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lettres de la campagne

posté le 31-12-2009 à 11:53:51

Marcel Duchamp tisse sa toile.

Le suréalisme en aura annoncé la venue. D'un lieu d'exposition, faire une oeuvre d'art en soi. L'espace participe étroitement à l'esprit de ce qui y est présenté. Nous le savions bien, en créant le salon Donner à Voir (José Pierre, Gérard Gassiot-Talabot, Pierre Restany, Jean Clarence Lambert, Jean Jacques Lévêque) dans les sous sols labyrinthiques de la galerie Creuse, là où fut la maison de Balzac, celle dont il avait rêvé et agencé pour la venue de sa chère madame Hanska, et où il meurt, au milieu des splendeurs de ses collections.  Ce détail pour préciser qu'un lieu n'est pas qu'un espace creux, à remplir, mais un morceau de mémoire, une trace du passé avec laquelle on s'aménage.Le surréalisme donc, lorsqu'il présente son Exposition Internationale dans les locaux de l'hôtel particulier du marchand de tableau Georges Windelstein, coincé entre la rue de la Boétie et celle du Faubourg Saint Honoré. Nous y aurons par la suite nos bureaux du journal "Arts et Loisirs" avec sa jolie bande jaune et ses sommaires époustouflants.Dans la salle d'exposition, l'inventif Marcel Duchamp tisse une sorte de toile d'araignée comme un piège pour les visiteurs. Chaque oeuvre présentée répond de sa voisine, il s'est établi une sorte de dialogue entre elles et le regard se laisse capter par cette plongée stupéfiante dans les délires plastiques inventés par Dali, Max Ernst, Matta, Brauner, Hérold, Chirico, André Masson, Miro,  Magritte.
 


 
 
posté le 31-12-2009 à 11:39:00

Jean Cocteau - Khill une quête de la beauté.

Les successives liaisons amoureuses de Cocteau tissent une trame visible dans son oeuvre, l'alimentent. Le lien ? Le dessin qui accompagne chaque livre (l'illustrant ou l'ornant comme ici pour "Essai de critique indirecte" dédié à son ami Khill, un personnage majeur dans sa trajectoire).Bizarrement, Cocteau unifie cette succession en transposant ses modèles dans une idéalisation qui participe à la fois de sa culture de la Mythologie, et d'une esthétique de "garçon de bain" (un mélange de beauté factice et de virilité) . Comme s'il était à la recherche d'un "type" précis, et que chacun en constitue une sorte d'approche. L'amour comme quête de la beauté ?
 


 
 
posté le 31-12-2009 à 10:54:04

Karel Appel, un art barbare.

Donnant une jolie définition de ce qu'est la peinture pour lui, Karel Appel se situe d'emblée dans une catégorie qui est bien celle des libérateurs de l'art, des "sauvages", qui vont des primitifs à Gaston Chaissac et s'incarnent dans le mouvement Cobra dont il est l'un des membres actifs avec son compatriote Corneille."Un tableau n'est plus une construction de couleurs et de traits, mais un animal, une nuit, un cri, un être humain, il forme un tout indivisible".Le groupe "Reflex" créé en 1948 sera le noyau de Cobra qui rassemble des artistes de COpenhagueBRuxellesAmsterdam. Etiquette magique, fière bannière de la contestation, enfant bâtard du surréalisme (avec lequel il aura des rapports complexes) Cobra offre un joyeux mélange des genres. On y peint, sculpte, écrit, et surtout fait la fête. Avec son allure de Gargantua débonnaire, sa verve envahissante, sa truculence incontrôlée, Karel Appel incarne la liberté d'être à travers les jeux de la couleur (expression de vitalité, de joie), une expansion qui s'empare de tous les supports (même les racines d'arbres pourtant si belles au naturel). C'est l'expression d'une vitalité qui entraîne le regard vers des fantasmagories que l'on dirait venues des contes et légendes, d'un monde de diables et de gnomes des profondes forêts de l'inconscient. C'est bien la jonction de l'automatisme préconisé par le surréalisme, le naturel rustique de Chaissac, avec quelque chose de ce primitivisme qu'avait annoncé Picasso dans "Les demoiselles d'Avignon".
 


 
 
posté le 30-12-2009 à 15:19:29

Jean Raine le vol de l'oiseau de proie.

Dans les années 70, alors qu'il préparait une exposition au Soleil dans la tête, Jean Raine s'installe chez nous, faubourg Saint Honoré et médite quelque mauvais coup, tant l'homme à la tête ardente, véhicule toujours avec lui des projets, des éclats et des danses initiatiques autour de la toile qu'il peint, car il peint en dansant, en virevoltant comme un oiseau de proie, dans les hauteurs du ciel, repérant une victime potentielle, s'apprête à foncer sur elle. C'est une peinture d'ardeur et de violence qui abandonne sur son parcours tâches et bavures qui font alors partis du concours général de l'oeuvre traduisant ce moment de passion, de violence, une victoire sur l'inertie des âmes et des corps.On est loin des recherches méditées et conçues dans un but esthétique. Encore qu'elles posent le problème de l'esthétique. S'agit-il d'une construction élaborée, pensée, méditée, dominée, ou d'une sensation violente juste dominée pour ne pas choir dans le caniveau. Elle fait penser à ces courses automobiles (rallye) où la voiture déboule dans un chemin qu'elle creuse d'ornières, malaxe comme une matière vivante, inscrivant le seul circuit de sa conquête sur le sol, la signature de sa vitesse comme oeuvre d'art.
 


 
 
posté le 30-12-2009 à 14:36:59

Cocteau et le Coq.

Dès les débuts de sa "carrière" (il voulait certainement en faire une) Cocteau est sur tous les fronts. Peinture, poésie, théâtre, musique, rien ne lui échappe qui soit dans l'ordre de la nouveauté. Il veut être le monsieur Loyal de ce vaste cirque qui déboule dans l'après-guerre et rattrape l'horreur des combats, la multitude de morts qui sont enterrés avec le XIX° siècle. On ne peut qu'être moderne, inventif, audacieux, scandaleux au besoin.Les nombreux talents qu'il exploite lui permettent aussi de toujours présenter sa version écrite des choses et des événements, dans l'enveloppe la mieux adaptée. Il importe (surtout en poésie) d'avoir un écrin qui soit non seulement en conformité avec ce qu'il contient, mais qui puisse signifier l'esprit de l'époque, qu'il ait une certaine impertinence et attire l'oeil avant de combler l'esprit. La production éditoriale de Cocteau sera, dans ce sens, toujours exemplaire. Peut-être jamais rattrapée.
 


 
 
posté le 29-12-2009 à 14:37:17

Picabia et le bonheur de peindre.

Picabia aura fasciné notre génération. Moins pour la qualité de son oeuvre (contestable) mais pour l'extraordinaire vitalité dont elle témoigne, une vie d'homme pressé qu'évoquait son ami Paul Morand dont il aura pu être un personnage (peut-être l'a-t-il était sans qu'on le soupçonne). Bref une aventure artistique hors pair. Dans le désordre, la bonne humeur ( encore que l'homme fut un angoissé à en croire ses séjours en des cliniques suisses et le ton de certains de ses poèmes).L'angoisse peut-être fut-elle le moteur de sa création. C'est souvent le cas. Créer pour se camoufler les horreurs de la réalité, les déboires de son quotidien.Né riche, il avait pourtant, pour lui, maintes facilités matérielles que peu d'autres avaient autour de lui. Il a souvent financé des manifestations dada , en particulier les écrits et tracts qui entourent son existence et participent à sa reconnaissance.L'oeuvre de Picabia donne "du plaisir". Elle nous bouscule dans nos habitudes, nous interpelle par sa force, ses inventions, ses clowneries. L'art, pour le plaisir, quel programme !
 


 
 
posté le 29-12-2009 à 12:29:30

André Breton milite pour Picabia.

