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lettres de la campagne

posté le 28-07-2010 à 22:51:44

Une idée de promenade en passant.

Une idée de promenade en passant.
 


 
 
posté le 28-07-2010 à 22:37:53

L'autre est à mont (3).

La légende veut que, le jour où l'on érigea les deux statues dues au sculpteur Auguste Cain, qui représentent respectivement "Le lion et la lionne se disputant un sanglier", et "Rhinocéros attaqué par les tigres", on constata la disparition à part égale, d'un couple de lion, d'un sanglier, de trois tigres et d'un rhinocéros au Jardin des Plantes. Des recherches furent immédiatement entreprises, qui n'apportèrent aucun résultat. L'effroi fut grand dans la population que la presse mis en garde. Des témoignages commencèrent à affluer, de noctambules, et l'on nota quelques disparitions mystérieuses de jeunes vierges.Un témoin, déclarant avoir croisé le couple de lion benoîtement couché aux pieds de l'arc de triomphe du Carrousel, en s'attardant à quelques innocentes câlineries silencieuses.Le Rhinocéros fut aperçu sous les arcades de la rue de Rivoli. Le témoin oculaire l'aura remarqué d'assez loin, marchant tranquillement dans la galerie. Le temps mis pour être totalement convaincu qu'il ne s'agissait pas d'un  mirage mais d'une réalité aussi étrange que désagréable et périlleuse, le promeneur, s'approchant de l'animal  de constater, contrairement à toute logique, que c'est de dernier qui semblait manifester quelque effroi. D'ailleurs il abandonna sa promenade, traversant la rue, regagnât le jardin pour se coucher sur le socle où on peut le voir aujourd'hui. Vert du bronze dans lequel l'artiste l'a coulé. 
 


 
 
posté le 28-07-2010 à 22:34:41

Thomas de Quincey le mangeur d'opium.

Tenant du Journal et de l'aveu, les "Confessions d'un mangeur d'opium" se parent de cet aspect savoureux d'une écriture que l'on dira typiquement anglaise (dans le voisinage de Laurence Sterne) avec ce mélange d'intimisme, de réserve et ces pointes d'humour délicieuses qui situent le texte dans un espace de familiarité avec cependant une distance qui est celle de l'élégance.L'auteur passe d'un sentimentalisme que l'époque cultive (en France, Bernardin de saint Pierre et Jean Jacques Rousseau) à une précision d'analyse qui annonce la littérature d'introspection. Comme un médicament (il l'est aussi), l'opium se mesure. On est à la table du malade qui agence sa potion selon des normes précises (la pesée, le comptage des gouttes), on est devant l'alchimiste qui prépare le breuvage miraculeux (et maléfique) qui va le transporter dans ce territoire de magie et de magnificence, extraire la pensée de la pesanteur du corps, offrant, du même coup, une authentique méthode de maintien de son instrument de drogué.Manuel d'utilisation de cette arme qui le contraint autant qu'elle l'enchante. Et, dans un sursaut de lucidité, lui ouvre la perspective du prix à payer pour s'en sortir.Lucide devant l'usage de la drogue, Henri Michaux en fera aussi l'expérience, pour en dénoncer le caractère décevant.
 


 
 
posté le 28-07-2010 à 22:28:18

Thomas de Quincey et le rêve.

Les rêves de Thomas de Quincey sont d'une implacable précision, et comme peints. A vocation d'en mieux imposer la féroce agressivité.Ils errent dans un territoire qui, s'il est nourri, à l'en croire, d'un inconscient abreuvé d'images et de sensations perçues dans l'enfance (Proust au carrefour), n'en est pas moins, et comme pour en mieux magnifier l'incroyable solitude, cerné par l'enceinte du sommeil et où l'on pénètre par un portique d'une inquiétante splendeur. Celui-là même qu'avait invoqué Milton :ENCOMBRÉ DE FACES MENACANTES ET DE BRAS FLAMBOYANTS.On songera au portique annoncé par Nerval en ouverture à Aurélia.Suivra l'imprégnation du rêve sur la réalité (Nerval encore) et le sentiment de la chute dans les gouffres où s'accomplissent le miracle des mirage (Lewis Carroll) et la dilatation du temps et de l'espace.
 


 
 
posté le 28-07-2010 à 22:20:31

Léautaud le lit.

