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lettres de la campagne

posté le 31-10-2010 à 11:37:07

L'écriture brûlée.

Louise Labé.A son actif, trois élégies, vingt-trois sonnets, et un surnom : "La belle cordelière". Est-ce une oeuvre ? C'est un exemple.Louise Labé fut une jeune fille accomplie, doucement mêlée à la vie ordinaire des gens de son temps, parmi les siens reconnue pour sa grâce et ses talents de société. Ecrire pour se plaindre ? Pour être ? "O beaux yeux bruns, ô regards détournés,O chauds soupirs, ô larmes épandues,O noires nuits vainement attendues.O jours luisants vainement retournés,O tristes plaints, ô désirs obstinés,O temps perdu, ô peine dépendues,O mille morts en mille rets tendus,O pire maux contre moi destinés...." Pourtant, de trop de grâce épandue elle suscite la jalousie , reçoit en bouquets serments de ses admirateurs et le mépris de son entourage qu'irrite cette force tranquille qui séduit et ravage autour d'elle. Adulée mais trahie :"O coeur félon, ô rude cruauté  / Tant tu me tiens de façons rigoureuses / Tant j'ai coulé de larmes langoureuses / Sentant l'ardeur de mon coeur tourmenté".Faire parler son coeur n'est-ce- pas se mettre à l'unisson de l'univers. La surprise naissait du simple fait que ce fut une femme bien située dans son monde, qui parlât si fort et si bien des émois profonds qui agitent les âmes les plus fortement engagées  dans l'aventure frissonnante de leur pleine vie. Une vie au large du corps, mais par lui contrainte, et par lui dirigée ; par lui soumise et contre lui révoltée. Il n'en naît qu'un sentiment de douleur, de colère, des aveux déchirants.L'inconstance n'est pas le prix d'un défi ou d'un refus. Une sorte de fatalité plutôt comme l'incapacité de fonder un foyer, cimenter des relations durables, stables et positives, même dans l'amour.autre exemple:Celle qui domine la vie de Middleton Murry et de Katherine Mansfield se coud et se découd dans une alternance de fuites et de replis, d'étreintes désespérées et d'appels discontinus, dans un désordre géographique entre Londres et Bandol, la campagne anglaise et le Paris de Francis Carco, pour finir sous les hêtraies de la forêt de Fontainebleau dans le cadre d'une secte où elle cisèle sa propre mort.L'oeuvre s'accomplissant  dans la complicité et la reconnaissance d'un minuscule groupe d'amies, dans la va-et-vient de logis de fortune et les pensions de famille, au point de devenir le sujet d'un de ses livres. Une oeuvre atomisée, faite de minuscules choses, comme ramassées dans le désordre de la vie, sauvées d'un grand désastre, existentiel. Quand une oeuvre cohérente a besoin de stabilité, de l'ordre d'un véritable atelier ou d'un "laboratoire". Celle de Katherine Mansfield relève de la pratique du Journal ou de la correspondance. Par bribes, lambeaux qui sont sous sa plume délicate de véritable bijoux, des petites lumières plantées sur l'itinéraire chahuté de la vie, dans cette approche somnambulique vers la mort annoncée. Tout le monde s'accorde à vanter sa grâce, cette légèreté du corps, cette allure de chat. Mais la maladie cachée fait son travail. "Mais dans sa poitrinedemeurait encore ce point brillant, brûlant, d'où partaient ces averses de petites étincelles. C' était presque insupportable. Elle osait à peine respirer de peur de l'attiser, et cependant elle respirait profondément. Elle osait à peine regarder dans le miroir glacé, mais elle y regarda tout de même et il lui rendit l'image d'une femme radieuse, au sourire tremblant, aux grands yeux sombres et qui semblait écouter, attendre que quelque chose arrivât, qu'elle savait devoir arriver. ........infailliblement"Dans une errance croisée avec celle du magique D.H.Lawrence, et parfois aux horizons immédiats d'une Italie de douces collines et de pampres délicats, Katherine Mansfield s'échoue dans l'ultime espoir de fortifier un corps qui avait la transparence d'une silhouette dans le décor de caravansérail d'un ancien Carmel de madame de Maintenon : c'est le Prieuré à Avon, proche de Fontainebleau. Exposée au grand air pour répondre aux principes curatifs du maître des lieux, un extravagant, oscillant entre le gourou et le charlatan, elle sombre. Brûlée de l'intérieur.Extrait de "La femme flambée de la Sainte-Vierge à Brigitte Lahaie"
 


 
 
posté le 30-10-2010 à 11:27:54

La tournée des revues de poésie.

C'était une manière de prolonger l'action de promotion que le Soleil dans la tête entreprenait pour faire connaître les revues de poésie qu'il affichait :  aller sur le terrain, à la rencontre de ses animateurs. Avec Jean Igé (un poète injustement méconnu aujourd'hui) on avait entrepris un petit tour de France dont trois étapes me restent en mémoire.Ce fut celle qui nous fit retrouver André Malartre dans son décor naturel de Domfront (Orne) d'où venait la très active revue IO que Millas-Martin imprima en lui donnant un aspect plus conforme à celui que le lecteur attend d'une publication revendiquant un certain "sérieux". Toute une génération s'y est retrouvée avec ses points forts (Malartre, Marissel, Miguel).Plus pittoresque (et le personnage aussi) la rencontre d'Henri-Simon Faure dans son repaire d'Oppède le Vieux (photo) des ruelles en pentes, escarpées, des maisons nichées dans une végétation folle, retapées dans des ruines, et des ruines à foison donnant au village son aspect si particulier. Henri-Simon Faure a été fortement inspiré par ce cadre et il en est sorti quelques poèmes d'une facture originale et forte. Sa compagne Lell Bohem peignant au rythme d'une vie fortement influencée par un cadre aussi prenant, fascinant.Bernard Dumontet (un poète lyonnais)  s'était joint à nous pour rendre visite à Henri-Simon Faure à l'aspect goguenard d'un personnage de Rabelais et, avec le temps, se drapant dans la dignité d'un patriarche (un sage de la montagne).A Marseille ce fut la rencontre de Jean Ballard dans un appartement de la vielle ville où se tenaient les assises des Cahiers du Sud. Une rencontre faussée par ce préjugé tenace que des "parisiens" n'étaient pas tout à fait des sujets fréquentables.
 


 
 
posté le 30-10-2010 à 10:56:03

Proust et les catins.

Revenir à Proust. Rencontrer Odette, Albertine, à côté de la duchesse de Guermantes qui incarne la façade mondaine d'une aventure de passion qui se glisse dans l'espace de la mondanité comme un vice dans la conscience vierge d'une âme maîtrisée et fière.La vie nocturne de Proust n'est pas que celle d'un labeur dont les paperoles sont les témoins, les copeaux d'une rude menuiserie. Mais Proust est plus un fin ébéniste des ressorts de l'âme qu'un vulgaire fabriquant de meubles standards (maints de ses contemporains..) On lui connaît des équipées glauques, mais le salon n'est pas loin de l'établissement de bains. Il y promène la même silhouette épaissie par les pelisses et les onguents qui transforment son visage en une sorte de masque terrible.Et c'est bien parce que la femme y est grimée en garçon (ou le contraire) que la flamme est plus ravageuse.On l'imagine assez volontiers papillonnant parmi les muses en satin, frissonnantes et parlant derrière leur éventail, comme l'a imaginé Jean Béraud qui promenait son pinceau galant et narquois, bavard et consciencieux chez les duchesses qui exhibaient des pianistes aux poumons menacés, et jouaient avec des grâces infinies, des sonates inachevées. On est dans une société si perfidement construite et si fatiguée qu'on y est talentueux à la mesure de l'épuisement que l'on trahi, que l'on porte en bandoulière.La raideur du maintien mondain (renforcé chez les hommes par le smoking), les silhouettes gainées de soie, altières et fières fleurs de vanité, entrent dans le jeu, camouflant les débordements d'un imaginaire qui se retient, se craint et se censure.Alors que le moyen-âge accomplit ses débordements jusqu'à la folie, que le XVIII° siècle l'affine par l'intelligence, le XIX° se glisse dans des vertiges sur la pointe des pieds, le plus élégamment chaussés. On laissera au XVII° le luxe de se donner du panache et de projeter au sommet du royaume une fille née en prison, épouse d'un poète boiteux et malformé, qui par l'intrigue et la flatterie se glissera dans la couche de son roi. C'est bien l'image d'une époque où tout est possible par le biais de l'intelligence, la maîtrise du verbe et l'application scrupuleuse des rites qui conduisent le monde pour l'élever à cette grandeur que l'on enviait aux dieux de l'Olympe. Versailles n'est-il pas l'Olympe des flatteurs, dont Saint Simon est l'Homère.La "fin de siècle" en est l'écho. Coincé entre pudibonderie et stupre. Quand les filles "nées dans le caniveau" font leur fortune dans les couches des ducs constellés d'armoiries flamboyantes et de financiers lourds et cupides. L'argent règne quand le roi n'est plus là, mais l'esprit des courtisans est le même et le pouvoir de la femme électrise une société étouffée de conventions.
 


 
 
posté le 29-10-2010 à 14:14:28

Le Bal des Ardents, le jeu du plaisir et de la mort.

