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lettres de la campagne

posté le 30-11-2010 à 10:01:41

La nostalgie d'Utrillo.

Les rapports que l'on peut avoir avec la peinture d'Utrillo dépassent (ou défient) les critères esthétiques que d'ordinaire on peut établir avec l'art. D'où, sans doute, son incroyable succès et la qualité de "tendresse" qu'il inspire car il entretient le caractère sentimental que l'on peut attribuer à un lieu. Il est un puissant éveilleur de notre mémoire la plus secrète, la plus intime.Ayant, enfant, longuement parcouru ces rues, ruelles et coins tranquilles de Montmartre, je suis tout naturellement et particulièrement sensible à cette imagerie si fraîche et spontanée, donnée sans l'once d'une théorie qui d'ordinaire pèse sur la création et l'oblige à entrer dans des critères. Elle s'invente ses propres critères, les trouve comme dans une sorte de somnolence favorable à l'exercice du rêve et de la nostalgie. Le pinceau d'Utrillo est paresseux, il s'attarde sur les choses, restituant l'errance d'un regard sur des vieux murs, des choses discrètes et qui entrent dans nos mythologies personnelles. On a souvent l'impression de déjà vu, et comme une rencontre douce et merveilleuse avec un passé qui flotte en nous et nous attache à une terre, des relations humaines, peut-être une once de bonheur que l'on retrouve. Et pourtant, oh paradoxe, Utrillo exprime une certaine nostalgie, une mélancolie prégnante et qui fait tout son charme.
 


 
 
posté le 30-11-2010 à 09:48:07

Maurice Barrès en procès.

Les années 20 seront celles où l'on va assister à la tumultueuse métamorphose de dada en surréalisme. Celui-ci gardera de dada le ton d'invective, la saine insolence, et la plupart de ses artisans qui se regroupent autour d'André Breton dont le souci sera alors de codifier cette énergie, de lui donner une sorte de label de garantie.Dada était, par sa définition même, un mouvement de crises successives, d'adhésions enthousiastes, de conflits internes.Il y aura les fameux tracts qui participent grandement au renouveau de la typographie qui s'y fait inventive, les expositions qui mêlent hardiment poésie et arts plastiques (c'est le début de la mise en contestation de la toile et de la peinture comme seul support), et des manifestations assez largement suivies par un public qui aime s'y faire chahuter.Cela tenait de la conférence et du monôme d'étudiant, avec son mélange d'approximation, de provocation et un enthousiasme qui vaut par lui-même parce qu'il remet sainement en question des problèmes, des réputations, des idées fausses. S'en prendre aux gloires du moment est toujours suivi du scandale qu'on y cherche, et de la remise en question des idées que l'on y conteste.Le choix de Barrès est significatif.Barrès n'était point le grand homme incontesté dont la mise en accusation eût entraîné dans l'opinion un tollé général rapporte Michel Sanouillet le meilleur spécialiste du mouvement. On lui reprochait son "jusqu'au-boutisme" aveugle,  son patriotisme qui avait si fortement pesé sur l'opinion, même la droite (teintée de catholicisme) lui reprochait ses débuts d'esthète dandy.Un "tribunal" est constitué. André Breton en assume la présidence flanqué de deux assesseurs venus de son entourage amical, dont Théodore Fraenkel (un ami de collège). Ribemont-Dessaignes est l'accusateur public, et Aragon le défenseur (ce qui le met dans une position délicate mais qui est bien dans l'ambiguïté de  certaines de ses positions futures). Viennent les "témoins", le bloc des amis sympathisants, dadaïstes et futurs surréalistes : Tzara, Jacques Rigaut, Benjamin Péret (qui fait une retentissante apparition en se grimant en soldat allemand), Marguerite Buffet-Picabia, Pierre Drieu la Rochelle. Mais encore, dans un désordre qui trahit l'adhésion spontanée, peut-être le souci de se "brancher" sur l'événement,  on voit apparaître Renée Dunan (romacière prolifique, une sorte de Colette des bas-fonds), Louis de Gonzague-Frick, et singulièrement Rachilde (l'épouse du patron du Mercure de France Alfred Valette).En fait, le public qui chahute la manifestation et même la presse du moment ne voient pas la portée réelle de l'entreprise.  On la confond avec une sorte de facétie qui aura tourné court, et confondu plus volontiers avec un spectacle d'humour. On était loin des ambitions de Breton et de ses amis qui voulaient établir un catalogue de procès pour clarifier la pensée de l'époque. L'échec probant met fin à un des projets les plus ambitieux de ceux qui allaient retrouver une cohésion sous l'étiquette surréaliste.
 


 
 
posté le 29-11-2010 à 11:29:25

L'Utopie de Del Pezzo.

Le monde de l'art est bien capricieux, et ceux qui en tirent les ficelles (conservateurs de musée, commissaires d'expositions, grands marchands, commissaires-priseurs...) jouent des carrières des artistes comme s'il s'agissait d'une partie d'échec. L'échec touche surtout ceux des artistes que ce mouvement perpétuel abandonne sur le côté alors que le vent de la réputation souffle sur de nouvelles têtes.Un exemple (il y en aurait mille et pratiquement toute une génération se voit ainsi rejetée par l'actualité) Lucio del Pezzo. Il triomphait dans les années 70, sur un Paris qui fêtait à la fois le pop-art, le Nouveau Réalisme, la Figuration narrative (à laquelle il n'est pas tout à fait étranger) les derniers feux du surréalisme. Ainsi voit-on un André Pieyre de Mandiargues, reconnu par les surréalistes comme un des leurs, mais sorte d'électron libre qui va butiner sur un présent alors fort dynamique, qui s'engage pour Lucio del Pezzo dans lequel il reconnaît une sorte de frère en manieur de forme, inventeur d'espaces, plasticien à l'originalité affirmée.Un pied dans le surréalisme, un autre dans ces aventures plastiques qui mêlent plusieurs influences, ordonnent plusieurs références et inventent un monde cohérent, reconnaissable. Celui de Lucio del Pezzo est dominé par la géométrie, non pas celle, primaire, de l'abstraction du même nom, et qui cherche surtout des effets optiques,  mais celle qui pêche en terre de mystère. Il y a une vision fantastique de la géométrie, et Lucio del Pezzo l'a judicieusement placé sous le signe de l'Utopie.
 


 
 
posté le 28-11-2010 à 11:10:38

Wifredo Lam à Cuba.

On est à La Havane, dans le contexte d'un prestigieux voyage culturel organisé dans les années 1967 (je crois) où la France avait délégué quelques unes des personnalités les plus adaptées à rencontrer un effort culturel  voulu par Fidel Castro (il n'était pas à l'époque le dictateur qu'on a découvert par la suite).Je me souviens d'avoir vu Michel Leiris couper de la canne à sucre avec une belle énergie, et Marguerite Duras jouer de son charme (en avait-elle ?). Toute une génération de peintres réunis autour du Salon de Mai (qui à l'époque était une sorte de baromètre de la vie artistique) y conçurent un vaste mur peint (chacun avait son atelier). Il y avait là Jacques Monory (qui prenait force photographies) l'italien Peverelli, Bernard Rancillac (si franchement engagé dans la peinture politique) et surtout Wilfredo Lam, un enfant du pays. On aimait à Paris ses végétations figées comme celles du douanier Rousseau, mais épurées jusqu'à la racine de la lumière qu'elles concentraient en leurs structures. On avait rencontré ce peintre à la galerie Pierre (Loeb), ce formidable découvreur de talents.Il représentait  cette force magique invoquée par André Breton qui le soutiendra avec lyrisme et lui reconnaîtra une dimension surréaliste.(sur la photo Lam au centre Pierre Gaudibert à droite).
 