C'est un André Breton moins connu, porte drapeau de Picabia,  celui de l'aventure dada et qui ne s'est pas encore construit sa stature de "pape du surréalisme". Il est là dans une silhouette d'étudiant partagé entre la révolte et l'esprit potache qui s'affuble des instruments du  chahut qui accompagne les manifestations un peu naïves, style monômes. Soupault, Aragon , Ribemont-Dessaignes, Eluard vont ,dans leur jeunesse, à peine sortis du monde étudiant, multiplier les manifestations faisant appel à des slogans, des pancartes, des tracts qui veulent affirmer leurs convictions, agresser le monde bourgeois (ils sont pourtant des bourgeois), Ce n'est pas encore la constitution d'une théorie, d'un Manifeste (il va venir) mais les prémices, les frissons qui annoncent le séisme surréaliste
 


 
 
posté le 28-12-2009 à 14:59:41

Picabia en revues.

Picabia l'écrit frondeur.En multipliant les écrits, les brochures, les tracts, les  prises de position,  les provocations verbales, Picabia se situe bien dans la dynamique qui soutien l'aventure dada et celle du surréalisme.Le tract a sa préférence. Même ce qui circule sous le label "revue" tient plus de l'affichette, du tract que l'on glisse dans les mains du badaud à la sortie du métro (politique, publicité, appel à pétition).Sa verve incroyable, sa position de pilote au sein de l'aventure dada, son riche carnet d'adresse, son aisance financière (elle ne sera pas constante) lui permet de piloter toute une activité ayant l'écrit pour véhicule de sa pensée et de celle de ses complices. Il a le sens de la formule, la tire volontiers vers le persiflage, un humour corrosif. Ses poèmes sont plus des confessions, des incursions dans son inconscient souvent trouble et pathétique. Avec un rythme, une phrase qui tient plus de celle d'un Arthur Cravan ou d'un Blaise Cendrars (un ami, il a fait son portrait) qui relève d'une conception moderne et énergique de la réalité de son temps.
 


 
 
posté le 28-12-2009 à 13:56:27

Picabia figuratif.

Avec Picabia (et c'est ce qui fait son charme) tout est possible, même le pire.L'un des inventeurs du système "dada", le pourfendeur des académismes, venait d'une peinture très sage et déjà dépassée, l'impressionnisme, qu'il avait pratiqué dans le sillage de Sisley est justement sur le site de Moret sur Loing dont il a fait quelque très convenus paysages.La vague dada l'a porté aux avants-postes de la modernité. Il est un inventeur né, sautant d'une idée sur une autre et toujours avec fracas et efficacité.On le voit, pendant la deuxième guerre mondiale, multiplier les scènes langoureuses, souvent équivoques traitées dans une manière qui le ferait cousin d'un Van Dongen, peintre qu'il avait vomis avec ses compagnons. On s'est interrogé sur cette brisure de sa trajectoire vers une "non peinture". Donnant pour explication qu'il faisait de la peinture pour le commerce et avait trouvé une riche clientèle assez peu au courant de  l'art et achetant des images pour satisfaire leur libido. On peut aussi y voir une attitude de simple défi (comme le fera souvent son concurrent Picasso). Aller vers une peinture qui contredisait tout ce qu'il avait affirmé depuis tant d'années de militantisme. Picabia trouble le jeu, c'est encore une manière de remettre la peinture en question.
 


 
 
posté le 28-12-2009 à 12:16:06

Picabia et la Sainte Vierge.

Il entre dans la vocation de Francis Picabia le "devoir" de profanation de toutes les valeurs bourgeoises que "dada" réfutait. Il en fut (avec Tzara, son complice) l'un des artisans les plus féconds en inventions tant verbales que plastiques et, de fait, si étroitement mêlées en leurs effets, qu'il émarge sur les deux disciplines et fait feu de tous bois. Etonnant humoriste, et fort bien armé par l'aisance de sa condition sociale, pour donner libre cours à ses penchants. Il ose tout ce que les autres rêvent et ne peuvent (pour diverses raisons) réaliser.Le surréalisme naissant fera largement usage de ses propres ambitions et de son énergie créatrice.  Il est significatif qu'il est  été positionné sur un plan historique, respectivement par Apollinaire et André  Breton. Il illustre les ouvrages de ses amis, donne des dessins pour leurs publications (Littérature, Le surréalisme et la révolution). Après une période d'incertitude, et un retour (fort discutable) à une peinture commerciale (traitée avec une heureuse désinvolture), il refait surface dans les années 50, en partie grâce à l'action fraternelle de Pierre André Benoit, éditeur, et de ceux qui veulent imposer les nouveaux courants (l'abstration, dans ses deux courants - géométrique et lyrique- l'informel, bref toutes les tendances de l'époque qui vont de l'avant).Avec la revue Temps Mélês on a milité pour une reconnaissance (tardive alors) de son génie spécifique. Il incarne l'éternelle jeunesse d'une pensée en liberté.
 


 
 
posté le 25-12-2009 à 14:46:48

Max Ernst un prince.

C'est un prince. Il en a l'allure, la silhouette, un rien de morgue aussi qui lui sied bien. Premier vision. Dans une sorte de studio haut perché d'un immeuble du quai Saint Michel, avec vue plongeant sur Notre Dame. Il ouvre la porte brusquement, il a une poêle dans la main. Il faisait sa cuisine. Je ne me souviens pas pourquoi je venait le déranger, peut-être un projet d'exposition. Il y eut conciliabule, et je repartais avec l'oeuvre  souhaitée pour un accrochage consacré au surréalisme. Deuxième approche. Dans sa ferme à Huismes, en Touraine. Il descendait un escalier à vis, dans une grande cuisine où le repas était préparé. On ouvrira des bouteilles du vin local et on visita les ateliers. Son monde multiforme me fascinait. Des collages bavards qui défiaient les livres d'histoire comme on s'en racontait à la veillée, à en croire les légendes, aux compositions théâtrales déployant les fastes de fêtes étranges et vaguement érotiques.
 


 
 
posté le 23-12-2009 à 11:47:11

Ilarie Voronca brisé par la vie.

Roumains, l'un et l'autre, et dans un pays largement ouvert à la culture (et à la langue) française, ils vivent une version locale du dadaïsme. Une revue en découle, elle sera fugitive mais l'histoire de la poésie passe par ces publications éphémères  qui, de surcroît, établissent les liens suffisants et nécessaires pour émerger, se reconnaître en d'autres qui s'engagent dans la même aventure qui n'est pas sans risque. Dont de buter contre l'indifférence, ce qui est bien la pire des choses.Mais Paris exerce, en ce début du XX° siècle, une irrésistible attraction. Voronca va multiplier les éditions de poèmes, avec de prestigieux illustrateurs, dont Chagall, Sonia et Robert Delaunay, Brauner . C'est une oeuvre portée par une profonde humanité, affirmant qu'il se sentait "frère des hommes avec ferveur, aussi frère des bêtes et des choses, des livres et des villes, de l'espoir et du malheur". Une ferveur brisée par la réalité d'une vie, et d'un désenchantement qui le conduit au suicide (le 4 avril 1946).
 


 
 
posté le 23-12-2009 à 10:30:37

Pierre Albert-Birot à la presse.

La  poésie, parce qu'elle reste condamnée à un public restreint, mais sensible au support des mots que sont les livres, trouve souvent son meilleur véhicule dans l'ouvrage "composé" par l'auteur lui-même, dans une suite logique qui  veut que le mot gagne son cadre le mieux approprié à sa lecture dans un objet artisanal.On pensera toujours à Restif de la Bretonne (bien qu'il ne soit pas poète) qui compose lui-même ses ouvrages. La maniement des lettres déposées sur le "composteur" suppose une plongée radicale dans le corps même du texte (jusque dans ses faiblesses, ses lacunes, ses erreurs).  J'ai toujours admiré cette pratique où l'on trouve aussi bien Pierre Bettencourt que Jean Vodaine, et je dois en oublier tant, sinon que l'édition artisanale (comme celle pratiquée par René Rougerie) participe du même cérémonial.Pierre Albert-Birot est du lot de ces poètes qui confectionnent leur propre ouvrage qui en conserve quelque chose du charme de la chose sans doute imparfaite sur le plan technique mais qui traduit ce rapport intime du poète avec l'univers des lettres agencées pour traduire leur pensée. A quoi s'ajoute, dans le meilleur des cas, la pratique du dessin, sur des supports qui accompagnent tout naturellement l'impression directe, comme la gravure (sur bois, sur linoléum). On est alors là en face du "produit" le plus parfait, en totale adhésion avec l'univers du poète, dans l'intimité même de sa création.
 