Paradoxalement, la finalité du nu passe par sa vêture, son ornement (d'où l'attrait du strip-tease). Une femme à sa toilette (la Nana de Manet) se prépare aux jeux de l'amour, à ses rites, lui ouvrant l'horizon de ses plus profonds désirs. Abandonnant la banalité du quotidien pour s'embraser en des moments qui sont cependant inscrits sur une carte dont elle ignore parfois tous les itinéraires et dont elle déchiffrera les paysages variés, dont elle gouttera les fantaisies et où elle s'effondrera dans le culte du plaisir.De fait, tout est programmé. Le lieu choisi en fonction de sa vocation, les partenaires inscrits dans un registre déjà connu, le plaisir  est dans l'art de grappiller les gestes qui l'accompagne comme on fait ses gammes dans une société réglée en toutes ses manifestations, codifiée jusque dans ses rêves, eux aussi inscrits dans le cycle des conventions qui régissent jusqu'au cérémonial de la fête.Le moment même est rituel. Dans la banalisation du plaisir démocratisé et dans une société qui l'a inscrit dans ses légitimes acquis, c'est la fin de la semaine, en des soirées longuement préparées. Mais suit, comme le remords après la faute, l'écoeurement,  à l'heure tardive quand la nuit a déjà mangé ses promesses et s'est épaissie aux premiers miasmes dont elle se nourrie. Une nuit de plomb comme il est des heures du  jour qui nous suspendent à notre conscience et nous gèlent soudain sur la plus terrible question qui, à cet instant, traverse notre pauvre cervelle affolée de tant de béances.Hors de nos vies rivées à ses aspects pratiques, millimétrés, les gouffres s'ouvrent autour de nous, et chacun, comme il le peut, y négocie ses vertiges. La recherche du plaisir et la plus largement partagée.Pour cette cérémonie des approches, des confusions et des abandons, la vêture est nécessaire qui a ses codes et ses traditions.Harnachée, la femme est l'objet des regards plus que nue où elle est déjà sur le chemin de sa solitude retrouvée au delà du flamboiement de ses étreintes.Tel le prêtre s'habille pour célébrer sa messe, la femme s'apprête pour entrer dans le rite dont elle est l'objet autant que la victime. Toute une gamme de figures, au choix, avec des redites, des récurrences, des caricatures de ce que déverse la promesse du plaisir dans l'esprit du spectateur.Vêtures. Et d'opulentes, et d'agressives, et de soie et de cuir, et drapées et entrouvertes, et effrangées, et glaciales comme une armure.Notera-t-on que l'importance du vêtement, son sens symbolique, n'est jamais plus grand que dans l'esprit festif. C'est celui du dédoublement, dans l'esprit du carnaval. On se vêt de fantaisie quand on se défait des contraintes, d'une pudeur contraignante, sociale.L'attrait du  nu conduit à l'exploration de son inconscient, celui de la vêture à celle, de la communication, au jeu des échanges sociaux. Se dénuder est un geste égoïste qui nous renvoie à nous même ; se déguiser (se choisir une silhouette) nous projette vers autrui. On se moule dans un personnage de notre choix, relevant d'un rêve fortifié par le costume, ses étrangetés. Mais qui ne dure que le temps d'une fiction (d'une fête). On s'y brûle aux séductions d'un rêve qui s'y incarne. Comme le firent ces seigneurs aussi légers qu'inconscients, qui se vêtirent de poils, de plumes retenues par une colle pour une danse qui fut celle de leur mort. Le Bal des Ardents est bien au coeur d'une imagerie aussi riche que désordonnée. Le corps brûle dans les atours de ses rêves.Le bal masqué est l'espace privilégié de la rencontre provoquée par la surprise. Derrière le masque, l'attente. Réduit à cet objet que l'on tient devant la visage comme pour le doubler ("je suis un autre"). Masque, cet éventail qui colle à la peau. Seul le regard est vrai quand tout ce qui l'entoure relève du grimage. Il y a lieu de s'interroger sur la propension à glisser vers le monde animal. Plumes, couleurs chatoyantes, matières frissonnantes, toute femme masquée se fait oiseau.
 


 
 
posté le 28-10-2010 à 15:37:03

L'Immaculée Conception en figure d'icône

Peut-être en manière de souvenir.L'ombre s'y étend, avec des odeurs entêtantes d'encens. La chapelle de l'établissement est un espace totalement clos sur la piété qu'il est censé inspirer. Privé, réservé aux seuls pensionnaires, et inséré dans l'architecture quasi militaire qui régit la vie quotidienne. Au même titre que les salles de classe, quoique plus monumental, et vaguement décoré (mauvais goût) mais participant étroitement à la vie de ceux qui apprennent ici, avec une égale ardeur, la géographie du monde, les lois de la science et des mathématiques, les plaisirs savants du grec et du latin, et la grandeur de Dieu qui domine tout ce savoir.Pourtant, à un Dieu un peu dépouillé de toute figuration (sinon quelque vague barbu) on y préfère la femme qui incarne la précieuse virginité dont on fait l'axe d'une vie, d'une mission, d'un exemple.La Vierge au visage multiplié, aux attitudes douces et maternelles, reconduites d'oeuvre en oeuvre, dont est pleine l'histoire de la peinture et qui compose, dans l'esprit des jeunes esprits appelés à la rejoindre dans la prière, une sorte d'étrange musée aussi fortement féminisé que désexualisé. Même la femme peut-être une abstraction.Alors que les livres d'Histoire ancienne sont pleins de fornicateurs, entraînés dans de sombres drames domestiques qui se transforment en mythes, l'Histoire religieuse telle qu'elle est décrite, est largement dominée par l'unique figure d'une femme qui a enfanté sans fauter, et berce son enfant avec des grâces infinies qui ne disent pas la peine qu'entraînent les premiers pas d'un bébé.La découverte de l'Immaculée Conception prenait d'autant plus de relief qu'elle avait pour cadre cette sombre chapelle où le claquement des sièges à bascule résonnait sous une ample voûte étoilée et que la grandeur avait simplifiée.Elle est une image froide dans un lieu austère et dépouillé, car nul n'y doit rêver. Tendu par la prière, à la recherche d'une grâce qui ne tient qu'à la bienveillance de celle qui, dépourvue de tout relief, de toute vraisemblance humaine, résume la situation éthérée, de félicité intemporelle à laquelle est promis celui qui entreprend de la mériter.Une Vierge si peu inspiratrice de pensée humaine qu'elle chasse de l'esprit toute ombre au profit de cette transparence lumineuse qui a des allures d'apparition. Le thème de l'apparition revient fréquemment dans les légendes dispensées par l'Eglise du XIX° siècle. Elle implique la contemplation dans l'extase d'une âme fraîche et naïve. L'enfant est un récipiendaire privilégié.Mythe moderne, l'Immaculée Conception avait pour cadre un lieu qui lui était contemporain, ne répondant pas aux beautés innocentes et inspirées de l'architecture des temps illuminés des cathédrales.A de tels monuments ouverts à la lumière il fallait des images somptueuses moins par le luxe qu'elles déploient qu'une intelligence subtile du contenu, des rapports vivants avec le monde de la réalité. Comme la cathédrales participe étroitement à la vie communautaire, au rythme du quotidien de ceux qui la fréquentent, et placent leur ville sous sa protection, la Vierge qu'elle contient (honore) qu'elle célèbre parmi d'autres signes distinctifs de la force de l'Eglise et de ses bienfaits, de ses promesses et de ses rêves, se pare des habits de la mode du moment. Elle est la contemporaine de ses concepteurs, de ses fidèles, de ceux qui la reconnaîtront comme leur bienfaitrice, l'idole sacrée de leur vie intérieure et de prière.Frileux, dans la froide atmosphère d'une banale chapelle à peine moderne, nous abordions une idée de femme transparente et fade comme une eau bénite, aux gestes dénués de toute complaisance à notre égard tant elle semble irradier sa propre sainteté au seul but de sa gloire.De tous les aspects donnés à la Vierge, celui de l'Immaculée Conception n'a jamais inspiré une représentation émouvante. De conception tardive, dans le climat d'une Eglise qui se cherche un langage édifiant pour des âmes simples et brisées par la réalité, l'Immaculée Conception est moins femme qu'une imprécise apparition standardisée, sans plus de relief que les pin-up découpées dont les camionneurs aiment à orner la cabine de leur véhicule.D'un usage semblable quand elle se fige dans des images que l'on glisse dans un Missel comme un marque-page. Aucun peintre de qualité n'aura jamais réussi à donner un sens à un concept défiant toute vision humaine de la religiosité, dénué de toute chaleur, et manquant singulièrement de chair.Ce ne sont que de fades images où les élans mystiques se cassent la plupart du temps. Simple signet dans un missel, jauni aux angles et froissé au constant contact des doigts encore ensommeillés qui suivent le rythme de la prière avec encore le poids des rêves de la nuit. (Parfois si éloignés de ces simagrées de piété).Lumineuse et voulue telle, cette Vierge figée en "enluminure atroce" brade la ferveur au nom des habitudes.Prière matinale, regards absents. L'image est pourtant inscrire en ceux qui la pratiquèrent. C'est bien le ressort des images muées en icônes qu'elles ne sont plus que cet éveilleur d'une image intériorisée qui s'active en nous. Il faudra s'en souvenir relativement à la pornographieExtrait de "La femme flambée de la Saint Vierge à Brigitte Lahaie".
 


