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  VEF Blog

lettres de la campagne

posté le 31-01-2010 à 15:44:25

Cocteau sur tous les fronts.

Avec Cocteau tout est poésie. Du dessin au cinématographe (c'est lui qui tient à l'énoncé complet, abordant ce dernier comme s'il dessinait), en passant par le théâtre, le roman, et ce qu'il convient d'appeler la poésie, Cocteau s'empare du monde, de ses rêves, pour brasser une matière vive et scintillante.Il lui sera assez reproché d'avoir abordé tous les genres, de vagabonder des références antiques aux sirènes de la modernité, et une certaine désinvolture, jusque dans son attitude dans le monde qu'il aime fréquenter (tout comme Proust) mais sans doute juge-t-il nécessaire ces grandes brassées dans le courant des modes (qu'il suit ou parfois précède) ramenant à lui tout incident, événement et jusqu'aux faits divers dans son jargon et sa valise de voyageur élégant (on est à l'époque où Paul Morand célèbre l'homme pressé). Il est partout à la fois, à l'affût dirait-on des moindres frissons de la sensibilité collective et sachant toujours y répondre. D'où son succès,  ses facilités, ses accoutrements, l'arête aiguë qui lui vaut la haine de ceux qu'il provoque (les surréalistes).
 


 
 
posté le 31-01-2010 à 11:23:00

Le Paris de Jacques Prevel c'est Artaud.

Le Paris de Jacques Prevel est singulièrement réduit, centré autour de la figure d'Antonin Artaud qu'il rencontre chaque jour dans le quartier Saint Germain des Près (Artaud vient d'Ivry sur Seine mais hante les cafés de Saint Germain). Entre le 3 bis rue des Beaux-Arts, où il habite, et la rue du Dragon, et les étapes dans les hôtels les plus modestes du quartier, il se fait un itinéraire qui est celui de son "mal être" et de sa passion dévorante pour Artaud dont il quête les moindres mots, les plus capricieuses complicités, car Artaud n'est pas tendre avec lui (l'est il seulement avec ceux qui l'entourent et tentent de le sauver de lui-même de sa lente chute vers la mort ?) C'est qu'Artaud, de retour de Rodez est alors vénéré par un groupe réduit d'amis (Adamov, Colette Thomas, Marcel Bisiaux) et que l'on publie quelques uns de ses textes les plus importants comme "Van Gogh le suicidé de la société" (qu'il écrira dans l'entre-sol de la galerie Pierre, rue des Beaux-Arts) ou "Pour en finir avec le jugement de Dieu", édités sous le label de la remarquable petite maison d'édition K.J'ai longtemps erré dans ce réseau de ruelles encore médiévales conservées au coeur de Paris, ponctuées de galeries d'art, de librairies attachées à la poésie. On  s'y construit un espace qui a des allures de bulle échappant à la réalité et aux contingences d'un quotidien autrement médiocre. Pratiquement, chaque immeuble est marqué par le souvenir d'un illustre habitant, une page ardente de l'histoire de la littérature. Tant d'ombres s'y rencontrent, tant de souvenirs s'y réveillent, c'est une promenade chargée et chatoyante.
 


 
 
posté le 30-01-2010 à 14:19:30

Bloomsbury à la campagne.

La maison, trouvée par Virginia Woolf pour sa soeur Vanesse, et dans le voisinage de Monk'house (sa propre demeure), offre ce charme si particulier à la campagne anglaise, dans sa profusion végétale, son sol si sensible aux variations climatiques et véritable baromètre du climat ambiant. Une maison qui vibre aux élans de l'environnement. Elle devient rapidement une sorte d'annexe campagnarde de Bloomsbury, et fréquentée par ses membres.Vanessa et Duncan Grant, qui partage sa vie, entreprennent de décorer la maison à leur manière, c'est à dire en peignant d'abondance murs, portes, meubles, composant une épopée tendre et narquoise où se mêlent références et délectation, tant la peinture pour eux est exercice de plaisir et non spéculation intellectuelle. Il en sera de même pour Dora Carrington dans la demeure qu'elle partage avec Lytton Strachey (Ham Spray) qui peint sur tout support, avec une totale indifférence des usages d'un métier qu'elle place sous le signe du plaisir.A Charleson Roger Fry intervient aussi qui a créé avec Vanessa un atelier d'art appliqué. Foyer incandescent de la vie intellectuelle de Bloomsbury, Charleston en sera aussi l'ultime refuge. La disparition progressive de ses membres place le lieu dans cette zone d'élection où intervient le poids des souvenirs. Il est une mémoire de ce qui aura été une grande et généreuse aventure de l'esprit et de la liberté sexuelle dont il aura été le cadre.
 


 
 
posté le 29-01-2010 à 10:17:13

Parlons peinture.

Injustement  André Lhote a mauvaise réputation parmi les peintres, le reproche de sa participation à la critique d'art étant alors invoquée. Comme si, raisonner sur l'art, tenter d'en cerner les problèmes, nuisait à sa pratique, quand le peintre se veut exclusif et dégagé de tout souci historique trop prononcé. Ce qui devient de moins en moins vrai pour autant que tout l'art actuel repose sur une réflexion sur le passé de l'art, et qu'il est souvent le reflet de ce passé, pour le défier, le nier, le contrer, le provoquer, le singer, toutes attitudes qui relèvent plus d'un instinct intellectuel que d'une approche strictement sensuelle (physique) de la peinture revendiquée par  les contemporains de Lhote qui jugeaient nuisible de théoriser. Paradoxe encore quand on voit émerger  alors de nouvelles tendances qui impliquent une mise en forme des théories qui justifient les audaces nouvelles, les incursions dans des espaces nouveaux. Autant Malevitch que Mondrian, Kandinsky que Braque, Picabia que Masson, Max Ernst que Soulages ne répugnent pas d'exposer des théories sur lesquelles s'articule leur démarche.De fait, autant le peintre figuratif échappe à ce souci de théoriser, autant le peintre abstrait se croit obligé de se justifier. Figuratif, on suit la nature, la réalité, donnant du style à une chose extérieur à soi, et qu'on absorbe, traduit ; le peintre abstrait tire sa substance de lui-même, de l'émotion à l'état pur, de cette réflexion qui le conduit à refuser le réalisme au nom d'une ouverture de la peinture sur l'identité même du monde dans son unité fondamentale. On ne peint plus le paysage mais la dimension (imaginée) de l'espace.Parler de peinture c'est faire preuve aussi d'un certain dilettantisme mal vu, comme l'éclectisme qui passe pour de la futilité. J'aime dans le terme même utilisé par André Lhote  une invite tranquille, bienveillante, comme s'il  nous proposait de nous rassembler au coin du feu pour deviser en toute simplicité. Parler de peinture n'est-ce pas aussi parler de soi, de ses rapports avec le monde de l'art, de ses attentes, de ses trouvailles, de ses questionnements sans quoi nous n'avançons pas dans la vie.Parler peinture c'est proposer une approche sensible, et parfois savante, de l'art qu'il ne suffit pas d'admirer passivement, mais dont on appréciera mieux la force proposée, si on en connaît mieux le mécanisme.
 


 
 
posté le 28-01-2010 à 14:05:39

Donner à voir rend hommage à Paul Eluard.

Après la galerie Creuze, où furent présentées trois expositions de "Donner à voir", c'est à la galerie Zunini, à Montparnasse, que fut organisé l'ultime salon qui, par son titre, rendait hommage à Paul Eluard.Chaque critique invité (Gérald Gassiot-Talabot, Jean-Clarence Lambert, Raoul-Jean Moulin, José Pierre, Jean-Jacques Lévêque, Pierre Restany) avait la responsabilité d'une "section" placée sous un signe qui en assure la cohérence tant dans le sujet des oeuvres proposées que la circulation, entre elles, d'une idée commune. "Proposition pour un jardin" (lui-même s'inscrivant dans une longue série d'expositions présentées à l'origine à la galerie Le Soleil dans la tête, dans les années 60), offrant un regard sur la peinture naturaliste, une manière toute particulière d'aborder le thème de la nature dans le sillage de Bachelard, ce qui n'excluait pas l'abstraction largement représentée dans une mise en scène de Jean Berthier ;  sous le titre bref de "Tilt" (mise en scène de Miralda) une petite incursion dans le domaine de l'objet ; enfin, avec "Le bain avec Andromède" (un clin d'oeil à Robert Desnos), les savoureuses inflexions gestuelles d'un Janson ou d'un Graziani.Sur le thème du "nu" Jean Clarence Lambert rassemble une dizaine de peintres dont Bertini,  Lapoujade, Fontana, Artias, Izumi.Ce sont les "espaces et structures oniriques" que propose Gassiot-Talabot : Atila, Biasi, Byzantios, Cremonini, Monory, Segui, Kujawski.Raoul-Jean Moulin se penche sur "un réalisme démystifié" qui lui permet de rendre hommage à Cheval-Bertrand, qu'entourent Hernandez, Lybinka et Tabuchi."J'enseigne ce que je ne sais pas", une formule choc de Jean-Clarence Lambert, souligne l'esprit et l'humour de Adzak, del Pezzo, Klasen, Niki de Saint Phalle, Martial Raysse, Télémaque, Toyen, Silberman.Pierre Restany s'attache à "l'art mécanique" illustré par Beguier, Bertini, Pol Bury, Nikos, Rotella.
 