 
 
posté le 22-12-2009 à 15:44:53

Eluard éclaire Arp.

L'intensité des rapports de sympathie et la complicité qui s'en suit, entre peintres et poètes, à l'intérieur du Surréalisme, offre un unique éclairage sur les deux disciplines qui se croisent pour un réciproque enrichissement de leurs effets propres. Paul Eluard est un complice généreux et lucide de bien  des entreprises artistiques qu'il accompagne de ses poèmes. De Max Ernst à Man Ray en passant par Vulliamy, Ubac, Picasso, Léger, Roger Chastel...). Une dédicace à Arp, un compagnon des années "dada", a valeur de plus vastes commentaires car il entre aussi dans le pouvoir de la poésie de serrer dans le bonheur d'une expression, d'une formule, toute une vision, d'offrir une ouverture lumineuse sur l'oeuvre considérée.
 


 
 
posté le 22-12-2009 à 11:42:48

Victor Brauner et l'ésotérisme.

Si André Breton en particulier manifeste un vif intérêt  pour l'ésotérisme, il n'est pas le seul à l'intérieur du groupe surréaliste. L'attrait pour le merveilleux, l'insolite, les espaces de l'imaginaire (Gérard de Nerval n'est pas loin), conduit presque obligatoirement vers les sciences occultes. Victor Brauner en nourrira tout particulièrement sa peinture. En Roumanie (dont il est originaire), il avait, avec le poète Ilarie Voronca, inventé la picto-peinture, une tentative de lier le mot à l'image. Déjà s'affirmait son désir de sortir la peinture de son unique fonction de représentation (ou même d'expression, ce qu'elle était devenue) pour en faire le territoire d'une recherche qui rejoint bientôt l'alchimie, les sciences démoniaques.  D'autant qu'il découvre des méthodes nouvelles, toute une "cuisine" un peu secrète pour lever des images dont l'étrangeté n'est pas gratuite, mais chargée d'une signification codée. Usage de cires qui donnent une matité particulière à des compositions dont elles renforcent le caractère hiératique. On n'entre pas dans un tableau de Brauner (comme dans un paysage statufié de Tanguy, une machine molle de Dali, un espace structuré de Matta, une ville de stupéfaction de Chirico, une orgie de Masson, un cortège d'étoiles de Miro). La toile se présente comme une icône. Impénétrable. Hautaine et portant toute la pesanteur de son énigme.
 


 
 
posté le 21-12-2009 à 13:24:49

André Warnod chroniqueur de Montmartre.

La pétulante Jeanine Warnod recevait ( dans les années 70), dans sa maison toute en hauteur (du côté des Buttes Chaumont) le Tout Paris des arts et militait alors pour la reconnaissance de son père le truculent chroniqueur de Montmartre : André Warnod. Il avait été l'ami de tous les peintres de l'Ecole de Paris, le témoin de la vie artistique qui n'avait pas encore quitté la Butte Montmartre pour Montparnasse, et centrée autour du Bateau Lavoir ce haut lieu de la peinture qui se refondait sur de nouvelles valeurs  dont Picasso restait le leader incontesté. Mais l'attrait des souvenirs d'André Warnod tenait aussi au fait qu'il liait à l'aventure artistique celle des lettres. On était là dans le voisinage de Roland Dorgelès, Francis Carco, avec cette verve si particulière inspirée par la misère, la priorité donnée à l'esprit contre les attraits du "matériel". André Warnod illustrait lui-même ses livres avec un  trait de plume vif et savoureux qui rendait hommage à ces maîtres du dessin qu'il célébrait (Kisling, Pascin, Foujita). Il reste un témoin majeur de la vie artistique des débuts du XX° siècle.
 


 
 
posté le 21-12-2009 à 10:58:49

Crevel dessine pour se moquer.

Mondain, René Crevel n'est pas tendre avec les personnages qu'il rencontre et avec lesquels il fait la fête (une fête triste). Sa verve n'épargne pas ceux qui le fréquentent et vantent son charme. Il cache une grande angoisse, un mal de vivre qu'il camoufle derrière le masque mondain. Ses dessins (rares et toujours en marge de l'écriture - comme ceux de Proust) empruntent l'allure ordinaire au dessin de mode c'est à dire une ligne acérée, n'accordant de détails qu'au vêtement. Ils alignent une galerie de figures masquées, travesties et en représentation.  Ils n'ont pas une visée esthétique et sont plutôt des notes d'humeur. Ce que les mots ne peuvent dire ( ou imparfaitement), quelques traits "enlevés" y parviennent.
 


 
 
posté le 20-12-2009 à 12:10:06

Chagall proche des poètes.

Chagall parmi les poètes.Venus d'ailleurs, porteurs de leur propre culture, de leurs moeurs et de leurs légendes, les artistes qui affluent à Montparnasse au début du XX° siècle sont amateurs de poésie, souvent tentés par la littérature, et proches des mots qui est un complément, voire un aliment de leur propres recherches plastiques.Jamais (sinon dans l'aventure surréaliste) poètes et peintres furent aussi solidaires et soucieux de dialoguer.  Cendrars et Apollinaire rendent visite à Chagall à la Ruche, ce formidable phalanstère d'émigrés (elle existe toujours). C'est un peu, à Montparnasse l'équivalent du Bateau Lavoir à Montmartre. Un lieu de création, ou ce que Max Jacob avait joliment baptisé un "laboratoire central". Lieu d'amitié et de création, d'échange, pour avancer, ensemble, dans cette idée de progrès (qui a fait depuis long feu), qui était nécessaire pour sortir du conformisme bourgeois dans lequel la culture était alors engluée.Chagall y fait merveille. Inventeur d'une imagerie qui hésite entre la naïveté et le fantastique, le merveilleux et l'humour. Recueillant l'héritage du cubisme (sans tomber dans la théorie) et annonçant le décalage par rapport à la réalité que le surréalisme va exploiter.
 


 
 
posté le 20-12-2009 à 11:50:34

Le jardin ouvrier, c'est partager.

La création du "jardin ouvrier" est liée à des actions sociales qui, à la fin du XIX° siècle, visaient à combattre la misère. Des municipalités allouaient aux familles déshéritées des lopins de terre afin d'y créer des potagers. L'urbanisme galopant de la fin du XIX° siècle laisse en friche des pans entiers du territoire qui sont alors occupés par des cultures potagères. Ce sont les jardins ouvriers bientôt appelés jardins familiaux. Certains théoriciens politiques y voient non seulement une solution à des problèmes économiques mais un moyen de mieux maîtriser une société en désarroi. Fédérer la famille autour de l'effort, établir  un rapport plus intense de l'homme avec la terre "nourricière". Le gouvernement de Vichy l'aura bien compris qui milite pour "travail-famille".Ils font aujourd'hui partie intégrante du paysage urbain en ses lisières, ses espaces en mouvement, en perspective d'avenir.Je me souviens que c'est mon ami le peintre Giai-Miniet qui m'avait, dans les années 70, ouvert les yeux sur ce phénomène social et urbanistique (en sillonnant la banlieue parisienne). Lui-même, à l'époque, faisait de percutants petits dessins qui traduisaient ce thème en manière de blasons. Ceux d'un retour à la terre mâtiné de vertus sociales.On ne pouvait dans la perspective de "propositions pour un jardin" ignorer cet aspect devenu pittoresque au delà de ses fonctions pratiques. D'ailleurs il décide d'une esthétique qui lui est propre.
 


 
 
posté le 19-12-2009 à 19:03:49

André Breton chez Les Grands Hommes.