 
 
posté le 28-10-2010 à 14:21:24

Olivier Debré, la dimension du ciel.

Les dessins, dans son atelier, jonchaient le sol et il n'y prenait guère de précaution à mon grand scandale. C'est qu'il dessinait comme on écrit. A grands traits, à la manière orientale, d'un pinceau lourdement chargé d'une belle encre noire qui faisait sur la surface du papier d'étranges différences de matité comme si la pression avait varié, selon l'humeur du scripteur. D'une surface modeste, à la dimension d'une main qui ne sort pas de son champ naturel, il passait à des surfaces démesurées, alors là il usait de balais. De simples balais dont on se sert pour l'usage domestique. Allons plus loin, il s'emparait de très vastes surfaces qui faisaient échos à l'immensité du paysage qu'il affectionnait particulièrement et qui lui était familier : celui de la Loire. Lente et paresseuse, parfois emportée dans ses colères, d'humeur variable la Loire est le cours d'une eau rêveuse qui emporte en son sillage les caprices du ciel. Que de poètes l'ont dit et que Debré savait le traduire. Il parlait  de "signe". Pour lui l'homme, sa silhouette, c'était un simple signe sur le papier, retrouvant, là, la magie de l'écriture chinoise. Quelques traits agencés, et voilà une présence qui nous interpelle. Peut-être est-ce nous en un miroir.Il y avait chez Olivier Debré ce jeu de va et vient entre soi et ce que l'on regarde. D'où ces flexions tendres pour dire un corps, le lever de l'inertie de la matière (l'encre !). Pas si loin de l'écriture, et s'il fallait illustrer cette idée que l'image est née de la calligraphie (regardons les miniatures) Olivier Debré nous comble.
 


 
 
posté le 27-10-2010 à 15:46:19

Degas au bordel.

Passant de la salle de spectacle au bordel, du Moulin Rouge à l'établissement de la rue des Moulins, Toulouse-Lautrec lève le masque. Le même visage, ici tiré par la vivacité de la musique, le chant et le souci de plaire, est, là, avachi par la fatigue, donné sans effort, et sans espoir.Ces Dames au salon sont un spectacle par leur seule présence, filles perdues, filles données (vendues).  Elles ont mis toute la théâtralité de leurs promesses dans la manière de se dénuder. Dans le vêtement, en ses détails salaces, provocateurs, le corps se redessine derrière cette découpe vestimentaire qui joue pour beaucoup dans son prestige et le plaisir qu'il annonce. Il est, du même coup, paré pour la fête. Dans la nudité il s'abandonne à ses propres faiblesses, à sa vacuité, à ses débordements de solitude, de prostration, de vieillissement prématuré. La vision de Toulouse-Lautrec ne va pas vers l'éclat, le panache et la gloriole, mais vers l'affaissement , l'évidence du corps dépouillé de sa flamme intérieure. Un corps sans désir, et disponible. Mais distancié de ce que l'on attend de lui. Ce sera une gestuelle amoureuse mais strictement asservie aux élans du sexe. Les filles exposées sont "les bonnes à tout faire" des dépravations les plus honteuses de leurs clients. Et elles l'affichent avec une lassitude effrontée.Un lieu de plaisir n'est que celui du spectacle qu'on y donne, mais ses coulisses attirent le regard des voyeurs. Edgar Degas dont la misogynie n'est un secret pour personne se plaît à saisir le corps de la femme dans ses moments d'intimité, et ceux où elle se livre aux soins du corps. Il donne la version vulgaire, voire acide et dévastatrice pour l'idéologie romantique, du corps dans le temps du bain.Toutes les Diane de la peinture traditionnelle sont de fraîches jeunes filles qui vont se mirer sur les bords d'une eau claire  et heureuse. Elles ont le corps élastique des sportives. Les femmes à la toilette de Degas (ferme au bidet) s'accroupissent, et les plis de leur corps s'accuse, dessinant des silhouettes monstrueuses. On a évoqué des batraciens au vu de ces femelles réduites au seul poids de leur corps, se frottant, se léchant comme des animaux. C'est le corps en béance et pesant de toute la souffrance qu'il ne peut cacher. Un corps sans masque. L'espace des Mythologies lui est interdit;La même, au bordel,  n'est plus qu'un corps perdu. Chassé du paradis il ne pouvait en être autrement.Degas ouvre ainsi le chemin d'une vision douloureusement réaliste qui va déboucher, avec le cinématographe, sur l'espace impitoyable de la pornographie.Extrait de "La femme flambée de la Sainte-Vierge à Brigitte Lahaie".
 


 
 
posté le 26-10-2010 à 17:30:40

Virginia Woolf en son laboratoire.

En bâtissant l'énorme entreprise éditoriale qu'est son roman "Les Années", au demeurant d'une facture presque classique, encore que le découpage y souligne la glissement sensible du temps Virginia Woolf, entreprend l'histoire de toute une famille (les Pargiter) sur plusieurs génération, de 1880 à 1936. On passe de l'un à l'autre des multiples personnages, l'auteur ayant le don de pénétrer au plus profond de leur conscience, non sans une forme très personnelle d'humour, et faisant passer à travers cette saga toutes les considérations sociologiques dont elle tire une analyse profondément ancrée sur la condition de la femme (encore sous la pesée des préjugés de l'ère victorienne) dont elle se fait un devoir d'y apporter une solution .Autour de ce roman, le préparant, le complétant, des écrits consignés dans un ouvrage portant le titre donné par l'auteur lui-même : "Le Livre sans nom". A chaque chapitre de la fiction est ajoutée une analyse portant sur la situation évoquée, l'état des personnages et les données sociales qui en sont les causes. Etonnant analyse, pas à pas, du livre en train de se faire, et véritable laboratoire de son élaboration.  Projetée en un premier temps comme un tout (roman et essai sur le roman) la complexité du procédé viendra à bout de son ambition périlleuse et sans doute irréaliste (Encore qu'il serait tentant de reprendre le principe pour toute nouvelle création romanesque !).Peut-on voir dans ce vaste roman un écho de la propre vie de Virginia dans sa famille, avec la présence du père Leslie Stephen, personnage haut en couleur, d'érudit porté par les préjugés de son temps, les soeurs et frères de cette famille "recomposée" (chose rare à l'époque) qui va bouleverser la vive sensibilité d'une jeune fille écartelée entre les rigueurs morales imposées par son milieu, et l'étendue de ses rapports avec la vie culturelle qu'on y vivait au quotidien.En entrouvrant la méthode de travail de Virginia Woolf on donne plus envie encore de se familiariser avec son oeuvre si attachante.
 


 
 
posté le 26-10-2010 à 16:59:07

Degas et les feux de la rampe.

Les feux de la rampe.Elle est vêtue de rouge et se détache, comme dans l'ardeur d'un bûcher, sur fond d'une vive lumière qui est celle de la scène sur laquelle elle est plantée en figure de proue. Main tendue vers le public alors qu'elle chante, avec cette gouaille qu'elle exprime dans cette attitude provocante, l'autre main sur la hanche, et parce que l'on sait bien que dans ce genre d'endroit, où tout Paris vient s'encanailler toutes classes confondues, les chansons sont vertes et acides, et les visages blafards. Sur la scène encore, légèrement en retrait, mais en pleine lumière aussi, d'autres personnages vivement exposés dans un fouillis de couleurs où les visages se confondent avec les éventails qui à demi les camouflent.La scène, vue de biais, est limitée par deux hautes colonnes entre lesquelles l'extrémité d'une branche d'arbre se balance (mais on est dans un jardin), ainsi que, dans le fond, une guirlande de ces globes lumineux qui font, dans la nuit opaque et lourde, des points scintillants.On ne voit que des chapeaux, dont ceux des femmes avec leur décoration florale, et un haut de forme, mais c'est celui d'un musicien dans la fosse d'où jaillit  aussi la hanche fièrement dressée d'un violoncelle. C'est d'Edgar Degas : Le Café concert aux Ambassadeurs, 1875.L'époque est riche en notations arrachées à la vie quotidienne, au raz du trottoir, dans un Paris chaloupé par le plaisir et la goguenardise d'une bourgeoisie qui, quand elle s'encanaille, va au plus vulgaire, au plus crapuleux, comme une revanche sur des moeurs exigeantes, une morale hypocrite, un vernis sclérosant .Alors que la peinture académique compose laborieusement des visions idylliques d'une Olympe de pacotille, qui empreinte à la photographie d'art ses recettes et parfois ses modèles potelés qu'un simple glissement vers le vulgaire rendrait pornographique, l'art d'audace et aventureux qu'est l'Impressionnisme et ses alentours, fouille la réalité du moment.Comme on braque un appareil photographique, et bientôt la caméra, le peintre cadre des figures, des scènes, des moments, où la femme donnée en pâture à l'appétit des hommes, est fouettée par le jeu des lumières, la vivacité du trait qui les transpose sur la toile dans une fougue moins amoureuse que lucide, et un souci de vérité qui choque plus que la manière.Aux chanteuses réalistes de Degas succèdent les danseuses de Franch Cancan telles que Toulouse-Lautrec les voit, dans un climat d'ivresse visuelle qui est aussi l'ivresse de la musique et celle des sens chatouillés par ce papillotement, cette jovialité de surface, cette écume mouvementée et ardente qui camoufle mal la désespérance qui lui est concomitante.Extrait de "La femme flambée de la Sainte-Vierge à Brigitte Lahaie".
 


