Il est à lui seul toute une époque, et ses fantasmes et ses couleurs et ses paillettes.Enfant de cette bourgeoisie intelligente qui a donné, au XX° siècle, ses élites (diplomatie, littérature) , il va justement associer la diplomatie et les lettres (comme Claudel, Giraudoux ou Saint John Perse) et tracer sur le paysage mondain qui l'accompagne, le valorise, les sinuosités d'un esprit fantasque, énergique, entreprenant et peut-être opportuniste, mais avec l'élégance du dandy, le savoir- faire du mondain et ce zeste de fantaisie qui lui attire l'indulgence des plus rigides et la sympathie des plus audacieux. Il ne sera d'aucun clan, ni de ces groupes nombreux qui se succèdent, où domine le surréalisme qui n'aurait peut-être pas été, même furtivement, insensible à sa personnalité (voir Phlippe Soupault, René Crevel qui sont de la même race) ou capable de le séduire. Mais le fait d'écrire des romans ne pouvait que l'écarter d'un André Breton qui était hostile au genre. Son approche de Proust est une manière de parrainage. Entre le monde et l'audace littéraire. Encore que la sienne soit de surface. Il n'est pas comme Proust un inventeur d'une nouvelle littérature. Il la met simplement au goût du jour, au rythme de fébrilité que l'on confondait alors avec la modernité. Moderne, donc, et pourtant son oeuvre n'est pas aujourd'hui décalée, ni rejetée au purgatoire ( ce qui est le cas d'un François Mauriac, d'un André Maurois, deux des fameux M invoqués par l'éditeur Grasset qui va jouer leur carte). L'exotisme, l'appel des horizons lointains sont toujours d'actualité. Mais en un sens qui n'est pas dans l'esprit de Morand, trop dépendant encore de l'illusion du progrès. D'où le mythe de "l'homme pressé". A en croire Pierre Sansot ( ce remarquable philosophe des zones encore vierges de la pensée) ce serait plutôt, l'heure de l'homme méditatif (un hommage à Bachelard ?) de l'homme de peu, c'est à dire tout le monde, quand Morand parle encore de cette "élite" qui gouverne les coeurs, et les portefeuilles de la société. On peut lire aussi Morand comme un produit de l'illusion de la modernité (voir Fernand Léger, les futuriste italiens etc..) Le monde d'aujourd'hui va à l'encontre de son attitude, mais la manière de la mettre à jour reste d'une étonnante verdeur de ton, et de fascinante efficacité.