André Breton chez les Grands Hommes.Hasard (comme il l'aime) ou clin d'oeil, en arrivant à Paris André Breton s'installe dans un hôtel de moyenne réputation, mais admirablement situé, place du Panthéon avec vue sur la statue de Jean Jacques Rousseau en manière d'invite à s'engager dans une aventure littéraire. C'est l'Hôtel des Grands HommesBreton reçoit là Benjamin Péret qui vient de Nantes. Il  semble tout disposé à suivre une voie ouverte par Breton et ses amis (Soupault, Aragon) et le parrainage de quelques figures de singularité comme un autre Nantais, Jacques Vaché.C'est que Breton, lors de la guerre, et à titre d'étudiant en médecine, est versé au service de santé de l'armée. C'est au chevet de Jacques Vaché qu'il découvre l'univers subversif du brillant officier de fantaisie qui lui écrira ces "Lettres de guerre" qui vont devenir un texte de référence pour le surréalisme naissant.L'Hôtel des Grands Hommes est toujours ouvert aux touristes, et sans doute quelque poète venu de sa province qui affronte le Paris des gloires et des stupéfiantes rencontres que préconisait justement le jeune Breton y fourbie ses armes.Le Quartier Latin reste un pôle d'attraction pour qui veut jouer les Rastignac des lettres. Maints petits hôtels (et parfois de bien minables établissements) ont des pensionnaires au mois. Il serait captivant d'en établir une sorte de liste à valeur historique.
 


 
 
posté le 19-12-2009 à 10:31:14

Corot rencontre Gérard de Nerval.

Ordinairement associé au monde de Gérard de Nerval "Souvenir de Mortefontaine" de Corot résume bien l'univers du poète tout en le situant dans son cadre géographique naturel. Les personnages eux-mêmes pourraient être Sylvie ou Aurélia, tant dans la grâce que le caractère intemporel de leur apparence, à mi chemin du réel et du rêve, et dans une lumière qui est aussi celle de l'esprit plus que de la réalité. Voit-on mieux les choses, le monde qui nous entoure, quand on l'associe à un souvenir littéraire, une référence historique, ou encore à un fait de notre propre expérience, inscrit dans notre mémoire. C'est alors dans la mesure où le réel et l'idée que l'on s'en fait (ce que l'on en attend) coïncide qu'on atteint une espèce de perfection, un moment miraculeux. L'idée du bonheur ne serait-elle pas liée à l'harmonie que mémoire et réalité peuvent concilier et pas nécessairement pas un trait de notre volonté mais par un heureux hasard (cet hasard objectif dont parle André Breton). Toute errance serait alors la simple attente de ces moments de grâce. On peut imaginer que la peinture qui implique un choix (du sujet, du cadre, de l'heure même), un instant de perfection, offrirait alors des séquences de cette harmonie que le quotidien néglige, voire s'obstine à nier.
 


 
 
posté le 18-12-2009 à 14:21:46

Verlaine-Rimbaud, le couple maudit.

Si Fantin-Latour avait vu "le couple infernal" sous un angle angélique (au moins pour Rimbaud), Luc Albert Moreau adopte le ton canaille, proche du croquis de bistrot. C'est pour illustrer une édition de "Les Poètes maudits" de Verlaine.  On est sans doute plus proche de la vérité du couple (la pipe de Rimbaud) et Luc Albert Moreau ne donne pas dans l'édification d'une légende auréolant la figure de Rimbaud d'un excès de séduction. Il souligne le caractère bohème de deux vagabonds, piliers de cafés et mis à l'écart par une complicité qui dérange l'ordre des choses. Se pliant aux propos mêmes de Verlaine qui souligne la marginalisation du poète qui a abandonné les codes bourgeois. Ceux que Fantin-Latour dispose dans "Le coin de table" adoptent la tenue conventionnelle, une stature de notable. Ils sont journalistes, avocats, fonctionnaires, inscrits dans la vie sociale. Le couple Verlaine-Rimbaud échappe à toute définition ordinaire. Il est en vacance de la société et soudé dans sa dérive. La café devient le cadre d'une sorte de tragique déchéance où Verlaine continuera, plus tard, seul, sa terrible dérive.
 


 
 
posté le 18-12-2009 à 09:57:38

Cocteau chez Kisling.

Les rapports de Jean Cocteau avec les peintres le conduit toujours vers un état de collaboration qui se traduit par le livre, et, en retour, nombreux sont ceux qui se sont attachés à "lui tirer le portrait". Ceux-ci, dans leur ensemble, traduisent bien l'état historique de la peinture en ces années du début du XX° siècle où une remise en cause de l'espace pictural s'incarne surtout à travers le cubisme et sa longue survivance (jusque durant les Années folles) à travers des oeuvres qui en pratiquent les principes sans lui apporter cette substance forte que les inventeurs (Juan Gris, Braque, Picasso) lui avaient donnée.Quand Kisling s'attache à situer Cocteau dans un espace qui est celui d'un écrivain (mondain) il lui donne un ton plus rustique et presque naïf, ce qui est bien du charme de l'oeuvre aboutie, avec son silence, sa quiétude, une sorte de temps suspendu qui est bien celui d'une approche bienveillante de son sujet par un peintre qui n'a pas failli à son goût du poli des choses (sans excès) et un rien de gauche dans la mise en place. Kisling va toujours osciller entre modernité et goût du classicisme. Ce qui facilitera sa reconnaissance auprès d'un public bourgeois. J'ai souvenir d'avoir longtemps dormi sous un nu voluptueux de Kisling, square de l'Alboni, chez le professeur Gaston Cordier en lieu et place où souvent on dispose, en figure de veilleuse, une image de la Vierge. On ne pouvait rêver plus charmante compagnie pour un sommeil d'adolescent.
 


 
 
posté le 17-12-2009 à 14:04:16

D.H.Lawrence au coeur de la femme.

Outre ses romans D.H.Lawrence a écrit maintes nouvelles ( ce qui est bien dans l'esprit de la littérature anglo-saxonne). Il y fait merveille. Il y développe les thèmes qui lui sont chers. "La Princesse" et "la Fille du marchand de chevaux", illustrent deux aspects de la vie même de l'auteur et deux environnements typés qui l'accompagnent. Sa jeunesse dans les pays miniers dont il est originaire et le Mexique où il fait un fécond séjour grâce à Mabel Dodge Luhan, une de ses admiratrices.Un point commun : le destin d'une femme dans ses rapports (complexes) avec l'homme. Là où dans "L'amant de lady Chatterley" Lawrence  exalte l'harmonie universelle à travers l'amour physique de deux êtres que rien ne prédisposait à se rencontrer (et s'aimer) il fait, dans ces deux nouvelles, des sortes de gammes, et variations autour de l'attrait physique de l'homme pour la femme et des ressorts ambigus qui accompagnent ce duo amour-haîne d'une singulière subtilité. Il sait admirablement se mettre au coeur des sensations éprouvées par la femme (et cela seul semble l'intéresser). Trop de descriptions du paysage en revanche alourdissent  inutilement le cours du récit. Une insistance sur les couleurs développées dans la nature qui rappellent que Lawrence fut aussi un peintre. Et des plus singuliers.
 


 
 
posté le 17-12-2009 à 11:00:57

Christo dans sa cave.

Christo dans sa cave.Lors de ses débuts parisiens (dans les années 60) Christo participait activement aux activités de la revue KWY avec Lourdès Castro et René Bertholo, Jan Voss et des peintres portugais qu'avait attiré à Paris l'amitié de Vieira da Silva.Bien que ses recherches fussent étrangères à celle de ses compagnons (articulées encore autour du concept de "peinture") Christo  se montrait, comme eux, attentif au phénomène de la poésie qui était conjointe à leurs travaux.Il pratiquait, par ailleurs, le portrait mondain, pour subvenir à ses besoins, et sa première manifestation aura été le "barrage" de la rue Visconti par un mur de tonneaux. Une installation, un "événement", quelque chose de cette provocation qui était encore balbutiante et qui aura, depuis, submergé le phénomène de la peinture pure.Il avait déjà adopté le principe de l'empaquetage (dont celui de sa compagne, devenue sa collaboratrice depuis). Ses oeuvres étaient entassées dans une cave (j'ai oublié l'adresse) et nous y fîmes une visite nocturne qui avait un caractère halluciné.
 


 
 
posté le 16-12-2009 à 11:31:30

Joé Bousquet naît poète à Vailly.