 
 
posté le 26-10-2010 à 16:55:08

Adrian Miatlev l'oublié.

Comment le situer, comment le définir. Il est de ces poètes qui seront essentiels, mais la vie sociale (celle qui distribue les rôles, décide des carrières, des réputations, de l'image que l'on peut donner à la postérité) les aura négligés, peut-être rejetés dans cette  zone étrange où un jour, un curieux, un illuminé les repêchera. Adrian Miatlev, né à Moscou en 1910, mort en 1964 - et à l'époque je ne le savais pas - fut de l'équipe de la revue Esprit en 1947, dans cette période d'effervescence qui va positionner les créateurs, et offrir à certains le tremplin pour gagner l'audience à laquelle ils aspiraient. En  fut-il de même pour Miatlev ? On découvre dans sa biographie qu'il rejoint l'équipe de la Tour de Feu (animée par la savoureux Pierre Boujut à Jarnac). Il en est le phare. Critique attitré de la "production" poétique de l'époque, et guère tendre à son égard. Il nous prévient " munis d'une large brouette, nous extrayâmes de sa cave (celle de Boujut)  les 600 plaquettes de l'année" et s'en suit une belle fusillade de tout ce qui sortait alors signé par une génération toute neuve, avide de gloire et de reconnaissance. Je ne fus pas épargné et c'était bien.Je le revois encore au Soleil dans la tête, dans le fameux Fauteuil d'Emmanuel qui était le confessionnal de toute une catégorie d'écrivains qui venaient là, discourir, des après-midi entières, alors que les rares clients feuilletaient les éditions originales des surréalistes ou découvrir la poésie vivante qu'on y fêtait.Ce n'était pas un tendre, Miatlev. Sa chronique de la Tour de Feu était sans doute le panorama critique le plus étendu, et le plus percutant de la poésie de ces années 50-60 qu'il a analysé avec une attention soutenue, et sans aucune concession. Son oeuvre propre est mince. Un premier recueil au Seuil an 1945 (Paix séparée), puis des plaquettes à la Tour de Feu (Ce que le cadavre devrait savoir, 1948, Syllabie, 1955, Dieu n'est pas avec ceux qui réussissent,, 1959, Soleil de miel, 1966, et encore s'agit-il là d'un hommage posthume rendu par Pierre Boujut à l'un de ses collaborateurs qui fut un ami).Sévère avec les autres, il l'était avec lui même si l'on en juge par la minceur de sa production. Pudeur, prudence, lucidité ?Il pose le problème du poète qui peut l'être (et grandement) sans nécessairement "produire" une oeuvre. Une vie y suffit. Un comportement.  Ce fut sans doute son cas.
 


 
 
posté le 26-10-2010 à 11:03:36

L'imprimerie de Virginia Woolf.

L'aventure de la Hogarth Press, qui va publier l'essentiel de l'oeuvre de Virginia Woolf (et des textes de Katherine Mansfield) illustre la qualité des rapports que peuvent entretenir des écrivains avec l'imprimerie. Surtout lorsque la création se fait en circuit court (Restif de la Bretonne, lui, compose directement ses textes) et nombreuses aujourd'hui sont les entreprises de ce genre qui s'inscrivent dans une politique éditoriale totalement différente de celle pratiquée par les "grandes" maisons d'édition qui obéissent à des impératifs commerciaux.Le journal de Virginia Woolf, et maints témoignages de ses amis et  de son entourage, montrent combien la présence de cette imprimerie au coeur de la vie du couple qu'elle formait avec Léonard va interférer  sur leur comportement et cristalliser des relations avec quelques uns de leurs intimes engagés avec eux dans cette passionnante expérience.Modeste, facilement malléable, la presse par ses dimensions mêmes, devient le prolongement de la machine à écrire, la multiplication du texte à la mesure humaine et dans un rythme qui est artisanal, propice à des initiatives improvisées, à l'utilisation de beaux papiers, à l'ajout d'illustrations elles-mêmes demeurées au stade de la création à l'atelier (gravures). C'est toute une poétique du livre qui en découle.
 


 
 
posté le 23-10-2010 à 14:48:43

Courbet et les pécheresses.

Sortant la femme de l'atelier où elle se déshabille au nom d'une divinité antique et s'ébat dans des paysages de fiction, Courbet la retrouve telle qu'en elle-même dans la nature. Ordinaire, proche de celui qui la contemple et souvent y reconnaît une voisine, une amie, sa compagne. Peignant des femmes allongées dans l'herbe Courbet peint ses amies, ses maîtresses, il ne tente pas de la grimer au nom de références culturelles dont il ne veut pas. Ainsi en est-il des Demoiselles des bords de Seine. Deux jeunes femmes abandonnées au plaisir suave de la sieste sont alanguies dans un cadre végétal qui met magnifiquement en valeur leur carnation tendre et sensuelle, le désordre vestimentaire qui traduit la vacuité, ce relâchement du corps quand il se rapproche du plaisir.Poursuivant cette lente et douce, suave et voluptueuse chute en dedans de ses plus intimes sensations, Courbet pousse plus loin l'intimité charnelle avec Les Deux amies (ou Le Sommeil). Tout y respire le calme, le luxe et la volupté invoquée par Baudelaire. De menus détails renforcent le caractère érotique de la scène comme ce collier de perle épandu dans les draps défaits et les, fastueux cristaux.Un air d'abandon son équivoque. On est entré par effraction dans l'alcôve des Dames damnées qui évoque "à la pâle clarté des lampes languissantes / sur des profonds coussins tout imprégnés d'odeur / Hippolyte rêvait aux caresses puissantes / qui levaient le rideau de sa jeune candeur ... Elle cherchait dans l'oeil de sa pâle victime / la cantique muet que chante le plaisir / et cette gratitude infinie et sublime / qui sort de la paupière ainsi qu'un long soupir."
 


 
 
posté le 23-10-2010 à 10:49:09

Proust et la femme de Salon.

Axe majeur de la réussite dans la vie intellectuelle de la fin du XIX° siècle, le salon est un territoire strictement balisé par des préjugés. On y pénètre que parrainé, on y fleurit que distingué par la maîtresse de maison qui règne tel un militaire sur un champ de bataille (c'en est un). Car l'enjeu est de taille. On y fait et défait les réputations. Proust a admirablement analysé le phénomène, lui qui avait fait ses classes chez Geneviève Strauss (ex femme de Bizet), la comtesse de Chevigny, et "l'incomparable" Greffulhe, fort infatuée de sa personne et avançant dans sa vie mondaine comme une souveraine entrant dans sa ville. L'esprit n'est que l'écume de l'intelligence et de la culture, un langage codé, nourri de références occultes, de combinaisons de clans, et la sensualité y a deux visages, selon que l'on flatte une duchesse dans le salon et que l'on culbute les servantes à l'office. A côté de Proust, guindé et subtil, il y a toujours la fougue primitive de Maupassant, un monde de caniveaux et d'offices de notaires.Le portrait mondain naît en même temps que ce pouvoir du jeu social sur la carrière des hommes qui s'y frottent, y font leurs classes, et des jeunes dindes qui apprennent les bonnes manières et l'art d'enjôler les vieux célibataires. Sargent, Boldini ou La Gandara inventent une femme flexible et plaquée or, à la sensualité si bridée, si contractée que l'on y prépare le terrain où ira fouiller Sigmund Freud. Il faudra passer par Vienne (Autriche) et se laisser conduire dans les ateliers des artistes de la Secession, Klimt et Egon Schiele y annoncent la femme moderne.Extrait de "La femme flambée de la Sainte Vierge à Brigitte Lahaie".
 


 
 
posté le 21-10-2010 à 15:39:10

Soutine vu par Modigliani.

C'est bien le miracle de l'art qu'il façonne à son gré ce qu'il montre. Le peintre se révèle à sa manière de dire le monde, et l'art du portrait le prouve avec une force extraordinaire. Modigliani qui le pratique avec constance, entraîne ses modèles dans son monde, et sa manière même de les imposer en dit bien plus sur lui que sur eux. Pascin, face à Modigliani, donne un Modigliani, très typé dans sa tranquille épure des lignes qui cerne le corps, font apparaître le visage, et c'est bien un étrange paradoxe que Pascin devienne un Modigliani,  c'est à dire une oeuvre en totale contradiction avec son art propre, tout de véhémence, de matière brutalisée. Qu'aurait été un portrait de Modigliani par Pascin ? Une coulée fiévreuse de couleurs, une levée angoissante de formes où le visage se perd dans sa difficulté d'être, car, sans doute, ce que prouve l'exercice ici, c'est que le peintre se sert de son modèle pour dire sa propre pensée, son état d'âme.Un portrait de Modigliani, même transcrit dans la peinture (on sait qu'il en dessinait beaucoup, à l'arraché et jouant la synthèse), reste un portrait dessiné, strict quoique nimbé d'une certaine tendresse, peut-être une once de mélancolie.
 