 
 
posté le 28-01-2010 à 11:45:11

D.H.Lawrence et ses femmes.

Entouré de femmes D.H.Lawrence n'est pas  pour autant un don juan et encore moins un libertin. C'est justement la part de puritanisme latent qui est en lui qui donne tant de complexité à ses rapports vigoureusement sexuels ou affichés tels quand la part de secret, de mysticisme qui germe en lui, freine ses élans ou les force d'une manière qui se veut provocatrice (voir sa peinture qui aura a subir la censure lors de ses expositions).Il fascine pourtant les femmes, déambule à travers le monde accompagné d'admiratrices prêtes à affronter un caractère difficile, parfois violent. Nombreux sont les témoignages de ses démêles épique avec son épouse Frieda pourtant épousée sur un élan de passion. Femme d'un professeur allemand alors qu'il séjournait chez eux, David Herbert enlève Frieda est entreprend avec elle un périple à travers l'Europe, d'hôtel et petites pensions, écrivant avec fureur et une abondance qui va bientôt l'imposer comme l'une des grandes figures de la littérature anglaise.Ce sera ensuite Mabel Dodge Lunhan, un excentrique américaine installée à Taos (Nouveau Mexique) qui attire Lawrence dans ses filets, accompagné de Frieda et flanqué de la singulière Dorothy Brett (qui laissera des souvenirs sur leurs rapports tapageurs). Nouvelle direction littéraire pour Lawrence que la découverte du Mexique avait bouleversé. Il en naîtra le monumental "Serpent à plume" si typiquement lawrencien et d'un lyrisme ardent.
 


 
 
posté le 28-01-2010 à 10:40:04

Vostell l'art poussé au tragique.

L'arrivée, à Paris, de l'artiste allemand Wolf Vostell, correspondait à l'émergence, dans le paysage artistique parisien du "Nouveau Réalisme"  créé par Pierre Restany avec la complicité d'Yves Klein, Arman, Niki de Saint Phalle, Tinguely, César, et quelques autres. Le langage de Vostell relevait d'un esprit assez voisin, mais plus marqué par l'expérience de la guerre (tout comme Beuys, autre grande figure de l'art allemand des années 60-70).Là où les Nouveux Réalistes s'en prennent à la société de consommation (non sans jouer d'humour), Vostell fait la part à la déchirure sociale entraînée par la guerre et dans le contexte de Berlin (où il vivait), marqué profondément par le caractère tragique et la théâtralité sauvage qui accompagne la chute de la ville maudite où dans son repaire souterrain Hitler se donne la mort.Une écriture qui a des accents hargneux, une force saccageuse, un lyrisme désespéré. Il donne bien le ton d'une Histoire qui a des allures de théâtre shakespearien. Poussant l'Histoire vers sa dimension légendaire, telle que le future la regardera.L'art devient un langage entraîné dans son sillage par l'Histoire.
 


 
 
posté le 27-01-2010 à 15:24:06

Laurence Sterne, la folie verbale.

On revient toujours à lui. Sa découverte est un bouleversement, tant il déroge aux lois coutumières, bouscule les genres et ouvre la littérature à de toutes nouvelles et riches perspectives.Laurence Sterne est aussi un personnage comme seule l'Angleterre a su en donner à l'Histoire. Pasteur, coureur, indiscipliné, fantasque, il aborde le monde des mots avec une pétulance qui jette un frisson dans la phrase, un séisme dans le récit et nous lance à la figure un des personnages les plus attachants de la littérature : Tristram Shandy.Dans un récit au rythme haletant celui-ci nous fait découvrir sa famille et l'oncle facétieux, on est là entre Rabelais et Swift, dans une construction romanesque qui semble se moquer du caractère linéaire du récit. Bousculant l'ordre chronologique, dans un jeu étourdissant de retours en arrière, incises, parenthèses, il fait penser à un conteur pris d'ivresse qui, dans la précipitation et la fièvre du récit, nous entraîne dans sa folie savoureuse et malicieuse à la fois.Les recherches typographiques qui firent les beaux jours du mouvement "dada" et des futuristes italiens ont leurs sources dans cette prose autrement compacte et dense. On aura dit combien lui doivent James Joyce et Pierre Albert-Birot, dont les oeuvres retrouvent ce caractère à la fois familier et fiévreux.
 


 
 
posté le 27-01-2010 à 11:10:42

Dora Carrington peintre discrète.

Roger Fry qui fut l'ami de Virginia Woolf (elle écrira un essai sur lui) et des membres de Bloomsbury, fut l'introducteur en Angleterre de la peinture française de la fin du XIX° siècle (post-impressionnistes). L'influence de cette dernière est sensible dans le travail des peintres attitrés du groupe de Bloomsbury ; Vanessa Bell, Ducan Grant et Dora Carrington. Cette dernière, qui partage sa vie avec Lytton Strachey et R. Partrdige, ne pratique pas la peinture comme un métier, mais pour son seul plaisir, bien qu'elle ait une formation technique. Elle joue dans l'étrange trio qu'elle vit avec son époux et son ami, un rôle volontairement effacé et modeste, tenant un ménage et s'en vantant. La peinture est une manière de s'exprimer qui se vit au quotidien, au hasard des circonstances, et se manifestant plus comme un artisanat qu'une démarche visant l'atteinte d'une oeuvre cohérente. D'ailleurs elle peint sur n'importe quel support, avec une désinvolture qui est bien de son caractère et une volonté de s'affranchir de toute discipline professionnelle. Ce qui lui donne un cachet particulier, intime et d'une grande séduction. Elle peint volontiers ses proches (d'où les portraits de Lytton Strachey) son environnement quotidien. Sans artifice ni recherche de style, mais une sorte de conviction tendre et appliquée, d'une extrême modestie et par là même d'une rare délicatesse.
 


 
 
posté le 26-01-2010 à 14:20:03

La vitrine du bouquiniste, une anthologie.

Plus encore que dans la rythme frénétique de la rue, la vitrine prend tout son sens dans le climat plus calme, (invitant à la lenteur de la déambulation), des Passages. Le promeneur s'attarde plus volontiers et  musarde dans ce bric-à-brac d'objets de toutes natures proposés à la curiosité du chaland.Des galeries y exposent de vieilles gravures, des tableaux d'un autre temps, loin de tout souci d'être à la mode. Nombreux sont les libraires qui y exposent de vieux bouquins. La vitrine du bouquiniste a ceci de plus séduisant que celle du libraire de nouveautés, c'est que ce dernier propose des ouvrages qui se retrouvent dans l'une comme dans l'autre de ces vitrines qui suivent l'actualité, alors que celle du bouquiniste épouse ses goûts personnels ou le jeu du hasard de ses trouvailles.Variante :On peut aussi imaginer des vitrines qui sont un peu l'étalage d'une bibliothèque idéale, comme c'était le cas chez Marcel Béalu à l'enseigne du "Pont Traversé" (un hommage à Jean Paulhan) au pied de l'église Saint Séverin.Poète, il privilégiait les poètes qui étaient souvent ses amis. C'était le livre ouvert d'une anthologie sentimentale. Invitation à découvrir : Aragon, Forneret, Benjamin Péret, Jean Rousselot, Eluard, Arthur Cravan, Joé Bousquet, Jean Follain, Julien Gracq,  Jean Tardieu, Blaise Cendrars, André Frénaud, André Breton, Artaud, René-Guy Cadou,  Pierre Albert Birot, Raymond Queneau, Francis Ponge, Henri Michaux, Bernard Delvaille, Lucien Becker, René Char, Michel Manoll, Guillevic, Maurice Blanchard, Jacques Prévert, Henri Pichette, Apollinaire, Cocteau, Tzara, Malcom de Chazal. Max Jacob et quelques inconnus qui profitaient de ce voisinage prestigieux.
 


 
 
posté le 26-01-2010 à 13:37:24

Les dimanche de Garsington

Restauré par les Morell,  Garsington Manor devient un lieu de rencontre et de repos pour toute l'intelligentsia londonienne du début du XX° siècle. On y rencontre aussi bien Aldous Huxley que D.H. Lawrence et la plupart des membres de Bloomsbury.Lors de la guerre, des objecteurs de conscience (David Duncan, David Garnett) y trouvent refuge. "Philip Morrell avait offert, là, aux pacifistes et aux objecteurs de conscience, un emploi facile dans sa ferme, et il y avait donc une population résidentielle qui comprit, à différentes époques,  Clive Bell, Gerald et Fredegond Shove, le frère cadet de Middelton-Murry et le peintre Mark Gertler ; ce groupe était renforcé par les visites plus ou moins longues de Middleton-Mury et Katherine  Mansfield, de Carrington et son amie Brett, de Lytton Strachey..." (Quentin Bell). Virginia Woolf donne aussi une impression du lieu dans une de ses lettres : " Il est difficile de donner l'impression d'ensemble, sinon qu'elle ne différait guère de ce que j'imaginais. Aldous Huxley tripotant de grands disques d'ivoire et de marbre, les "dames" de Garsington, Brette en pantalon, Philipp  formidablement revêtu du meilleur cuir, Ottoline toute velours et perles et comme d'ordinaire deux carlins, Lytton à demi couché dans une vaste fauteuil. Trop de bibelots pour une beauté réelle, trop de parfums, de soie et d'air chaud un peu lourd. Des flots de gens passèrent d'une pièce à une autre, du salon à la salle à manger, de la salle à manger à la chambre d'Ottoline, durant toute la journée du dimanche ", et de souligner le caractère étrange des rapports entre tous ces invités : "ils  se sont mis, dans une telle passe d'intrigue et une telle complexité générale des rapports qu'ils en ont à peu près perdu le sens les uns par rapport aux autres". 
 


