration encore durant les années d'occupation,
beaucoup de ceux qui rejoignaient la "zone" libre s'y retrouvant.
Espace de convivialité, d'échange et de création. Sur son lit Joé
Bousquet écrit, avec une volonté farouche de sortir de sa condition
d'infirme par la grâce de l'écriture.Un aphorisme résume bien cette
aventure de l'esprit : "C'est le désastre obscur qui porte la
lumière"
Les allongés, Proust en figure d'icône."La
recherche du temps perdu" a été pratiquement écrite dans l'enfermement
d'une chambre de malade, et celui-ci, couché. Ce n'est pas un cas
unique s'il est frappant. Avant d'être quasiment immobilisé par
la maladie (l'asthme) Proust va "dans le monde". Il s'y plonge, pour
noter les caractères (comme son maître Saint Simon dans le cadre de la
cour de Versailles), et ayant fait son miel d'une vie mondaine fort
riche il peut, en quelques années, dans le silence de sa chambre, (au
numéro 102 du boulevard Hausmann à Paris), construire ce monument
gigantesque, cette oeuvre coulée dans une phraséologie qui en reflète
le caractère particulier. Dans l'espace flottant d'une immense rêverie,
un rapport intime et mémoriel avec les mots. Une oeuvre qui n'aurait pu
trouver son aspect, son "style", dans un autre contexte, un autre mode
de vie, comme si celui-ci décide de celle là. Il y aurait long à dire
sur les rapports existant entre la création littéraire et son
contexte.La littérature des "allongés" se pare d'un caractère original
en ce qu'il est plus intimement lié à son auteur. Il pourrait relever
de l'art du Journal, il en a la fraîcheur d'inspiration, parfois
l'impudeur, souvent la force de persuasion parce qu'il tire ses forces
des zones les plus intimes et s'appuie sur des relations
exceptionnelles avec le corps plus présent, pesant, que dans une oeuvre
conduite selon les normes du travail d'écrivain à sa table, dans son
quotidien, et comme un "objet" plus détaché de son intimité.La
photographie est celle de la reconstitution de la chambre de Proust,
rue Hamelin, au musée Carnavalet. On y trouve aussi celles d'Anna de
Noailles et de Paul Léautaud.
Livre culte. Titres et pains perdus d'Alechinsky.Il
est de format carré, relié, la couverture, illustrée, offre la vision
de la face arrière (généralement cachée) d'un tableau. Son titre, porté
sur le cadre, est "Le mal indéfini". Toute l'histoire d'un
tableau est souvent dans ces coulisses qui consignent ses expositions,
ses déplacements. Le livre, composé de petits textes fort divers, a
fait appel à la contribution de Suzy Embo, pour les photographies, de
Reinhoud pour le rappel de son travail de sculpteur s'appuyant sur des
figures en mie de pain ( cette agitation de la main, distraite, comme
pour les dessins de téléphone - on y reviendra-) de René Bertholo
enfin, pour des mises en forme d'espaces graphiques. Le corps du livre
est l'histoire d'une disparition. Celle d'un rouleau de dessins
japonais qu'Alechinsy rapportait d'un voyage au Japon et qui fut avalé
par les éboueurs, au petit matin, rue des Pyrénées où le peintre avait
alors son atelier. On assiste à la quête de la chose perdue. Vaste
épopée (qui mériterait un développement) où l'on va à la rencontre du
déchet, de la chose condamnée à être malaxée, métamorphosée, sous
couvert de recyclage. On peut imaginer des oeuvres entières restées
inédites, abandonnées aux nettoyeurs des rues, déversées dans les
immondices à ciel ouvert avec la lente envolée des oiseaux
dénicheurs qui y viennent grappiller leur pitance. Les mots devenus
nourriture de l'oiseau, c'est un destin divin non ?
Dans la famille des
marginaux, et de ceux qui façonnent (à travers les choix d'André
Breton) le nouveau paysage de la poésie Jacques Vaché s'impose comme le
plus radical et à la fois le plus ambigu. La publication de ses
"Lettres de guerre" (adressées à André Breton et Aragon) va le
transformer en icône de la révolte par quoi passe l'esprit s'il ne veut
pas être sclérosé par la réalité et sa banalité. Adolescent, nous
avions gardé quelque chose de l'enthousiasme que nos aînés y avaient
placé. La publication de ces lettres aux éditions K (dans les années
5O) revêtait le prestige d'une découverte dont nous nous échangions la
primeur avec des allures de conspirateurs. C'était une véritable arme
de contestation, une explosion d'humour sans limites. La couverture
était ornée d'un extrait de dessin de l'auteur qui le pratiquait avec
la désinvolture de celui qui ne veut pas en faire une oeuvre d'art,
mais une oeuvre de vie, un signe tangible, où passe le ricanement du
scepticisme, la hargne du blessé.Depuis des travaux universitaires
ont figé cette prose digne de Jarry dans les cadres d'un étude serrée
qui en ôte le suc sans en ternir la portée formidable.
Un petit tour du côté de Paul Léautaud.Ayant
vécu dans le quartier de son enfance (voir Le petit ami) entre la rue
Clauzel et la rue Notre Dame de Lorette, et avec cette manie de
toujours rechercher les traces de ces "passants considérables", je
retrouve dans les pages de son Journal ( une lecture formidable), les
éléments qui permettent de mieux le traquer là dans ses sensations si
subtiles et pourtant sources de défaillance sociale pour lui, à l'en
croire. Lecture fort utile pour celui qui se cherche. Quel regard
original sur la littérature et ses faiblesses, son chic et son choc,
qui amène Léautaud à se retirer, solitaire parmi ses chats, dans sa
petite maison de Fontenay aux Roses (là aussi il y a encore des traces).Chaque
page de son journal nous pose dans un lieu de ce Paris qu'il a sillonné
de Montmartre à la Comédie française, du Palais Royal à Saint Germain
des Près et dans cette rue de Condé où se trouve le siège du Mercure de
France où il est un employé modeste mais à un poste clef pour
l'observateur qu'il est. On le voit crayonner des portraits de toute la
littérature qui défile dans son bureau. C'est à la fois comique et
cruel, lucide et désenchanté.
Paul Léautaud et les chats.Qui
aime les chats aimera Paul Léautaud et lui rendra justice. Celui que
l'on déclare misanthrope, aura, vis à vis des chats, un comportement
exemplaire, stupéfiant et désintéressé. Il est capable de tout annuler,
jusqu'aux obligations de sa vie sociale, pour venir au secours d'un
chat qu'il sait en perdition. Son attitude n'a pas le caractère
esthétique ( et légèrement féminisé) de Baudelaire, mais la vigueur et
le réalisme d'une infirmière, un rapport de bienveillance vis à vis de
la faiblesse dont un chat est censé être la victime. Un regard
humain essentiellement et qui prend à travers ce qu'il en dit une
allure épique. Toutes les petites vieilles qui se livrent au rituel
d'aller donner aux chats abandonnés la nourriture dont parfois elles se
privent, suivent l'exemple de Léautaud. On pouvait, dans les années 50,
le croiser du côté de la station de métro Luxembourg (qu'il emprunte
pour aller chez lui à Fontenay aux Roses) avec, à bout de bras, un
cabas lourdement chargé de nourriture. Lui-même se nourrissant comme un
ascète.