 
 
posté le 21-10-2010 à 12:00:26

Gaston Chaissac et le "mail-art"

Tout artiste, en marge de son oeuvre de peintre, est tenté par l'écriture. Elle est le supplément de sa pensée, une échappée vers des domaines que la pratique et les techniques de son art lui interdisent. Le cas Chaissac est tout à fait singulier en ceci qu'il offre une autre dimension à  son travail de "plasticien" qu'il n'est que par paresse de langage, car telle n'est pas son ambition, l'urgence de "dire" passant avant toute théorie, les fuyant même.Une plume sergent major vaut bien le pinceau, et le voilà écrivant à foison, quotidiennement, pour dire ses émois (ses angoisses) conter son village, dresser une sorte de géographie pittoresque, un peu à la manière d'un ethnologue opérant au sein d'une peuplade inconnue, avec une malice, une originalité de vue qui en fait le plus singulier des correspondant en terre vendéenne. On l'imagine, s'asseyant sur les bancs libérés de la classe où son épouse est institutrice, et retrouvant la patience laborieuse du scripteur maladroit (mais n'est-ce pas une feinte !) pour composer ces lettres si chatoyantes et d'esprit si libre qu'il adresse à ses prestigieux correspondants (dont Paulhan) se posant en une sorte de mémoraliste d'une campagne profonde. Entre l'acidité d'un Jouhandeau et la verdeur d'une marquise de Sévigné. Une écriture qui lui ressemble,  fruste, sans aucun respect des usages, inventant sa propre esthétique. Et jusqu'au support qui défiant les conventions semble les provoquer. Il retrouve (dans l'enveloppe) cette fantaisie (et l'annonce) de ceux qui vont inventer le "mail-art", donnant bien de tracas aux facteurs mais tant de plaisir à celui à qui un tel pli est envoyé !
 


 
 
posté le 20-10-2010 à 09:52:50

Qu'il est loin, dada, monsieur Arp !

Comme bien des artistes de sa génération Jean (Hans) Arp (né à Strasbourg alors que la ville était allemande) va faire ses débuts dans le contexte du mouvement "dada" dont il s'impose bientôt comme l'une des figures majeures. Rien (?) de ses débuts tapageurs va subsister avec le temps, ou sera doucement assimilé à ce qui fait l'essentiel de son génie propre : une certaine manière de résumer le monde (la nature) dans des figures qui ne s'appuient pas sur un descriptif réducteur mais tendent à la synthèse. D'où ce jeu onctueux des formes, cette familiarité avec le développement naturel dans la nature et le corps dans toute l'extase de sa chair.Il fallait le voir caresser ses oeuvres avec tendresse et sans ostentation (souvenir d'une visite à la galerie Denise René, dont il était l'un des artistes phares avec Vasarely pour la plus jeune génération). Il y avait en lui la tranquillité de l'homme qui a mûri ses pensées, englobé en lui la richesse du visible pour en faire des totems de la réflexion et de l'harmonie souveraine du monde.Dada était loin ? N'avait-il pas été, cependant, et durablement, une manière de se couper des conventions de l'académisme, pour mieux aborder une langue encore vierge dont il allait jouer avec une aisance sereine et heureuse.
 


 
 
posté le 19-10-2010 à 16:49:41

La voix de Marguerite Moreno.

Pourquoi ne pas le dire, dans le fabuleux décor de Christian Bérard ce fut une révélation, dont celle du théâtre dans ce qu'il a de magique en sa vertu de nous plonger dans un climat donné (justement imposé par le décor), d'incisif dans sa façon de clouer dans une histoire un destin et l'esprit d'une époque. Chaillot, terre d'enfance (entre la maison de Clemenceau, les jardins du Trocadéro et ceux du Ranelagh), cela vous fait des souvenirs que la brume du temps ne parvient pas toujours à effacer. Au coeur de cette plongée narcissique, voici "La Folle de Chaillot", promenant la silhouette extravagante de l'étonnante Marguerie Moréno, dans ce décor échevelé portant cette voix qui fut incomparable pour déclamer les vers de ses amis symbolistes et trouvait sa mesure dans la phrase souple et dansante de Jean Giraudoux.
 


 
 
posté le 19-10-2010 à 16:39:31

Anatole Jakovsky découvre Gaston Chaissac.

C'était dans les années 50, Chaissac n'était pas encore une vedette et les amateurs qui suivaient son travail étaient encore rare. Bien qu'ils fussent dans    les sphères les plus raffinées de la culture, ce qui n'est pas l'un des moindres paradoxes de cette oeuvre fêtée pour son "innocence" (elle est surtout un vagabondage de l'esprit et non dépourvue d'une certaine acidité) et considérée, par sa marginalité même comme une réponse aux nombreuses questions que se posent alors les tenants d'un art qui se cherchait de nouvelles orientations, de  nouveaux maître. Il était l'un d'eux. La reconnaissance de Jean Dubuffet n'était pas  pour rien dans cette reconnaissance et l'attachement que lui portent les écrivains (Jean Paulhan le publiant chez Gallimard). Le territoire de la "critique" était encore presque vierge à son endroit et voilà que surgit un modeste petit livre publié par Les Presses littéraires de France (une maison d'édition comme il en existe toujours en marge des grandes entreprises, commerciales et qui donnent souvent le meilleur de ce qui s'écrit, se pense). il est signé Anatole Jakovsky, un grand spécialiste, de l'art naïf (bien que Chaissac n'en soit pas un), et surtout de toutes les singularités, qu'elles soient d'ordre artistique (plastique) ou littéraire. Il va même vers les arts souvent réprouvés, qu'ils soient ceux des enfants, des fous, des marginaux de tout poil.Un texte d'une rare pénétration qui situe bien Chaissac par rapport aux artistes faisant appel aux objets, dont Marcel Duchamp  qui ouvre, lui, la voie de la contestation quand Chaissac ne vise qu'à s'exprimer dans une spontanéité qui fait tout l'attrait de sa démarche."Chaissac enlumine la pierre, la racine, la brique et les détritus de toute sorte, tout comme les moines qui enluminaient le parchemin".Il y a, en effet, chez lui, un goût de la note forte, la couleur poussée au maximum de sa puissance". Le fameux savoir faire du peintre qui a "fait les écoles", cède la place à "des accents de cette sincérité inimitable, puis cet aspect du jamais vu" qui caractérise son  art.
 


 
 
posté le 19-10-2010 à 10:41:03

De Saint Germain des Près aux Puces.

C'est presque un classique, comme tout ce qui tourne autour des années 50 quand "la bande à Robert Giraud", régnait sur Saint Germain des Près. On y pratiquait la poésie à l'état brut (le lettrisme venait d'apparaître, le surréalisme rechargeait ses batteries), la découverte de l'art brut (Jean Dubuffet était alors le promoteur de manifestations qui leur étaient consacrées,) on jetait un pont vers la porte de Clignancourt où se déroulait le rituel des puces le week-end. Quand le Soleil dans la tête est créé, en 1952, Saint Germain des Près a beaucoup perdu de son attrait et commence à vivre sur sa légende. Mais des nouveaux détecteurs de talents comme Eric Losfeld travaillent à recueillir l'héritage fabuleux d'une époque d'aussi grande activité culturelle. Il fait ses débuts (modestes) au Soleil dans la tête dont le local exigu qui se voulait plus gros que le boeuf. Cela tenait de la bouquinerie, héritage du prédécesseur, Michel Roethel, qui représentait Jean Jacques Pauvert et gérait la prestigieuse revue Troisième Convoi - Artaud, Fardoulis Lagrange, Georges Bataille- et de la galerie d'avant garde (on y fêtait Unica Zurn, Pierre Albert Birot, René Guy Cadou, les surréalistes).C'était aussi la "centrale" des nombreuses revues de poésie qui s'était créées alors, de Io à Temps Mêlés, cette dernière plutôt marquée par le goût de l'humour et des curiosités littéraires (de Picabia aux nouveaux poètes belges) et de joyeux lascars comme Noel Arnaud ou François Carradec, le biographe de Raymond Roussel, d'Alphonse Allais et de Lautréamont.Des Puces à Lautréamont, le chemin est court s'il passe par Saint Germain des Près et ses héros.
 


 
 
posté le 17-10-2010 à 11:50:55

Nouvel entracte.

Cette fois ci c'est  le système des photos qui ne fonctionne pas. Je dois me résigner à abandonner pour le moment ce blog. On peut aller sur soleildanslatete.centerblog.net. Merci
 


 
 
posté le 16-10-2010 à 12:43:12

Bernard Rancillac aux sources.