D'être né (dans une maison faussement normande) à un jet de pierre de l'endroit où Joé Bousquet reçu la  balle qui le rendra infirme, m'aura toujours fortement marqué et comme je suis fort sensible aux coïncidences (ou ce qu'André Breton a baptisé le hasard objectif), je serai porté à lire son oeuvre avec un regard différent de celui qui ne s'y sent pas impliqué. Voilà Bousquet condamné à la position couché et enfermé dans sa propre médiation. Comment l'écriture devient l'axe d'une vie, sa matière même. Sans doute, des amitiés enrichissantes, des amours lucides, une couronne d'images signées Bellmer, Max Ernst, Klee, pour s'inventer un ciel au beau fixe, vont-ils soulager le poids de l'immobilité, ouvrir des perspectives au bord du lit, ce radeau du quotidien. Joé Bousquet sera le poète de l'intériorisation absolue. Une richesse verbale qui s'ancre dans les profondeurs de l'inconscient  et lui donne ses lettres de noblesse. La recherche d'une éternité par le pouvoir de l'encre et sur le territoire  fécondant du papier.Il s'avance à tâtons dans l' épaisseur des mots, avec cette liberté mentale que tout poète recherche (mais contraint par la vie active à reporter toujours dans un futur hypothétique) libéré de son corps pratique qui lui laisse un corps pantelant abandonné à l'inertie, mais nullement insensible aux élans vitaux, à la caresse du temps, tendu comme une antenne frémissante aux sollicitations qui nourrissent notre mémoire. Sondant jusqu'au vertige les sources profondes de sa propre préhistoire.
 


 
 
posté le 15-12-2009 à 10:32:18

Jorn précurseur du Situationnisme.

Des artistes du groupe Cobra Asger Jorn est le plus totalement engagé dans une vocation de l'art retrouvant son public populaire. Un art populaire qui ne veut pas s'enfermer dans le musée mais affronter la vie dans ses tumultes, sa goguenardise naturelle (il y a du conteur médiéval en lui ) et plus que tout autre il puisera allègrement dans le folklore de son pays (le Danemark).Il fallait le voir dans un atelier de lithographie, (chez Clot-Bramsen rue Vieille du Temple à Paris), conduisant son graphisme chargé de passion dans des figures hantées et interrogatives. Passionné et emporté par de multiples élans, il se rapprochera de  Dubuffet, créera un musée dans son pays, s'engagera dans l'action politique et sera l'un des artisans du Situationnisme, à travers le Surréalisme  révolutionnaire qui n'aura qu'un numéro (où l'on trouve aussi bien Yves Bonnefoy que Max Bucaille). Le situationnisme devenant lui-même porteur d'une nouvelle idéologie qui annonce l'esprit de Mai 68. Jorn est dans les sources, les passeurs, mais reste avant tout le peintre de ses propres démons. L'audace de ses affirmations plastiques va le contenir dans les marges de l'art de sa génération. Objet de référence (et d'admiration) mais qui ne pouvait engendrer de succession. Une petite galerie de la rue de Fleurus  (Augustini je crois et à l'enseigne de Rive Gauche), lui sera fidèle et attirera sur ses cimaises des artistes qui ne se revendiquent pas comme des successeurs de Jorn mais se confrontent sans mal à lui : Christoforou, Lindstrom. Dans le climat parfois conformiste de l'art des années 50-60, c'était un lieu explosif, une bombe à retardement. Pourtant ce n'est pas de là que va provenir la culbute de l'art contemporain dans un engagement qui reniait tout l'héritage de l'Ecole française, mais des Etats Unis (New York spécialement).  
 


 
 
posté le 14-12-2009 à 11:17:37

Max Ernst et la peinture-objet.

Au sein du surréalisme, et parce que la peinture n'y est pas dans son rôle conventionnel, de tradition, et qu'elle cherche de nouvelles voies, qu'elle tente à la fois de pénétrer le vrai sens de la réalité (au delà du miroir) et les sources troubles de l'inconscient, s'amorce ce qui sera la révolution de l'art contemporain. A la fois tenté par de nouvelles formulations, une esthétique moins sujette à la conquête du beau que d'une vérité universelle, l'art puise à toutes les sources et ne rejette pas la réalité la plus brute, la plus évidente, à travers l'emprunt d'objets, fussent-ils dérisoires. C'est bien bien le paradoxe, et la richesse de la peinture de Max Ernst que de lier la venue des figures de sa mythologie personnelle, et des emprunts surprenants, insolites (sans doute inspirés par l'adage de Lautréamont à propos de la beauté) qui font basculer le tableau dans la définition du collage, assemblage et autres formes adaptées de la peinture-objet qui va peu à peu libérer la peinture des contraintes de sa seule surface.  La conduisant  vers "l'installation" qui sera le nec plus ultra de la création contemporaine. Source de toutes les confusions, de toutes les facilités, et gommant progressivement la part strictement créatrice de formes que contenait la peinture dans sa définition traditionnelle.
 


 
 
posté le 13-12-2009 à 10:52:57

Cocteau : l'objet livre.

Pour atteindre sa perfection, sa véritable dimension, un livre de Cocteau doit devenir l'espace de sa double création : les mots et le graphisme. Illustrateur (inspiré) de ses propres textes, Cocteau leur donne une dimension appréciable, plus savoureuse, d'autant que le dessin y délivre de nouvelles perspectives et s'offre d'élégantes inventions. "Thomas l'imposteur" est loin d'être le meilleur texte de l'auteur, et participe du côté un peu ostentatoire qu'il met dans sa vie (son côté le plus contestable), illustrant ce qui n'était qu'une foucade quand l'engagement de ses contemporains (Charles Péguy, Apollinaire, Alain Fournier, Blaise Cendrars) conduit soit à la mort, soit à la déchirure physique. Cocteau allait un peu à la guerre comme on irait au bal. Il en tire un texte qui se détache de son sujet profond pour devenir une facette de cette oeuvre multiforme, scintillante, qui n'échappe pas toujours à la facilité, à la futilité. Accompagné des dessins que le sujet lui inspire il devient un objet poétique qui illustre le caractère brillant de son auteur, les risques de la facilité, mais pour notre plaisir.
 


 
 
posté le 12-12-2009 à 14:41:59

La Nouvelle Athènes et l'Impressionnisme.

Ravagé par le temps, au prétexte de rénovations urbaines, la Nouvelle Athènes se fond aujourd'hui dans le climat intempestif de la place Pigalle avec ses boites de strip-tease, son air vulgairement canaille quand elle fut, au temps des Impressionnistes, un de ces lieux où l'esprit circule, crépite et engendre des idées nouvelles, où des intrigues amoureuses s'amorcent dans un climat bon enfant que les chroniqueurs nombreux relèvent. A une table on peut remarquer le singulier George Moore à qui l'on doit les portraits les plus vifs de ceux qui confrontaient ici leurs idées, de Degas à Caillebotte, de Cézanne à Zola.La Nouvelles Athènes illustre le climat et le rôle du café dans une XIX° siècle qui libère l'esprit et donne à a bourgeoisie tout le pouvoir qu'elle aura gagné progressivement et surtout depuis la Révolution de 1789.Lieu bourgeois, mais de contestation, d'agitation, le café est aussi lieu du libre échange, tant des idées que des êtres qui s'y croisent et la galanterie en tient les rênes.L'Impressionnisme est enfant de ce cénacle qui défiant les valeurs reconnues, les institutions, les écoles agissantes, va naître des discussions ardentes, passionnées, qui ont pour cadre quelques cafés de Montmartre, dont la Nouvelle Athènes, qui incarnera cet élan de liberté et d'audace. Sa disparition est grave comme toute celle d'un lieu de mémoire.
 


 
 
posté le 12-12-2009 à 11:05:08

Le musée-théâtre.