 
 
posté le 26-01-2010 à 10:32:46

L'ami D.H.Lawrence.

Pourquoi revenir toujours sur les écrivains qui ont marqué notre jeunesse, imprimé leur vision sur notre mémoire et vont jouer un rôle, sinon de mentor du moins d'éveilleur et devenir des sortes de compagnons fidèles qui traversent notre vie onirique à défaut de nous prendre par la main.Pourtant rien de ce qui découle de leur oeuvre n'entre nécessairement dans notre manière de vivre. Ils sont comme des monuments que l'on prend plaisir à revisiter tant leur découverte fut source de bonheur. Ainsi en est-il de D.H.Lawrence dont les livres m'atteignaient dans ma scolarité d'interne en de tristes châteaux, entre un cours de grec et une version latine.D.H. Lawrence a une vision assez simpliste de la vie et des rapports hommes-femmes. Ce n'est certes pas en le suivant sur ce terrain que l'on peut trouver la meilleure voie. Il est trop proche de la glèbe, des forces primitives, pour ne pas effrayer un peu quand on cherche des issues plus émerveillantes (André Breton, Gérard de Nerval) et ce n'est pourtant pas un paradoxe d'aimer celui-ci, rude et sensuel, ceux là, emportés dans leurs rêves.Plus encore que son oeuvre, et parce que  celle-ci découle de sa vie, de son mode d'existence, de sa liberté de mouvement (toujours en mouvements, en déplacements), c'est sa vie qui fascine. Si loin de celle d'un homme de lettres, fonctionnaire de son oeuvre. Il avance, comme un chat en équilibre instable sur le bord d'un meuble, de passions en épreuves  (si profondément en accord avec les forces naturelles, et si naturellement lié à son quotidien), posant livre après livre, ce qui est le flot de sa pensée et les incidents qui nourrissent sa vie. Si bien que l'oeuvre est presque un journal. On le suit d'une Angleterre campagnarde aux lumières intenses de l'Italie, d'une Allemagne qui est aussi celle de son amie Katherine Mansfield, d'une Australie sauvage, au Nouveau Mexique où il trouve gens, lumière, moeurs et compagnonnages à sa mesure. Une vie "bien remplie" ; les oeuvres en sont le balisage, les témoins, les bornes sur une route semée d'embûches mais qui a des allures de chemin d'initiation.
 


 
 
posté le 25-01-2010 à 14:53:22

Brauner le dessin pour les mots.

Brauner à vif.La complicité du peintre avec les poètes peut le conduire à repenser l'acte de dessiner comme une manière de faire muter les mots vers des formes qui les prolongent, se substituant à eux. On peut parfois difficilement distinguer un dessin de Desnos par exemple d'un Brauner. Curieusement, une certaine maladresse dénonce ce qu'il peut y avoir de spontané, de vif, d'irrépressible, et le dessin fouille dans l'inconscient plus directement que le mot. D'où sa lecture privilégiée auprès de la psychanalyse  qui y voit un espace où se meut l'imaginaire débridé, la pensée sans contrôle.Brauner ici en complicité avec un poète ami (Voronca).
 


 
 
posté le 25-01-2010 à 10:03:51

Pourquoi Gabriel Paris est un inconnu.

Pourquoi Gabriel Paris est un inconnu.Il fut, dans les années 50, un peintre dynamique, entreprenant, abordant bien des domaines de la création artistique : peinture, dessin, illustration, affiches, gravure, animant pour la promotion des artistes de sa génération et ceux qui' il estimait des associations, éditant des albums de gravures et organisant des expositions collectives. Il avait fait des débuts remarqués au Soleil dans la tête en exposant avec Cheval-Bertrand et Bernard Rancillac. Seul, ce dernier, a su maîtriser sa carrière la conduire avec sagacité et trouver une reconnaissance publique qui est interdite à Gabriel Paris non qu'il la démérite mais sa trajectoire est différente et, surtout, il pratique une peinture qui n'entre pas dans la dynamique de l'Histoire.Gabriel Paris est de la "vieille école" qui végète dans la bohème, et conçoit la peinture comme un exercice de plaisir sans se soucier des modes, des courants reconnus, de la tyrannie des médias et du système qui fait les réputations et néglige ceux qui marquent une trop grande indépendance vis à vis de ses codes.Sa figuration n'est ni mièvre ni servile vis à vis du sujet, bien au contraire, elle s'invente un style, une écriture qui est parfaitement reconnaissable (pour autant qu'une oeuvre doit avoir une couleur qui lui est propre, une manière qui l'identifie).On est là dans l'héritage du fauvisme, de l'expressionnisme, une peintre d'accent, de verve et de saveur qui s'accroche au réel et le transforme en matière visuelle étrangère à toute remise en cause de ses moyens et une intellectualisation forcée ou laborieuse. Elle dit l'évidence du monde, ses aspects singuliers, son quotidien ardent et chaleureux. 
 


 
 
posté le 23-01-2010 à 15:38:47

Virginia Woolf par Vanessa

L'apport de la peinture française dans le groupe Bloomsbury passe par Roger Fry mais s'écarte des nouveautés audacieuses qui se développent à Paris autour du Bateau Lavoir ou de Montparnasse. L' hostilité marquée pour l'abstraction contient les peintres qui émergent du groupe, dans les limites de ce qu'avait donné en exemple la queue de l'impressionnisme, ses héritiers les plus directs. On y est dans la culture de Gauguin, des Nabis, Vuillard en particulier,  dont l'atmosphère de quiétude bourgeoise leur convient bien. D'ailleurs leur pratique de la peinture s'exerce au delà de la toile de chevalet, dans ses multiples  applications aux arts décoratifs, l'ameublement, l'illustration. Vanessa Bell inscrit la peinture dans sa vie familiale, une intimité qui en fait un précieux témoin, et chroniqueur de la vie des siens, de son entourage immédiat. Un portrait de sa soeur Virginia Woolf en dit plus long sur cette dernière qu'un témoignage écrit. On l'y voit dans son quotidien, nullement éloignée des tâches domestiques, et ne répugnant même pas à sa livrer à des travaux d'aiguille.
 


 
 
posté le 23-01-2010 à 10:49:55

Le cadavre exquis rue Jacques Callot.

La rue Jacques Callot fut, du temps de Balzac (il en parle), un passage couvert. Ouverte aujourd'hui à l'animation du quartier (elle permet d'aller de la rue de Seine à la rue Mazarine), elle comprend surtout des galeries d'art.  Le 16 fut, il y a une vingtaine d'années, une galerie ouverte à toutes les tendances (on y voyait surtout de belles et lumineuses compositions de Pierre Lesieur) mais, dans les années 20, un fief du surréalisme (la galerie Pierre - Pierre Loeb -, rue des Beaux-Arts n'était pas loin). Consacrer une exposition au cadavre exquis c'était donner à celui-ci (simple jeu collectif) le statut d'oeuvre d'art  pour autant qu'à la lumière du surréalisme, il était porteur du hasard, de la spontanéité créative, et de l'insolite, qui sont des lignes de force de sa politique.Le titre lui-même résulte de la rencontre de deux mots proposés par le "jeu des petits papiers" où, ayant inscrit un mot, on le camoufle à son voisin, invité à en écrire un autre. Déplié, le papier révèle ces rapprochements insolites revendiqués dans le souvenir et le culte de Lautréamont qui avait vanté la beauté de la rencontre d'un parapluie et d'une machine à coudre.
 


 
 
posté le 18-01-2010 à 10:57:01

Dora Carrington une femme libérée.

C'est chez la mécène Ottoline Morrell (dans sa propriété de Garsington Manor, un lieu où se retrouve les écrivains et peintres de sa génération) que la jeune Dora Carrington rencontre Lytton Srachey. Elle s'éprit de lui bien qu'il fut homosexuel (elle-même liée alors par une amitié amoureuse à Ottoline) et quand il achète la propriété de Tidmarsh elle vient vivre avec lui. Elle rencontre bientôt Ralph Partridge qui travaille alors à la Hogarth Press de Léonard et Virginia Woolf. Elle l'épouse bien qu'il est alors l'amant de Lytton Strachey. Au final c'est un ménage à trois qui cohabite à Tidmarsh. Peintre, Dora Carringthon s'attache à la maison et participe ardemment à l'organisation  de sa vie domestique.Virginia Woolf la classe dans les jeunes loups qui gravitent autour d'elle et incarnent une jeunesse frondeuse, libérée de tout préjugé, et ardent à une vie intense, préfigurant les grands courants qui vont naître en Europe bien longtemps après (1968). Elle représentait l'archétype des "Têtes de loup" "avec leur cheveux à la Jeanne d'Arc et leurs franges épaisses, leurs façons libres et indépendantes, leur entrain, leurs vêtements pratiques, aux couleurs vives et leur passion pour la culture". Elle était victime de l'hypnotisme de Bloomsbury assurait Vanessa (la soeur de Virginia).Personnage romanesque s'il en est Carrington "traverse" des romans de D.H.Lawrence. Figure type de la femme libérée (comme Lady Chatterlay).
 