Il est toujours passionnant de retrouver un peintre à ses origines. Quand il n'a pas encore trouvé sa manière, qu'il tâtonne, se cherche parmi les influences encore visibles et qui annoncent le peintre qu'il sera. Bernard Rancillac, dans les années 50-55, avait son atelier à Bourg la Reine où son père professait au lycée Lakanal, et Jean Grenier suivait attentivement ses débuts.  Il abordait conjointement peinture et poésie, écrivant lui-même d'assez singuliers poèmes. Dans son entourage immédiat il y avait aussi l'élégiaque, le tendre et délicieux Cheval-Bertand (lui aussi peintre et poète), et une fraternité, une ouverture d'esprit qui les conduisait,  l'un et l'autre à des engagements spontanés, des audaces qui étaient bien le propre d'une génération sur laquelle pesait encore la souvenir de l'Occupation, et qui ouvrait tant de nouvelles voies à la peinture. Ce sera la période la plus féconde en découvertes, engagements et organisation d'une pensée ardente qui se mesurait au passé de l'Histoire et de l'Art sans complexe mais avec la conscience qu'elle ne pouvait être écartée de son propre cheminement. Génération bénie parce qu'elle avait l'enthousiasme des pionniers, et la bonne volonté des humbles, sachant que de s'ouvrir à eux si neuf, l'art était plein de pièges et la fixation de leur style d'un acquit difficile. D'où les errances, les recherches, mais, en compensation des oeuvres uniques, où se reflètent les diverses facettes d'une riche sensibilité. Ira-t-on cherche la raideur d'un personnage autrement conventionnel, mais si agréablement exotique, dans le souvenir de Gauguin ? Déjà tous les parfums des îles traversent une oeuvre modeste mais si franche et directe qu'elle attire l'adhésion.
 


 
 
posté le 16-10-2010 à 12:25:41

Balzac vu par Baj.

Grand admirateur de Jarry, Baj ne pouvait regarder Balzac sans les associer. Non dans le déroulement de l'oeuvre, titanesque chez Balzac et collée à la réalité, mais dans l'apparence physique de l'auteur de la Comédie Humaine qui évoquait celle d'Ubu. La ressemblance s'arrête là. Balzac victime de sa propre puissance au travail (l'abus de café et les nuits d'écriture) n'avait rien du dandy (sinon le goût des colifichets incarnés par sa fameuse canne), et, vêtu de sa robe de bure pour ses nuits laborieuses, il ne cachait rien de sa corpulence qui n'était pas celle de la suffisance mais de la gloutonnerie qui le caractérise tant devant la table du restaurant que le modeste petit bureau que l'on peut toujours voir dans sa maison de Passy. Ubu incarne le ridicule (et la méchanceté) Balzac fustige le ridicule de ses personnages, et il n'est pas toujours tendre avec eux. L'un révolutionne l'art d'écrire, non sans sophistication, qui le rend parfois d'accès difficile, l'autre construit une oeuvre avec de vieilles recettes mais en maçonnant avec vigueur un matériau auquel il redonne une vitalité perdue dans l'usage. Il ne craint pas le pire des procédés : retrouver la dynamique du roman feuilleton (il est de l'époque d'Eugène Sue, d'Alexandre Dumas), il construit un monde depuis le décor (la passion pour les objets, l'ameublement, non sans prodigalité et quelques erreurs de goût) jusqu'aux personnages auxquels il donne une si forte identité qu'ils circulent d'un livre à l'autre comme dans leur territoire, conquis.Jarry c'est une principauté raffinée, pleine de secrets, avec ses codes, ses légendes, ses complicités ;  Balzac c'est un continent. Le regard du géographe remet chacun à sa place.
 


 
 
posté le 15-10-2010 à 14:24:41

Cocteau et l'Opium.

Enfant d'une bourgeoisie cultivée mais conservatrice, Cocteau se lance dans la modernité avec la fougue d'une adolescence bercée par les muses et attachée à de précoces succès.Il ne pouvait échapper au prestige de la drogue qui entrait, en ces années là, dans le registre du pittoresque comme l'attrait de l'Orient, les recherches de l'insolite et le goût de s'extraire du quotidien dans ce qu'il pouvait avoir de banal et de convenu. Phénomène de mode presque, et en faveur dans un milieu qui paradoxalement se retranchait dans ses territoires d'élection (le Boeuf sur le toit) et se donnait volontiers en spectacle. Les oscillations de sa pensée, de ses foucades, de ses découvertes font l'objet de constats où chacun jouait son rôle, Cocteau passant avec une désinvolture teintée de snobisme, de la drogue à la religion (l'étape Jacques Maritain). Pourtant, s'il se conforme à une certaine donnée du rôle du poète qu'il veut jouer Cocteau sait le faire toujours avec un génie propre. Il est partout, il est là où il convient d'être, il n'y est jamais médiocre, et souvent ces étapes nourrissent son oeuvre, la font évoluer.
 


 
 
posté le 15-10-2010 à 14:21:06

L'arbre de Soutine.

A l'arbre, son frère quand il le contemplait, Soutine infligeait ses propres tourments.Cette manière de croître en circonvolutions ardentes, de conquérir son espace par des à-coups bizarres, ce frémissement dans les  sommets exposés aux caprices du vent, cette rugosité d'une chair sombre et desséchée hostile au contact de la main, et jusqu'à l'ombre qu'il dispensait au milieu d'une place de village comme un ancêtre grognon, raisonnant ses rancoeurs, instaurait un règne du végétal qui n'aurait pas été frappé par la grâce  mais marqué par quelque calamité des origines. L'arbre du péché qui est à l'origine de notre malédiction était-il de cette nature, ou, bien au contraire, trop séduisant, il fut, lui aussi, condamné à l'aigreur de sa condition. Soutine voyait la nature en fusion, en perpétuelle métamorphose, comme si la matière s'interdisait le repos et courait toujours devant elle, vers une nouvelle résolution. Torturé par l'ouragan, l'arbre de la forêt se brise, et cadavre cloué au sol, se livre à l'activité féroce et fébrile d'une peuplade minuscule qui travaille à la métamorphose de la matière ;  dressé comme une flamme figée au milieu des maisons, il est le fantôme d'une histoire qui nous échappe, et qu'il tente de nous traduire. Mais, bien sûr, il s'agit là d'un arbre vu par Soutine. Un autre le voit fraternel, bienveillant et non convulsif. A moins que ce ne soit les convulsions du plaisir. L'arbre écrit alors dans sa silhouette la dynamique de sa croissance et son plaisir à l'état permanent de sa croissance et de sa réception des saisons.C'est celui sous lequel on aime à se recueillir, et se livrer à d'innocentes activités. Mais rêver y est encore la meilleure manière d'honorer sa présence et sa protection.
 


 
 
posté le 14-10-2010 à 11:15:18

entracte

Je rencontre quelques difficultés pour atteindre mon blog par la voie habituelle. Je serai donc absent quelques temps. On peut aller sur soleildanslatete.centerblog.net qui est le parallèle de celui-ci
 


 
 
posté le 12-10-2010 à 16:59:10

Le clinquant des bracelets chez Gustave Moreau.

Les corps, chez Gustave Moreau, sont androgynes. La parure, seule,  distingue les sexes, encore que de jeunes hommes aiment à orner leur torse avantageusement bombé ou pétri dans la douceur de chairs admirables, des fanfreluches qui font les princesses et les distinguent de leurs servantes.Au poids de l'ornement s'accuse la perversité du modèle. Comme si le bijou était la décoration du mal. Il s'allie au corps, l'entoure, le contourne, l'enferme, l'épouse comme les tissus luxueux qui s'effilochent, s'entrouvrent, pour mettre en scène la gestuelle qui situe géographiquement, historiquement, la page contée d'un pinceau aussi minutieux que celui d'un orfèvre et de celui-ci tenant le goût du détail, la minutie des liens qui composent un ensemble aussi complexe qu'irréaliste.L'offre de la nudité brute n'est qu'un regard fruste et vulgaire de la femme dont Courbet se fera éventuellement  le maître, alors que Moreau  met la sensualité dans l'ornement, la magnifie dans les ensembles et suggère toujours d'étranges rapports entre les personnages qu'il dispose dans un monde de fastes et d'outrances architecturales. Une nature de catastrophe, venue des fonds de la peinture primitive (montagnes  brumeuses, silhouettes de villes accrochées aux faîtes des sommets) mais électrisée par une fièvre qui parcourt toute la scène.Tout y est mouvements, danse, avancée sur l'espace du spectacle qu'investissent les figures d'une sorte de Crazy Horse à l'antique, aux couleurs byzantines.Salomé domine ce monde de provocation corporelle, de déhanchements lascifs, de poses effrontées. Faisant glisser le désir de l'homme dans la macabre machination d'un pari pour provoquer la mort (Saint Jean Baptiste).Sexualité et mort dessinent le carré d'un spectacle crépusculaire que les peintres "fin de siècle" vont peupler de créatures capiteuses, démoniaques et perdues.C'est "la déité symbolique de l'indestructible luxure, la déesse de l'immortelle hystérie, la Beauté maudite" affirme J.K.Huysmans, grand connaisseur des choses du sexe au voisinage du bénitier.Car la diabolisation de la femme est bien la conséquence du discours violemment castrateur que tient une Eglise effarouchée par la plus timide cheville qui surgit de dessous les frous-frous des crinolines.On passe rapidement de la sacristie et de ses crucifixions démonstratives (tant aimées par Huysmans) aux boudoirs sulfureux où dominent des Sphinges enveloppées de fourrures, au visage fermé, au regard lointain, comme les rêve le peintre Stuck. Une divinité couchée conserve-t-elle la dignité de son rang ou n'invite-t-elle pas déjà le servant au péché.C'est le thème récurrent de "La Tentation de Saint Antoine" sur lequel Gustave Flaubert a peiné toute sa vie durant. La femme est l'enjeu du drame vécu par le saint. Elle est la figure descendue des hauteurs confuses de l'imaginaire pour troubler une figure suppliante qui ne vénère plus une vierge en majesté mais une femme secouée par la luxure. Félicien Rops en tire des scènes gaillardes, d'un humour qui tient de la Salle de Garde mais conduit le bal qui tourne les têtes de l'époque.
 