 
 
posté le 28-11-2010 à 11:05:25

Christophe Deshoulières est revenu.

L'histoire d'un livre.Il était dans les caisses de "Farfouille" (passage Verdeau) où je vais assez souvent me fournir en ouvrages d'occasion. Fort volume, couverture noire, un nom d'auteur qui m'est inconnu : Christophe Deshoulières. Un titre qui en revanche ne dit rien du contenu : Madame Faust. Ce qui m'avait attiré, sur le quatrième de couverture, c'est l'énoncé qui situe l'auteur : Christophe Deshoulières, né en 1961 à Genève ; incarcéré au collège Saint Stanislas de Poitiers en 1971, transféré au Lycée Henri IV en 1978, détenu à l'Ecole Normale Supérieure de la rue d'Ulm de 1981 à 1986 ; depuis il est en fuite. C'est cette fuite qui m'avait fasciné. Parti sans laisser d'adresse.Ayant aimé son livre je lui écrivais chez son éditeur (Julliard)"Comment vous joindre puisque, si j'en crois le quatrième de couverture de votre livre, vous avez disparu. Et pourtant je m'y obstine parce que la lecture de votre livre m'a positivement sidéré, (oui, sidéré, c'est à dire rivé sur les mots comme il arrive qu'on le soit sur une image, un souvenir). Voilà donc, en mots, un panel (que le mot est vilain) de personnages qui prennent consistance et vous entraînent dans leur sillage. Surtout cet archéologue de Poitiers dans lequel je sens tellement un calque, une projection, une appréhension de ce que je me crois, tout en étant bien loin de lui, tant par la situation sociale que la qualité intellectuelle dont il peut se targuer.Ecrivant moi-même, et avec quelles difficultés, je pressens que j'aurai créé le même personnage, j'en aurai conçu la même fascination pour la texture du passé qui nous colle à la peau, et pèse à l'âme.Vous direz-je encore que je suis plus attiré par la grâce des mots que leur contenu, grave défaut de futilité, et, de fait, ma culture est assez peu conformiste (mauvaises études, cancrerie accentuée de délires solitaires (je préfère la solitude de Lautréamont à la carrière officielle de Victor Hugo) c'est dire que je mets dans la balance le comportement de l'écrivain, son mode de vie, à égalité avec son talent, pensant que le talent c'est aussi une manière de vivre, de voir la littérature. Je m'égare. Vous dire pourtant que votre livre me laisse dans un état bizarre. Dévié de toute attitude logique dans la rôle du lecteur. J'ai l'impression d'avoir trouvé au fond d'un tiroir d'une commode oubliée depuis des générations, un  manuscrit qui aurait échappé à toutes les mises en ordre de la littérature. Ce n'est pas un Manuscrit trouvé dans un  chapeau (monsieur Salmon), mais au fond  d'une bouquinerie des Passages, ma promenade quotidienne. Merci à la jolie bouquiniste".Souvenir donc d'un livre qui avait des allures de monolithe chu depuis une planète lointaine et auteur perdu dans le domaine des ombres.Hors, google m'apprend qu'il a publié d'autres ouvrages, qu'il a une existence d'auteur professionnel, et même un visage (le charme de Lautréamont fut longtemps de ne pas en avoir !). Et son livre connaît une suite. Curieusement je n'ai pas trouvé l'envie d'aller m'y promener.
 


 
 
posté le 28-11-2010 à 10:36:46

Plaidoyer pour l'éclectisme.

Dans le milieu artistique des années 1970-90 il était mal venu de se montrer éclectique ou du moins, l'affichant, de risquer la mise en marge pour raison de futilité invoquée, dénoncée.Un mauvais souvenir :  ma gestion du Pavillon Français de la Biennale de Venise (1978) où j'osais se faire côtoyer des artistes sans aucun rapport de tendance, de style, de référence, et considérant, au besoin, le recours à la peinture de chevalet comme un but qui acceptait le voisinage d'artistes résolument "anti-peinture" et privilégiant les nouvelles techniques, l'art dans ses développements les plus nouveaux (voire, la référence à Duchamp le situait dans une chronologie qui avait déjà la couleur du musée).Elevé dans une totale adhésion au surréalisme (qui sera suivi de rencontres avec la plupart de ses artisans) je m'octroyais le droit d'aller voir sur d'autres terrains, et pourquoi pas ceux qu'ici on baptisait de ringard et qu'ailleurs on vénérait.D'un côté, une vieille tradition montmatroise (Carco, Utrillo, Max Jacob, Mac Orlan) qui était dans l'esprit de ma famille, et de l'autre ce flamboiement de la peinture surréaliste que suivra bientôt (dans les années 50) la tyrannie de l'abstraction. On perdait beaucoup de sa crédibilité quand on osait se glisser dans l'esprit d'un  abstrait qui avait la fibre du combattant (Mathieu, Hartung, les géométriques de la galerie Denise René) et dans le même temps célébrer la force d'un Gromaire, l'élégance mystérieuse d'un Goerg, la vélocité d'un Lapicque, sans oublier la génération des grandes figures du XX° siècle en ses débuts : Braque, Vlaminck, Pascin, Derain. Kandinsky chasse-t-il Roger de la Fresnaye ? L'orthodoxie tant vantée exigeait que l'on adhère à une chapelle et évite les autres. Etant de nature vagabonde et réfutant toute contrainte (surtout intellectuelle), je jubilais (non, je trouvais tout naturel) de fouler les plates bandes réservées à des spécialistes qui tenaient fort à leur exclusivité. On ne peut (on n'aurait  pas le droit) d'invoquer dans le même élan Wols et Dunoyer de Segonzac ! Les choses vont empirer dans les années 70 quand l'art pop va triompher et imposer une nouvelle esthétique, au demeurant d'une portée capitale pour une compréhension sociale de l'art et son insertion dans le vif du réel.Aujourd'hui règne la plus grande confusion, et sans doute, un sentiment de malaise, l'art ayant perdu tout repère et se précipitant  dans sa décadence.Baudelaire l'avait annoncée.
 


 
 
posté le 22-11-2010 à 14:13:36

J.K.Huysmans et Jan Luyken.

Tout comme Goncourt, Huysmans est un formidable découvreur de bizarreries d'art, dénichant des artistes peu connus du grand public et répondant à ses fantasmes. Sans doute met-il Gustave Moreau au sommet de cette anthologie, s'attardant avec délectation sur les ambiguïtés de cette oeuvre à laquelle il trouve des correspondances avec l'univers de Baudelaire. Mais il va plus loin dans son investigation en annonçant le graveur Jan Luyken dont il contemple les gravures dans l'accrochage aussi méticuleux que codé de la thébaïde de Fontenay aux Roses qu'il a inventé pour son personnage de des Esseintes dans "A Rebours". A travers lui il évoque la série des "Persécutions religieuses" de Jan Luyken : "d'épouvantables planches contenant tous les supplices que la folie des religions a inventés, des planches où hurlait le spectacles des souffrances humaines, des corps rissolés sur des brasiers, des crânes décalottés avec des sabres, trépanés avec des clous, entaillés avec des scies, des intestins dévidés du ventre et enroulés sur des bobines, des ongles lentement arrachés avec des tenailles, des prunelles crevées, des paupières retournées avec des pointes, des membres disloqués, cassés avec soin, des os mis à nu, longuement râclés avec des lames".Une suspecte délectation dans la précision, une sadique et bizarre insistance entretenant chez son personnage une maladive et débilitante fascination.
 