C'étaient des promenades insolites, dans un Louvre déserté, lors des vernissages du mardi, réservés à la presse. Une étrange relation s'établit alors avec les oeuvres qui, dans ce grand silence des attentes, des vacances, prennent un singulier relief. On avait aussi, autrefois, cette impression dans les musées de province qui étaient alors singulièrement négligés. Même nos propres pas nous inquiétaient, tant l'atmosphère était celle de la solitude.Une salle de musée devient une oeuvre d'art, et puisque toute création qui y est accueillie devient d'autorité "une oeuvre d'art" (ce qui est bien la facilité donnée aujourd'hui aux créateurs qui prennent la leçon de Marcel Duchamp au pied de la lettre), elle acquière, à son tour, une vocation qui la distingue de tout autre espace, fut-il de sa taille, et propre à quelque présentation. Son décor (souvent désuet) annonce quelque cérémonie, dont celle de cet étalage d'images, de représentations, qui, chacune s'enferme dans son propre délire, ses envolées, ses constats, ses plaisirs, ses promesses, Une sorte de catalogue de mondes disparates, encore qu'un spectateur facétieux (ou imaginatif) aurait pu recréer dans une continuité des images, un rapprochement parfois audacieux (et risqué) bousculant l'ordre des choses établies. Alors la salle du musée deviendrait le théâtre du plus fabuleux collage, et peut-être, la scène d'une fabuleuse fiction.Un conte pour enfant imagine, la nuit venue, les jouets de sa chambre se livrant à une ronde folle. Transposons ce principe simple dans le lieu de toutes les aventures de l'esprit, et l'on refait un monde au delà des mesures de notre entendement. 
 


 
 
posté le 11-12-2009 à 10:54:47

Djoka Ivackovic et le jazz.

La Yougoslavie existait alors en tant que telle, moins oppressée par le pouvoir qu'on voulait bien le dire. Et l'art y était florissant. Beaucoup de ceux qui voulaient y faire carrière venaient à Paris (dans les années 60), la ville lumière ayant gardé son prestige de capitale des arts, encore que la poussée vigoureuse de New York s'annonçait. Il s'appelle Djoka Ivackovic. Sort de ses cartons des dessins d'une éblouissante liberté de ton, et d'une remarquable justesse d'équilibre dans la page en dépit de la pulsion qui les inspirait. C'était accorder le geste et la grâce.Ils évoquaient irrésistiblement un phrasé musical. Celui du jazz en particulier. Il en était d'ailleurs un amateur fort éclairé. La jonction était faite entre jazz et peinture, qui fera, peu de temps après, l'objet d'une grande exposition au Musée Galliera et au Musée de la ville de Paris.Ivackovic, c'est une suite de signes frémissants, des impacts sur le papier qui sont comme les assauts de la vie sur l'écran de la lumière. Des raccourcis et des bizarreries dans le graphisme comme le jeu de Thélonius Monk que nous admirions tous. "Voici un art nouveau de l'arabesque qui tourne autour d'un point fixe, qui, assurément l'épingle, qui se reprend et parfois s'échappe des limites préalables et explore d'autres espaces et propose d'autres tempo;"
 


 
 
posté le 10-12-2009 à 12:10:40

Un projet Cobra tombé à l'eau.

La fréquentation attentive de Corneille m'avait conduit (encouragé par lui) à entreprendre la rédaction d'un "essai" sur l'histoire du groupe Cobra dont il avait été l'un des acteurs principaux (avec Appel, Jorn, Constant, Alechinsky, Dotremont)De longues hésitations quant à la manière de procéder, et comment s'engager dans cette aventure à nulle autre comparable, m'avait fait prendre du retard sur ce qui devenait une nécessité. On savait bien qu'il fallait que quelqu'un consigne l'histoire, pourtant brève, de ce groupe de peintres, qui, au delà de la guerre, avaient revitalisé l'actualité artistique en offrant de toutes nouvelles  normes artistiques et surtout une cohésion exemplaire entre peinture et littérature, modernité et tradition (chez eux le retour au folklore). Temps perdu et bientôt on apprenait que quelqu'un avait, de son côté, entrepris ce travail. C'était Jean Clarence Lambert qui publiera aux éditions du Chêne un magnifique ouvrage sur le sujet. Je n'avais plus qu'à rentrer mes stylos. 
 


 
 
posté le 10-12-2009 à 11:11:40

Le passeport de Kafka.

Le passeport de Kafka.Encore un souvenir lié à Kafka. Nous étions M.C. et moi, aux frontières de cet empire de l'ombre qu'était l'Europe de l'Est en ces années d'avant la chute du Mur.L'approche prudente de cette zone qu'annonçaient maints panneaux écrits en plusieurs langues (dont le français) et précisant que l'on pénétrait dans une zone interdire. Nous bravions la consigne, un grand silence entourait une forêt sauvagement civilisée, avec des entailles brutales dans les futaies. A une distance raisonnable c'était le poste de douane. Barrière baissée, barbelé en buissons ardents et, bien planté sur ses bottes, un altier militaire que notre audace raidit dans une dignité de censeur. Nous n'avions ni titre, ni visa pour aller au delà. Et pourquoi faire, sinon jouer au touriste fouineur. L'attente fut longue avant que nos cartes d'identité nous fussent rendues et injonction, sans discussion, de faire marche arrière. L'incident (qui, nous fut-il assuré après qu'on racontait l'histoire, pouvait nous entraîner dans une sale histoire comme d'être soupçonné d'espionnage) me ramenait à Kafka car, inconsciemment, c'est l'attrait de l'air qu'il avait respiré qui m'avait au fond incité à forcer le destin. En vain.Pour autant que toute photographie d'un créateur prend l'aspect d'une icône, celle du passeport de Kafka avait une valeur symbolique qui ne m'avait pas échappée.Victime d'un monde dominé par la loi des tampons, cachets et autres marques qui accompagnent l'établissement des frontières, des limites, des interdits qui limitent nos déplacements, nous enferment dans l'espace d'où nous voulions échapper.L'enfer de la bureaucratie est la version moderne de celui promis à l'homme chassé du paradis ?
 


 
 
posté le 09-12-2009 à 14:49:06

Chez Giacometti.

Dans l'ambition de faire une sorte de mini interview j'étais allé chez Giacometti dans cet antre de misère où il sculptait et dessinait sans relâche. Face à face deux ateliers qui ressemblaient plutôt à ceux de quelque modeste artisan, tel un "pauvre cordonnier" comme dans les histoires de fées. Chacun occupé par les deux frères Alberto et Diego. Chez Alberto, les figures étirées, sur lesquelles il revenait avec une obstination suicidaire, trônaient au milieu d'un amas de vieux journaux. Alberto, aussi mince que ses sculptures et à leur ressemblance, semblait errer comme dans quelque mauvais rêve, encore qu'il avait la voix claire, teintée par ce délicieux accent des montagnes suisses de ses origines.Ce fut plutôt un monologue, entre propos sur son art et anecdote ou plutôt regard porté sur le monde avec ce ton de sagesse inquiète qui était de son ordinaire.Bien longtemps après, en ce même endroit qui semblait surgir des années légendaires du Montparnasse des "années folles", ce fut l'élégant Gustav Bolin qui m'attirait pour découvrir ses toiles ensoleillées et comme vouées à la célébration d'une univers féminisé. Le versant heureux du monde.
 


 
 
posté le 09-12-2009 à 09:50:44

André Breton 42 rue Fontaine.

Pour toute une génération le 42 rue Fontaine fut une adresse mythique. L'appartement d'André Breton donnait, par de grandes baies, sur le boulevard et sa rumeur crapule. Côté rue Fontaine, on était encore en province et dans le souvenir tenace du siècle passé, quand Toulouse-Lautrec y vivait, qui, le soir, allait s'attabler au Moulin Rouge pour croquer les femmes cravachées d'une étrange énergie au feu de la musique et du sexe.Voisin, ou presque, l'étrange Villiers de l'Isle Adam rendait son dernier soupir dans un logement misérable. Breton s'en souvenait qui avait une passion pour les destins marginaux, les sorts marqués par la fatalité de leur génie. Au pied de l'immeuble benoîtement bourgeois, un théâtre à la vocation capricieuse. Quand on passait dans la rue à la hauteur de son entrée modeste, on avait une vue plongeante sur la salle, dans un bruit rassurant d'aspirateur et l'envolée des ménages aux heures de relâche. C'était  presque une leçon, de voir le lieu du spectacle rendu aux rites du quotidien. La magie de la scène s'efface vite quand le rideau est tombé.L'attrait du logis d'André Breton, bien  qu'il fut protégé par le secret de la vie privée, c'est qu'il fut le théâtre de quelques unes des plus étonnantes expériences du surréalisme, du temps de sa splendeur (l'avant-guerre), ouvert alors aux amitiés fécondes, aux combats décisifs. Breton à son bureau n'est pas le fonctionnaire de son oeuvre, mais une sorte de prophète en sa chapelle. Proférant des anathèmes, distribuant des accessits. Rendu à la vie bourgeoise, dépouillé de ses trésors (vide-t-on une église de son mobilier qui participe au culte), le lieu n'est plus qu'une caisse vide. Offert à la concupiscence des amateurs de souvenirs. Il faudra consulter l'annuaire du téléphone pour en connaître l'identité.
 