 
 
posté le 17-01-2010 à 14:58:19

Virginia Woolf à Asham.

Sans doute la maison d'Asham est liée à la toute nouvelle vie conjugale de Virginia qui vient de se marier avec Léonard (ce juif sans le sous). C'est une grande demeure au milieu d'un non moins vaste terrain, mais dénuée de tout confort. Virginia, en dépit d'une santé fragile, assume avec détermination et courage les contraintes de la vie quotidienne et la maison devient vite un lieu de repos, de replis, au sein d'une activité sociale qui la fragilise et dont Léonard veut la protéger. " Quand Virginia allait à Asham, elle ne trouvait aucune commodité. Pour y arriver même, elle devait parcourir à pied ou à bicyclette plusieurs milles ou se mettre en dépense d'un taxi ou d'une voiture de place. Pour la lumière elle avait des bougies qui laissaient tomber des gouttes de cire sur le tapis, ou des lampes qui fumaient qu'il fallait remplir et dont il fallait couper la mèche le matin ; la chaleur était fournie par le bois ou le charbon, il devait être  transporté dans des seaux, il fallait nettoyer les grilles, préparer les feux ; mal faits ils emplissaient la pièce de fumée ou mouraient misérablement. A la campagne, on obtenait l'eau chaude en la faisant bouillir sur le fourneau. L'eau froide devait être pompée tous les jours dans une citerne, et Asham n'était pourvu que d'une garde-robe à terre pulvérisée...." (Quentin Bell).Les amis viennent et y poursuivent cette vie de fraternité intellectuelle qui aura toujours été la force des membres de Bloombury.  Là où ils sont (Lytton Strachey par exemple) l'esprit (et le cancanage) vont bon train. Dans son Journal Virginia note "juste de retour d'une promenade à pied dans le parc en cette incroyable journée d'automne (1918 au moment de l'armistice), il y a des baies orangées sur certaines maisons ; les hêtres sont d'une couleur si vive que tout parait pâle quand on les a regardés".
 


 
 
posté le 16-01-2010 à 14:14:28

Virginia Woolf écrit Mrs Dalloway.

La rédaction de Mrs Dalloway s'accompagne d'une intense correspondance avec le peintre Jacques Ravenat. Celui-ci était une sorte de cousin de l'esprit Bloomsbury. Virginia avait appelé ce groupe (où l'on retrouve D.H. Lawrence) les "néo-païens". Virginia révèle son souci de trouver une écriture qui ne soit pas linéaire. Elle parlera d'écriture radiaire. "Elle revendique pour elle-même la capacité ou tout au moins l'intention de voir les événements en dehors du temps, de percevoir les procédés de la pensée et du sentiment comme si c'étaient des formes picturales" (Quentin Bell). Evoquant la pierre que l'on jette dans une mare "il est des éclaboussures de tous côtés dans l'air extérieur, et sous la surface, des ondes qui se suivent dans les coins sombres et oubliés". Rêvant de trouver, dans une écriture d'une seule coulée (comme celle d'un fleuve qui n'est pas tranquille) la complexité mentale qui passerait mieux dans une écriture éclatée.De fait Virginia Woolf retrouve, même sous l'apparence d'une écriture qui respecte le déroulement traditionnel, l'analyse spectrale de Proust et on a d'ailleurs souvent comparé Mrs Dalloway à la prose sur elle-même lovée en mille poches de sensations, réflexions,  de La Recherche du temps perdu.Confiante en la complicité intellectuelle de Jacques Ravenat, Virginia lui adresse Mrs Dallioway en épreuve du roman encore inédit. Et c'est l'épouse de Ravenat (terrassé par une sclérose en plaque qui le rend totalement infirme), Gwen Darwin,  qui lui lit le texte. Lecture suivie d'une lettre dictée par  Ravenat qui rassure Virginia "il m'a écrit au sujet de Mrs Dalloway une lettre qui m'a occasionné un des jours les plus heureux de ma vie."
 


 
 
posté le 15-01-2010 à 13:44:24

L'atelier d'écriture de Virginia Woolf.

C'est une simple cabane, au fond du jardin, de celles où l'on met d'ordinaire les plantes en pot en hiver pour les protéger du froid, et les meubles de jardin (ils y sont), un espace qui ne participe pas à la vie de famille que comme appendice et guère aménagé pour donner le confort nécessaire à des séjours conviviaux.Virginia Woolf l'a élu pour en faire son lieu de travail. On ne dira pas son bureau qui suppose une activité bien éloignée de la sienne. Ecrire comme on confectionne un objet, c'est plutôt l'atelier de l'écriture et austère, sinon que la vue y prend l'importance que Virgina Woolf sait si bien donner à l'environnement naturel qui enveloppe les actions qu'elle relate. Preuve d'un rapport particulier, intense et lumineux avec la vie végétale, les incidents climatiques, le déroulement miraculeux des jours qui chatoient en leurs infinies nuances.Le lieu d'écriture peut infléchir le texte qui en résulte, sortant comme d'un moule, ici de la nature à vif, là de la quiétude d'un intérieur douillet, ou encore selon l'improvisation, le moment, ou cette mise à l'écart de la vie domestique tant par rigueur, précaution et désir de se replier sur soi, pour en donner la meilleur sécrétion, le plus intime reflet, la plus sincère révélation.
 


 
 
posté le 15-01-2010 à 10:57:15

Virginia Woolf à Monk'house.

Léonard et Virginia découvrent à Rodmell (un village des environs de Lewes) une maison qui se trouve au bas de la grande route de Newhaven. Curieusement, bien que bâtie en brique, elle est recouverte (côté rue) de planches. Il y a deux étages et un comble. La répartition intérieure faite de petites pièces permet une distribution plaisante à la vie quotidienne, mais l'absence de tout confort (ni salle de bain, ni WC et naturellement pas d'eau chaude) y rend la vie relativement spartiate. Ce qui n'arrête pas Léonard et Virginia qui s'enthousiasment pour l'endroit d'autant qu'il comprend aussi un jardin "luxuriant". De plus Monk's House n'était éloigné de l'ancienne maison de campagne  (Asham) que deux ou trois milles. Des divers lieux attachés à la vie (et à l'oeuvre de Virginia) Monk' house est peut-être le plus important (il  ne faut pas oublier Hogarth house où s'installera la presse des éditions dotées du même nom).On dira que la maison s'accorde parfaitement avec la nature même de Virginia et sa tâche d'écrivain. C'est pourtant de là qu'elle amorce son ultime marche vers la mort. En se rendant vers l'Ouse. Pour s'y noyer.
 


 
 
posté le 14-01-2010 à 14:12:39

Instants de vie, un éclairage sur Virginia Woolf.

Sous le titre "Instants de vie" sont rassemblés trois textes qui reprennent inlassablement la trame des souvenirs de jeune fille de bonne famille vivant dans un foyer pourtant marqué par des singularités, des drames (mort de la mère, d'une soeur aimée) et qui va peu à peu surgir telle qu'elle figure dans la légende, en femme libre, avec le passage obligé à travers le groupe de Bloomsbury qui scelle des amitiés, forge des amours (plutôt complexes et croisées), une priorité donnée à l'intelligence et à la culture qui va supplanter le caractère strictement mondain où étaient forgés les destins de Virginia Woolf et de Vanessa Belle (sa soeur).Outre la valeur historique des textes s'y profile la manière si particulière de cerner les êtres, de donner corps aux sensations les plus subtiles. On passera du climat feutré de la maison des Stephen (où cohabitent les enfants des deux mariages de Julia Stephen, veuve Duckworth, dont les fils du premier  et les filles (Virginia, Vanessa) du dernier mari, personnage de patriarche tyrannique et pétri de culture et de caprices, aux amitiés qui libèrent, ouvrent de nouveaux horizons et vont constituer le fameux groupe de Bloomsbury (du nom du quartier de Londres où vivaient ceux qui allaient constituer la génération la plus brillante du début du siècle).Vus de l'intérieur, dans une approche intimiste et parfois cruelle, des personnages  cohabitent, se croisent, dans cette cellule fermée et intransigeante : le monde de Virginia Woolf. C'est  un riche vivier de cas psychologiques dans lequel elle va puiser la plupart des personnages de ses propres romans.
 


 
 
posté le 14-01-2010 à 11:26:40

Alessandri le cordage nocturne.