 
 
posté le 21-11-2010 à 15:12:16

L'appartement de Kienholz

Il faut situer la chose dans son contexte. On est dans un musée (impossible de me souvenir lequel, à Londres ? Amsterdam ?) et passant d'une salle à l'autre avec cette désinvolture propre au touriste (on visite toujours mal  un musée quand on y va dans un esprit de touriste qui avale des kilomètres d'information en luttant contre le temps quand la visite d'un musée demande une approche lente, réfléchie et dans une disponibilité qui est interdite au touriste toujours pressé).C'est à la fois une aventure de reconnaissance d'oeuvres que l'on connaît et que l'on reconnaît sur la cimaise, et dans le meilleur des cas, des découvertes.Après quelques confirmations qui nous rassurent (la présence, par exemple,  des témoins de notre modernité : Pollock, Matisse, Soulages, Poliakoff ...) on se trouve sans bien savoir pourquoi dans une pièce au décor atroce (papier peint déchiré, meubles en loque, grisaille et morbidité) et progressant dans cet itinéraire tracé au travers des salles du musée on se trouve comme prisonnier d'un appartement du type de ceux que les médias nous montrent pour dénoncer le problème du logement dans notre société. Non que le décor soit celui de la misère, pire encore c'est celui d'une lente déchéance. Un décor qui vous colle à la peau et vous désole tant il en dit long sur la misère morale de ceux qui sont condamnés à y vivre. Renseignement pris (car l'astuce c'était de cultiver l'ignorance de l'identité du lieu) on apprend qu'il s'agit d'une oeuvre de Kienholz. Artiste américain qui s'illustra dans la composition d'environnements banalisés et conçus à partir d'éléments empruntés à la décharge publique. Des meubles d'un autre âge, des objets insensés et sans grâce. On pénètre par effraction dans un appartement dont la banalité n'est pas exempte de perversité. C'est la mesure de la création de lui avoir donné cette allure de désolation qui est comme une signature, la preuve d'un regard. Celui de l'artiste qui intervient sur l'objet pour lui donner sens.Kienholz aura été l'un des premiers à signer ainsi un espace (on aura en France Christian Boltanski qui procédera à la reconstitution de lieux habités dans un esprit "muséal"). L'artiste pénètre à l'intérieur d'un lieu habité pour lui arracher sa vérité. Par un inclination naturelle à donner une vision pessimiste de notre époque, et la volonté de donner à voir ce qu'elle peut avoir de décadent, il signera des "installations" qui  ressemblent à sa vision désenchantée de notre société. Pour mieux en dénoncer la caractère inhumain.Inventant des enfers de poche.
 


 
 
posté le 20-11-2010 à 11:43:07

Flippeur.

Et voici la danse des billes de métal dans les fins couloirs de plexiglas, et le hoquet des filles qui sourient bêtement, échassières de haut vol, sur l'écran dressé du flipper, le ciel du lit. Jambes effilées, cuir en atour, sexe à l'avenant. Leurs sourires font la pose dans une onde de lumière sur la nappe luisante des vitrines où se plaquent, en rythme processionnaire, les automobiles encombrant la rue toute entière absorbée par ces jeux en reflets de vitres et de miroirs.On est dans un espace ludique où les mondes se mélangent.La femme n'est qu'un objet dans les buts ; la bille d'acier, agile, est l'image du désir, de la violence de l'impact. Cliquetis du métal et soubresauts du corps du joueur qui épouse la danse d'acier. Le but est de gagner le nombre de points suffisant pour faire clignoter le chiffre magique en sa fenêtre.Subtilement dévoilée, grimée, costumée, fardée, provocante en ses vêtements, la femme est toujours une image emblématique, western ou Mac Do, faisant appel aux objets concentrant les fantasmes masculins, de violence, de force, de virilité comme les motocyclettes ou les voitures de course. Descendue des affiches publicitaires, voisine des slogans dans les magazines vantant les produits de consommation. Elle est l'objet de consommation qui mène le monde des vivants. La fuir c'est se condamner, être dépossédé du pouvoir d'échanger, de participer, d'être  au coeur du monde.Elle influe sur la pratique de l'amour autant que sur des critères de séduction qui le préparent ou y invitent. A travers elle une société construit un code de beauté, un catalogue de désirs, une anthologie de ses divinités.`Femme d'acier et de pacotille, elle règne sur les rumeurs persistantes et désordonnées du café. Donnée à tous, promise et dérobée.A l'image de ces filles à vendre, derrière leurs vitrines qui tricotent ou écoutent, en caressant une peluche, des chansons sirupeuses en attendant le client qui la contemple dans son irréalité d'icône, retrouvant la ferveur avide des pèlerins traversant des contrés par tous les temps, pour venir faire leurs dévotions devant l'image d'une sainte dans sa niche, dans la profondeur ombrée des églises.Contrairement à celle qui est condamnée au trottoir, et piétine devant une porte cochère, trop vite offerte, exposée aux injures autant qu'aux intempéries, la fille publique réfugiée derrière sa vitrine, est protégée autant qu'exposée. Promise mais dotée encore du pouvoir de surseoir dans ce que le client attend d'elle. Le petit rideau quelle tire lorsqu'elle est à l'ouvrage peut l'être en un moment de détente. Il joue pour beaucoup dans la ressemblance avec un autel, ainsi que les lumières savamment étudiées qui tiennent tout à la fois de l'intimité du boudoir et de la mise en vitrine d'un objet à vendre.Entre la figurine du flipper et la fille en vitrine il y a des liens secrets et confraternels qui augurent d'une société où l'on consommera le sexe par symboles interposés comme on consommait de la piété par des statues et objets divers mis à la disposition des foules.
 


 
 
posté le 19-11-2010 à 14:27:24

L'élégance de J.E.Laboureur.

Illustrateur abondant et toujours inspiré J.G. Laboureur est largement mêlé à la littérature de sa génération et du XX° siècle triomphant avec ses grandes figures que sont Colette, Giraudoux, André Maurois, Gide, Valéry Larbaud, Anna de Noailles, Paul Jean Toulet. Il aura fait ses débuts dans l'amitié qui le liera à Apollinaire et Marie Laurencin (photo). Après des voyages d'initiation (en Grèce en particulier) il subit l'influence du cubisme, travaillant dans le voisinage (et l'estime) de Picasso, Juan Gris et Braque.Allégeant la forme, déliant la ligne moins descriptive que purement allusive et musicale en sa vibration, ses cadences, cette sorte de légèreté qui fait tout le charme de son approche du réel qui laisse sa part à l'imaginaire.Longtemps, une élégante aquarelle de Laboureur resta en vente au Soleil dans la tête sans trouver preneur. On se décida à la garder à titre personnel, et c'est ce jour là qu'un visiteur, qui ne laissa pas son nom, emporta, l'ayant payée en espèces, la merveilleuse petite image qui  m'avait tant fascinée.
 


 
 
posté le 19-11-2010 à 10:14:15

Manet dans La Serre.