En marge de son Journal (littéraire) Léautaud en  rédigeait un plus confidentiel, consacré à ses tumultueuses aventures avec Anne Cayssac la "panthère", qui devient "Le Fléau" lorsque ces pages sulfureuses sont publiées après avoir été collationnées par la pieuse Marie  Dormoy qui devait succéder dans le lit encore chaud que le Fléau abandonnait. Histoires d'alcôves mais qui n'ont pas le charme léger, l'impertinence distinguée des grand libertins du XVIII°siècle volontiers portés à fanfaronner sur leurs conquêtes amoureuses. Avec Léautaud on change radicalement de ton. Il est pesant, geignard, volontiers, grivois et au final un peu répugnant.L'égocentrisme de Léautaud qui est un peu son "fond de commerce" et donne au Journal cette valeur particulière d'une introspection qui oscille entre la naïveté et l'impudeur, devient dans le cas des confidences érotiques qu'il se plaît à dessiner d'un trait de totale indécence, soit une provocation soit une complaisance vis à vis de ses atteintes à tout romantisme comme si l'amour n'était (il le dira quelque part) qu'un simple rapprochement des corps et une sorte de mécanique sexuelle qui n'a même pas l'attrait que peuvent lui donner ceux qui d'ordinaire se penchent sur le sujet. C'est à la littérature érotique ce que le cinéma pornographique est au cinéma  qui aborde le sujet avec délicatesse. (Anne Cayssac, à l'en croire, était séduisante (que de fois il note qu'elle est belle) mais avec une mentalité de petite bourgeoise avide, mesquine, tracassière, en somme une mégère. Léautaud ne peut échapper au plaisir qu'elle lui procure (bien partagé) et les soucis constants dont elle l'accable).
 


 
 
posté le 17-07-2010 à 15:45:15

Thomas de Quincey "at home".

S'il maîtrise ses rêves (comme Gérard de Nerval) et s'y plonge avec un ravissement effrayé Thomas de Quincey fait paradoxalement  l'éloge du bonheur au foyer en dévoilant tous les secrets d'un plaisir simple "at home". Il y voit le ferment d'une qualité des rapports sociaux. "Supposez qu'un cottage s'élève dans une vallée à 18 miles de toute ville - une vallée non des plus larges, mais longue de deux miles environs et présentant par là cet avantage  que toutes les familles qui résident dans ses limites composent en quelque sorte une seconde famille à vos yeux et suscitant, plus ou moins,  votre intérêt affectueux". Il décrit alors le cottage "blanc, enfoui dans un berceau de buissons fleuris, choisis de manière à dérouler sur les murs une succession de fleurs et encadrant les fenêtres tout le long du printemps, de l'été et de l'automne".Passant à l'intérieur il décrit ce qui est moins "le salon" qu'une bibliothèque "car les livres se trouvent être le seul bien  meuble pour lequel je sois plus riche que mes voisins". Il y ajoute , un bon feu et un mobilier simple et modeste "qui convienne au cottage sans prétention d'un lettré". Détail capital (et typiquement anglais) il y a la table à thé. Le rite du quotidien peut se dérouler grâce à la présence évoquée d'une "délicieuse jeune femme assise à la table" dont les bras sont pareils à ceux d'Aurore et les sourires pareils à ceux d'Hébé. Le mangeur d'opium qui compose son livre sur les affres de sa consommation, dans une alternance de bonheur et de douleurs, se montre ainsi avec son visage d'homme sentimental (il le sera à propos de la petite prostituée rencontrée à Londres), et mobilisé par les plaisirs de l'étude. Lui même, fort savant, prédit à tout homme épris de culture une vie plus clémente que pour celui qui s'égare dans le mythe des seules aventures.
 


 
 
posté le 15-07-2010 à 14:03:03

Piranèse vu par Thomas de Quincey.

Par Coleridge, son ami, Thomas de Quincey prend connaissance de la série des Prisons de Piranèse. Jamais il ne les nomme ainsi, et y voit plutôt un simple phénomène de vertige. Vu d'en bas, ce qui est une bien étonnante et audacieuse manière de le décrire.On y voit "de vastes salles gothiques" (de fait plutôt antiques, mais l'allusion au gothique rejoint l'esprit des romans "terrifiants" qui prenaient souvent pour cadre d' aventures incroyables, de formidables châteaux forts, des bâtiments qui inspiraient la crainte) et d'y faire une sorte d'inventaire de ce qu'elles contenaient, " toutes sortes d'engins et de machines à roues, câbles, poulies, leviers, catapultes qui exprimaient une énorme force déployée ainsi qu'une énorme résistance vaincue". Pertinente analyse du climat inspiré par ce déploiement de majesté hautaine et d'une incertaine situation historique. Etaient-ce des prévisions de combat (on est alors dans les coulisses) ou, au contraire, le résultat d'une défaite.Le cadre inscrit dans l'espace (et quel espace !), comme un metteur en scène, il fait entrer le personnage principal Piranèse lui-même. C'est un peu l'équivalent de Dédale visitant le Labyrinthe. Pour en être la victime? Thomas de Quincey nous décrit alors l'escalier (en fait une envolée d'escaliers) sur lequel (lesquels) Piranèse entreprend de grimper "à tâtons. "Vous constatez qu'il s'arrête soudain abruptement (sur un  palier) sans nulle balustrade, n'offrant à celui qui eût atteint son extrémité d'autre voie que les profondeurs béantes". Juste remarque soulignant combien le monde des Prisons est celui des vertiges et des béances, des chutes et de l'obscurité.Suivant Piranèse dans cette périlleuse ascension dans sa propre création on le déniche dans des hauteurs plus vertigineuses encore "au bord de l'abîme" et prenant un nouvel élan il se perd dans"les hauteurs obscures de la salle".Précisant enfin que "c'est avec la même faculté de se développer et de se répéter à l'infini que mon architecture procédait dans les rêves". Et des rêves de Thomas de Quincey  il y a long à dire.
 