La revue Temps Mêlés. Des
nombreuses revues qui croisent l'aventure du Soleil dans la tête, Temps
Mêlés est l'une des plus singulières et celle qui se rattache le mieux
à la tradition surréaliste. On est du côté de la Belgique, sous
l'égide d"un personnage devenu légendaire : André Blavier qui est
l'auteur d'un livre "culte" consacré aux "fous littéraires". Parmi les
nombreux cahiers de cette revue, un numéro fut consacré à René Crevel
avec une prestigieuse collaboration de peintres et d'écrivains qu'il
avait côtoyé. Choisirait-on Valentine Hugo ou Gabriel Paris, Jacques
Hérold ou Lucien Coutaud, Denis Morog ou Man Ray, et les poètes venus
au coeur de cet hommage d'un écrivain tendre, lumineux et au destin
tragique : de René Char à Michel Leiris, de Pieyre de Mandiargues à
Jacques Baron. C'était une couronne qui n'avait pas l'aspect d'une
couronne mortuaire mais un faisceau de souvenirs de la prestigieuse
aventure du surréalisme sous le signe de l'amour et de la mort.
Juan Romero.C'est
dans la petit galerie que Christian Boltanski (qui n'était pas
l'artiste, célèbre d'aujourd'hui) avait dans les années 7O, rue de
Verneuil, que je faisais connaissance avec l'oeuvre du peintre espagnol
Juan Romero. J'aimais
sa vélocité, ce graphisme trépidant, enveloppant, courant sur l'espace
de la toile entraînant avec lui mots, signes et images. Une vivacité
graphique qui ne jouait pas la violence mais la douceur, une certaine
saveur qu'entretenaient des phrases de confidences que l'on découvrait
au sein de ce tumulte graphique. On l'a malheureusement perdu de vue.
Il expose un peu partout dans le monde m'a-t-il semblé.
Gabriel Paris.Il
a été l'un des premiers artistes à suivre fidèlement les activités de
la galerie et, curieusement, son style, son mode de vie correspondaient
plutôt à l'esprit Montmartrois, ce qui était d'autant plus étonnant
c'est que le Soleil dans la tête, avant de s'arrimer rue de Vaugirard
devait s'installer aux abords immédiats de la Place du Tertre, sur la
Butte, ce qui aurait probablement totalement modifié son avenir, son
destin et l'esprit de ses manifestations. J'avais
une grande passion pour la Butte Montmartre et son histoire que je
connaissais bien parce que quelqu'un de ma famille m'avait, quand
j'étais tout enfant, entraîné dans ses promenades et fait connaître
beaucoup de ceux qui avaient vécus l'aventure montmaroise, dans le
souvenir de ses héros, de Picasso à Pierre Mac Orlan, de Francis Carco
à Gen Paul, de Paul Yaki à Van Dongen.
Henri Chopin le monde du sonore.Animateur de
plusieurs revues qui illustraient son ouverture d'esprit (OU, Cinquième
saison) Henri Chopin a toujours milité pour la poésie sonore et les
recherches qui poursuivent, au delà du mode formulé, un espace où
s'égarer. Car rien de ce que le langage a pour mission de définir
subsiste dans ce traitement "musical" de la voix. Un magnétophone est
le stylo de cette écriture qui va fédérer autour de lui d'anciens
lettristes, des chercheurs venus de tous bords qui s'engagent dans cet
au-delà des mots. Le "musée" historique de cette création est des plus
singuliers et d'une formidable hétérogénéité : Lawrence Sterne, Dada,
Antonin Artaud, William Burroughs, Fixé maintenant en Angleterre Henri
Chopin poursuit son travail dans la confiance, voire l'admiration de
toute une génération qui voit, dans la poésie sonore, un avenir. Consulter l'excellent blog : www.macval.fr/letter/ 08/henrichopin.jpg
Les gourmandises bibliophiliques de PAB.Derrière
ces initiales se cache (ou plutôt s'est imposé) l'un des plus
singuliers éditeurs des années 60-9O : Pierre André Benoit.Natif d'Alès il a travaillé dans cette région en divers lieux qu'il avait l'art de dénicher, comme Ribautes les Tavernes où sa maison, nichée dans des ruines, était
ornée d'un grand motif de Miro. Car il avait des amis prestigieux et
faisait illustrer les fort petits tirages qu'il sortait de ses presses
par des artistes comme Picasso, Braque, Dubuffet, Alechinsky,
Corneille, Bertini, André Masson, Vieira da Silva, Jean Hugo.Il
est l'exemple même de cette tradition d'éditeurs qui militent pour une
conception de l'édition bien éloignée des lois du marketing et s'appuie
sur la fidélité et la passion des bibliophiles qui recherchent ces
ouvrages où tout est raffiné tant le choix du papier que des
caractères, le poèmes gagnant ainsi un véritable écrin qui le valorise.
On parlera ici souvent de ces "petits" éditeurs qui font la gloire et
l'honneur de leur métier. PAB est l'un d'eux, et pas des moindres. Son
exemple a été suivi : voir agostiniveronique.midiblogs.com/.../
Bruno Durocher, l'aventure d'un survivant.Bruno
Durocher fait parti de ceux, très rares, qui revinrent "des camps".
C'était en 1945. La publication d'un recueil de ses poèmes chez
Seghers attire l'attention de René Char, Cendrars, Pierre Reverdy. La
voie était toute tracée. Poète, Durocher serait éditeur pour être au
plus près de ceux qu'il aime et veut publier. Il y aura Pierre
Albert-Birot, Jean Cassou, Jean Cocteau, Tristan Tzara, Max Jacob,
Pierre Jean Jouve, Raymond Queneau, Supervielle, Jean Rousselot, Michel
Ragon.C'est par ce dernier qu'on le rencontre dans les années 5O.
Il avait créé son imprimerie artisanale cité Bisson, dans le XX°
arrondissement, puis l'avait transportée rue Gît-le-Coeur, rue de la
Harpe, rue Hautefeuille, un temps rue du Faubourg du Temple pour finir
rue de l'Arbalète au coeur du quartier Mouffetard, dans ce vieux Paris
tout imprégné de souvenirs littéraires. Ce fut le quartier de François
Villon, de Restif de la Bretonne. Sur cette montagne Sainte Geneviève
qui est le mont de l'esprit et de la révolte.Durocher, aujourd'hui
disparu, avait l'allure du prophète, la morgue du protestataire, le
coeur d'un frère de pensée. La "colonie" polonaise a toujours était, à
Paris, un formidable vivier de talents. On retrouvera Durocher sur
notre chemin. Il est semé d'étoiles rares.
La vie d'Isabeau de
Bavière est étroitement liée à celle de Paris. On peut encore
aujourd'hui suivre les traces de son passage dans le quartier du
Marais. Il n'existe plus de bâtiments (l'hôtel de la rue Barbette,
l'Hôtel Saint Paul -emplacement aujourd'hui du village Saint Paul) tout
au plus le goulet où son amant Louis d'Orléans est tué par les sbires
du duc de Bourgogne (rue des Francs Bourgeois). On a illustré son
"entrée" dans Paris, geste essentiel dans la reconnaissance d'un
souverain, prise de possession de son domaine et affirmation de son
pouvoir.
La femme flambée ( de la Saint Vierge à Brigitte Lahaie).C'est
sous ce titre qu'un livre avait été imaginé (il y a plus de dix ans) et
qui n'est jamais terminé tant le sujet s'étend en multiples
ramifications. La femme flambée est celle qui dépassant les limites de
sa condition ( tant physiques que sociales) peut aller jusqu'au bout de
son destin, de ses aspirations, et naturellement de ses fantasmes. Soit
qu'elle tienne son destin en main, et l'accomplisse, soit qu'elle soit
désignée comme telle par l'histoire et l'image que l'on se fait d'elle.