L'essentiel de son travail de préparation implique l'utilisation du fil qui porte en lui tout une richesse métaphorique dont celle du labyrinthe. Fil qui joue ici le rôle du lien : celui-ci enserre la surface du tableau jusqu'à l'étouffement. Lien couvrant inlassablement, par une emprise étroite, répétée, obstinée et tranquille, une surface que des volumes, alors prisonniers, gonflent. Prison, piège suppose-t-on, à moins que cette croissance soit toute l'énergie en devenir d'une naissance, d'un surgissement. Fil, ou corde. C'est à dire aussi ce qui se tend. D'où ces sortes d'arcs qui s'inscrivent sur la surface en altière allure de  blasons. On pense aussi, parfois, à ces étranges instruments de musique des très hautes civilisations africaines et orientales.Les oeuvres d'Alessandri en ont d'ailleurs toute la beauté mystérieuse et quelque peu inquiétante. Ce sont des instruments qui ne peuvent tenir que des cérémonies d'ombre, des parcours de nuit, des messes monstrueuses.Quant on sait qu'il a été, au départ de ses recherches, fortement impressionné par les métiers à tisser, faits, justement, de fils tendus sur châssis, on comprend mieux sa manière de travailler par un jeu d'écrans additionnés faisant jouer les rythmes horizontaux et verticaux qui encadrent bien l'espace, le balisent, tout en constituant une trame. On retrouve également ces écheveaux, ces quenouilles d'où le fil, lentement, régulièrement dévidé, va envahir l'espace. Et comment, devant ces oeuvres étales dans le temps, et parce qu'elles expriment son lent, régulier écoulement, ne pas  évoquer la patience incarnée en Pénélope dont l'oeuvre était inspirée par l'attente: cette manière, plus que tout autre aiguë de vivre le temps.Extrait de la préface à l'exposition ALESSANDRI chez Noella Gest à Saint Remy de Provence en 1975, accompagnée d'un texte de Mario Prassinos.
 


 
 
posté le 13-01-2010 à 12:14:17

Hors la Coupole point de salut.

Au coeur de Montparnasse, avec le Dôme et la Rotonde, la Coupole est l'espace stratégique où se font les réputations, où se nouent les intrigues amoureuses, où s'affrontent les idées, où se dessine l'avenir de l'art.Café légendaire (comme le fut La Nouvelle Athènes au XIX° siècle ou le Certa pour les surréalistes) il incarne les Années folles, l'arrivée à Paris de cette colonie d'intellectuels américains qui, juste avant le krach de 1929, dynamisèrent plus qu'un quartier, plus qu'une ville, la culture française qui va se confronter à cet air vigoureux dont il restera la jazz. Il fallait y être vu pour être reconnu de ces colonies mouvantes, menées par des codes, des rites et des préjugés qui définissent et qualifient les créateurs dans leur carrière (ils les y enferment, d'où la difficulté de varier de trajectoire quand peintre on veut devenir écrivain, ou le contraire).Tout absent aura tord, et l'Histoire qui prend le relais des modes, se montre tout aussi injuste qui étale avec complaisance ces pages de sociabilité facile, oubliant les "clandestins"de l'art, ceux qui refusent la mise en vitrine de leur aventure personnelle.La terrasse du café est la face publique de l'atelier du peintre, du cabinet de l'écrivain (sans parler de ceux qui écrivent sur place), une marche vers la reconnaissance relayée par la gloire qui couronne les plus avancés dans cette stratégie qui fait de l'artiste (de l'écrivain) un people en puissance.Hors de la Coupole point de salut ?
 


 
 
posté le 12-01-2010 à 14:43:50

Jacques Prevel et le cas Artaud.

Que serait Jacques Prevel sans Artaud ? C'est d'avoir exprimé sa folle admiration pour lui, en avoir tiré des souvenirs pathétiques, que s'est portée l'attention du public (plutôt distrait) sur ce poète déchiré, qui a laissé une oeuvre "mince" en regard d'une production littéraire que suppose l'état d'écrivain. Mais l'était-il lui qui n'écrivait pas en professionnel mais comme une nécessité première pour exister. Et c'est ce qui fait toute la différence entre l'homme de lettres (qui n'est pas nécessairement l'homme de l'être) et ceux qui usent des mots pour dire l'essentiel de leur pensée, de leurs sensations, de leur souffrance. De leur difficulté de vivre. Comme si l'usage des mots écartait du "mal" du quotidien. On peut s'y réfugier, y trouver de nouveaux espaces, s'y aménager son propre territoire.N'était-ce pas le cas de Prevel ? Mais loin de créer un autre espace pour se mouvoir en pensée, il n'abordera le poème que pour faire état de la déchirure fondamentale dont il était fait.Les titres de ses recueils en disent long : Poèmes mortel (1945), ce sont ceux qu'il adressera à Artaud et qui vont constituer la base de leurs relations, Poèmes pour toute mémoire (1947), De colère et de haine (1950).Lors de sa sortie de l'asile de Rodez, et quand Artaud revient à Paris, Jacques Prevel est à ses côtés, fidèle d'entre les fidèles (Marcel Bisiaux, Colette Thomas, Arthur Adamov), l'affrontant et l'adulant tout à la fois. C'est qu'il se voyait comme le reflet de cette souffrance qui le taraudait et qu'Artaud avait, avant lui, et de si sublime manière, exprimée
 


 
 
posté le 12-01-2010 à 11:34:20

Pierre de Massot à l'ombre de Picabia.

Pierre André Benoit qui avait la curiosité audacieuse de ceux qui dénichent les raretés, les oeuvres marginalisées, m'avait parlé de Pierre de Massot que personne ne lisait plus. Il l'avait découvert à travers Picabia dont de Massot fut un fervent défenseur, une sorte de garde du corps dans l'avancée triomphale du grand dadaïste français. Adolescent de la race de ceux qui lisent Rimbaud comme une Bible, de Massot s'aventure dans le Paris des années 20 plein de paillettes et de fêtes, mais de misère aussi. Grâce à Picabia il sort du lot, monte sur l'estrade où s'agitent les manipulateurs des idées en ces années ferventes et chaudes. Il écrira comme on le fait dans la fraîcheur des engagements précoces. Sans pour autant nier des antécédents, se donnant des références, des points d'ancrage et ouvrant, finalement une réflexion sur l'époque en s'appuyant sur de prestigieux aînés (comme Mallarmé).S'il était entré en contact avec Picabia à la suite de la découverte de la revue 391, il en deviendra par la suite le gérant. Publiant des textes d'Eric Satie, Man Ray, Marcel Duchamp, Jacques Rigaut. Il avait offert à ce dernier (un de ses meilleurs amis) le revolver avec lequel il devait se suicider quelques jours après.
 


 
 
posté le 12-01-2010 à 10:50:24

L'Oeil cacodylate de Picabia à Bertini.

Il est devenu une bannière, une stèle, un repère. C'est le mur des célébrations (comme il y a celui des lamentations) où toute une génération (1921) s'est rassemblée pour affirmer sa volonté de vivre hors les normes, les conventions, les règles de la bourgeoisie, sous le signe ardent de "dada" qui donne là un de ses derniers coups d'éclat. Picabia y fait signer les amis qui lui rendent visite, et chacun y allant de sa verve, de sa flatterie (Picabia est un peu le roi au milieu d'une cour).L'oeuvre fait les beaux jours du "Boeuf sur le toit", cénacle ouvert à tous les esprits libres, au monde, demi-monde et snobismes croisés.Au regard de l'amateur d'art d'aujourd'hui l'oeuvre devient le terrain de riches spéculations sur les mutations de l'art qui oscille entre verbe et formes. Et le verbe, pour y gagner du terrain, devient ainsi  l'enjeu d'analyses qui soulignent ses ambiguïtés ses revers et ses dessous. Jeux de mots, calembours, derrière chaque phrase se cache un piège où l'humour est roi.Gianni Bertini qui tient de Picabia par l'énergie créatrice, la présence sur tous les terrains, une démarche croisant poésie et peinture, a, lui aussi, dans son atelier de la rue du Château d'Eau (près de la mairie du X° arrondissement), mis à la disposition de ses amis et visiteurs un mur qui sera bientôt couvert des signatures, aphorismes et autres fantaisies graphiques, de toute une génération (les années 60). Le verra-t-on un jour dans un musée ?
 


 
 
posté le 11-01-2010 à 10:58:33

La tour de Montlhéry et ses souterrains.

L'état de ruine convient bien aux monuments que nous abandonne l'Histoire et qui, dans leur fonction première, avaient tout pour nous déplaire. Images agressives de la guerre de l'enfermement, de la violence Parce qu'inutile, sinon aux forces de l'imaginaire, une ruine se pare de tous les charmes que l'on reconnaît aux propositions du paysage du moment qu'il donne une juste mesure des forces de la vie et de la mort dont il est le cadre nécessaire. D'où l'attrait de Nicolas Poussin qui sait si admirablement dresser un décor de synthèse. La Tour de Montlhéry m'est familière. Elle s'encadre dans le haute fenêtre du dortoir où elle se dresse comme un fantôme alors que l'heure est au silence, et que les lits alignés avec leur couverture blanche évoquent quelque reposoir moins pieux qu'agité de désirs refoulés. Fière, solitaire, égarée dans un ciel qui décline ses rites nocturnes, elle nous entraîne dans ses replis secrets. Sous elle, comme les racines d'un arbre fabuleux, courent des galeries, des souterrains, des parcours clandestins tracés par quelque Dédale médiéval. On s'y est risqué un jour, en dépit des barrières municipales qui interdisent l'accès jugé dangereux (Chutes de pierre). De même, chez mon grand-père fort amateur de vieilles pierres, il y avait des départs de galeries que l'on disait reliant ce qui avait été la ruine d'un couvent, à quelqu'autre établissement religieux dont la région était abondamment pourvue. Une ruine renvoie à une autre, sa soeur ou sa complice. Le sol est farci de parcours hasardeux où l'on avance à tâtons, et qui furent des chemins de stratégie. Les âmes inquiètes aiment s'y perdre, comme l'envers du cheminement buissonnier.
 