 
 
posté le 14-07-2010 à 21:43:44

L'autre est à mont (2) Rivoli.

L'AUTRE EST À MONT (2).Il aimait la rue de Rivoli et son ballet nocturne où des silhouettes entr'aperçues se glissent entre les lourdes arcades avec des allures de poissons qui flottent dans les eaux troubles d'une nuit océane. Le jardin des Tuileries, lourdes algues immobiles, s'est calé dans sa masse sombre, encore qu'on la devine bruissante de souffles et de furtifs déplacements.Il ne s'y risque guère, craignant l'assaut des bêtes qui somnolent dans les bosquets. Il le sait, en plein jour, figées dans le bronze verdâtre, offrant leur dos rond aux enfants qui s'y vautrent comme sur quelque fabuleuse montagne miniature. Les lions et rhinocéros qui veillent aux entrées du jardin, discrètement, la nuit se lèvent, quittent leur socle de pilier pour s'étirer silencieusement et se mêlent aux promeneurs égarés qui font parfois les frais de leur curiosité et de leur imprudence.`Trouvez-vous, une nuit, face à la rue de Castiglione, à travers les grilles vous devriez voir, sur la terrasse, à cette heure déserte, la conséquence de ce phénomène. Le hasard, la chance, votre ténacité,  vous feront témoin de leur absence. Soyez sûr alors qu'ils gambadent sur le sol tendre du jardin, y laissant la marque de leurs lourdes pattes. On en a vu aller jusqu'à la Seine, se faufilant parmi les rares voitures qui empruntent à cette heure tardive, la voie sur berge.Animaux de bronze, ils bornent comme pour une parade pittoresque les longues marches usées, où Louis XVI, fuyant son palais en furie, et venant chercher un abri au Manège,  butât là, tant de fatigue qu'envahi par une rêverie étrange qui l'assaillait. Il voyait déjà comme en une vision divinatoire, sa tête brandie par une main vigoureuse et peu soucieuse d'étiquette, protégée dans son forfait par la tornade des tambours battus avec énergie par une double rangée de cavaliers qui tentaient de maintenir leurs chevaux anormalement énervés. Au loin, indistincte, confuse mais mouvante, une foule hilare, stupéfaite, assistait là à un spectacle inouï. Le massacre de ses idoles. ( à suivre )
 


 
 
posté le 13-07-2010 à 14:24:26

L'autre est à mont.