Elle devient une icône.Cela peut aller de Camille Claudel à la du
Barry en passant par Charlotte Corday, Carmen, Eugènie de Guérin,
Gabrielle d'Estrées, Jeanne Duval (la maîtresse malade de Baudelaire),
Jeanne d'Arc, Justine et Juliette (les héroïnes de Sade), Katherine
Mansfield, Laure Peignot (la maîtresse de Georges Bataille), Louise de
Lavallière, Lucile Desmoulins, Lucrèce, Messaline, Julie de Lespinasse,
Madame Roland, la reine Margot, Ninon de Lenclos, Olympes de Gouges,
Nancy Cunard (la maîtresse d'Aragon), Nana (l'héroïne de Zola), Saint
Thérèse d'Avila, Sarah Bernhardt, Salomé, Théroigne de Méricourt,
Valtesse de la Bigne, Virginia Woolf, Renée Vivien, la comtesse de
Noailles, Nadja (héroïne d'André Breton), Marguerite Moréno, Manon
Lescault, Nusch (la femme d'Eluard)....Une liste enrichie chaque jour de nouveaux noms en fonction de lectures.
Valtesse de la Bigne.Il
était facile et tentant, quand on s'appelait Lucie Emile Delabigne, de
s'intituler pour la façade Valtesse de la Bigne. Ascension
sociale oblige. Cette fille d'une lingère normande ( née n 1848) va,
"via les planches", entrer dans les lits de quelques personnages
d'influence avant d'ouvrir le sien (devenu mythique) à de généreux
donateurs, admirateurs, et, il faut le reconnaître, un certain savoir
faire et un appétit de culture qui ne manque pas d'être touchant. On la
baptisera "l'union des artistes" en raison de son souci de conduire son
"salon" du 98 boulevard Malesherbes en un lieu de rencontre d'écrivains
et de peintres que son charme attirait. Elle fut même peinte par Manet,
ce qui excuse ses faiblesses pour le charmant Gervex qui en fit sa
muse. Elle se pique même d'écriture et commet un roman qui ne pouvait
qu'être autobiographique sous le titre Isola (et signé Ego ce qui est
une manière subtile d'avouer son tempérament). Ecoutons Zola évoquant
le fameux lit : "Un lit comme s'il n'en existait pas. Un trône, un
autel où Paris viendrait admirer sa nudité souveraine..."
Femme flambée 6Du côté des "lionnes" et autres "biches". Une
promenade dans le territoire de la femme flambée ne pouvait éviter une
incursion, même légère ( ce qui serait de mise !) du côté de ces femmes
qui vont, à la fin du XIX° siècle, tenir le haut du pavé, étaler leur
richesse, épater le bourgeois et entraîner à la ruine les fils de
famille qu'elles dévergondent. Voir "Nana" de Zola qui campe
admirablement cette société et ces courtisanes souvent venues "du
ruisseau" et qui se donnent des noms nobiliaires, afin de se mieux
mêler à leurs victimes. Elles donnent le ton de la mode, émerveillent
les badauds et sont autant de destins souvent tragiques. Le
théâtre dont elles tâtent souvent les planches, est un tremplin idéal
pour se faire remarquer. Ce qui ne manque pas de sel car, à tout
prendre, on sait bien que s'afficher avec une courtisane relève du
standing de ces dandys surtout hâbleurs et sans cervelle. D'amour il
n'est question que pour s'en jouer. Ces Valtresse de la Bigne, Blanche
d'Antigny, Alice Ozy, Cora Pearl, Edmilienne d'Alençon, Lina de Pougy
ont inspiré de nombreux commentateurs, historiens, chroniqueurs. A lire
Aurian, Françoise d'Eaubonne. Photographie, le lit de Valtesse de
la Bigne dont Zola s'inspirera pour décrire celui de Nana. Un lieu
stratégique de la vie galante.
L'émancipation de nos pas
nous éloigne parfois des objectifs préalablement fixés. On parlait de
jardin, on tentait d'en découvrir quelques uns, mais l'amour des
bosquets peut aussi nous réserver des surprises. Faisons étape dans ce
qui est un jardin secret, un jardin de ville. C'est au 20, rue Jacob,
derrière une porte férocement défendue qui en interdit l'accès.
D'ailleurs il a perdu beaucoup de son charme et de son prestige. Il
entourait le "temple de l'amitié" qui avait été créé par l'étonnante
Nathalie Barnay ( une excellente biographie sur elle de Jean Chalon)
éprise de liberté et qui avait la moyens financiers d'en savourer les
plaisirs. Elle clamait son homosexualité féminine (elle est au coeur de
l'intense vie culturelle des lesbiennes au début du XX° siècle). C'est
à elle que sont adressés les "Lettres à l'amazone" du prodigieux Remy
de Gourmont, un voisin ou presque, de la rue des Saints Pères.Le
"salon" de Nathalie Barnay est au coeur de la vie mondaine et
culturelle de son époque. Il est infiniment plus intellectuel que celui
de la duchesse de Guermantes (alias madame Grefhulle) héroïne de la
Recherche du temps perdu. Sans doute la féminité y est exaltée mais
l'homme, s'il est créateur, y a droit d'accès. Le jardin dans tout cela
? Il est un morceau échappé à la rage des urbanistes qui tente de
survivre au milieu des immeubles. On devine, derrière les murs, la rue
Visconti autre lieu inspiré.
Artaud, en passant.On sait combien le passage
d'Artaud dans le ciel contemporain de la pensée pèse sur les âmes et
les consciences de ceux qui ont eu le bonheur (ou le risque) de le
rencontrer. Ame ardente et brûlée, elle conduit vers une lucidité (et
une colère) qu'il est difficile d'assumer quand on veut protéger un
quotidien rassurant, des relations de convention avec le monde. Il met
le doigt sur ce qui fait mal, il invective notre conscience, il milite
pour cet "ailleurs" invoqué par Rimbaud, un état supérieur de l'homme,
un dépassement des frontières de notre conscience des limites de notre
corps. C'est du corps qu'il est question, parce que profondément
malade et à le merci du monde médical, Artaud s'insurge contre ceux qui
veulent s'emparer de sa conscience au nom de sa santé. On sait combien
il s'achemine vers un délabrement corporel d'autant plus injuste et
révoltant qu'il incarnait, dans sa jeunesse, une image d'archange (voir
les films dans lesquels il est amené à jouer).Ses derniers
ouvrages, délicatement édités par les éditions K (un modèle du genre)
jalonnent une pensée moins pieuse qu'incandescente.
Une affaire de Labyrinthe.On
avait, à la revue Sens Plastique, organisé des expositions dont le
thème était le jardin. Il en fut une (présentée chez le peintre
Weinbaum, à Orsay) plus proche encore des ambitions qui en justifiait
la reprise. L'espace permettait de déployer les oeuvres de références
dans un circuit qui fut aussi celui d'une fête. Il y avait là tout le
gratin des arts des années 6O, de Rancillac à Christo. On se
rapprochait du thème du labyrinthe qui était le moteur de toutes ces
expositions qui se voulaient des itinéraires allégoriques. On
revient ainsi à la tradition, dont celle qui fut à l'origine du fameux
Labyrinthe dessiné dans le parc de Versailles et qui fut
malheureusement détruit. Il avait été inspiré par des textes de
fabulistes ( La Fontaine, piètre courtisan fut un peu évincé) et conçu
comme un itinéraire d'initiation ( pour l'éducation des princes). Il
y aurait long à dire sur l'étonnante force de persuasion que pouvait
avoir ce type d'enseignement qui mêlait l'utile à l'agréable. A quand
sa reprise dans le monde de l'éducation?S'il n'existe plus, le
Labyrinthe de Versailles a laissé plusieurs témoignages dans le monde
de la peinture. Dont la série des compositions de Cotelle, d'une
aimable distinction. "L'esprit" de la nature y est respecté, mais la
description du labyrinthe lui même n'en est pas pour autant
négligée.