Aux riches demeures bourgeoises on ajoutait pour la délectation de ses habitants une serre qui servait de salon. Un espace intermédiaire entre la tiédeur du foyer, son confort et la légèreté du jardin, ses lumières, sa transparence végétale bruissante. L'ameublement y était à l'image de l'usage qu'on en faisait d'ordinaire. Pour le repos, les conversations badines, la rêverie. Des plantes vertes, d'abondance, généralement y croissaient, formant des murailles frémissantes, de doux reposoirs où, parmi les verts soutenus des feuillages, se poursuivait la ponctuation allègre de fleurs vivement colorées. Parce que c'était l'espace privilégié d'un quotidien doucement relâché, d'aisance et de nonchalance, c'était l'espace de la femme condamnée à l'époque à survivre dans les limites du foyer, les soins de la maison.Son espace, et l'écrin de ses charmes les plus secrets. Elle n'y était pas en représentation mondaine, ni contrainte  à des travaux qui altéraient ses attraits. Rendue à elle-même et pleinement en accord avec cette vie végétale dont elle se sentait solidaire et qui participait à son propre rythme de vie.Des rapports de la nature avec la femme qui en est souvent l'ornement le plus évident, ceux qu'implique la végétation en serre (le mot dit tout) sont les plus proches de ceux d'un tout jeune enfant découvrant son environnement (et qu'elle invitation à l'exotisme, à l'aventure de lointains voyages qui lui sont interdits ). Une atmosphère de nursery. En douceur. C'est une végétation choisie, autrement entretenue, exigeant des rites quotidiens pour sa préservation ; si proche de la femme qui en a la charge, qu'il se créé un jeu d'osmose dont elle est parée au final comme le montre le tableau de Manet :  "La serre".Comme la peinture académique dispose des nymphes tournoyant en rondes joyeuses dans une fraîche clairière, le peintre dispose une femme que l'on dirait sortie du décor végétal dans lequel elle s'encadre avec  tranquillité, un apaisement d'icône. A l'écoute du bavardage, comme l'enfant est à l'écoute des grandes voix du monde qui viennent jusqu'à lui.
 


 
 
posté le 18-11-2010 à 11:05:41

André Billy piéton de Paris.

Il faut peu de choses pour que notre attention se porte sur un écrivain. L'évocation de son nom suffit, en un endroit donné, en un moment clef, pour qu'il s'inscrive, dans notre mémoire en toutes lettres. Et nous voici à la chasse des preuves que notre intérêt n'est pas vain.André Billy figure aux côtés d'Apollinaire dans son aventure éditoriale. Il est de ceux qui font  vivre, avec lui,  "Les Soirées de Paris", dans cette fièvre qui précède la première guerre mondiale, accouche du XX° siècle en fanfare. Billy brille de tous ses feux. Il est aux avant-postes de l'aventure poétique.Nombre romans (sont-ils lisibles aujourd'hui), mais surtout de riches et substantielles biographies de Balzac, Diderot, Sainte-Beuve, les frères Goncourt, Stendhal, Max Jacob, l'abbé Prévost,  lui donnent cette assise par quoi s'affirme aussi une personnalité par ses choix. Il se créé une famille d'esprit, dans laquelle on peut avoir le désir de s'intégrer.On peut voir sa maison à Barbizon, la plaque qui la désigne donne une certaine dignité à une propriété autrement modeste et villageoise. Mais Barbizon est entré dans sa vie comme Saint Cyr sur Morin était entré dans celle de Pierre Mac Orlan (un autre de ses amis). Billy navigue dans son siècle avec l'aisance de celui qui a toutes les curiosités. Er comme quelques uns de ses amis (dont Léautaud), il est aussi un piéton de Paris.  Ses propres souvenirs sont étroitement mêlés à la ville dans ses recoins pittoresques et son quotidien magnifié par le pouvoir des mots.  La poésie s'est nourrie des miettes qui font le quotidien de la vie de chacun, c'est être poète que de les voir, de les "dire". On est sans doute loin des grandes épopées, des monuments qui refondent le monde, et ouvrent l'esprit aux grandes choses qui, d'ordinaire, nous échappent. Mais on peut aussi adhérer à de plus modestes propos. Ils sont comme le murmure de notre coeur  en déroute.
 


 
 
posté le 17-11-2010 à 11:15:31

Charlotte Corday.

Pour le dictionnaire de "La femme flambée".De sa descendance de Corneille elle ne pouvait que revendiquer une attitude de noblesse d'âme et de passion dévastatrice, en serait-elle directement victime.Le contexte politique de son époque prédisposait une vocation qui ne pouvait se construire que sur un engagement moral, un destin à dimension historique. Il lui restait à trouver un partenaire à la mesure de sa soif de se dépasser. Sans Marat elle serait restée une sorte de Bovary du civisme, enfermée dans les limites étroites d'une province encore profondément imprégnée de catholicisme et de traditions que les membres de sa classe perpétuaient. Elle va se crucifier au nom de l'Amour de la Patrie, en défiant celui qui revendiquait  les mêmes ambitions, mais en jouant sur le registre de la mort, de la violence justicière. Charlotte Corday, dans un destin fortifié par une enfance qui ne pouvait que l'y préparer (tout comme celle de Jeanne d'Arc) va s'immoler sur l'autel du patriotisme que tout le monde autour d'elle invoque, mais qu'elle gravit dans le sang  du sacrifice d'elle-même. Sorte d'Iphigénie d'une Nation qui se cherchait.
 


 
 
posté le 13-11-2010 à 16:14:01

Le Déjeuner sur l'herbe.

Si les versions qu'en donnent Manet et Monet sont les mieux connues,  la pratique du déjeuner sur l'herbe est une des constantes de la vie sociale d'une époque qui découvrait les nuisances de la vie citadine et promotionnait la campagne comme espace de plaisir.L'Impressionnisme est totalement dominé par cette mode au succès de laquelle il n'est pas pour rien. Manet y fait passer un caractère sulfureux, parce que sa toile a une volonté de démystifier  le sujet trop longtemps confondu avec quelque divertissement mythologique. Il a rejeté les dieux et regardé ses contemporains, des hommes et des femmes avec lesquels il a des rapports humains et sentimentaux. Il peint autant un moment que des relations entre des individus "qui se laissent aller" devant nous. La femme y est piquante par l'audace de sa nudité tranquille face à des hommes habillés en tenue de ville.Un modèle sans doute si proche de la courtisane alors, et toujours femme de plaisir. Cet écart vestimentaire souligne le rôle qu'elle joue dans l'assemblée. Donnée, sans nuance, au plaisir des hommes. C'est la même que l'on retrouvera sur son divan, attendant le client, et Olympia n'est plus la déesse d'un Olympe lointain, mais la putain la plus ordinaire dans l'exercice de son métier.Le déjeuner sur l'herbe vu pas Monet est plus familial. Et petit bourgeois. Il confère à la femme un rôle plus complexe, même si l'idée du plaisir n'en est pas absent.Mais il s'étiole dans la badinage.On est là dans le voisinage de l'Embarquement pour Cythère. Entre gens conversant, flirtant, laissant à la femme sa liberté de propos, d'une attitude qui n'est plus celle, exclusive, de la prostituée, mais d'une proche en un moment de plaisir partagé, plus aimable que sulfureux.Le déjeuner sur l'herbe est une parenthèse dans la vie d'un monde de travailleurs.La société citadine est cadrée dans des rites où les moments de détente ont leurs usages. Le succès croissant des bords de la Seine (et de la Marne), la multiplication  des guinguettes, restaurants, et lieux de plaisir associés aux sports nautiques et à la danse, entraîne toute une société à se réunir dans ce climat admirablement cerné et immortalisé par Guy de Maupassant (et les films de Jean Renoir).Il devient le cadre d'intrigues sentimentales, comme le salon dans l'univers proustien, et comme l'était le parc quand Watteau ou Lancret en  étaient les chroniqueurs.De la proximité suave d'une nature ordinaire la femme perd quelque chose de son prestige et de son mystère, elle y gagne en fraternité, charme et convivialité.Contrairement à la nature de fiction des scènes mythologiques, celle des impressionnistes est si franche, si réaliste, que la femme ne peut être une déesse, le cadre lui manquant.Elle est ce personnage quotidien, familier, qui entretient une vision de l'amour vidé de toute culpabilité. Parce qu'il est un amour sans péché, un amour sans atours ni  théâtralité, dans la continuité de la vie quotidienne.extrait de "La femme flambée de la Sainte Vierge à Brigitte Lahaie"
 