L'AUTRE EST A MONT (1).L'autre est à mont. Autre solitude. Celle-là dédaigneuse. Volontiers sujette à foucades, à colères, à gestes mal interprétés dans son entourage, ou perçus comme de la provocation. C'en est une. Encore qu'il y ait, chez lui, plus de réserve qu'il en montre. Et, surtout, un dégoût d'autrui qui est déjà une maladie.Aux sommets il aime s'attacher. Non pour le bon air, mais cette manière généreuse d'englober dans un seul regard, la totalité de la ville. Il en connaît bien les tranchées, les pentes, les creusets, les chutes, les cavernes, les sillons tracés à  vif dans la nuit, devinant que l'horreur a ses racines dans le val (la terre n'est-elle pas qu'une vallée de larmes ?), aux approches de l'eau qui y fait son lit d'infection.De toujours cohabiter avec l'air qui va et vient, fait des siennes avec le vent qui chante, et fait tourner les têtes faute de ne plus faire tourner les moulins, il s'enivre de chimères.Il est dressé comme un menhir face au vent marin, il ne voit que de sa hauteur. Il n'est pas ambitieux, simplement distrait. D'autant que, pour garder ses distances, il ne sort que la nuit. Il a pour compagnes les ombres. Elles ne le dérangent pas, elles sont froides, elles glissent parmi les monuments comme des souvenirs qui auraient pris corps. Il leur trouve un air de famille pour autant qu'il est maître de leur destin. Oubliant alors qu'il les invente. Et c'est ainsi que, s'oubliant, il se risquera à des errances dans les zones basses de la ville.Comment converser avec des fantômes. C'est son secret. C'est son art. Leurs méfaits sont étranges et il sera difficile d'en desceller les raisons. C'est leur protection.Soyez un criminel avec un mobile absurde, et vous serez couvert. Ce sont les mobiles bien agencés, c'est à dire logiques, qui vous perdent.S'il s'est donné un nom, il ne l'a pas déposé. Ses adresses sont de hasard. Ce qui le coupe du monde, en fait un éternel absent lors des recensements, des listes, des appels, des mises en rang. On lui aurait demandé son identité, sans rire il vous aurait dit : je suis celui d'en haut, du mont.Pour le trouver, comme le Minotaure, au plus secret de son labyrinthe (mais n'est-il, pas plutôt Thésée), le chemin était secret : un porche à vif, mais au sommet en arcade, dans un immeuble-falaise, noir de la tête aux pieds, une allée qui s'amorce parmi des poubelles, mais bientôt se pare de lilas, de seringas, d'acacias  reconduits de bosquet en bosquet derrière des grilles rouillées qui dessinent des jardins grotesques dans leur appellation tant leur taille est plutôt celui de terrasses. A même le sol l'arbre pouvait y croître du fait d'une bonne et vraie terre, même si l'espace qui lui était alloué était réduit.Quelques marches, allez savoir pourquoi, il n'y avait pas de caves et l'on pénétrait dans le genre pavillon quatre pièces, avec couloir central, escalier qui fait un coude brusque et accède à un premier étage mansardé. Le vent y gémit les soir d'hiver. De maison en maison, dans les environs, courent des bordures de céramique aux chatoiements bleuâtres et roses, dans une atmosphère de campagne ouvrière.C'est bien simple : il habitait un point de vue. Il regardait Paris comme le marin, depuis le pont, regard la mer, le départ des hauts et sombres navires, et la cohorte des petites embarcations qui se balancent au gré des courants et des vagues. Ca clignote, ça tournoie, ce sont les grands phares qui protègent les aéroplanes trop hardis qui se seraient égarés sur le toit tranquille de la cité où ne marchent pas les colombes.De fait, d'un logis planté dans l'espace, aux espaces d'errance qu'il se choisissait, il n'y a pas tant de différence, parce que la quasi solitude d'en haut avait ses échos en bas. C'est ainsi que je vois la déambulation nocturne de Lautréamont. (à suivre)
 


 
 
posté le 12-07-2010 à 15:06:42

Une histoire de poupée.

Une histoire de poupéesActe 1.Elle est la soeur de Marcel Duchamp, et la femme du peintre Jean Crotti. Ils habitent Neuilly. Oubli, expérience, banalité du quotidien ? Un livre est à l'extérieur exposé aux intempéries, derrière la fenêtre protectrice. Pluie, vent, temps en ses caprices moulent le papier, l'imprègnent, le momifient, le sculptent. Devant l'incident, à la question posée par la soeur à son sagace frère, que faire (de ce qui devient un déchet).- Une oeuvre d'art affirme celui qui n'en est pas à sa première expérience dans le genre récupération. Et d'ajouter- Elle traduit le souffle de la vie sur l'objet inanimé qui a bien une âme.Acte 2.Pierre Reverdy loge sur Cortot au sommet de la Butte Montmartre, dans l'intimité de ses caprices de terrain qui a conservé quelque chose de sa nature champêtre. Des rues en pente douce, qui tiennent du chemin forestier.A sa fenêtre Pierre Reverdy pend une poupée.De ces poupées en chiffon que les petites filles cajolent, enveloppent d'amour et de caresses. Préfiguration de leur destin de femme complaisante. Elles acquièrent à ce contact intime, quotidien ( nocturne ?) un aspect crasseux, des singularités anatomiques où sont marqués les mouvements d'humeur qui accompagnent des relations excessives, où se jouent, simultanément la tendresse et la rage. Un corps à sa merci. Modelé par ses caprices. Inerte mais à force de l'être, prenant cet aspect fantastique d'une victime.Il en sortira un poème.Acte 3.Bellmer découvre dans le grenier de la maison familiale (quelque part au fin fond de la Prusse) une malle emplie de ces poupées que l'on donnait alors (avant 1914 qui est une frontière culturelle) aux petites filles pour leur inculquer  les rapports qu'elles auront, devenues grandes et mères, avec leur bébé.Le corps et offert nu (comme à la naissance) et le jeu consiste à l'habiller.  Le déguiser.En faire un personnage à sa mesure. A sa ressemblance. (Quelle mère ne désire pas retrouver en sa progéniture  un idéal, une image magnifiée de ses propres rêves).Il en résulte, le plus souvent, le temps du jeu dépassé, des corps avachis, pas loin d'être désarticulés. Bellmer pousse plus loin encore le désastre. Chaque élément du corps est rattaché à son voisin par un cordon. Il suffit de le rompre et l'on a une anatomie décomposée.Une sorte de poupée en kit.Déjà préoccupé d'anatomie revisitée, Bellmer méprise l'ordre convenu, l'harmonie supposée, l'ordre "de nature divine" qui a conçu l'homme dans sa logique anatomique et les conventions de son esthétique.Et voilà un corps qui n'a plus ses membres là où on les attend. Distribués dans une sorte de défi à la logique, et comme l'écriture d'un désastre. Il atteint la chair. L'idée que l'on s'en fait et que la poupée était sensée traduire.C'est le résultat d'un viol. C'est du Bellmer.
 