K la
lettre clef. Elle désigne le personnage ( c'est Kafka lui-même), elle
désigne le n'importe qui (propre à endosser l'histoire contée). Une
histoire d'absurdité, un chemin tragique. Prague est présente dans le
décor, encore qu'il sorte du pittoresque de la ville pour ouvrir sur
des atmosphères de nulle part. On va s'y promener. Angoisse
existentielle garantie. Rarement on a porté aussi mal la nécessité de
vivre, le poids du réel. Le fantastique n'y est pas de mise, la
frontière entre rêve et réalité n'est pas aussi flou que chez Nerval,
elle est plus ancrée dans le réel, mais l'absurde y règne qui fausse le
jeu, entraîne vers des catastrophes, des pièges où la vie est broyée.
On parlera, à propos de Kafka de "machines célibataires " (on en trouve
aussi chez Alfred Jarry, chez Raymond Roussel, d'où les liens de
parentés qui peuvent se créer de l'un à l'autre).
La poésie des jardins au moyen-âge.Paradoxalement
le jardin au moyen-âge est plutôt urbain. Il se cache dans les cours
des hôtels particuliers, se développe (avec modestie et mesure) à
l'intérieur des enclaves et dans les couvents. Il peut aussi s'inclure
dans les défenses du château-fort. Le manque de place l'incline à se
nicher sur des terrasses, gagnant sa place dans un contexte guerrier,
apportant dans une architecture rude et sévère les agréments que l'on
accorde à la femme. Il participe à la cérémonie du repos du
guerrier. Les châteaux "accueillent dans leurs courtils, des
jardins sobres qui bientôt rendront plus mystérieux les labyrinthes de
buis et plus précieuses les variétés de fleurs odorantes apportées
d'Orient par les Croisés..."Lieu de méditation et de douce
convivialité. Les miniatures qui se plaisent à le décrire y dispose des
figures sorties des romans de chevalerie. Il est le cadre d'une "cour
d'amour", où croisent gentes dames et troubadours. Déjà s'amorce
l'idée du jardin associé aux relations galantes qui va prédominer au
XVIII° siècle.Il peut aussi être allégorique et d'essence
religieuse. N'est-il pas, à la mesure humaine, l'idée, retravaillée par
l'époque, du Paradis dont parle la légende.Souvent il est le laboratoire des recherches menées sur les plantes et leurs vertus.C'est la version du jardin médicinal. On évoquera Saint Fiacre, "patron des jardiniers"
Nous voici réunis autour de
la comtesse de Ségur. D'une famille liée à l'Histoire elle fait sa
pelote d'histoires qui relèvent du quotidien, jouant les grand-mères
avec une attention attendrie pour les jeunes enfants qui passent les
"grandes vacances" dans son château normand. L'époque voulait qu'il en
fut ainsi. Un lien étroit liant les générations, il est vrai dans des
milieux favorisés et en mesure de donner un cadre agréable aux premiers
émois enfantins. Le succès littéraire de la bonne comtesse, n'est-ce
pas, justement, cette exemplarité et l'attrait d'un milieu qui donne le
ton. Maintes petites filles de la fin du XIX° siècle, et durant tout le
XX° se sont abreuvées aux aventures de Camille, Madeleine et de la
turbulente Sophie. On dira aujourd'hui que tout cela est dépassé, non
sans raison sans doute. La petite fille d'aujourd'hui ( sauf dans
certains milieux privilégiés) ne ressemble guère aux "Petites filles
modèles" et, devenues adolescentes ,(précocement) elles ont plus
pour modèles les Lolita qui se trémoussent à Star académie. Le monde de
la comtesse de Ségur est inscrit dans le passé. Un grain de
nostalgie pour celui (et celle bien sûr) qui s'y attarde.
Youki la muse.Elle doit son nom, "rose" en
japonais, au peintre Foujita qui l'avait pour modèle (voir "Le nu
allongé") et pour maîtresse. Elle était une "reine" de Montparnasse.
Bonne fille, légère, amie des artistes et menant une vie de fête
perpétuelle, d'ateliers en dancings, de cafés en parties de campagne.
Après Foujita ce fut Robert Desnos qui l'adopta comme muse. Elle lui
inspire de beaux et souvent pathétiques poèmes (comme le tout dernier,
retrouvé, lors de sa mort en camp de concentration). Robert
Desnos fut une des figures majeures du surréalisme. L'attrait de Youki
entre dans la mythologie de ce mouvement qui plaçait la femme au coeur
d'une vie sentimentale largement rendue publique pour autant que
peintres et poètes célèbrent leur muse et lui donne une célébrité.Je
me souviens lui avoir rendu visite dans les années 50, dans le fameux
appartement de la rue Mazarine. Elle y vivait dans un désordre
confinant à la misère. C'était la fin de la matinée, elle était
dépoitraillée, sans doute un peu soûle.Avec ce naturel propre aux
femmes qui ont vécu la bohème, elle m'offrait comme apéritif, le
vin rouge qu'elle devait probablement boire quand j'arrivais chez elle,
accompagné d'un camembert étalé dans son emballage.J'avais en mémoire le magnifique poème de Desnos :J'ai rêve tellement fort de toi,J'ai tellement marché, tellement parlé,Tellement aimé ton ombre,Qu'il ne me reste plus rien de toi.Il me reste d'être l'ombre parmi les ombresD'être cent fois plus ombre que l'ombreD'être l'ombre qui viendra et reviendra dans ta vie ensoleillée.
L'artisan des épluchures.Ce
qu'une bonne ménagère jette à la poubelle, Philippe Dereux le conserve
précieusement. Ce sont les épluchures des fruits et légumes dont il se
sert pour créer tout un petit monde narquois, des personnages d'une
sorte de guignol intime et savoureux. Il a aidé Dubuffet dans sa chasse
aux papillons quand celui-ci voulait en faire la matière première d'une
série d'oeuvres chatoyantes. Plus modestement, dans sa cuisine,
Philippe Dereux conçoit un monde à la ressemblance d'une réalité qu'il
transpose non sans parfois une pointe d'amertume, un brin d'acidité.
Ambiguïté fondamentale d'une oeuvre qui n'a d'autres références que le
quotidien de son auteur, constituant une sorte de journal intime de sa
vie. D'ailleurs il a écrit une Traité des épluchures d'une lecture
salvatrice, comme quoi la sagesse vient souvent de ceux qui savent rire
d'eux-mêmes et plonger à vif dans ce que l'art, d'ordinaire, refuse.
C'est là son caractère contemporaine ( on dira "moderne") qu'il ne vise
pas le beau tel qu'on le concevait jusqu'alors mais une certaine
vérité. Faute de mieux on classe Philippe Dereux parmi les artistes de
"l'art brut". A revoir !
Ma Jacob un parrain cachéMême
absents ( ici, mort dans l'horreur de la déportation), certains poètes
influent profondément sur la vie et les rapports entretenus en un lieu
qui fédère des passions, nouant des liens entre des personnes qui s'y
retrouvent comme, disait-on, dans les "salons", ou surtout les cafés au
XIX° siècle.Un
café voisin, d'ailleurs, à l'enseigne du Petit Suisse, servait
d'antichambre voire d'annexe à la fébrilité de la vie sociale de la
librairie du 1O, rue de Vaugirard.Absent
donc Max Jacob était la référence obligée pour tous ceux qui
revendiquaient une appartenance plus ou moins souple avec l'Ecole de
Rochefort. Comme le voyait Roger Toulouse c'était un homme de cabinet
(proche du moine) mais aussi de terrain. A la rude épreuve de la vie.
