L'histoire d'un livre.Il était dans les caisses de "Farfouille" (passage Verdeau) où je vais assez souvent me fournir en ouvrages d'occasion. Fort volume, couverture noire, un nom d'auteur qui m'est inconnu : Christophe Deshoulières. Un titre qui en revanche ne dit rien du contenu : Madame Faust. Ce qui m'avait attiré, sur le quatrième de couverture, c'est l'énoncé qui situe l'auteur : Christophe Deshoulières, né en 1961 à Genève ; incarcéré au collège Saint Stanislas de Poitiers en 1971, transféré au Lycée Henri IV en 1978, détenu à l'Ecole Normale Supérieure de la rue d'Ulm de 1981 à 1986 ; depuis il est en fuite. C'est cette fuite qui m'avait fasciné. Parti sans laisser d'adresse.Ayant aimé son livre je lui écrivais chez son éditeur (Julliard)"Comment vous joindre puisque, si j'en crois le quatrième de couverture de votre livre, vous avez disparu. Et pourtant je m'y obstine parce que la lecture de votre livre m'a positivement sidéré, (oui, sidéré, c'est à dire rivé sur les mots comme il arrive qu'on le soit sur une image, un souvenir). Voilà donc, en mots, un panel (que le mot est vilain) de personnages qui prennent consistance et vous entraînent dans leur sillage. Surtout cet archéologue de Poitiers dans lequel je sens tellement un calque, une projection, une appréhension de ce que je me crois, tout en étant bien loin de lui, tant par la situation sociale que la qualité intellectuelle dont il peut se targuer.Ecrivant moi-même, et avec quelles difficultés, je pressens que j'aurai créé le même personnage, j'en aurai conçu la même fascination pour la texture du passé qui nous colle à la peau, et pèse à l'âme.Vous direz-je encore que je suis plus attiré par la grâce des mots que leur contenu, grave défaut de futilité, et, de fait, ma culture est assez peu conformiste (mauvaises études, cancrerie accentuée de délires solitaires (je préfère la solitude de Lautréamont à la carrière officielle de Victor Hugo) c'est dire que je mets dans la balance le comportement de l'écrivain, son mode de vie, à égalité avec son talent, pensant que le talent c'est aussi une manière de vivre, de voir la littérature. Je m'égare. Vous dire pourtant que votre livre me laisse dans un état bizarre. Dévié de toute attitude logique dans la rôle du lecteur. J'ai l'impression d'avoir trouvé au fond d'un tiroir d'une commode oubliée depuis des générations, un manuscrit qui aurait échappé à toutes les mises en ordre de la littérature. Ce n'est pas un Manuscrit trouvé dans un chapeau (monsieur Salmon), mais au fond d'une bouquinerie des Passages, ma promenade quotidienne. Merci à la jolie bouquiniste".Souvenir donc d'un livre qui avait des allures de monolithe chu depuis une planète lointaine et auteur perdu dans le domaine des ombres.Hors, google m'apprend qu'il a publié d'autres ouvrages, qu'il a une existence d'auteur professionnel, et même un visage (le charme de Lautréamont fut longtemps de ne pas en avoir !). Et son livre connaît une suite. Curieusement je n'ai pas trouvé l'envie d'aller m'y promener.