 
 
posté le 11-07-2010 à 16:41:26

Restif de la Bretonne rencontre Baudelaire.

Dans l'ombre s'estompe le silhouette curieusement chapeautée par un hibou haut perché, tandis que la cape, aussi longue que le corps le permet, le couvre, l'enveloppe, l'enferme en une sorte d'unité massive qui donne une allure sculpturale au promeneur. C'est Restif de la Bretonne qui s'est échappé de l'enfer du foyer (une femme acariâtre, des femelles de tous âges s'agglutinent au nom de la famille), et, à pas nobles, fait le tour de l'île Saint Louis dont il connaît les moindres recoins, caressant le parapet qui la cerne comme une muraille le ferait d'une cité (et les bras de la Seine qui l'enserrent en étant les douves), s'arrêtant parfois, et, avec un stylet gravant quelques phrases sur la pierre, aux allures de maximes.Des fenêtres étouffent les bruits d'intérieur qui cachent leurs secrets. Restif, l'oreille tendue, s'attarde à chaque rencontre (rare en cette heure tardive) pour tenter d'élucider le mystère de toute vie, de tout incident, dont il va nourrir avec l'insistance d'un huissier les mémoires qu'il se plaît à tisser, comme le territoire d'un Paris pittoresque par accident, familier par ambition, périlleux par nature.Serait-il de la police ? On l'a dit, l'a prétendu. Il se mêle de tout, intervient à tout moment. Il n'a pas la sagesse du hibou s'il a son regard. Fantasque à ses heures il prétendra protéger une grisette pour la mieux séduire, la capturer à l'amour qu'il lui porte et à son désir qui a conservé quelque chose de la naïveté champêtre de ses origines.Bien des femmes traversent ses pages parfois gentiment égrillardes qu'il compose avec la patience  du moine s'il n'a pas sa servile piété.Dans l'ombre s'estompe la silhouette, scellée à son hibou. Une autre apparaît. C'est Baudelaire se rendant au club des haschischins  où se réunit la fine fleur de la décadence dont il se fait le chantre. On note l'adresse. C'est 17 quai d'Anjou, hôtel Pimodan.
 


 
 
posté le 10-07-2010 à 16:27:52

Lautréamont sur le Boulevard.