 
 
posté le 11-10-2010 à 14:23:14

Un dessin, comme une fleur sur le chemin.

On l'a déniché sur un blog à la constance des mots pour mieux dire son émotion. C'est Saint Songe (sur Overblog) : bertrandelporte-yaoo.fr.over-blogMots et dessins se répondent. L'exercice a le pouvoir de saisir au plus près l'émotion. Ce n'est pas un jeu de miroir (une complaisance) mais une exigence pour retenir ce qui échappe : ici aux mots, là à l'image. Mariage intime et discret cependant pour vagabonder au fil de la pensée comme on vagabonde en esprit, et sans savoir retenir cette splendide floraison qui est un peu aussi celle des rêves.Alors on ose balbutier, tenter une approche comme on aborde un objet précieux, peut-être on cueille une fleur. Avec cette délicatesse qui est moins celle du respect (il va de soi) que de l'amour. Dire sa pensée c'est violer celle des autres. Alors on prend des précautions, on hésite, on murmure.Tout débordement des mots pour le dessin c'est comme un arrêt sur le chemin, un temps de précaution devant une découverte, une hésitation, un doute. On habite le chemin que l'on trace, on habite aussi mieux l'écriture qui s'échappe des rigueurs qu'on exige d'elle. Parce qu'on y est entier. Fragile mais sans le fard des conventions. Exposé comme aux intempéries qu'est le regard de l'autre.
 


 
 
posté le 11-10-2010 à 14:20:03

Un dessin, comme une fleur sur ;e ch

 


 
 
posté le 10-10-2010 à 14:51:48

Violette Leduc : un livre, une souffrance.

Un livre, une souffrance. C'est au bord du gouffre de sa vie (pour survivre) qu'écrit Violette Leduc. Jamais, sinon dans un Journal (mais le rythme du temps l'étire et la souffrance s'y dilue) on atteint d'aussi près l'insondable du coeur. C'est l'approche maladroite (mais si inspirée et baroque dans les termes et les mots) de cette souffrance qui conduit un être qui se croit laid (l'est-il vraiment ?) et qui donne aux mots (à l'écriture) le pouvoir de l'en sortir. Violette Leduc partage son mal à vivre avec ceux qui l'approchent, dont elle quête l'amour. On passe du souvenir de Maurice Sachs (on le rencontre dans d'autres livres) à Jean Cocteau, dans sa campagne de Milly la Forêt, mais quelle déchéance que ce vieillard s'endormant après le repas, ou encore le Jacques Guérin si froid dans son luxe et son immense curiosité pour "le monde des lettres". Il saura reconnaître le  talent (et qui dit mieux que le talent) de celle qui lui a confié un texte brûlant : "L'Affamée" et Jean Jacques Pauvert prêtera son nom pour l'éditer luxueusement. Mais deux figures sortent du tableau (comme les donateurs dans les scènes religieuses médiévales), l'éprouvant Jean Genet qui la maltraite, figure énigmatique et créant cette distance qui nous éloigne des statues de dieux barbares, et Simone de Beauvoir, comme une aînée bienveillante qui vous guide dans vos appétits et vous console par sa seule présence. Pour égayer le quotidien dont elle appuie la pesante présence, surgissent des gamins boutonneux, épris de lettres et s'ennuyant dans leurs lycées de provinces (mais que de vocations littéraires sont nées dans cet étouffoir où la prose scintillante d'André Breton, les énigmes de René Char ou les facéties exotiques d'Henri Michaux sont comme une sorte de bréviaire).Un livre, une souffrance. Ecrire serait-il un long calvaire et toute oeuvre un Golgota!   .
 


 
 
posté le 09-10-2010 à 15:52:55

Le Misérable Miracle.

On y avait rencontré Thomas de Quincy, on y rencontre Baudelaire (qui d'ailleurs rend hommage à son prédécesseur) la fumerie d'opium c'est la boudoir de toutes les évasions, des nonchalances du corps tandis que l'esprit libéré de sa prison charnelle vagabonde, s'invente de si merveilleuses contrées où errer. C'était alors le propre des poètes de chanter la drogue. On n'y voyait pas de mal, on lui accordait le pouvoir d'aider à créer. Henri Michaux qui s'y est risqué est de son côté fortement sceptique. Il parle du Misérable miracle.Alors la société abandonne les drogués à leur triste sort. A l'infernale  cérémonie (fort coûteuse) qui brise leur vie. La drogue a perdu de sa superbe et de ses savoureuses séductions pour n'être plus qu'une brutale fuite en avant. Suicidaire.
 


 
 
posté le 09-10-2010 à 10:50:13

Madame Hanska dans les meubles de Balzac.

Madame Hanska au salon.La voici donc l'élue, Balzac avait fixé sa vie sentimentale sur une audacieuse lectrice qui lui avait écrit son admiration. Ainsi s'établissent des intrigues autour des mots, et le livre est le support des voyages les plus riches de l'imaginaire. Pourtant Balzac a risqué une véritable approche en faisant un périlleux voyage dans ce qui était alors la lointaine Russie. La temps faisant son minutieux et lent travail, la femme élue devenue veuve peut convoler en véritable noce civile.Vaut-elle mieux que le rêve qui la précède ? Devenue madame (de) Balzac la voici dans ses meubles, ce "palais" conçu par son admirateur à la veille de sa mort. Un déballage de trésors accumulés au cours des ans en se ruinant. Cela fait une maison bourgeoise. Les personnages qui entrent en scène vivent alors en conformité avec le cadre ainsi créé par l'amour, vécu dans l'ordinaire du quotidien. Le comble pour une passion si longue, si riche en mots pour la dire et se substituer à elle. Une silhouette bien de son temps, frileuse mais engoncée dans le confort qu'on lui a préparé. On ne nous l'aurait pas dit, ce serait-on douté que c'était madame Hanska venue du pays des neiges pour se réfugier dans le confort d'un Paris qui sortait à peine du Romantisme et entrait dans le mauvais goût "fin de siècle", avec ses accumulations d'objets, ses tentures lourdes et ses cadres trop dorés. On est entre l'intérieur de la Princesse Mathilde qui fait des mondanités et celui d'une coquette (une cocotte ?) qui se donne des airs bourgeois. La frontières et fragile alors entre celle qui vend son corps et celle qui l'ayant déjà vendu s'enferme dans la dignité. Une dignité feutrée.
 


 
 
posté le 06-10-2010 à 11:34:02

Un orage chez Violette Leduc.

Un orage typographique chez Violette Leduc.C'est venu comme un orage.C'est un orage.Dans la tête, alors qu'elle est disponible, ouverte au plaisir de s'épanouir dans le déferlement des mots (déferlement donne une vision de hâte, de brusques avalanches dans la typographie, alors il vaut mieux dire, déroulement), comme lorsqu'on feuillette un livre d'images - ce petit frisson intime qu'on se fabrique quand on lit avec la modestie du spectateur qui s'est glissé dans la salle de cinéma pour se laisser aller au plaisir de voir.Il en est de même avec les mots. Ils défilent. Assemblés ils composent un paysage (parfois un objet), une situation dans laquelle on tente de se faire une place.La découverte des mots c'est un peu une invitation au voyage.Revenons à l'écran.C'est une page de bonne typographie, d'un livre édité par Gallimard (1970) : "La Folie en tête", auteur Violette Leduc. Elle conte ses tribulations de jeune auteur. Angoisses, joies fugitives, vertiges. Page 110. Fixez la masse typographique. Elle est compacte. Soudain apparaît une longue fissure qui déchire le texte. C'est un peu la méthode de Léonard de Vinci : regardez avec obstination une tache sur un mur, il en sortira une figure.Alors, soudainement, la zébrure blanche compte plus que le texte dans lequel elle fait son chemin. Parce que le vide qu'elle construit avec la hâte de l'orage, cette blessure rendue à l'évidence au point de nous retenir, ce vide là, va nous engloutir.Raisonnable, on s'y glisserait avec précaution comme, lorsqu'au cours d'une promenade, on découvre quelque fissure dans le sol : tranchée en ébauche ou éboulis discret.Mais lorsque l'imaginaire s'y risque sans précaution comme dans le vertige d'une chute, on s'y perd. De s'y abandonner donne le perfide plaisir d'être déjà un autre et surtout hors de soi (ne serait-ce pas la chute d'Alice, vers le pays des merveilles ?) hors de ses limites charnelles, d'une prison familière.Dans l'indécision des formes qui sont déjà celles du rêve dont on a perdu des pans entiers au réveil. Habite-t-on durablement un rêve. Ce serait la nostalgie.On tente d'en reconstruire, approximativement, l'édifice, le peuplant des fantômes qu'on y avait rencontré. et que l'on ne veut pas perdre totalement.De même on s'est éloigné du texte blessé par cette sinuosité du blanc du papier où il n'a pas su colmater cette étrange blessure, et, de nous y précipiter nous a tourné la tête.Il sera difficile de retrouver son chemin après ce doux vertige et la masse sombre du texte sanglé dans sa belle lisibilité en corps 12 ressemble alors à un mur.Parviendrons nous à le franchir ?photo Michel Flégon.
 