 
 
posté le 10-01-2010 à 12:05:35

Apollinaire l'éclectique.

La publication de la Correspondance avec les Artistes d'Apollinaire apporte une riche information sur la nature et la qualité des rapports entretenus avec le poète par ceux dont il aimait les oeuvres et les défendait dans une intense activité de critique d'art.Devant l'étendue de sa production de critique et son souci d'offrir un large panorama de l'activité artistique de son temps on n'échappe pas à un certain éclectisme qui lui fut assez reproché. D'avoir été le promoteur du cubisme, d'en avoir défendu les découvertes (au risque de perdre ses "supports" dans la presse), interdisait-il Apollinaire de porter son attention sur des courants, des personnalités totalement différentes ? Ainsi le voit-on attentif aussi bien à Derain qu'à Chagall, le douanier Rousseau ou Giorgio de Chirico, Benjamin Rabier ou Léger, Matisse ou Othon Friesz, Dunoyer de Segonzac ou Kisling, et pratiquement toute la production artistique de l'époque.C'est pourtant son mérite d'avoir su voir tout ce que son époque offrait de nouveauté, de talent, quel qu'en fussent les styles. Il ne fait que traduire l'extraordinaire vitalité et diversité de ce début du XX° siècle qui voit éclore aussi bien le cubisme que le futurisme, le fauvisme et l'affirmation de fortes personnalités totalement indépendantes, n'entrant dans aucune Ecole ni mouvement. Henri Le Fauconnier est l'un d'eux. L'artiste a "le goût des des fonds pris dans la nature et un amour de la composition qu'il sait bien ne pas confondre avec l'anecdote". La Fauconnier sera du groupe de Puteaux (autour des frères Duchamp) et à son tour manie de la théorie sans raideur.
 


 
 
posté le 08-01-2010 à 15:55:14

Victor Hugo et la tache.

Et Victor Hugo dans tout ça. Cette liberté acquise de laisser l'encre couler sur la feuille, s'inventer ses propres parcours, créer ses paysages (forcément fantastique), lever des saisons insolites (inédites ?). L'abstraction lyrique aura beau jeu de se chercher des ancêtres : dans les taches sur les murs, les fantaisies de la matière qui frémit doucement sans qu'on s'en aperçoive (comme expliquer ces tranches de couleur à l'intérieur de la pierre ?) et naturellement dans quelque crayon rendu fou par la puissance du lyrisme de celui qui l'utilise (encore Hugo).L'abstraction lyrique qui a le seul tord d'avoir donné du talent à n'importe qui et de la beauté à l'accidentel, le furtif, le n'importe quoi.N'est-ce- pas donner alors surtout du talent à celui qui reçoit, regarde et reconnaît dans le jeu des taches des paysages qu'il a en lui-même, enfouis dans sa mémoire et qu'il retrouve comme par l'effet d'un miracle.Ce type de création implique un rapport plus intime avec l'oeuvre d'art. Elle murmure à l'oeil (comme on murmure à l'oreille des chevaux) un secret. C'est bien l'attrait de ce qui ne joue pas l'emphase, le gigantesque, le collectif, mais entraîne vers un rapport de confidence. La force d'un Wols, d'un Henri Michaux, d'un Klee, face à un Léger par exemple.Faut-il, pour être grand, que l'art soit ainsi étalé à la compréhension de tous ?L'art social est une politique qui l'arrache à l'une de ses forces premières, être l'expression la plus directe d'une intimité. Il se rapproche alors de l'écriture, d'ailleurs il fait usage des mêmes instruments, sinon des mêmes techniques. L'encre alors est à son affaire. Elle délivre des univers fabuleux, des confidences subtiles, le coeur palpitant de celui qui la guide vers ses excès, ses impudeurs, ses délires.
 


 
 
posté le 08-01-2010 à 15:47:14

L'Hermaphrodite le pendant d'Adam.

Au Louvre, Salle des Cariatides, quatre figures féminines, drapées, font office de colonne pour soutenir la tribune où se plaçaient les musiciens, car c'était la salle des fêtes du temps des Valois. Henri III, fraise au cou et culottes de velours, menait la danse parmi ses mignons et des duchesses encerclées par le luxe de leurs robes. C'est devenu la salle des Antiques. Torses, Venus aux hanches gracieuses, guerrier viril, c'est l'exaltation du corps dans tous ses aspects et cette beauté jamais équivoque qui fait toute la force et l'exemplarité de la sculpture greco-latine.  Parmi cette assemblée que frôlent des foulent qui viennent là comme à l'Eglise, avec un sentiment de respect et appareil photographique à la main pour immortaliser l'instant, sur sa couche, voluptueusement abandonné au sommeil qui l'isole du monde, voici l'Hermaphrodite.Il concentre l'attention des visiteurs, on les voit tournoyer autour de cette sculpture qui est une copie romaine d'un original grec évoqué par Pline.En 1619, le cardinal Borghèse propriétaire de l'oeuvre commande au Bernin le matelas sur lequel est posée l'oeuvre antique.  Elle avait été découverte à Rome dans les thermes de Dioclétien. Napoléon I° l'achète à son beau-frère le prince Camille Borghèse (époux de Pauline), elle entre alors dans les collections du Louvre.Le sujet de l'Hermaphrodite est tiré de la Mythologie. Fils d'Hermès et d'Aphrodite il aurait refusé les avances de la nymphe Salmacis qui obtient alors, de Zeus, que leurs deux corps soient confondus et unis pour toujours.Etrange légende qui fait pendant à celle qui veut qu' Eve et Adam ne faisaient qu'un  aux origines.La psychanalyse aura beau jeu de se pencher sur cette page de la Mythologie, l'idée du corps mixte ayant force d'attraction et de spéculations.Il est significatif que l'oeuvre, pour ceux qui en ignorent l'histoire, retient l'attention des visiteurs. On les voit, perplexes, mais le flash des photographes ne tire pas Hermaphrodite de son sommeil lascif.
 


 
 
posté le 08-01-2010 à 10:41:23

La dédicace, une bouteille à la mer.

Ouvrant un livre, le personnalisant, une dédicace en dit long sur le signataire. Donnée lors de cette étrange cérémonie qui s'appelle une séance de signature (il y en avait au moins deux fois par mois au Soleil dans la tête) elle reste conventionnelle, souvent identique, seul le nom du destinataire lui conférant quelque valeur (sentimentale). Lors d'un service de presse elle n'échappe pas toujours à la complaisance, la flagornerie, elle est la quête (et l'espoir) d'une attention du critique à qui l'ouvrage est destiné.Pourtant, c'est à l'intérieur de ce rite que, parfois, selon le destinataire, la dédicace atteint  la force d'un aveu, d'une complicité. Elle établit un lien entre le lecteur et l'auteur, s'appuie sur un souvenir, une connivence, un repère partagé.A quoi s'ajoute l'écriture elle-même qui sera plus libre dans ce dernier cas, et dans l'esprit d'une lettre qui aurait pour support le livre lui-même et qui aura été intégrée étroitement à celui-ci, faisant corps avec lui. Donnant au livre un poids sentimental bien plus grand. Quand le nom ne figure pas clairement, on est conduit à s'interroger sur l'identité de celui qui l'a inspirée, et certaines des allusions que l'on peut y dénicher aide à la démarche. Un livre ainsi dédicacé n'est-il pas une sorte de bouée jetée à la mer ?Comme le texte (fut-il futile) d'un blog.
 


 
 
posté le 07-01-2010 à 14:34:46

Aragon et le Collage surréaliste.

Le titre pose bien le problème. Celui de la peinture qui se veut surréaliste, et, de surcroît dans le cas du collage, voyant en celui-ci, un "défi" à la peinture. Ce qu'il est. Pourtant, ce sont des peintres qui l'expérimentent, en font une manière de prolongement de leur art, y trouvant de nouvelles et originales solutions. Surtout quand on veut dépasser la stricte représentation de la chose vue, mais explorer la matière elle-même, inventer d'autres mondes que celui de notre quotidien.Il est significatif qu'il soit expérimenté par des artistes très divers en leur monde et leur approche. De l'abstraction douce d'Arp, à l'humour grinçant de Picabia en passant par l'ordre réfléchi de Braque, l'imaginaire flamboyant de Dali ou de Magritte, les ambiguïtés de Man Ray, les vertiges de Tanguy, la vision stellaire de Miro. Double défi donc, où les tenants du surréalisme entraînent des artistes qui ne sont pas de leur "bord" mais dont ils ne méprisent pas les recherches.Le thème du collage devient fédérateur. A travers lui, c'est tout l'art de l'entre deux -guerre (les Années folles) qui se remet en question, trouvant à travers lui de  nouvelles solutions, et, souvent un apport considérable dans l'exploration même de la peinture. Elle n'est pas la même à partir du moment où elle s'est aventurée dans le découpage d'éléments hétérogènes cimentés par la colle. Une nouvelle écriture. Si proche de l'instant de l'émotion, du choc créatif lui-même.
 