 
 
posté le 12-11-2010 à 14:44:00

Croquis parisien sur les traces de Lautréamont

Croquis parisien.Valentin s'est installé au café Bréant à l'angle du Boulevard et du faubourg Montmartre. Il va secouer l'arbre aux souvenirs et sortir les fantômes. La café Bréant, c'était le lieu de réunion de tous ceux qui, autour de Flaubert, faisaient assaut d'esprit, de Tourgueniev à Sainte-Beuve en passant par cette peste de Goncourt à la plume venimeuse.A ses côtés une dame d'un certain âge (où situer la certitude de l'âge ?) compulse avec nervosité un guide de Paris et semble s'égarer dans les pages. Venue de loin ? Une supposition ?  C'est d'une sous-préfecture  fière de sa cathédrale (choeur roman, nef gothique) qu'elle s'est octroyé un séjour dans la capitale, avec la bénédiction du mari (notaire, médecin, quelque chose qui tient de ce qu'on appelait autrefois les notables) trop heureux d'avoir, le temps de son absence, les coudées franches pour revoir les copains, peut-être ébaucher quelque marivaudage avec une jeune personne qui aura retenu son attention, (rêvons !). C'est dans les sous préfecture que se concoctent les meilleures des intrigues qui, autrefois,  inspiraient les François Mauriac, et des rangées entières de romanciers faisant vibrer la corde des sentiments à l'ombre des clochers.Elle regarde autour d'elle. Saisissant la bruit qui vient, par vagues, à la poussée de la porte galonnée de cuivre sur laquelle il est inscrit, comme une invite, Café, bières, portos, et qu'un poivrot pittoresque se  plaît à ouvrir avec une gestuelle de grande cour aux consommateurs assez distraits pour ne pas s'en étonner.C'est une petite tranche de vie urbaine, comme Valentin les aime, et qui le distrait de sa tâche, car il est venu, là, soit-disant, pour écrire. Il a ouvert son cahier à la page consacrée aux derniers jours de Lautréamont dont il a surtout retenu qu'il les a vécus dans la plus grande solitude. Découvert mort dans sa chambre par un garçon d'étage, à quelques pas d'ici, dans un hôtel de seconde zone, de ceux qu'aiment les égarés dans la ville et qui y posent leurs valises le temps de leur séjour. Les automobiles d'aujourd'hui envahissent ce qui fut l'espace de ses errances habitées de fantômes assez étranges pour se transformer en bestiaire abominable. Mais, à y bien réfléchir, ces passants affairés ne sont-ce pas les animaux d'un bestiaire urbain qui cherche son nouveau Lautréamont !
 


 
 
posté le 12-11-2010 à 10:24:43

Montmartre sans Mimi Pinson.

Mimi Pinson n'est plus, les lorettes (un peu plus bas dans le quartier) ont déjà travaillé à sa disparition (l'argent prenant la place du rêve), et c'est jusqu'à sa maison qui a disparue, l'argent des spéculateurs ayant dévasté un souvenir (un mythe !) au nom de la rentabilité du territoire qui est devenu une vitrine d'un art de vivre que l'on décline sur le ton de la nostalgie.Enfant déjà, tenant par la main un vague cousin familier de l'endroit, je découvrais un territoire chahuté par des appétits qui lui étaient étrangers. Un vieux village cédait peu à peu la place à des immeubles dont le nombre d'étages garantissait une plus value appréciable. Il faut avoir le nez fin ou être conduit pas un instinct miraculeux pour découvrir encore, bien cachés, des jardinets de province, et de guingois, des maisonnettes qui ont gardé quelque chose de leur passé campagnard.On vend du rêve à Montmartre, et des légendes. Même la peinture qui est l'argument de son succès est la pire, la plus infamante au regard de ce que l'on peut attendre d'elle. Pourtant Montmartre a été, en d'autres temps, un berceau de l'art qui s'aventurait hors des sentiers battus, des conventions en usage.On le sait, par une sorte de glissement insidieux, les ateliers des plus grands sont allés se planter à Montparnasse, laissant, sur la Butte, des rues montantes et malaisées, des souvenirs vendus en gadgets, des moulins qui semblent de fantaisie, des touristes affairés à piéger des leurres. Mimi Pinson n'a plus sa place,
 


 
 
posté le 11-11-2010 à 16:04:03

La Revue Fantaisiste et le berceau du Parnasse.

Plus encore que revue d'une génération, la "Revue fantaisiste" fut celle d'un mouvement. Créée par Catulle-Mendès en collaboration avec Leconte de Lisle, elle participe largement à l'émergence du mouvement des Parnassiens, les émules de "l'art pour l'art" qui se reconnaissaient comme des héritiers de Théophile Gautier. S'y retrouvent (les fameuses réunions chez Alphonse Lemerre dans l'entresol du passage  Choiseul ) Théodore de Banville, François Coppée  et surtout José Maria de Hérédia dont le salon, animé par ses trois filles, va devenir un haut lieu de la vie poétique de l'époque.C'est dans la Revue fantaisiste que Baudelaire va publier ses notes d'art et militer pour la reconnaissance de Wagner (dont il partage avec Catulle Mendès l'admiration) il sera lui-même le lien entre le Parnasse et le Sybolisme, et l'on voit alors la mise en place du courant qui porte Verlaine et Mallarmé sinon en théoricien du moins en "chef d'école".Dans sa continuité la Revue Fantaisiste s'appuie sur un illustrateur d'une remarquable verdeur imaginative : Rodolphe Bresdin. Champfleury l'avait surnommé "chien caillou", soulignant la mode de vie d'une sorte de misanthrope , farouchement indépendant, et ne relevant d'aucune esthétique de son temps, créant la sienne faite dans l'ardeur graphique qui interroge (et invente ) de mystérieuses contrées où joue admirablement le noir et blanc de l'eau-forte qu'il pratique avec une grande autorité (Odilon Redon fut son élève).  On a pu le comparer à Charles Meryon, autre inventeur d'espaces (ceux-ci inspirés par un Paris hanté). Bresdin restera seul dans son monde, entre folie imaginaire et appui réaliste largement transposé.
 


 
 
posté le 11-11-2010 à 11:11:12

Le piéton mélancolique.