 
 
posté le 05-10-2010 à 11:20:51

André Breton entre le Ciel et l'Enfer.

Peut on y voir un signe (pour lui qui les appréciait tant et ne manquait pas de les noter) qu'André Breton habitait au dessus du "Ciel" et de "l'Enfer", deux cabarets qui firent les beaux jours du Montmartre de la godille. Lieux de fiction forcée à l'extrême et caricaturaux. Dont on imagine mal qu'il appréciait l'esprit, encore que cette envolée vers des extrêmes ne devait pas manquer de sel pour un esprit prompt à fantasmer.  Il me semble que Villiers de l'Isle Adam (qu'il portait à la célébration) était mort dans un immeuble voisin (à vérifier) et que chaque pas, dans le quartier soulève des fantômes. Ici Théophile Gautier, là Delacroix, et au coin de la rue, Constantin Guys tant aimé des Goncourt, ou encore Gérard de Nerval qui est toujours un peu partout dans Paris, et Toulouse-Lautrec qui balade sa fantaisie cynique, ses amis fêtards, sa gourmandise déviante et franchissant tous les obstacles de la bienséance dans toutes les rues du quartier, entre le Moulin Rouge (voisin) et les bordels abondants alors dans l'endroit.Breton, piéton inspiré ne pouvait que croiser sur son chemin tous ces fantômes qu'ils surgissent du ciel ou de l'enfer. Aujourd'hui s'est glissé un petit théâtre si petit que de la rue on perçoit la scène où s'agitent des comédiens en répétition. C'est bien le propre de l'endroit de déverser dans la rue les forces de la fiction, et peut-être les lueurs du merveilleux.
 


 
 
posté le 04-10-2010 à 10:27:11

Verlaine dans l'atelier de Carrière.

Si Carrière ne fut pas un intime de Verlaine (ils se seraient vus une seule fois, dans l'atelier de l'artiste de la rue Hégésippe Moreau où le poète devait "poser" pour le peintre) il sait admirablement traduire le caractère pathétique de son modèle, sur le long chemin de sa déchéance. Charles Morice qui est à l'origine de la rencontre se souvient : " Le poète, malade, était à l'hôpital, à l'autre bout de la ville. Tout avait été préparé, Carrière l'attendait. Pas un instant Verlaine ne posa. Durant cette unique séance de quelques heures, il ne cessa d'arpenter l'atelier en parlant haut. Pas un instant Carrière ne cessa de travailler. Verlaine partit, je crois bien sans l'avoir aperçu" pourtant, le peintre saura "voir la vérité du poète, et la dire".Gustave Geffroy (dont il a fait aussi le portrait), en observateur attentif et pénétrant, avait noté : "Toute la mise en scène savante que (Carrière) donne à la pensée qu'il veut mettre en lumière consiste à isoler son sujet, à l'éloigner de tous les objets qui pourraient attirer l'attention de celui qui regarde. Il  veut aussi assurer à ce sujet le bénéfice de l'intérêt total, il lui donne toute sa place, il n'en fait pas le centre du tableau, il en fait le tableau tout entier";Plus que tout autre, en raison même de sa nature et de son état, Verlaine pouvait représenter un sujet idéal pour la manière de Carrière toute de souple et évanescente suggestion, et forcée sur le caractère mélancolique de la réalité qu'il scrutait. On l'aura vu dans ses nombreuses compositions basées sur le thème de la maternité. Avec quelque chose de languissant, de souffreteux, définissant la nature humaine. Ce qui l'amène à user d'une touche rapide, évitant le détail anecdotique pour atteindre l'essence même du sentiment qui est le véritable sujet. Il rejoint aussi le monde de Jehan Rictus sans en avoir cependant la gouaille et le caractère parfois provocateur. C'est Steinlen qui prendra en charge la matériel poétique du chantre de la désespérance dont la rue est le cadre naturel.Carrière est plus feutré. Ce qui le conduit à traiter le paysage dans une gestuelle finement (mais discrètement) colorée. Et déjà d'une étonnante modernité pas son adhésion à l'atmosphère plus qu'à l'architecture des formes. Il exprime une sensation.
 


 
 
posté le 02-10-2010 à 11:29:06

Kirchner, un dessin au lasso.

On apprend qu'il fut l'une des victimes (elles sont nombreuses) de l'intolérance et de la stupidité des chemises brunes entendez la règne des nazis. L'art, selon eux, devait exalter la force musculaire de l'homme nouveau. Quelque chose dans le genre monsieur muscle et familles nombreuses, blondes bien évidement.Alors que lui, Ernst Ludwig Kirchner, dévoilait la face sensible de l'homme et ses angoisses, ses plaisirs (d'où la chair) et ses vertiges. Et pour le dire, le donner à voir, un trait vif, mordant, prompt à tenir dans son élan, un instant de vie (pour défier la mort). Ce n'est pas un art de l'immobilité, mais, bien au contraire, celui qui capte au lasso un geste, un instant, et le dit avec un tremblement dans la main (comme on dit un tremblement dans la voix) sous le coup de l'émotion.Il se prête volontiers à la confidence, ou, plutôt, en marge du dessin, pour le mieux saisir dans sa spontanéité il le commente, et se laisse aller à la confidence.Noté, au passage: "mon travail naît de la nostalgie de la solitude", la cherchant comme un espace de bien être pour se mieux connaître.Bien des mots pour mieux baliser son territoire à une époque (le début du XX° siècle) où l'artiste se cherche, s'affronte au réel au lieu de l'imaginer comme ses aînés. Devant l'adversité de son temps à son égard il est victime de dépressions nerveuses. Malade, il connaît les établissements de repos, et au terme d'une longue errance en lui-même, il se donne la mort (1938). Victime de l'art qui abat ses  soldats quand le monde est en effervescence. Son trait, si sensible qu'il semble tout le temps s'évader de sa mission, brûle en lui comme un feu qui court le long d'un fil reliant la vie à la bombe qui va l'anéantir, arrache au réel des présences. Cette femme au miroir, à la présence si forte !Et le miroir pour décupler cette présence (on songe aux expériences en d'identiques jeux de réflexion de Egon Schiele), elle est là, promise à quelle connaissance d'elle-même ? Se regarder dans un miroir c'est douter de soi.
 


 
 
posté le 01-10-2010 à 14:59:11

L'atelier d'écriture des Goncourt.

L'atelier d'écriture.  C'est  au fond de la cour, au 43, rue Saint Georges, dans ce qui fut alors le frétillant quartier des lorettes. D'ailleurs leur voisine en est une, dont ils firent l'un et l'autre, leur maîtresse. Ils ont l'habitude de tout partager, même le rite de l'écriture.A la même table, avec, au milieu, cette masse de documents dont ils aiment à s'entourer, car ils sont aussi des maniaques du détail vrai, de la minutie jusque dans leur manière d'écrire. On parlera d'un style "artiste". C'est qu'ils finassent sur les mots, choisissent le plus juste (le plus rare ?) et optent pour des tournures précieuses (encore que précises).Le travail en duo, en dialogue. A ne plus savoir qui "a fait quoi", la finalité justifie que chacun s'efface derrière le couple littéraire qu'ils composent. Encore que Jules ajoute à ses attributions, celle du dessinateur qui atteint de séduisants résultats tant dans la "vérité du dire que l'élégance du faire".A juger de leur écriture (la seule chose qu'ils n'ont pas en commun) on voit celle de Jules plus libre, légère et aimant sautiller parmi les croquis qu'elle commente. Il y a là le procédé du peintre qui note, dessins et écriture se confondent, se suivent en une coulée heureuse et nette.Edmond est plus assis dans sa formulation. L'homme de lettres s'affiche sans complexe, et même, parfois, avec une certaine complaisance.
 


 
 
posté le 01-10-2010 à 11:46:24

L'écriture flamboyante de Barbey d'Aurevilly.

A la ressemblance de tout son être, sa manière de se vêtir, d'être, de s'afficher, et même à l'exemple de son nom, l'écriture de Barbey d'Aurevilly est flamboyante. Maîtrisée, hautaine, élégamment ourlée, ornée, jeu de banderilles et de rubans, elle est aussi claire et fort lisible. Elle se suffit à elle-même parce qu'elle est le reflet exact du texte qu'elle porte à l'évidence de sa volonté de dominer le lecteur. De l'enjôler.Ici le graphisme a trouvé son style, il est le dessin qu'il contient et véhicule de pages en pages comme une longue mélopée, chantante, et qui est un peu l'opéra de la graphologie. Certainement pas (tant elle a conscience d'elle-même, qu'elle se théâtralise) en mesure de trahir celui qui s'en pare (s'en empare) et déverse ses flammes ardentes sur la page.Elle cache probablement (dois-je dire sans doute) ses doutes, ne relève pas du brouillon, elle ne se cherche pas, elle est à la parade. Lustrée, dans le bel uniforme du dandy qui ne mettra pas ses pas dans la boue des dures épreuves qui attendent toute entreprise d'écriture, mais pour nous plaire (oh jeu de la séduction) se donne en spectacle. Elle est comme une portée musicale avec les indications qui précisent les temps forts, les accents. On pourrait la chanter. La mettre  en musique.