Bâtard magnifique ou parce qu'il se pensait tel, Lautréamont s'est encadré dans la haute porte de son domaine (fait de pierres cyclopéennes, de fer forgé aux origines les plus lointaines) et s'est, un temps très court, redressé (il se tenait souvent le dos voûté) avant que de s'engager sur le boulevard. La horde multiple, bavarde, caquetante, horripilante des touristes s'engage sous le porche du numéro 7 du faubourg Montmartre, dans le but d'atteindre la grande salle  décoré 1900 du restaurant Chartier. Rien n'a changé depuis sa création (1896), les glaces serties dans les volutes boisées (ou peut-être en stuc), les garçons avec leur tablier si long, étalé sur leur ventre, qui les grandit et les fait ressembler à quelque statue asyrienne, dans le déplacement plein de cérémonie pour apporter des étalages périlleux de hors d'oeuvres à petit prix. Ce sont des agapes  de petits bourgeois servis par des Ganymèdes de Music Hall.Lautréamont s'est engagé sur le trottoir si large qu'il peut accueillir en bonne entente, le yougoslave sans papier avec la seule amitié de son chien, et le motard venu d'un département voisin, qui fait claquer tout ses aciers et son cuir sur le pavé.Des filles aux mines aguichantes se déploient en large éventail, comme un bouquet de jeunes fleurs à peine écloses et qui brillent de cet éclat particulier aux avances du plaisir qu'elles vont quêter.  Et toujours en bande. A se demander s'il se prend aussi dans un tumulte partagé comme le suggèrent des films de qualité nulle, déroulant leur pellicule dans de minuscules cinémas presque honteux,, nichés dans des rues qui tiennent de la ruelle et grimpent alertes les molles pentes de cette colline faite des détritus de l'ancienne muraille abattue pour la création d'une voie à vocation populaire, quand domine, à peine perdue dans le tissus serré des immeubles qui l'entourent,  l'église de Bonne Nouvelle aux accents de mercerie pour le Bonheur des Dames.Les terrasses sont notablement garnies comme des étals de produits promis à la consommation et mises à portée de chacun, que d'un regard lointain (il est perdu sur les océans) morne d'aspect, Lautréamont contemple comme le piètre défilé de toutes les vilenies du monde qu'il veut fuir.A-t-il un but ? Sa démarche est lente quoique régulière et comme somnambulique. On devine le piéton dont l'esprit est ailleurs, s'est détaché d'une activité purement mécanique de son corps. Il est le robot de lui-même.La machinerie qui fonctionne dans les intérieurs tumultueux de sa personne ne laisse rien paraître de ce qui s'y fomente. Folle énergie contenue dans les circonvolutions complexes du corps. L' anatomie est en réduction les vastes espaces interstellaires, car Lautréamont est tout un continent en marche.Où va-t-il ? A le suivre on ne fait que suivre le plus banal des promeneurs. Il s'arrêtera un temps au Café de Madrid "simple débit de limonade du boulevard Montmartre nous dit Dreyfous (où) s'abouchaient les plus rudes combats contre l'Empire" On se souvenait d'y avoir vu Baudelaire, toujours grave et habillé de noir flanqué de son ami Charles Asselineau, ou Daumier dont la face aux arêtes précises était entourée d'une mentonnière de favoris et couronnée d'une belle chevelure grise.Mais reprenant son périple il s'arrêtera net devant l'église de la Madeleine.Là, venant des intérieurs froidement antiques de l'édifice, les volutes graves et doucement reconduites comme les anneaux en cercle d'un frisson sur l'étal de l'eau quand on y jette une pierre, d'une musique qui se veut religieuse mais conserve (et se risque à des coquetteries) quelque chose de cette saveur opulente de la musique d'opéra.C'est ainsi que Lautréamont la perçoit, et le passant d'aujourd'hui qui se sera glissa dans ses pas.Et d'imaginer de fabuleux effets de la machinerie qui fonctionne dans les coulisses de ce rite qui n'est que l'exagération (la trahison) de ce qu'il voulait dire.On s'est arrogé tous les luxes de la parodie. Lautréamont s'y attarde, il sait de quoi il parlera, déjà il conçoit une machinerie d'épouvante qui se calquerait sur les génuflexions, élévations et jeux de manchettes s'adressant à un Dieu qui a absenté les lieux.
 


 
 
posté le 09-07-2010 à 10:52:29

Le Grenier de Grandvilliers.

Voilà ! Ils sont réunis (se réuniront, selon leur humeur) dans le Grenier de Grandvilliers. Il y a Julien, qui s'est plongé (corps et âme) dans une folle histoire de Marat (une biographie de biais, sous le signe de incursion, exploration, effraction) et dans la dynamique qui l'a conduit dans le sillon de l'Histoire, il a rencontré la belle, capricieuse, cynique, folle et odieuse Jeanne de la Motte-Valois (celle qui a fait tomber la monarchie à travers l'histoire du Collier de la Reine, on n'est pas loin d'Alexandre Dumas). Sorel (le plus raisonnable, il n'a pas de prétentions littéraires, il se contente de surfer sur les livres des autres), Valentin enfin, un nouveau venu. Il a dans sa besace un lourd manuscrit sur les spéculations poético-géographiques que lui inspire sa localisation, dans le triangle des trois arrondissements qui se rejoignent à la naissance du faubourg Poissonnière, avec, en leur centre, l'entaille vénéneuse et un rien opulente des Passages, et son passant considérable Lautréamont. Il en a tiré une manière d'identité inspiré par son ancienne adresse sur les hauteurs de Paris (Belleville), c'est "l'autre est à mont".On ne manque pas d'humour dans le Grenier de Grandvilliers.Autre chose. Comme ce sont des individus frottés de lettres, ils pensent au Grenier des Goncourt, mais sans avoir la prétention d'en être des hôtes en écho. Qui revendiquera le mérite d'être Alphonse Daudet ou Léon Hennique, J.K.Huysmans ou Jean Lorrain. A terme ils se sentent plus proches de ceux qui fréquentaient durant l'occupation le grenier de la rue des Grands Augustins où Picasso avait établi son atelier. Il y avait là Queneau, Michel Leiris, Reverdy, Camus, rien que du beau monde de l'esprit.
 