Et Max Jacob incarne bien cette étrange dualité qui le voit à la fois
noceur et repentant. La nuit dans les orgies et au petit matin servant
la messe, ayant remonté toutes les marches menant au Sacré Coeur sur
les genoux, comme dans l'humilité de la confession. De
Max Jacob on reparlera souvent. Il est unique, lumineux derrière ses
facéties. La morale peut jaillir derrière la farce. De ce côté là Max
Jacob rejoint Alfred Jarry.
L'intérêt porté par Jean Rousselot aux arts plastiques
rejoint celui plus connu qu'il porte à la poésie jusqu'à s'en faire
(avec Robert Sabatier) l'un de ses plus sagaces historiens. Poète
lui-même, il aimait griffonnait aux marges de ses manuscrits ou dans le
rythme même de l'écriture. On avait, au Soleil dans la tête, rassemblé
ses dessins dont on aimait le caractère résolument intimiste et surtout
hors des sentiers battus, des modes et des circuits officiels. C'est à
ce stade que s'appréciait le mieux la saveur des signes, griffes,
volutes, images qui en naissaient se développaient et s'harmonisaient
sur la surface de la page. Tout naturellement une telle pratique
du dessin (ou de la peinture) conduit au collage. Comme tant d'autres
poètes (dont Jacques Prévert, on y reviendra) firent de même. Voici ces
collages rassemblés, joliment, par les éditions Nanga et Jérôme
Feugereux (voir leurs sites).
Camille Claudel, une âme de feu, un corps de cendre.L'aventure
amoureuse de Camille Claudel et d'Auguste Rodin, est passée dans la
légende. Parce qu'elle marque le point de fusion, et de rupture entre
deux caractères aussi forts que le talent qui en résulte, donnant forme
à des élans, des passions, des appétits, qui marquent d'une manière
indélébile leur siècle, le temps de leur présence au monde quand
l'oeuvre, défiant le temps, porte haut les couleurs d'une quête
ardente. Une fusion telle que parfois il est malaisé de distinguer
l'oeuvre de l'un par rapport à l'autre et de s'interroger, sur le jeu
complexe des influences. Camille Claudel, née dans une modeste
maison de Villeneuve-sur-Fère, dans l'Aisne, va mener une carrière
d'artiste à Paris avant de sombrer dans la folie. Ses rapports amoureux
avec Rodin sont compliqués par la vie domestique de ce dernier, et les
ambitions d'un sculpteur qui va faire une carrière officielle, quand
Camille reste dans l'ombre. Paul Claudel, son frère, aura une attitude
ambiguë avec cette hypocrisie propre à certains catholiques qui veulent
ménager les apparences, d'autant que sa carrière diplomatique le met
dans une position délicate. C'est dans une totale solitude morale que
Camille Claudel doit assumer son destin. D'où la folie qui est le
résultat d'une sorte de vertige mental. Un génie brisé.
Nadja. Un nom qui sonne l'exotisme et le mystère, qui
résume tout l'esprit du surréalisme, qui s'incarne en une femme,
passante considérable mais fugitive dans la vie d'André Breton qui en
fera l'héroïne d'un de ses plus beaux livres.
Un rendez vous comme on les
aimait au Soleil dans la tête. Le maître de maison est J.H. Sainmont
(haut dignitaire du Collège de Pataphysique). Il a rassemblé sous la
houlette d'Alfred Jarry ( pape en absurdie) : Léon Paul Fargue ( un
copain de débauche qui fut aussi celui du douanier Rousseau), Germain
Nouveau (quand il ne mendiait pas aux portes de églises), Jules
Laforgue (qui regardait la lune depuis sa soupente de la rue Monsieur
le Prince), Alphonse Allais (qu'on retrouvera dans un bistro près de la
gare Saint Lazare, devant une absinthe), François Laloux ( dont j'aime
bien les peintures en mouvement de la main ), Raymond Queneau (qui
bafouille des chiffres), Apollinaire ( qui est partout), Julien Torma
(avec qui l'on aura rendez vous plus tard) et Jacques Rigaut, en salon
qui chauffe.
Découverte dans une brocante (dans l'Essonne).Jetés,
abandonnés, oubliés parmi les succès littéraires d'aujourd'hui (si loin
de la littérature), des volumes dépareillés du magistral ouvrage de
Victor Bérard (publié chez Armand Colin en 1929). Ce sont les
"Navigations d'Ulysse". On y rencontre Pénélope Calypso et Nausicaa,
ces figures qui hantaient les jeunes élèves qui voulaient se
familiariser avec l'étude du grec ancien. Rares aujourd'hui. Pourtant
le mythe d'Ulysse n'a rien perdu de son prestige. Et voici, au Club du
Livre (1948) l'Odyssée. On y parle souvent de l'assemblée des dieux.
Une poignée d'hommes et de femmes aux métamorphoses surprenantes, aux
attitudes si proches de celles qui nous guident. Mais les dieux ne
sont-ils pas les reflets de l'humanité ? Vaste leçon. C'est aussi
une assemblée que, d'ordinaire, les peintres qui évoquent Homère,
imaginent autour de la figure du noble vieillard aveugle s'accompagnant
de sa lyre. A comparer avec la réunion des enfants qui entourent la
grand-mère lisant des contes. On va bientôt la rencontrer.
Roussel et une méthode littéraire. La
singularité de l'écriture de Roussel est moins dans le sujet
(généralement très banal)) que dans la méthode. En gros : on prend une
phrase (c'est le début d'une histoire) et l'on en invente une autre,
qui lui ressemble phonétiquement mais lui est totalement étrangère,
elle évoque tout autre chose. Conclusion, on a deux propositions sans
aucun rapport. L'exercice littéraire consiste à aller de l'une à
l'autre en créant une histoire, serait-elle teintée d'absurde ou de
loufoquerie, ce qui est d'ordinaire le cas. Il y a quelque chose de la
performance, une sorte de défi mental, de jonglerie intellectuelle, et,
au delà de l'habileté dont témoigne cet exercice, qui parfois demande
de longues séances de travail, un effort inimaginable, une plongée
vertigineuse dans le vocabulaire. N'est-ce pas aussi le rôle de la
littérature de se risquer dans les méandres des mots, le texte est un
labyrinthe où parfois on cherche le Minotaure. Quand on l'a trouvé, on
doit le tuer, et l'on a gagné.
22h51 - Une histoire de Plume
-
Général
Le porte-plume de Raymond Roussel.Parmi ses textes
les plus curieux, Roussel (dans La Vue), se plonge dans la
contemplation quasi hypnotique d'une petite vue incluse dans une boule
minuscule sertie dans la manche d'un porte plume. C'est un peu, pour
lui, ce qu'est la madeleine de Proust, une sorte d'amorce pour
l'imaginaire et la sensation.Le porte-plume en question a une
charge suffisante de suggestion, serait-il sans ornement et d'une
sobriété monastique, pour que l'on s'y arrête. Porter la plume c'est
faire l'oiseau. Le porte-plume serait alors l'envol des mots, le
véhicule d'une pensée allégée de toute lourdeur ou pesanteur
contraignante et superflue. Une plume affûtée, mais aussi
agile et aérienne que l'oiseau dont elle épouse le règne et avec lequel
elle se confond, épousant sa grâce, son pouvoir unique de transcender
les lois de la pesanteur et ira se confondre avec le ciel, se noyant
d'azur comme dans une ivresse qui défie les contraintes habituelles de
l'homme attaché à la terre et à elle destiné.La Vue, s'est arrêtée
sur un détail de ce porte-plume, et dans la transparence du cristal qui
enserre l'image, aura scruté les échos multiples d'une représentation
qui arrache le scrutateur à la pesanteur de l'instant. Regarder avec
force une image (quelle qu'elle soit) nous transporte. Nous fait voler.