 
 
posté le 07-01-2010 à 11:04:31

Max Ernst le jeu de la forêt.

L'histoire dit que Max Ernst se trouvait, "un jour de pluie" (synonyme de jour d'ennui) dans un hôtel et que contemplant le parquet de sa chambre il se mit rêver à partir des noeuds du bois et l'idée lui vient, alors, de poser une feuille de papier sur le parquet et de frotter un crayon pour "relever" des formes qu'il agence par la suite, composant de véritables Histoires fantastiques.Il entre, dans l'aventure de la peinture surréaliste, de jouer avec des procédés qui sont ceux des enfants et qu'on leur inculque pour les éveiller. Il est significatif qu'un artiste comme Max Ernst les ait pratiquement tous expérimentés (collage, frottage, décalcomanie, assemblage) tant, pour lui, créer c'est éveiller la nappe des songes qui flotte dans notre inconscient.Revenons au parquet. Les noeuds du bois y font des accidents heureux parce que source d'un nouvel élan. On pourrait imaginer une forêt naissante, bruissante, ardente, lourde de ses propres rêves, surgissant dans le caractère accidentel, hasardeux, capricieux, de ces fantaisies "naturelles" dont le bois porte la trace. Des  amorces d'une naissance nouvelle. Foisonnante. Alors pourquoi ne pas se perdre dans une lente et silencieuse contemplation de ce monde en gestation.
 


 
 
posté le 06-01-2010 à 11:00:14

Cobra enfant du surréalisme.

Le mouvement Cobra "arrivait" au bon moment quand le surréalisme au lendemain de la guerre avait perdu beaucoup de sa force d'action. Les nouveaux venus autour d'André Breton, ne faisaient que singer l'aventure des aînés prestigieux qui en avaient assuré la crédibilité. Dans les années 50 les valeurs étaient revues par l'Histoire, et si Sartre et le siens assuraient la relève, des pans entiers de la création tant littéraire que plastique restaient en jachère.Cobra instaurait un regard qui n'était plus strictement parisien ( bien au contraire) il inaugurait une vision européenne de la culture, une sorte d'alliance de divers groupes créés par la nécessité et assemblés par une réciproque reconnaissance de leurs ambitions. L'art, avec eux, puisait ses forces dans le folklore, une reconnaissance des expressions plastiques les plus rustiques, voire marginales et égarées du côté de l'art brut. Un art qui échappe aux "écoles", à un enseignement responsable d'étouffer les élans les plus primitifs. Cobra s'impose au coeur d'une nouvelle esthétique qui n'est plus celle d'une pensée mais d'une sensation. En accordant droit, à celle-ci, de prévaloir sur toutes les théories artistiques qui avaient jusqu'alors commandé l'évolution de l'art.Il est bien significatif que, dans cette décennie, vont surgir tous les mouvements qui valorisent l'instant (le lyrisme gestuel) contre le raisonnement cartésien. Pourtant, tous ces mouvements revendiquent, à juste titre, l'héritage du surréalisme qui y trouve ses plus riches conséquences. Conclusion, être surréaliste dans ces années là (45-60) ce n'était pas rejoindre un "groupe" qui avait perdu de son efficacité, mais puiser en lui le meilleur de ce qu'il avait su donner. Et le vivre sous de nouvelles couleurs.
 


 
 
posté le 05-01-2010 à 14:33:18

Chirico rue des Beaux Arts.

La découverte du monde de Chirico se sera toujours produite dans un moment de' stupéfaction. Est bien connue l'histoire du peintre Yves  Tanguy qui barbotait dans une peinture invertébrée, flottante, qui se cherchait un axe de vision,  et qui  d'une plate forme de l'autobus (quand il y en avait) rencontre, dans la vitrine d'une galerie, une toile de Chirico qui l'entraîne à sauter du véhicule pour aller à sa rencontre. D'autres témoignages corroborent cette histoire. C'est rue des Beaux Arts, dans une librairie de livres anciens, située en face de la cour de l'Ecole des Beaux Arts que, fort jeune, et un jour de balade dans Paris je découvre un petit portefeuille (une édition italienne) de reproductions de Chirico qui me laissent sans voix et comme mentalement figé, comme projeté, d'un coup dans un autre monde. Il ne nous lâche plus, nous a en quelque sorte modelé à sa lumière, son silence, et cet état de stupeur qui accompagne les découvertes dont nous sommes pétris
 


 
 
posté le 05-01-2010 à 14:23:44

Gromaire le Flamand.

Traité comme des icônes, dans un hiératisme grave (presque religieux) le monde de Gromaire est celui du quotidien, avec ses paysages industrieux, géométrisés par la modernité qu'ils célèbrent (ou critiquent ?) le regard de Gromaire n'est pas celui de la complaisance ni de la coquetterie mais marqué par une certaine désespérance. Un monde rude, dont même la sensualité (si souvent évoquée) n'échappe pas à une certaine froideur. Tout en jeu de courbes et  d 'angles froids. Cet univers dénonce une réalité âpre, virile et un rien hostile. Des bien faits de la modernité ! Gromaire reste "figuratif" en pleine période d'évolution de la peinture vers l'abstraction qui prend ses distances avec la réalité (encore qu'elle revendique, au besoin, une vision intériorisée du réel). Mais Gromaire a choisi de rester fidèle à la représentation dans ses conventions (cadrage comme celui de la photographie, vision frontale accusée), mais il puise dans les innovations (dont celles du cubisme), le goût de la synthèse, des formes ramenées à la simplification géométrique. Ce qui, au delà de la solution plastique innovante, propose une vision nouvelle de la réalité, plus directe, voire plus brutale. Et qui prend valeur de vision sociale. Homme du nord, et par le nord inspiré et son monde spécifique, il devient le chantre des Flandres modernes.
 


 
 
posté le 05-01-2010 à 13:09:52

En allant à Belleville.

C'était la Villa Faucheur. Une ruelle fleurie, bordée de petites maisons ouvrières, qui faisait un coude devant l'unique immeuble de l'ensemble, avec, au sixième étage, une vue unique sur Paris.Elle avait son  entrée au terme de la rue des Envierges et en grimpant la rue Piat on croisait souvent Christiane Rochefort entre deux vins (les estaminets de l'endroit dataient encore du XIX° siècle) ou Alechinsky entre deux voyages aux extrémités du monde qui habitait une maison délabrée à flanc de coteau. Un escalier (souvent photographié par Doisneau entre autres) donnait accès à la rue Vilin (célébrée par Georges Perec). Et pour finir ce couronnement littéraire, traînait encore le souvenir de Léon Paul Fargue qui y venait dans sa jeunesse cueillir des fraises (c'est lui qui le dit). Retour sur les lieux. Tout a disparu. Et ce qui n'était qu'un terrain  vague où se languissaient quelques carcasses de voiture (ai-je oublié une boulangerie avec son décor "à l'ancienne" mais certainement authentique)  est devenu un grand et noble jardin, plutôt bien dessiné, avec ses allées qui adoucissent l'ascension autrefois abrupte de cette étrange falaise dressée en plein Paris.Je crois que la charmante Françoise Hahn qui écrit de délicats poèmes s'y est installée dans le décor épuré d'un quartier qui se veut moderne. Il a un peu perdu de son âme.
 


 
 
posté le 04-01-2010 à 15:34:37

Gustave Coquiot, le pari de la littérature.

La pratique de la critique d'art aura varié selon les époques, les modes, le système de la presse, et l'essor même de sa matière première : l'art lui-même.Aujourd'hui elle s'inscrit dans une presse qui est entre les mains de groupes et d'homme d'affaires qui ne sont pas des spécialistes de la chose écrite et la traite comme un produit seulement rentable.En raison même de sa pratique la critique d'art se choisira des modèles (des références) qui vont aussi évoluer selon les circonstances.Dans les années 20 (du siècle dernier) elle fut, dans le sillage d'Apollinaire, d'André Salmon, de Blaise Cendrars, entre les mains d'écrivains. L'approche de l'art se fait par le biais de la "création" littéraire, en étroite collaboration avec elle. Elle est une manière d'écrire autant qu'une manière de voir, le tout étroitement mêlé, et pour une appréciation plus personnelle, et  sans doute plus enrichissante pour le lecteur qui n'aura pas un compte rendu de circonstance, mais une création littéraire qui prend son envol, trouve sa pleine justification en sa seule pratique.Avec le surréalisme critique d'art et poésie se confondent si bien que le terme même perd son sens et l'art scintille sous les feux ardents de la prose d'un Adnré Breton, d'un Aragon, d'un Soupault, d'un Georges Limbour, d'un Ribemont-Dessaignes (et tant d'autres) qui assurent la jonction définitive entre art et littérature.Gustave Coquiot aura été un jalon singulier dans ce passage de la critique vers la littérature. Ses nombreux essais sur la peinture sont non seulement d'une acuité exemplaire mais ils sont de merveilleux exercices littéraires. De titrer un ouvrage relatif à des peintres "Vagabondages" en dit long sur sa vision qui mêle l'art et la vie (les bêtes et les hommes). Un délice pour curieux.
 