Le monde de l'art d'aujourd'hui est décidément bien coincé dans ses habitudes, ses préjugés, son snobisme. Il s'engouffre dans des promotions (souvent douteuses) sur des oeuvres contestables (voire nulles) et en  néglige d'autres abandonnées au bon vouloir de ceux qui, l'appréciant , militent pour elles, et il n'est pas rare qu'une telle reconnaissance se fasse à la mode posthume.Un cas. C'est celui d'un peintre "lyonnais" (ce n'est pas une qualification mais une notation géographique - on a voulu créer une "école lyonnaise", c'était enfermer l'artiste dans une portée régionaliste fort préjudiciable à son essor et sa reconnaissance), ce qui tout au plus signifiait qu'il n'avait pas songé à se risquer au tumulte parisien qui peut broyer les plus sensibles.Réfugié dans son atelier de Saint Romain au Mont d'Or, Henri Lachièze Rey va oeuvrer dans une manière de solitude qui le porte vers une peinture de caractère intimiste.Philippe Jaccottet qui comme tout poète se penchant sur le phénomène de la création en perçoit la part la plus essentielle, peut dire : "Lachièze-Rey n'est pas un peintre du silence, comme Morandi, C'est plutôt un peintre du murmure ou de la rumeur ; il y a dans ses tableaux une espèce de parole qui, pour être sourde, contenue, n'est  nullement faible ou incertaine".Rumeur car, outre des portraits et de nus, il a donné maintes visions urbaines plutôt fermées, allant dans des lieux de sociabilité ouverte et hasardeuse, comme les cafés. Lieux clos mais théâtre d'une étrange et murmurante cérémonie, car il s'en dégage une sorte de questionnement, dans l'ondulation des nuques, les silhouettes lourdes. S'il s'en tient à des sujets "réalistes", il n'hésite pas à s'engager dans des traitements de la matière qui, la privilégiant, la porte au premier plan du visible. La réalité n'était plus que prétexte à d'étonnants exercices qui rejoignent la liberté de l'abstraction. Sa vision de la ville est d'une étonnante originalité, elle traduit l'émotion (la sensation) dans le moment même de son exécution. Une approche totale, vertigineuse, avec le sujet, comme pour s'y fondre. avec, mais juste esquissée, une pointe de mélancolie comme en a tout piéton urbain qui y voit le jeu de la lumière suivre celui du temps, basculant vers les ombres, en passant par les demi-teintes, car, piétonner dans les rumeurs de la ville, c'est s'enfoncer dans sa propre douleur.
 


 
 
posté le 10-11-2010 à 11:10:22

Des jardins pour le plaisir.

Dans la grande métamorphose des jardins au XVIII° siècle, repoussant la rigueur jugée froide des plans de monsieur La Notre, la grand architecte du parc de Versailles, le peintre intervient au nom du pittoresque. Il apporte à la culture d'une nature rendue à son expansion seulement maîtrisée, les détails anecdotiques avec des allusions aux courants à la mode, philosophiques, et surtout marqués par la découverte de l'Orient.On y trouve aussi bien Carmontelle (pour le parc Monceau à Paris), Hubert Robert (un peu partout, et même à Versailles rénové par Louis XVI), et Fragonard comme à l'Isle Adam où il introduit un pavillon Chinois récemment restauré (photo de Lili Flori - voir son blog fort plaisant ) L'art des jardins est alors très proche (et dépendant) de la peinture dont il est le décor privilégié, pour l'exercice d'une rêverie (solitaire, voulue par Jean-Jacques Rousseau à Ermenonville), d'une allusion littéraire, ou de quelques plaisantes suggestions galantes. Le jardin n'est plus comme avec Le Notre le théâtre des pompes monarchiques ( et voulues grandioses)  mais porté aussi à l'intimisme, une façon aimable, voire nonchalante d'aborder la nature.Les "fabriques", ces constructions parsemées sur des parcours créés dans le déroulement du jardin, sont autant de reposoirs pour l'esprit autant que pour le corps, prenant la suite des relais de chasse qui vont devenir des étapes de la galanterie (chaque seigneur y a une sorte de garçonnière ). Ainsi s'organise une architecture qui n'aura d'autre utilité (et fonction) que de charmer et de s'inscrire dans le culte de la réflexion ou de plaisir, les deux n'étant pas contradictoires. Car, en cette période de l'émergence d'une intelligence sans frontière ni préjugé, plaisir et pensée sont les deux piliers d'une vie dégagée des vieilles contraintes de la morale.
 


 
 
posté le 09-11-2010 à 17:16:03

L'alcôve de Fragonard.

Dans l'alcôve.Fragonard, qui les fréquentait, y lutinait les filles faciles, arrachées avec de grands rires à leurs taches ménagères et précipitées sur des couches moelleuses où elles aimaient à s'attarder en jouant avec leur chat. C'est le règne de l'alcôve.D'un pinceau aussi leste que le trait d'esprit que souvent il traduit, la cascade du rire et les caresses légères et sans conséquence, l'instant bref d'un plaisir partagé et sans péché, Fragonard croque des femmes d'une innocente impudeur, d'une tranquille et insouciante audace à jouer avec leur corps.Il est comme une plante frémissante aux rivages d'une eau calme mais bruissante à l'approche d'une barque. Dans ce climat si charmant de plaisir où une idée de campagne traîne toujours avec le ingrédients de la ville, les lumières de soupentes, les rumeurs proches de la rue, les portes qui battent et que l'on ferme d'une main aérienne et preste pour mieux saisir  comme une proie un corps qui s'offre sans trop de résistance.Maître en la matière Fragonard invente des personnages que l'on dirait sortis, de Marivaux ou des pages bucoliques  de Bernardin de Saint Pierre. Avec cette impertinence que partagent alors les gens bien nés et ceux qui remuent à la base et, bientôt, vont brandir les fourches de la Révolution. Car on est dans une société où s'effondrent les barrières jusqu'alors bien tenues par les donneurs de morale. On refuse la morale, on se livre sans calcul à ses instincts. On est léger et imprévoyant, comme entraîné dans une folle aventure. Pris de vertige. L'alcôve est ouverte, elle ne se refermera pas. Cherchant progressivement ses personnages. Ceux qui sortent, encore sanglants des désordres révolutionnaires.Ils se dresseront dans une feinte dignité au nom de l'Empire. Madame Récamier est bien au carrefour de cette volupté et de cette rigueur en retour, au nom de l'intelligence et de la volonté du paraître gagnant toute société qui, sortant de la fange, se doit de se draper de dignité.Rôle difficile à tenir et qu'elle endosse au nom de l'esprit dont elle fait grand cas.Le XIX° siècle finissant ne l'oubliera pas qui n'aura plus besoin de jouer la dignité mais cultivera à son tour l'esprit, et l'humour de surcroît.Nina de Callas, telle que le voit Manet dans "La Femme à l'éventail", est bien de celles qui mènent salon, le sien marqué par la bohème, le passage intempestif de génies agités par le vent d'un penser nouveau, de Charles Cros à Verlaine.On s'agite encore dans les alcôves où la volupté n'est plus la seule monnaie d'échange. On y doit aussi cultiver la contestation, l'attentat aux bonnes moeurs. La société secoue les générations de rigueur consentie, de pesante réserve (celle du Premier Empire), elle fait feu de tout bois et éclate en morceaux. Les jeux de l'amour ne sont plus dictés par Marivaux, mais Guy de Maupassant, avec une pointe de cynisme, une froide lucidité. On se fait des masques à l'humeur du moment.  Il découvre la violence de la modernité.
 


 
 
posté le 09-11-2010 à 13:49:50

L'extase des sens.

Elle était "la divine" pour ses amis et admirateurs, à en croire les dédicaces apposées sur leurs ouvrages qu'on a retrouvé dans sa bibliothèque et qui ont fait l'objet d'une vente publique après sa mort. D'identiques formules apparaissent, témoignant d'une "profonde admiration" et de "ferveur", de "dévotion", Henry Becque allant jusqu'à lui décerner un titre "d'impératrice" (de pure fantaisie) et d'Annunzio, dont le verbe avait l'éclat tapageur en écho à sa propre vie, constituée par une série d'attitudes, hausse le ton jusqu'à la qualifier "la divine".Ainsi dotée d'un palmarès d'adoration, Sarah Bernhard va traverser son siècle entre afféterie et pâmoison, extravagances et déclamations. Portant l'amour sur scène avec une fougue si entière, si ostentatoire, si appuyée, qu'elle entraîne les foules bien qu'elle ne soit  qu'un tic de comédienne, une vue de l'esprit. Ne pouvant exister que manifesté dans l'épanchement gestuel, une théâtralité satisfaite, exagérée et frappée du sceau fastueux de l'emphase poétique. Elle se compose une silhouette conforme à son rôle, tour à tour hiératique et "modern style", avec Mucha, alanguie et fatale avec Georges Clairin (qui fut aussi son amant). L'importante iconographie qu'elle a inspirée, offre les multiples facettes de la féminité telle que la voulait la société "fin de siècle", à la fois conventionnelle et dépravée. En position ambiguë parce qu'elle règne sur le monde du théâtre qui est l'antichambre et parfois l'alibi de la galanterie (que de cocottes y font leurs débuts), et qu'elle mène une vie fastueuse comme une femme entretenue, mais qu'elle impose aussi un réel talent qui l'arrache au servage de l'alcôve. Galante, elle ne le sera pas par nécessité, son talent suffisant pour l'imposer, mais par une passion mal contenue de sens, fut-elle de l'ordre de l'esprit surchauffé par le goût de l'extase et le culte de toutes les sensations.Dictionnaire de La femme flambée.
 