 
 
posté le 08-12-2009 à 15:12:01

Les mythologies de Cocteau en dessin.

D'un livre à l'autre, l'ouvrant, et comme un rideau de théâtre, le dessin de Cocteau, pareil à lui-même, répétitif, silhouette une figure d'ange ou de démon, nimbée de la majesté des légendes dont il est inspiré, Il suit les mots, à eux se mêle dans une unité formelle qui l'entraîne vers une sorte de sceau magique, scellant le texte promis dans la grâce et l'élégance qu'il promet.  Ce n'est pas jouer sur sa priorité. Il est trop intimement lié aux mots pour ne pas y voir comme une sorte de respiration de celui-ci.D'occasion il peut s'échapper de son contexte verbal. Exister pour lui-même. C'est bien l'attrait du dessin de Cocteau qu'il a sa force au delà de sa grâce pour imposer les figures de sa mythologie. 
 


 
 
posté le 08-12-2009 à 11:19:22

Jean Follain et le Magasin Pittoresque.

Le titre dit tout. Le poète, qui est aussi magistrat, puise dans ses souvenirs et s'attarde sur quelques faits du prétoire qui ont cette verdeur  propre à l'auteur  qui donne le ton en évoquant le "Magasin Pittoresque", cette admirable entreprise de vulgarisation de la culture dont le XIX° siècle était si friand.Des sujet aussi divers que malicieux dans leur développement. Que ce soit : Les bouffons du roi ou La claque au théâtre, Les confréries de la charité ou La cérémonie des visites, les Propos d'argot et cette sublime célébration du Vin.La poésie se niche dans les recoins du quotidien, des moeurs et de cette histoire mi savante, mi mémorielle chère à Follain qui décrit avec malice et érudition des pans entiers de la vie de province. Ce sont comme autant de petits tableaux pittoresques quoique savants, une sociologie tendre et émue sans pathos ni faut lyrisme. Avec justement cette retenue que suppose la diffusion d'un savoir populaire.
 


 
 
posté le 07-12-2009 à 14:37:31

D.H.Lawrence et Katherine Mansfield.

Avide d'amitiés D.H.Lawrence en vivra quelques unes jusqu'à une sorte de fraternité des esprits et dans un élan quasi mystique. Obsédé par l'idée de créer une sorte de phalanstère dégagé des turpitudes du quotidien, il amorcera, mais toujours en vain, des contacts avec ses nombreuses relations pour réaliser ce rêve qui restera sans suite. Le couple J.M.Murry et K.Mansfield, sans entrer dans cette lubie que leur interdisait la santé de Katherine (mais à laquelle John Middeleton fut, un moment sensible, c'était le rêve de l'île Rananim) , partage des moments intenses de la vie tumultueuse de Lawrence avec sa compagne Frieda. Ces dernires rendent visite a John Middleton et Katherine lors de leur sejour à Chancery Lane, et à leur tour les invite à Broadstairs. Les deux couples sont bientôt voisins sur les bords de la Lee, dans la région de Cholesbury, village pittoresque que fréquentaient volontiers les membres de Bloomsbury. C'est Rose Tree Cottage "à environs six kilomètres à travers champs de l'endroit où habitaient les Lawrence" . Une intimité qui conduit le couple de Katherine à être témoin des terribles scènes vécues par Lawrence et Frieda. "A tord ou à raison, il me semblait, écrit Middleton Murry,  que Lawrence servait Frieda non comme une personne ou un individu mais comme une sorte d'incarnation du principe féminin, une sorte de Magna Mater dans laquelle il se plaisait à s'abîmer et à s'annihiler complètement..... Lawrence semblait se fondre dans une Femme impersonnelle ; il considérait souvent la sienne comme une sorte de prophétesse, un instrument pour atteindre à ce qu'il nommait la conscience du sang". Remarque qui ouvre des perspectives lumineuses sur l'oeuvre toute entière de l'auteur de L'Amant de Lady Chatterley.
 


 
 
posté le 06-12-2009 à 12:02:19

Kafka, la nuit.

C'est une très vieille histoire, de celles qui façonnent une âme d'enfant, où le hasard joue souvent la part dominante. Il y avait,  dans la bibliothèque familiale (plutôt bien pourvue), sous une belle reliure de Mario Prassinos, un texte dont l'attrait (pour un esprit jeune) tenait dans le titre : "Le Château". De là à s'imaginer quelque flamboyante histoire de rapt, de combats, d'amour impossible, il n'en faut pas plus pour exciter un esprit encore vierge (et peut-être un peu naïf). D'autant que j'avais, dans le même temps, dévoré ces romans gothiques dont la littérature anglaise offre de si extraordinaires exemples. On les avait baptisé "romans terrifiants". L'étiquette valait tous les arguments. D'Ann Radcliffe à Monk Lewis tout y  était passé. D'autant que "Mathurin" (de Monk Lewis)  avait été traduit de l'anglais (au XIX° siècle) par une lointaine ancêtre et que je n'étais pas peu fière de sa prestation."Le Château" donc, entrouvert dans le silence de la nuit, et les étranges frissons qui passent sur toutes choses quand tout dort autour de soi et qu'on est comme un veilleur sur le bord d'un précipice. Grande est la surprise de s'engager dans un texte infiniment plus prenant que tous les romans évoqués et qu'on s'englue dans une pesanteur secouée par de brefs rires sardoniques (le fameux humour de Kafka). Bien sûr, la ville inaccessible et son château c'était Prague. Bien longtemps après je pouvais le vérifier, en des promenades nocturnes, sur les traces de Kafka, en compagnie de l'ami si délicat qu'était Jean Jacques Lerrant (un critique d'art lyonnais, fort réputé en sa profession). Tout y fut, de la maison familiale au château dans son impérieuse affirmation de pierre, comme une falaise sur la mer qui le défie. Et Kafka dans tout ça. Une lecture qui vous tire, vous retient, vous fascine jusque dans sa volontaire monotonie. Un océan où se noyer. La nuit était à Kafka.  Voyageurs égarés nous butions sur de ténébreux vigiles qui nous interdisaient l'accès au jardin d'Eden. Les tampons qui validaient nos visas avaient des allures de sceaux, baignés dans un sang fade. L'enfer était à la dimension des sordides bureaux où l'on nous consignait. Sortirons nous de ce cauchemar ?
 


 
 
posté le 05-12-2009 à 11:39:07

Le Paris de Katherine Mansfield.

Nombreux sont les touristes, anglo-saxons qui, descendant au Select Hôtel, 1 place de la Sorbonne, demandent la chambre 52, au 6° étage. C'est celle qu'occupait Katherine Mansfield, quelques mois avant sa séjour au Prieuré d'Avon où elle devait trouver la mort (1923).Fort jeune, lors d'un court séjour à Paris, nous étions descendus au même hôtel, mais à l'époque j'ignorais tout  de ce détail biographique, sinon j'aurais peut-être émis la même fétichiste demande. Mon unique souvenir du lieu, les cloches, tôt le matin, qui donnaient l'impression d'être dans quelque ville de province, un dimanche. J'ignorais aussi que, bien des années après, le Soleil dans la tête viendrait s'ancrer dans ce territoire de haute littérature, entre le souvenir de Katherine et de Verlaine.Katherine Mansfield, on la retrouve aussi Quai aux Fleurs (au 13). C'est un immeuble d'apparence plus moderne que ses voisins.  "On y accède par trois marches de pierre. L'entrée fait un coude à gauche duquel se trouve la loge. Ni tapis, ni paillasson. Au pied de la rampe une boule de cuivre que la main saisit machinalement. Cinq logements de chacun deux pièces et une cuisine par palier. Katherine Mansfield occupait un logement au troisième étage". Elle s'attardait volontiers à la fenêtre qui donnait sur le panorama de l'Ile Saint Louis, le pont Louis Philippe, le petit pont de l'Hôtel de Ville. Et Katherine aimait musarder sur le quai que Léon Paul Fargue chantera "c'est un paysage unique, tout en longueur, sorte de ruban courbe, de presqu'île imaginaire qui semble être sortie de l'imagination d'un être ravissant". C'était, en fait, l'appartement de Francis Carco. Elle fait souvent une station pour le thé au café Biard du côté de l'Hôtel de Ville. Lors d'un autre séjour,  avec son mari John Middleton Murry, elle habitera 31 rue de Tournon, "dans une maison balzacienne à côté du restaurant Foyot".
 