Nous fait l'égal de l'oiseau. Roussel est là voisin du douanier
Rousseau. On y reviendra.
Placer Van Gogh sous le signe d'Artaud ("Van Gogh le suicidé de la société") c'est moins orienter l'action et la personnalité du peintre que donner le ton de sa démarche et ce par quoi elle se distingue de toutes celles qui lui sont contemporaines et avec lesquelles on est bien obligé, historiquement, de la comparer.Loin de corriger cette vision, la connaissance de la correspondance renforce ce sentiment d'un être à la dérive parce qu'impropre à jouer le jeu social dans son hypocrisie, ses lâchetés, ses conventions, et parce que son ambition est moins d'atteindre la gloire que la compréhension de ceux avec lesquels il veut partager sa connaissance intime du monde, l'approche de son sens profond.Il use d'une écriture sobre, simple ( comme l'est son dessin) avec cependant une force expressive, une ténacité qui est celle du prêcheur (qu'il fut). Il n'écrit et ne peint que pour "convaincre" et la folie est le refus des frontières que d'ordinaire on construit autour de soi pour paraître au mieux de soi-même. Il y aurait de l'impudeur dans son comportement, comme c'est souvent le cas chez un saint qui défiant l'opinion affiche sa foi, quitte à s'y perdre.D'où la totale justesse de la remarque d'Artaud évoquant le suicidé "de la société".
Il est du rôle de librairies attachées à la vie
littéraire, de donner leur chance de diffusion à des revues
confidentielles qui échappent aux réseaux classiques de distribution.
Le Soleil dans la tête, comme ses consoeurs le Minotaure, la Hune, Le
Pont traversé, toutes librairies de la même famille, va entretenir avec
les revues de poésie des relations étroites que scandent des
expositions qui leurs sont consacrées, des signatures des auteurs qui
l'animent, et des confrontations de tous genres qui entretiennent des
rapports de sympathie entre les écrivains et un public qui pour être
plutôt rare n'en est pas moins dynamique et si précieux pour la survie
de la littérature. Osons donc une "revue de ces revues" sans
prétendre être exhaustif, mais en osant marquer des préférences,
afficher des complicités, énoncer des jugements.On commencera par
l'une des plus modestes, les plus pauvres sans doute, mais qui attirait
ma sympathie parce qu'elle était tirée sur une petite presse à bras,
pas trop soucieuse de cacher ses origines artisanales. C'était
ALTERNANCES qui nous venait de Caen (41 avenue du 6 juin), animée par
Robert Delahaye, poète lui-même. Il avait, sur ma suggestion, consacré
un numéro spécial à Pierre Albert-Birot, un des mes écrivains fétiches,
et un autre à La Magie de la Plante qui faisait écho aux expositions
Propositions pour un jardin du Soleil dans la tête où l'on retrouvait
les mêmes participants. Le sommaire en était brillant et surtout
significatif de l'état de la poésie à l'époque : Yvonne Caroutch, Roger
Toulouse, Gaston Puel, Marc Alyn, Jean Igé, Henri Rode, Pierre Garnier,
René Witold, Pierre Hahn, Jean Grosjean, Patrice Cauda, Loys Masson,
Edmond Humeau, Gabriel Paris, Pierre Chabert, Pierre Boujut, Jean
Rousselot, Serge Brindeau, André Malartre, André Miguel, Michel Manoll,
Charles Autrand, Philippe Durand, André Blanchard, Jean Laurent, Jean
l'Anselme, et naturellement Robert Delahaye
Multiples et de connivence, furent les rapports avec les
éminents membres du collège de pataphysique qui honoraient le Soleil
dans la tête de leur fréquentation aussi assidue que narquoise, venant
vérifier la qualité de la "production" littéraire qui y était proposée.
L'abondance de la littérature surréaliste assurant d'une bonne
direction encore qu'une volonté farouche d'indépendance se risquait
dans des choix parfois paradoxaux. Mention spécial de J.H.Sainmont,
personnage de roman (voir ce qu'en fait Henri Thomas) dont on aimait
les billets d'une écriture aussi minutieuse que délicate ( seul Bellmer
pouvait rivaliser avec lui dans le genre).On attendait toujours
avec une vive impatience la parution des Cahiers du Collège et son
accompagnement de brochures rares et secrètes. Grâce à elle on
avait pu découvrir Julien Torma. Aujourd'hui il parait que l'on trouve
ces Cahiers à la librairie V a l'Heure, 27, rue Rodier. Heureuse
adresse.
Jacques Hérold l'aigle foudroyé.Après
avoir donné une illustration à "D'où je viens", édité par PAB (voir
prologue de ce blog, page 1), Jacques Hérold était devenu un visiteur
attentif du Soleil dans la tête et participa furtivement à quelques
expositions collectives. On appréciait grandement ce peintre-poète venu
de Roumanie (il avait conservé un accent rocailleux et sonore) qu'on
allait voir, aux beaux jours, dans son repaire de Lacoste (au
château du marquis de Sade). Il avait été un illustrateur de
quelques uns des auteurs les plus audacieux comme Georges Bataille ou
Francis Ponge, mais aussi des surréalistes et, tête de pont de cette
navigation en haute mer de la pensée flamboyante : le marquis de Sade.Il
inventait des figures d'écorchés (ayant lui même écrit de très beaux
textes sur le problème) et tailladait des héros de l'enfer. Admirable
graveur, il faisait sortir de "l'eau forte" des fantômes de derrière
les miroirs. André Breton l'avait chaudement adopté dans son cercle
d'intime en même temps que son ami et compatriote Victor Brauner.
La cour d'école de la poésie.Sensible
à l'esprit des lieux on est, au Soleil dans la tête, attentif à toute
entreprise de restitution d'un itinéraire qui souligne ou explique une
oeuvre, et souvent l'illustre. René Guy Cadou a, de surcroît, le mérite
d'apporter une voix (et une voie) nouvelle à la poésie, surtout que
dans les années 5O alors que l'on apprenait la mort prématurée du poète
à Louisefert on recueillait les souvenirs et les témoignages de
tous ceux qui avaient animés l'Ecole de Rochefort ( du nom du village
où Cadou, nommé instituteur fédérait les oeuvres de ses amis Jean
Bouhier, Marcel Béalu, Jean Follain, Lucien Becker, Luc Bérimont,
Michel Manoll, Jean Rousselot).Cécile Guivarch offfre sur son site Franco Semailles un sobre mais sensible itinéraire René Guy Cadou qui reste vendéen.Millas
Martin, l'éditeur de bien des jeunes poètes à cette époque là, avait
édité un très précieux recueil autour de cette Ecole de Rochefort qui y
associait aussi l'énergie d'un jeune poète Michel Ragon et l'adhésion
du peintre Roger Toulouse qui restera toujours attaché à l'esprit du
groupe, et à sa mémoire.