 
 
posté le 07-11-2010 à 20:55:20

L'écriture éclatée de Tinguely.

La pratique de la correspondance s'articule, chez Tinguely, sur un temps long (la réflexion, les accidents du quotidien, un ami qui vous interrompt !), alors il épingle les lettres "en cours" sur un mur, les nourrissant, peu à peu, moins dans une continuité graphique qui est de l'ordre du commun, mais en ajoutant, çà et là, de menues choses qui prennent sens dans l'espace ainsi créé, en un jeu subtil de concordance (oserait-on dire, sans vouloir faire de l'humour, de "correspondance"), et comme une avancée labyrinthique dans ce qui devient une véritable oeuvre d'art, écriture et dessin se mêlant en une parfaite harmonie.Le quotidien y imprime sa trace, et la mobilité de la pensée y trouve son médium.Curieusement, on s'aperçoit que son oeuvre de sculpteur (l'effet d'assemblage qui est au coeur de sa démarche) s'y annonce, s'y profile. Ce serait déjà des machines folles en attente d'exploser, de s'agiter, comme ces merveilleux épouvantails qui font fuir les oiseaux et enchantent notre imaginaire.Même l'écriture éclate, se construit des niches, des repaires, des espaces autonomes, chacun ayant sa respiration propre. Heureux correspondants !
 


 
 
posté le 06-11-2010 à 21:43:04

Sissi en Mimi Pinson.

Si le romantisme a inventé la femme fatale, Mimi Pinson entretient, au niveau des humbles, dans le droit, cycle de la littérature populaire, le mythe de l'amour badin. Il se cadre dans un environnement de convention, inventé par la misère, la croissance urbaine et le prolétariat. Une fenêtre sous les toits, des pots de fleurs, une cage et son oiseau. Une image-type perpétue une certaine idée du bonheur simple et tranquille. La romance s'accorde aux chants de la rue, aux promenades à la campagne, à un mobilier chétif et des repas de fantaisie. Pourtant, comme dans les contes de fées, dont Mimi Pinson est une sorte d'enfant du trottoir, l'attente du prince charmant est une finalité d'une vie humble mais nécessairement provisoire. Elle n'est admise que tout ce éclairage du temporel, du furtif. Elle n'admet pas le vieillissement. Une Mimi Pinson qui n'a pas rencontré son prince charmant est une future clocharde.La frontière est fragile entre le bonheur d'un instant, délicieux, et ce gouffre qui menace.Par une bizarrerie des caractères, et les fragilités de la nature féminine, l'esprit de la romance peut sauter au dessus des barrières sociales et atteindre, de plein fouet les individus apparemment les moins destinés à en vivre les affres et les plaisirs. Il y a du Mimi Pinson chez Sissi, pourtant impératrice et entourée de soins, d'attentions, et préservée de toute atteinte de la misère. Parce qu'elle romantise sa vie, vivant mal sa vie d'impératrice. Telle les personnages des Contes de fées, elle serait presque disposée à troquer sa couronne contre une soupente partagée avec l'homme de son coeur. La situation particulière que le hasard lui a façonné la conduit à moins chercher l'amour à travers autrui qu'à travers un égoïste culte de soi-même.Le flamboiement de sa fonction (nécessaire à sa pratique) se retourne contre elle, et elle se disperses en futilités, babioles précieuses, errances et cancans, batifolages et coquetterie (n'est-ce pas aussi le cas de la reine Marie Antoinette ?)Un état largement partagé par une classe de femmes saisies (enfermées) dans un état social et un destin qui leur interdit une liberté chèrement payée par ceux qui en connaissent la jouissance mais pâtissent, dans le même temps, des épreuves de la vie matérielle. Comme si la romance était interdite à ceux qui n'en peuvent payer le prix. Parce que c'est un jeu couteux.Toute romance déboucherait sur un échec ?
 


 
 
posté le 05-11-2010 à 20:38:30

La gloire posthume de Gaston Chaissac

Pourquoi toujours revenir à lui. Il est un exemple. Un modèle ?Ou bien la pratique de l'art est une manière de s'inscrire dans la société avec un label qui "porte bien" et souvent donne des droits et des prestiges, encore faut-il les mériter.Ou bien la pratique de l'art (sous quelque forme que ce soit), et une manière de vivre, de lui donner un sens, une orientation. Alors on fait son petit chemin sans trop songer à la promotion de ce que l'on produit.Il peut y avoir une forme d'orgueil a agir ainsi. Une volonté de s'afficher sans  chercher la gloire. Ou bien on se contente de celle qui émane du cercle étroit de ses intimes (familles, voisins, riverains). Tout être qui veut vivre ne peut s'exclure de la reconnaissance de son existence, et naturellement des formes qu'elle prend.Chaissac est un parfait exemple de cette ténacité à créer dans la plus totale solitude, sans négliger pour autant les petites satisfactions (si puériles) d'une reconnaissance locale. Une exposition visitée par le sous-préfet du coin (un personnage imaginé par Alphonse Daudet, souvenez vous du délicieux sous préfet aux champs des Lettres de mon moulin !) de quelque notabilité locale (elle se situe entre la médecine, le droit et la cure), et vous voilà reconnu. Moins sans doute que la gamine écervelée qui aura gagné à un jeu télévisé ou se sera risquée à chanter (mais du temps de Chaissac, cette folie n'existait pas encore). Il n'importe, dans sa solitude, l'artiste s'accroche à des babioles aussi dérisoires sans pour autant prétendre à une reconnaissance "nationale" (et que dire de celles qui atteignent la dimension de l'international !). Il aura raison Chaissac, dans sa solitude villageoise. Le temps a fait son travail. Il est aujourd'hui une sorte de gloire  de l'art moderne ( et d'une cote appréciable). Ce sont les héritiers qui en profitent, en gèrent le cheminement. Et pourquoi pas ?
 


 
 
posté le 05-11-2010 à 09:47:57

Femme au café.