 
 
posté le 08-07-2010 à 11:10:07

Poussin intrigue.

Devenu simple trace, quoiqu'ayant été gravé dans la pierre, le mot s'auréole de ce quelque chose d'indéfinissable qui lui vaut d'être respectueusement quêté. On va à lui avec le pas du pèlerin. Certains, avec celui de l'archéologue. Parce que le temps lui a prêté un nouveau visage, une nouvelle allure, l'a fait glisser dans cet espace où flottent souvenirs et regrets, et s'amorce l'espace de l'approximation, des erreurs, des suppositions. Des spéculations. Le mot détaché de son actualité, de la mission strictement informative qu'il avait, à l'instant de son inscription, devient un lambeau flottant dans le temps. Le paradoxe veut qu'une inscription mortuaire, le libellé d'un nom sur une tombe qui a pour mission de perpétuer la mémoire de celui qui y repose, définit moins son temps qu'elle fait surgir dans une autre tranche temporelle, le balbutiement de ce qui fut un discours complet.Ainsi, un nom réapparaît sur une pierre à demi effacée, peut-être les dates qui l'accompagnent. Mais que sait-on de plus du personnage ? C'est l'imagination du récipiendaire qui se substitue à l'information absente (l'espace compris -comprimé- entre deux dates). Elle se glisse dans des données sommaires et compose un portrait. Le mot trace ainsi, dans l'espace temporel, une sorte de survie en pointillé. De même en est-il des inscriptions sensées perpétuer des valeurs morales, une sagesse. D'où la stèle.La peinture, longtemps attentive au spectacle de la réalité, aspirant parfois à la défier, mais, le plus souvent, déjà apte à en traduire l'essentiel, les points forts, le meilleur, a, elle aussi, préservé le cheminement du mot. Ne fut-ce qu'en ces temps (pas si lointains) de la figuration, quand la photographie n'était pas encore venue perturber la conception que l'on pouvait avoir de la peinture, et où dans la représentation de la réalité le mot intervenait,  tantôt lié au sujet, tantôt en commentaire, en supplément, comme les prédelles dans les peintures religieuses d'autrefois. N'y voit-on pas les origines de la bande dessinée ! Les "ruinistes" bien sûr, plus que tout autres, eurent l'occasion d'introduire dans la toile le mot qui se trouvait justement inscrit dans la pierre. Ecriture publique, exemplaire, destinée à perpétuer les forces vives de la pensée humaine. Le plus passionnant exemple de cette introduction littéraire, dans un espace moins anecdotique que d'une théâtralité grandiose est, sans conteste possible, le tableau que Nicolas Poussin peignit en 1640, des "Bergers d'Arcadie" dont il avait fait une première version en 1629. Elle aussi dotée d'une inscription mais différente. C'était "et in Arcadie Ego" (moi aussi en Arcadie), quand, sur la seconde le "la felicità sogetta alla morte" (le bonheur soumis à la mort) offre moins d'ambiguïté d'interprétation. On sait combien cette oeuvre intrigue les chercheurs qui y voient un message codé. Les spéculations vont bon train, il suffit d'aller se promener du côté des chroniqueurs de Rennes-le-Château...Elégiaque, le tableau n'en est pas moins emprunt d'une tenace nostalgie. Le tombeau est le support d'une pensée nécessairement grave.Peintres d'arcs de triomphe, de palais aux frontons bavards, mais souvent rendus énigmatiques par leur fragmentaire destruction, les ruinistes vont ainsi nourrir la peinture de phrases lapidaires qui surgissent dans notre temps (présent) chargées d'un pouvoir étrange et dont il est impossible de se départir.Un souvenir pour finir. C'était chez un grand père amoureux de vieilles pierres (il avait acheté un bout de village en ruine pour établir sa maison ) il y avait, perdue dans les épaisseurs d'un bosquet sauvage, une grande et belle pierre tombale, sans doute destinée au tombeau d'un citoyen allemand, l'inscription longue étant dans la langue de Goethe. Un poème m'intriguait que je ne pouvais traduire, il était signé Henri Heine. De charmantes petites fleurettes étaient sculptées dans la pierre qui donnaient à cette étrange stèle un caractère joliment champêtre.
 