C'est
bien la poésie présente que René Rougerie sauve de l'ignorance et donne
à lire dans des ouvrages traités "à l'ancienne". Il faut lire
l'émouvant ouvrage qu'il a lui-même écrit pour expliquer son parcours
(voir sur google le site René Rougerie). Se situant dans la lignée des
"grands", comme GLM ou José Corti, il accuse le caractère artisanal qui
donne un charme supplémentaire à ses livres. Impossible de retracer
toute l'histoire de cinquante ans d'un activité jalonnée par la
révélation, la réhabilitation ou la sauvegarde d'oeuvres historiques
comme celles de Pierre Albert-Birot, Andrè Suarès, Joe Bousquet
et de contemporains de Jean l'Anselme à Marcel Béalu.Il
a été aussi l'imprimeur de la revue Sens Plastique (une trentaine de
numéros dans les années 6O) . Dans le merveilleux petit village de
Mortemart il pérennise une "mission" aujourd'hui de survie face à la
déchéance culturelle victime de la mondialisation et de la bourse. Ils
sont quelques uns, artisans, qui se battent pour donner un sens aux
mots, vitaliser des élans souvent juvéniles et se faire les protecteurs
d'un patrimoine littéraire en danger. On en reparlera.
Max Bucaille le promeneur des rêves.Rien
en lui, modeste professeur de mathématiques à qui j'avais rendu visite
(je crois avec le poète Jacques Boursault) dans son petit pavillon de
banlieue (à Créteil) ne pouvait laisser supposer l'étonnant
inventeur de rêves qui s'est affirmé dans l'art du collage, un peu dans
le voisinage du Max Ernst de "Rêves d'une petite fille qui voulait
entrer au Carmel". Bucaille
avait surtout travaillé avec les poètes du groupe de La Main à Plume
qui, pendant l'occupation, a maintenu l'esprit surréaliste dans un
Paris gris et écrasé de honte. Il était le complice amusé et savant
d'un Noël Arnaud dont il sera question un jour, tant a été capitale son
intervention dans la lecture, la diffusion et la reconnaissance
d'écrivains marginaux. Et l'élaboration d'une oeuvre poétique qui
rendait son hommage à Alfred Jarry.Max
Bucaille invente des images puisées dans les vieux magazines, les
gravures du Magasin Pittoresque, il créé ainsi un monde savoureux et
insolite, étrange et porteur de toutes les dérives imaginaires
possibles.
La Tour de feu si bien nommée.Toute l'équipe de
la Tour de feu ne répugnait pas, ayant quitté les bocages parfumés de
Jarnac, et ses eaux sinueuses, la fréquentation du Soleil dans la tête
où la revue était soigneusement mise en valeur, tant étaient séduisants
ses sommaires, et surtout parce qu'elle affichait une indépendance
d'esprit qui était dans la politique même de la librairie et surtout
parce que la Tour de feu, tout comme le soleil dans la tête, était un
peu le carrefour des esprits, plutôt portée à la polémique mais
soutenue par de vaillants guerriers de l'esprit. Comment ne pas évoquer
Adrian Miatlev, le plus combattant, portant haut et d'insolence sa
verve critique et sa parenté avec des esprits libres comme Antonin
Artaud ( il y aura d'ailleurs un numéro Artaud qui fera couler beaucoup
d'encre) et Gaston Chaissac, le plus étonnant graphomane de cette
génération, poussé par l'isolement dans lequel il s'était astreint.
Hommage à lui avec cette légendaire photographie de Robert Doisneau qui
est bien là dans une famille d'esprit. A la barre de cette
aventure unique, le tonnelier-poète Pierre Boujut d'ailleurs grand ami
de Gaston Chaissac, affichant, comme lui, la suprématie de la province
sur un Paris trop marqué par des préjugés, des coutumes de clan.
On l'aura bien vu, à partir de la Tour de feu ( tour de guet),
c'est tout un horizon de l'esprit qui se révèle. On aimait bien monter
à son sommet.
André Laude, notre poète maudit.Il
en fallait un, du moins, à lire la presse qui a signalé sa mort, (en
1995), on croirait qu'elle s'enchante de saluer un homme qui a souffert
et donné sa souffrance à partager à travers la poésie. Elle en tire, il
est vrai, des accents terribles, entre cris et caresse car il y a, chez
André Laude, une sorte de confiance accordée à la nature, au réel
partagé dans l'amour. Ceux
qui l'ont connu, ont partagé son quotidien, savent qu'il ne cachait pas
sa souffrance, parfois en sculptait son visage et entrait ainsi, encore
vivant, dans la légende. On le croisait au Quotidien de Paris où il
était venu rejoindre une équipe assez volontiers portée à célébrer la
poésie et respecter les poètes. Il en joua, en abusa, et avait du mal à
entrer dans la peau d'un journaliste. Il avait pourtant "une plume"
ardente, bien éloignée des banalités et du conventionnel, témoignant
ainsi qu'il est possible de concilier journalisme et littérature. Il
faut se reporter sur son oeuvre, assez bien clarifiée dans les éditions
de ses poèmes (voir sur google à André Laude). Ceux qui l'ont connu
n'oublieront pas qu'ils ont côtoyé un personnage de légende. Finalement
attendrissant au delà de ses excès.Le peintre Nitkowski a admirablement traduit cette dualité : sauvagerie et sensualité, du poème d'André Laude
Varennes au galop.C'est un des premiers ouvrages d'André Castelot et brillant par le ton, précis dans le détail et ouvrant déjà très largement sur l'aspect jusqu'alors un peu négligé de l'Histoire qu'on appellera la petite parce qu'elle entre dans l'intimité de ceux qui font l'événement et donnent sa particularité à l'époque où ils vivent."L'incident" rapporté est bien connu, c'est celui de la fuite de la famille royale du palais des Tuileries, et après une journée folle, son arrestation, dans la petite ville de Lorraine, Varennes qui y a acquit son renom. Ce ne sont que grincements des ressorts d'une lourde berline, galop des chevaux, une comédie "bourgeoise" parmi les têtes couronnées, entre pathétique et ridicule, et l'épanchement à l'excès des sentiments comme l'époque les aimait. On est dans une comédie dont les décors auraient été dessinés par Greuze avant de l'être par quelque plume plus acérée et noire d'un de ces terribles pamphlétaires qui crachent leur venin sur une reine qui fut arrogante et futile et un roi versatile et peu à même de mener une société qui chavire vers un meilleur destin.L'Histoire a une nature romanesque qu'il est séduisant d'exploiter, donnant chair et sang à des figures figées d'ordinaire dans la rigueur des chronologies, le développement des thèses et des spéculations arbitraires. Ce frisson de la vie (de la mort) s'annonce chez Michelet qui donne un rythme passionné à ce qui est, avec lui, une fabuleuse aventure des hommes, une saga furieuse et superbe. On l'a suivi dans l'esprit de l'épopée et pour sa dimension "poétique", mais on y ajoutant les détails, les aspects autrement dérisoires s'ils n'entraînaient pas, dans leur sillage, notre destin collectif. Les miettes du quotidien deviennent aussi importantes que les grandes batailles, les traités entre nations.
Man Ray, un voisin de la rue Férou.A
l'ombre, ou presque, de l'église Saint Sulpice, la rue Férou a des
allures d'impasse d'une ville de province. Une très discrète porte
s'ouvre dans un mur bas sur l'atelier de Man Ray. Je l'ai connu froid,
l'artiste vivant dans la plus grande pauvreté et une quasi solitude. Il
rangeait mélancoliquement ses photographies qui sont devenues,
aujourd'hui, la proie des musées. Sur les murs, dans une demi
obscurité, quelques tableaux. Man Ray avait, toute sa vie, souffert
qu'on les néglige, faisant passer le photographe en première ligne. -
Je suis un peintre, s'obstinait-il à dire, au restaurant des
Charpentiers, tout proche, où il emmenait ses rares amis. Il m'avait
fait l'honneur d'envisager de me faire un dessin pour un recueil de
poèmes qui devait s'intituler La Chambre haute et qui ne paraîtra
jamais. En revanche, il m'avait donné un beau dessin, d'un trait ferme
et cursif, dédié à la mémoire de René Crevel que je pus utiliser lors
de la publication du numéro de la revue Temps Mêlés consacré à
l'écrivain. Chez Posterrshop fr. une lithographie ci-contre.