 
 
posté le 04-01-2010 à 12:30:24

Alechinsky à la presse.

Crayon sur coquille. La coquille indiquant un format type de papier, dont Alechinsy se sert pour cet album tiré sur les presses de  Clot - Bramsen, rue Vieille du Temple , Paris (le Marais). Il y a une boucherie chevaline qui fait l'angle de la rue (dans les années 70). Voir Alechinsky au travail c'est entrer dans le mystère de la création. Sur la pierre lithographique, d'un crayon alerte, sautillant, il invente des circuits fabuleux, des niches à farce, des fleurs fastueuses, des histoires invraisemblables. Il fallait, dans les zones laissées libres à cet effet, donner des mots qui fussent en accord avec cette volubilité, cette ardeur communicative. Et la presse emportait cette moisson, le papier glissait sous le poids des rouleaux et l'afflux des encres. Il en sortait, sous le regard attentif, et professionnel des imprimeurs, des pages portant encore fraîche, l'odeur de la couleur (sans nul doute chaque couleur a son odeur, on n'est pas loin, là, des fantasmes de Rimbaud).Peu à peu l'album se constituant  comme des figures de ballet : pas croisés, saut et gamineries de toutes sortes. On est dans un univers de fête chargée de symboles. Imperturbable, Alechinsky signe chaque estampe, qu'un manoeuvre lui présente, afin de libérer la main emportée dans la répétition de la griffe qui baptise l'oeuvre. C'est un peu comme un rite secret. L'art se fait ainsi à l'abri des regards indiscrets. A côté, sur une autre presse, c'est Asger Jorn qui s'invente des fêtes sombres, il est droit dans sa mission, avec sa figure de gourou (ou de prêtre maléfique). Tout attentif à faire sortir de la presse ses plus énigmatiques créations. 
 


 
 
posté le 02-01-2010 à 16:25:15

Le Chirico d'André Breton.

C'est un paysage urbaine à peu près semblable à celui-ci qu'André Breton avait dans son cabinet de curiosités. Il existe une célèbre photographie du poète devant le tableau qui disait bien l'importance qu'il pouvait avoir à ses yeux.Un effet de perspective exagéré, empruntant au monde du théâtre ses effets, un jeu d'ombre fortement accusé, tout ce qu'il faut pour créer un climat d'angoisse. N'est-ce pas, avec ses angles accusés, dans l'esprit du cinéma expressionniste qui est alors contemporain? A quoi s'ajoute le jeu des ombres dont celle de cette statue que l'on devine au centre d'une vaste place (d'où les arcades).
 


 
 
posté le 02-01-2010 à 12:34:25

Arman dans sa grotte.

Dans la petite rue des Beaux Arts la façade de la galerie Iris Clert borne l'entrée d'un  immeuble où fut, dans les années 70, le bureau de rédaction de la revue "Galerie des Arts" (qui devint, peu après, "Galerie-Jardin des Arts").Iris Clert pilotait une galerie où s'expérimentait tout ce qu'il y avait de nouveau (d'audacieux) dans les années 60. Tinguley y présentait ses trépidantes machines qui dessinaient automatiquement sur de longs rubans de papier des signes simples mais expressifs. Yves Klein y proposa "le vide" (recherche purement mentale de l'art) Arman, par effet de réplique, y proposa "le plein". Cela consistait à remplir la minuscule galerie de tout un  ramassis de vieux papiers, cartons, déchets de toutes sortes. Arman s'installe à l'entrée et offre aux visiteurs un fragment de cette étrange "sculpture" improvisée (on pensait alors aux expériences de Kurt Schwitters). Progressivement, au rythme des visites, s'était constituée une sorte de grotte, la fin de l'exposition correspondant au  déblaiement total de l'entassement significatif Arman dénonçant là (déjà) l'abus et le péril des objets de simple consommation. Vivre dans une décharge, devenue "artistique" du fait même du choix de l'artiste, c'était souligner un phénomène social qui a depuis trouvé ses repères, ses règles et sa philosophie.  
 


 
 
posté le 01-01-2010 à 22:26:30

L'énigme de Chirico.

Plus que tout autre oeuvre de Chirico, pourtant si riche en suggestion et porteuse d'une stupeur reconduite de toile en toile, "L'énigme" s'imprime dans notre mémoire comme l'image absolue de toutes les interrogations qui nous assaillent.A l'insolite de la figure voilée s'ajoute la position de vertige qui la met en danger absolu. Toute position dominante n'est pas nécessairement celle d'une conquête (en dépit de Rastignac !) elle peut aussi être celle d'une mise à l'écart. Qui n' a pas rêvé, dans la nuit, devant le miroitement lointain d'une citée qui lui est inaccessible (comme le Château de Kafka). La figure enveloppée n'est-elle pas aussi celle d'une momie virtuelle. Rendue à sa silhouette la plus élémentaire, privée de ses membres collés au corps elle rejoint l'immobilité des statues.
 


 
 
posté le 01-01-2010 à 15:38:00

Gromaire, une approche intime.

Pour ma génération les petits fascicules "Collection des  Maîtres" étaient pratiquement le seul instrument d'initiation à la peinture, d'autant qu'elle était largement ouverte sur les différentes écoles, les figures majeures de l'art jusqu'aux contemporains.Reproduction en noir et blanc (ce qui ne manque pas de charme, comme pour la photographie) et bref texte d'introduction par les historiens de l'art dont certains avaient aussi une chaire à l'Ecole du Louvre où on les retrouvait.M'est venue l'idée que l'approche de l'art n'est peut-être pas favorisée par une information trop "pointue". Cette dernière permet une approche scientifique plus efficace mais gomme une certaine distance favorable à notre propre interprétation, prise en charge qui laisse libre cours à  nos propres élans, à notre imaginaire.Une oeuvre d'art doit, comme un être humain que l'on aborde (affronte), doit conserver un certaine mystère, se révéler progressivement, par une lente et savoureuse approche.Et par un étrange phénomène mémoriel on a l'impression que l'on conserve plus intensément le souvenir d'une oeuvre à travers une reproduction "médiocre" qu'un document qui, de toutes manières, n'en donnera que l'aspect de surface. Une certaine glaciation d'une image, quand la reproduction plus modeste fait la part belle  à une connaissance plus intimiste. L'oeuvre y murmure, elle ne donne pas d'emblée la perfection formelle de ce sa nature, nous laissant séduit sans espoir d'aller plus loin dans notre reconnaissance de la chose vue, humer comme une fleur, un doux souvenir, l'envers mystérieux des choses.
 


 
 
posté le 01-01-2010 à 12:24:25

Apollinaire en Homère.

A quoi tient la ressemblance quand le portrait vise surtout à donner à voir l'esprit de celui qui en est le modèle. Sortir une "image" du modèle. Chirico ne fait pas autre chose avec Apollinaire dont le "portrait" est avant tout un poème plastique dans lequel on retrouve Apollinaire sans y reconnaître pour autant le poète dans sa corpulence de bon vivant. Il est spiritualisé, projeté dans l'espace de ses rêves, Le peintre nous impose une icône qui chasse tout document plus directement engagé dans le quotidien du poète comme l'on fait ses familiers, dont Picasso presque toujours porté à la caricature . Non qu'il soit sublimé, mais affiné jusqu'à la formule de sa propre énigme. A travers lui c'est le portrait du poète. D'ailleurs n'est il pas (?) aveugle. Apollinaire a rejoint l'Olympe des plus grands. En lieu de place d'Homère.
 


 
 
posté le 01-01-2010 à 11:41:23

Christian Dotremont écrit sur la neige.

Tout est dit dans le titre, et d'emblée Christian Dotremont pose le problème de l'écriture qui n'est pas celle du simple énoncé narratif mais se cherche des chemins buissonniers pour se mieux connaître et comprendre le monde.L'écriture est enfant du dessin, ou le contraire, de fait, c'est un constant mouvement de va-et-vient entre les deux. S'échappant de la discipline de la chose convenue l'écriture vagabonde, s'invente de nouveaux chemins, de nouveaux signes, une nouvelle reconnaissance. Le scripteur est comme l'homme perdu dans une épaisse forêt qui, à la machette, se fait un chemin. L'encre, c'est la  nuit sur laquelle on gagne sa marche. On touille l'encre comme quelque breuvage magique (et inquiétant) on la conduit avec la bâton (comme le pèlerin s'appuyant sur lui pour aller) sur la surface du papier. Dotremont en avait compris le sens quand, en Laponie, sur une surface neigeuse, il dessinait du bout de sa canne. Transposé sur le papier le dessin joue aussi de la virginité du support, il s'y étale, y vagabonde, y sautille, comme une figure du cirque sur la piste, et s'invente de fabuleuses figures. Ce sera l'invention du logogramme, l'écriture spécifique de Dotremont. Courant après son sens, en une danse folle, vertigineuse, qui nous entraîne.