 
 
posté le 05-07-2010 à 17:01:16

Les sources de Maldoror.

Les sources de Maldoror.Esquisse d'une étude :  "La solitude de Lautréamont" à venir.Sorti tout droit de l'imagination enflammée de Lautréamont, Maldoror a, dans les profondeurs de sa mémoire, une consistance physique étroitement liée à son adolescence à Montevideo. S'y profilent, avec une force démoniaque, les figures de militaires fortement impliqués dans des opérations disciplinaires et dans la pratique de la dictature, comme Juan Facundo Quiroya, Gaspard Rodiguez Franciaz ou Juan Manuel de Rosas. Nommé gouverneur de la province de Buenos Aires, ce dernier prend les français (alors nombreux) en grippe et les assimile aux partisans du parti libéral qu'il combattait. Déjà, à l'époque, des poètes, dont Marmol, s'élèvent contre le tyran. Son ton légèrement emphatique n'annonce-t-il pas le rythme hautain et prophétique de Maldoror." Quel est le démon voilé qui t'accompagne afin que je le suive, armé d'un poignard ? quelle est celle des étoiles qui l'éclaire, afin que je fasse descendre sur elle la malédiction divine ?  A quelle heure se glisse la frayeur dans ta poitrine de fer, afin que j'évoque les visions qui t'épouvantent ? A quelle heure t'endors-tu tranquillement dans ta couche, afin que j'appelle les morts pour te secouer le crâne Prêtez-moi, tempêtes, votre affreux rugissement, alors que le tonnerre éclate et que hurle l'Aquilon. Cataractes, torrents, prêtez-moi votre voix, afin que je l'écrase par une terrible, éternelle malédiction".Rosas se distingue par sa cruauté.Le jeune Isidore "revivra chaque épisode du siège. Il entendra le long cri des sentinelles que l'on égorge dans la nuit ; il assistera à la relève au lasso des blessés hurlants qui ont le malheur de tomber entre les lignes"Méditera-t-il sur de sombres témoignages des horreurs de la guerre, dont ces rites barbares à l'endroit des vaincus : "Déshabillés, obligés d'avancer nus entre des haies de soldats qui, évitant les blessures mortelles, les criblent de coups de lance, de baïonnettes, de couteaux. Châtrés, éventrés, décapités enfin, avec leur tête fichée sur un pique, puis jetés aux avant-postes montévidéens".Des récits qui font écho à ceux que distillaient à Sarniget où vivait sa famille dans la banlieue de Tarbes, les vieillards qui avaient connus un enfant du pays, le sinistre Barrère, "l'Anacréon" de la guillotine, qui avait signé vingt mille arrêts de mort au sein du Comité du Salut Public, où il officiait aux côtés de Robespierre. Il fallait bien que l'enfance de Lautréamont soit baignée dans le souvenir du sang et de la souffrance, lui-même naîtra dans une bizarrerie conjugale qui sera une autre source de ses cauchemars.
 


 
 
posté le 02-07-2010 à 15:32:25

Lautréamont en cinq lettres.

D'ordinaire, la connaissance de la correspondance privée d'un auteur dont on veut connaître l'intimité, et juger de son tempérament, offre une ouverture qui a le mérite d'échapper à toute pudeur, toute hypocrisie sociale qui entoure et conforte la vie de chacun. On y fouille le quotidien, le pensée arrimée aux épreuves de la vie, les sursauts d'une douleur, les emballements d'une passion, comme en une sorte de sismographe d'une sensibilité mise à l'épreuve par les frôlements avec les autres et la prise de conscience progressive de sa nature propre.En regard de la personnalité de Lautréamont, dont sont rares les repères et fluctuantes les appréciations, le recours à la correspondance reste vain.Elle est constituée de 5 lettres. A son banquier, à son éditeur. C'est à dire dans le triangle obligé entre l'auteur et celui qui va assurer le financement de son ouvrage, Lautréamont étant condamné (comme Rimbaud et tant d'autres) au compte d'auteur.Triangle périlleux parce qu'il engage la confiance, la reconnaissance de la chose écrite, l'avenir de celui qui s'y inscrit avec conviction et sans doute une forme d'innocence dont beaucoup auront d'ailleurs à se plaindre.Nulle perspective affective dans cette absence de lettres intimes (et à qui ?)Cela ne traduit-il pas une profonde et irrémédiable solitude ?