16h31 - UBU Jarry, un voisin
-
Général
Alfred Jarry au coeur du labyrinthe.Evoquant
le labyrinthe, je ne pouvais imaginer trouver meilleur Minotaure que le
fameux, farceur, prodigieux, insolite, inquiétant, pathétique,
volubile, savant enfant de Laval (il y est né an 1873). Non qu'il
faille tuer ce Minotaure là, mais s'affronter à lui "pour ne pas mourir
idiot". On le dénichait d'abord dans des trouvailles de vieilles
éditions avant que le Collège de Pataphysique dynamise les recherches
savantes ( et souvent pointilleuses) qui devaient participer à sa
réhabilitation.Naturellement
le père UBU était dans notre placard, avec les balais (qu'il manipulait
avec une telle vélocité) mais on connaissait mal pour ne pas dire
totalement ses autres oeuvres (nombreuses). Le Soleil dans la tête se
trouvait dans un voisinage relativement proche des hauts lieux de la
virée parisienne de Jarry (rue de l'Echaudée pour le Mercure de France,
rue Cassette pour le logis coincé entre deux étages). On aimait
beaucoup jouer sur les voisinagesqui
entretiennent les bonnes relations, mêmes avec les morts. On
rencontrera ainsi en vol, Apollinaire et Man Ray, Verlaine et Jules
Laforgue.Jarry,
donc, agitant les oripeaux d'une salubre colère contre la sottise. On
ira lui serrer la main de temps à autres et trinquer au nom de la
terrible fée verte qui a tué Verlaine avant de le jeter dans la légende.
Allons dans les nuages.A propos de Boudin qu'il voyait peindre sur les plages normandes Baudelaire saluait les merveilleux nuages. Le
prenant aux mots, toute une génération de peintres, dans les années 60,
se livrent à une véritable investigation du ciel, ouvrant la toile aux
élans d'une main légère qui écrit les nuages, suggère la légèreté de
l'air et jusqu'à son parfum. Ce fut un formidable élan dont on suivait
de près les étapes à travers les oeuvres de visiteurs amis comme
Benrath, Duvillier, René Laubiès, Nasser Assar, Graziani, qui avaient,
pour défenseur auprès de l'opinion, le discret, subtil et énigmatique
Julien Alvard. Ca et là, à propos d'une exposition, autour de la revue
Sens Plastique qui prend leur défense et s'attache à leurs découvertes,
les peintres baptisés "nuagistes" vont influencer de plus jeunes
encore, des débutants, avec la perte inévitable en chemin de promesses
non tenues, de carrières brisées. Mais c'est une belle et tumultueuse
histoire. On en trouvera ici, des échos. Aujourd'hui tout cela est
passé dans l'Histoire, entre les mains des théoriciens. Pourquoi pas
?
Benrath, le nom d'un château.Un
jour, faisant du tourisme en Allemagne, la critique Julien Alvard
pilote un jeune peintre portant nom plutôt banal, hors il fallait lui
choisir un "nom de guerre". Passe un autobus portant sur son flanc le
nom de Benrath, haut lieu du tourisme local.Ce sera ton nom déclare Julien Alvard et Benrath est né. Il est mort en Avril dernier, le nuagisme perdant l'un de ses fleurons.C'était
un être fluet et délicat, aimant fouiller parmi les livres, épluchant
les poèmes pour y trouver des titres à ses tableaux ; très attiré par
le romantisme allemand il allait vers les horizons les plus angoissés,
se faisant chantre de crépuscules d'une ample et superbe théâtralité.
La peinture peut être littéraire sans rien perdre de ses lois et, au
contraire, trouver un pouvoir suggestif et prenant au delà des formes
énumérés, les ayant refusées et allant vers l'indicible, le défi du
voir sur le senti, du définitif sur l'allusif, le furtif, le fuyant.
Benrath est au coeur d'une peinture qui se cherche de nouveaux espaces,
une nouvelle définition, et cela d'autant plus précieuse que l'heure
est au renoncement de la peinture pour le simple choix, l'agression de
l'objet brut, une réalité contraignante. Il va entraîner avec lui toute
la génération des nuagistes. On y reviendra.
André Blavier, le ludion belge.Frappait d'abord
son allure, celle d'un ludion malicieux, sortant d'une boite et
jubilant, avec des temps de réflexion (alors il tirait sur sa pipe et
lançait un mot).Il m'avait largement ouvert les pages de sa revue
Temps Mêlés ce qui apporta quelque baume au coeur du troufion égaré
dans la guerre d'Algérie. On avait, au Soleil dans la tête,
d'excellents et constants rapports avec le groupe agité des poètes
belges. C'est une tradition, la Belgique n'en déplaise à Baudelaire,
est un pays favorable à l'essor de la poésie (et de la peinture). On en
prenait le pouls, on en partageait l'enthousiasme et pratiquement tous
les acteurs de cette fabuleuse aventure, franchirent la porte de la
librairie. Restons en à Blavier, l'un des plus singuliers. Cet
étonnant bibliothécaire de Verviers vivait parmi les papiers, les
livres, ce désordre sympathique du chercheur passionné et il retrouvait
au Soleil dans la tête cette "odeur du livre", comme on parle de
"l'odeur de la femme". C'était un sensuel du livre, un fou du papier et
des fous des mots, d'où son prodigieux travail sur les fous littéraires
qui l'assurent de l'éternité des amoureux des arts marginaux.Se rapporter aux nombreux et excellents sites de référence.
Les passages parisiens Bernard
Delvaille, piéton inspiré de Paris avait accompagné d'un texte de
circonstance (et parfois agréablement auobiographique) les
photographies de Robert Doisneau autre piéton de qualité. Cet amour des
passages poursuit la littérature depuis leur création dans la première
moitié du XIX° siècle. Gérard de Nerval les aura connus dans leur
pleine gloire encore qu'il n'en fasse pas une mention particulière dans
ses textes, quand Aragon et les surréalistes en font un éloge appuyé et
bien ratifié par l'excellence des textes qui les évoquent. Pourtant le
Paris des passages est bien celui de Nerval (celui de Louis Philippe)
et celui du photographe Atget qui n'a pas manqué de les photographier
et de les inscrire dans son répertoire d'une ville en mutation, et
pourtant, ici et là, figée dans la mémoire de son lourd et riche passé.Lieu
de retraite autant que de déambulation, le passage est surtout un
espace d'une lumière très particulière :"ce faux jour qui naît du
conflit des lampes aux vitrines et de la clarté blafarde du plafond
permet toutes les erreurs et toutes les interprétations.." dira Aragon.
"Il reste seulement dans ces passages un peu de poésie, la poésie
de la verrière et de la vitrine, la poésie d'une serre dont l'ornement
serait fait non d'orchidées, de floxinias ou de cinéraires, mais de
jouets d'enfants, d'instruments de musique et de toutes sortes de
brillants objets qui vont de la carte postale à gratiné miroitant aux
séries vivement colorées de nos timbres coloniaux." On n'est pas loin
de Gérard de Nerval.