Dans le prodigieux catalogue féminin dont Degas fait un large usage, les repasseuses ouvrent au regard un monde jusqu'alors peu exploré. La femme du XIX° siècle y est dans sa condition pitoyable, présentée non plus comme un objet de désir, mais une féminité brisée, soumise aux terribles lois de l'économie, du progrès qui l'a abandonnée aux basses besognes, aux offices, quand ses soeurs jouent les Nana dans les alcôves, dépouillant les hommes pour se venger.La femme se flambe aux désespérances qui la conduit, doucement, vers la lutte sociale avec, passage obligé, les stations dans l'enfer du quotidien.Le modèle de "l'Absinthe" de Degas est un personnage identifiable, connue par le peintre, qui a posé pour représenter moins sa propre histoire qu'une situation alors toute nouvelle. Jusqu'alors la femme ne fréquentait pas le café, sinon faisant étalage de sa condition de "fille de joie" dont le nom correspond si mal à sa propre vie."L'Absinthe" est une page de la vie moderne. Avec le café comme territoire de toutes les solitudes, des errances, des rendez-vous manqués avec le destin. La femme, avec son regard vague, de noyée, s'est brûlée aux feux de l'alcool. Elle est une sorte d'image (icône) en réponse aux beuveries solitaires, de son contemporain Verlaine, noyant ses peines d'amour, ses fâcheries avec l'insupportable Rimbaud, dans les cafés du Boul'Mich où il se forge une silhouette de légende sur son propre échec, sa propre déchéance. L'époque est aussi aux femmes chutant dans la clochardisation. Elles apparaissent  furtivement dans la littérature qui se veut moralisatrice, comme des repoussoirs. Sortes de version urbaine de la sorcière des contes de fées. Inspirant la terreur."L'Absinthe" est le seuil de cette quête à rebours, conduisant de la solitude à la mort solitaire. La femme s'est consumée, brûlée en dedans, par la cruauté de la société qui l'a rejetée.Extrait de "La femme flambée de la Sainte-Vierge à Brigitte Lahaie".
 


 
 
posté le 03-11-2010 à 14:36:36

Modèles-muses-Montparnasse.

On donne pour être Fernande Barrey ce modèle qui entre dans des séries de cartes postales galantes fort à la mode au début du XX°siècle, et portant la marque des critères de beauté qui sont encore ceux de la "fin de siècle" avec ses femmes aux formes généreuses. Fernande Barrey, venue à Montparnasse plus attirée par la liberté des moeurs qui y faisaient étalage, que la pratique de la peinture qui était la moteur d'une intense vie sociale, va partager les aventures sentimentales de celles qui sont entrées dans l'histoire de l'art par la porte de l'atelier et parce qu'elles y jouaient avec bonheur le rôle du modèle ( Kiki, la plus célèbre, Youki, qui deviendra madame Desnos et Fernande Barrey).Le peintre Foujita, venu du Japon, sera le mari de Fernande Barrey avant d'être celui de Youki. Il en fera de nombreux portraits et figurations de nues tout comme Modigliani (on dit que ce fut sa dernière peinture), ainsi que Soutine et Jean Agélou (qui passera de la peinture à la photographie "de charme"), c'est souligner combien la beauté un peu mystérieuse de celle-ci fut appréciée. Elle-même, et sur l'injonction des peintres dont elle était le modèle, s'essaiera à la peinture sans grand succès.
 


 
 
posté le 03-11-2010 à 09:45:14

Vénus de bazar.

D'abord le terrible portrait de l'atroce Jeanne Duval peint par Manet. C'est l'inspiratrice de Baudelaire, sa plaie vive. Des îles elle apportait le parfum capiteux, les mystérieux silences, les voluptés cachées.   Paris l'a blessée, vieillie avant l'âge et elle n'est plus qu'une sorte de poupée lascive, affalée sur un siège dans un désordre de mousselines, visage blafard, rongé. La mort peint sur elle ses stigmates. Elle a le regard vide de ceux qui, déjà, abordent les vertiges intérieurs. Droguée, la chronique renchérie sur les supplices qu'elle inflige au poète par sa veulerie, ses maladies qui n'en finissent pas. Son alcôve n'est plus celle du plaisir, enivrée des parfums de la volupté savante, mais étouffée de médicamentations. Le court chemin de l'alcôve au lit d'hôpital est une constance de cette "fin de siècle" énervée de fièvres malignes, de pulsions vicieuses, d'évanouissements suspects. On prépare l'itinéraire initiatique de la Dame aux Camélias. L'amour serait-il infailliblement puni par un Dieu qu'il offense. Comme Eve chassée du Paradis en raison d'une trop vive curiosité, la femme du XIX° siècle est chassée des plaisirs de l'amour par la maladie et la mort.Si le paradis est dans l'alcôve, l'enfer est à l'hôpital.Même dans sa fugitive splendeur Jeanne n'a jamais été qu'une Vénus de bazar. Aimée par Baudelaire comme un objet de plaisir, de curiosité. L'attrait des pays lointains, de l'Orient, de l'exotisme (pour tout dire d'un ailleurs) entraîne  ceux qui en on la possibilité, à exhiber comme des colifichets, esclaves soumises aux caresses professionnelles, ces perles rares des îles qui parent les salons de la bizarrerie de leur allure, de leur couleur, de leur odeur même qui a ces profondeurs troublantes que chante Baudelaire.Gauguin, lors d'un passage à Paris, aura sa Vénus exotique que l'on dirait sortie d'un de ses tableaux (elle y entre en fait), Pierre Louys ornera son salon d'une dulcinée aux silences expressifs, aux sourires ambigus, à la flexibilité suggestive, propre à passer en ombres canailles dans ses livres du second rayon.
 


 
 
posté le 02-11-2010 à 09:28:13

Entrée de Nadja.

Entrée de Nadja.On l'attendait, elle était aux portes de ce territoire qui se construit sur l'intensité du désir et l'incarnation d'un être dans son destin, face à la mort annoncée.Nadja, créature de hasard, portée au sommet de la légende, et si étroitement liée au paysage de la rue parisienne qu'elle a en conservé toute une poétique où se retrouvent les initiés, comme les servants d'un culte hors du commun.André Breton en a fait une figure emblématique en qui se résume l'intensité de l'amour (fou), autant que son désespérant naufrage. Elle est l'errante (une âme égarée à l'en croire) sans attaches, sans projet, au fil de son destin comme si, celui-ci, était une rivière qui entraîne ses victimes comme des noyés en sursis.C'est le regard de Nadja, fait d'innocence et de pénétration, qui conduit Breton dans un Paris qu'elle transforme (mais l'amour transforme toujours les lieux qu'il s'est choisi). L'amour est géographique parce qu'il trace son chemin sur cette carte du Tendre qu'est la ville dont il est le théâtre. Nadja, est la soeur du Piéton de Paris, sinon que, basculant peu à peu dans cette zone qu'on ne parvient pas à défricher totalement, sinon en s'y perdant, comme en forêt vierge, elle mène à  la folie.Elle va rejoindre, dans cet espace d'apesanteur, d'autres âmes trop lourdes pour des corps que menace le quotidien.La Place Dauphine  (photo jeancouleurs.blogspot.com) est, à en croire André Breton,  "le sexe de Paris", cadre d'une des scènes les plus riches de la magie qui baigne le texte de Nadja.
 


 
 
posté le 01-11-2010 à 10:15:53

L'attrait du lieu.

Il est des lieux que l'on dirait destinés à s'offrir à la poésie. A en être l'incarnation.En choisissant de s'y établir ( et comme à l'époque je l'enviais ! ) Henri Simon Faure avait trouvé à Oppède le vieux  l'espace le plus approprié à fermenter son oeuvre, qui d'ailleurs, va se  concentrer sur le lieu et lui donner une amorce pour la légende, car on va toujours vers les lieux qui nous semblent avoir été à l'origine d'une oeuvre. Quelle émotion d'avoir ainsi découvert La Roche et ses maigres témoins de l'aventure de Rimbaud. Adolescent je quêtais les lieux (aujourd'hui encore) croyant (est-ce vain ?) y trouver quelque chose de l'oeuvre qui en surgissait comme un miracle de la pensée, un moment de grâce.Les lieux ne sont pas innocents. Quelque chose d'une force qui échappe à la plupart va nourrir une oeuvre, lui donner son allure, sa nature, sa pâture. On pourrait en dresser l'inventaire. D'où l'intérêt  du travail de Bernard Vassor et de son blog : autour du père Tanguy.