 
 
posté le 04-12-2009 à 10:51:22

Pierrefonds réinventé.

Il y a deux images du château de Pierrefonds, avant et après sa restauration. Le premier est dans son versant romantique (on dirait un dessin de Victor Hugo) c'est celui de Mérimée et de la prise de conscience des beautés du moyen-âge ; le second, flamboyant et quelque peu racoleur, du côté d'Alexandre Dumas. Décor type d'un film de cape et d'épée.Ce sera bien le problème de la campagne de restauration entreprise par Viollet-le-Duc qui travaille à une évocation du moyen-âge tel qu'on le voyait (ou le voulait voir) avec un brin de fantaisie, un goût prononcé pour le "décor" et une légère falsification des données de base pour s'inventer un moyen-âge plus anecdotique. Le pouvoir des ruines (il en était une exemplaire) c'est de suggérer un passé, une restauration l'impose mais à la lumière de l'époque qui s'en empare, n'offrant aucune chance de fabuler, la fable étant déjà fixée dans la pierre.C'est bien ce qui arrive avec les simulations possibles en informatique. On y recompose des cathédrales, des abbayes, des temples, des villes entières que l'on ne connaît qu'à travers les ruines qui en subsistent. Il arrive qu'on les préfère aux architectures réinventées par la technique de l'informatique. On a parfois l'impression d'être dans un décor pour péplum.photo provenant de :  blog pinsonnais.org
 


 
 
posté le 03-12-2009 à 11:33:21

Colette une Sagan "fin de siècle".

La voici transformée en icône de la littérature, avec le fameux col à qui elle a donné son nom. A l'âge des grandes entreprises littéraires, en symbiose avec une époque qu'elle traduit avec verve, et dont elle est un produit parfait. Ce n'est pas encore la femme garçonne des années 30, mais celle qui l'annonce, affiche sa féminité et joue de provocation pour en mieux définir les traits spécifiques. L'oeuvre de Colette est moins la création d'un monde que le journal d'une conquête de la liberté dont elle fait un objectif qui passe par le music-hall (la nudité) les amours interdites (allant jusqu'à Lesbos), et les étapes d'une vie conjugale assez chahutée. Devenue une vénérable et digne dame clouée à son lit, mais l'oeil encore vif et la main s'émerveillant encore du jeu des mots (sur le fameux papier bleu dont elle faisait un strict usage pour écrire), Colette incarne une certaine littérature française faite de chic, (de choc ? ) et d'élégance qui la conduit aux gloires officielles. Il fallait que ce fut une femme qui bouscule, au début du siècle, des valeurs sur lesquelles étaient fondé le pouvoir de la bourgeoisie. Faisant éclater le carcan d'un enfermement conjugal (avec Willy) elle devient un exemple pour toute une génération. Ce que sera Françoise Sagan pour celle des années 50.
 


 
 
posté le 03-12-2009 à 09:55:11

Bertini père du pop-art français.

Des artistes de sa génération (en vedette dans les années 60) Gianni Bertini est sans doute le plus inventif, celui qui (à l'exemple d'un Picabia pour la génération des dadaïstes) se sera aventuré dans des expériences qui apportaient des solutions tant techniques qu'esthétiques aux questions qui se sont posées alors. Il serait une sorte de précurseur de la "Figuration Narrative" (Rancillac, Cheval-Bertrand, Bertholo, Jan Voss, Monory, Télémaque, Klasen) introduisant dans le rythme même de la peinture des documents (photographies) qui traduisent la frénésie de la vie moderne. Encore qu'il va étendre largement son registre et il aura été le seul à puiser dans l'arsenal des mythes (en particulier la mythologie greco-latine) pour souligner la pérennité des forces de l'inconscient collectif qui guident notre façon de voir, de penser, d'agir. De vivre. Ses attaches avec la littérature (la poésie en particulier) le conduisent à s'intéresser particulièrement au livre et à s'imposer comme un fécond illustrateur. Il a annoncé la fascination exercée par la bande dessinée (composition du livre "Stèle pour Adam de la Halle") et sa collaboration avec l'éditeur PAB (Pierre André Benoit) lui offre l'occasion d'expérimenter de nouvelles techniques de gravure.Un bilan riche et chatoyant. Qui désole de le voir aujourd'hui si injustement négligé.
 


 
 
posté le 03-12-2009 à 09:42:40

Charles du Bos du côté de Proust.

Il est unique en son temps, un privilégié, de famille aisée et tout entier dévolu au seul souci de se "bien former l'esprit", comme ces jeunes aristocrates du XVIII° siècle qui faisaient le "grand tour", Londres, Munich, Florence, Paris, à la quête du meilleur enseignement possible et à la rencontre de ceux qui vont nourrir son esprit.Il fut, à Paris, élève de Bergson. Ce qui le met sur sa voie. C'est l'abbé Mugnier, lié à la génération "fin de siècle", qui va l'inciter à tenir son "Journal". Désormais celui-ci sera le pôle de sa vie. Une fréquentation quotidienne de ces pages aussi riches que portées par un élan quasi religieux le maintiendra dans une sorte de sérénité. Du Bos serait-il un moine défroqué ?  Un civil, (fort apprécié dans le monde des intellectuels) imprégné de spiritualité. Ses amis, ceux dont il commentait le mieux les oeuvres, étaient Valery, Claudel, Maurois, Gide, Jacques Rivière, et comme il avait une culture franco-anglaise, il s'aventurera du côté de Joyce. Il a transporté sa bibliothèque dans son "Journal", mêlant le quotidien à une réflexion toujours  enrobée de scrupules, de précaution, et comme feutrée par les effets d'une sensibilité aussi vive que profonde.Il aura été une sorte de Proust de la critique. On l'aborde avec la même dévotion et le sentiment qu'on ne sortira pas sans une sorte de profit  de cette fréquentation enrichissante. Encore faut-il la mériter.Le "Journal" de Charles du Bos implique un type de lecture adaptée à sa nature si particulière. L'idéal c'est de le lire dans un profond fauteuil "club", dans l'ambiance feutrée d'une bibliothèque, pour en savourer l'esprit et le ton. Une lecture de privilégié donc.
 


 
 
posté le 01-12-2009 à 09:14:11

André Chénier sur les Grands Boulevards.

Le promeneur parisien rencontre toujours sous ses pas l'Histoire. Les piétons de Paris (Restif de la Bretonne, André Breton, Léon Paul Fargue, Jean Follain, Jacques Réda) sont le plus souvent sensibles à l'instantané, le bref signe de poésie qui surgit dans l'incident le plus banal. Jean Follain aura été particulièrement sensible à ce qui n'est pas le merveilleux surréaliste, mais son cousin dans le réel le plus banal. L'oeil aux aguets retient ces petits riens qui font chaque promenade une sorte d'épopée. J'avoue y être encore plus sensible à des rencontres qui demandent, en plus de l'imagination, une certaine connaissance des histoires qui constituent la texture mémorielle des rues. Situer, quand ils existent encore, et même largement modifiés par le temps, les lieux qui sont liés à une aventure humaine et à une création. Retrouver dans l'espace de son quotidien, la présence tenace de la pierre, le souvenir d'une oeuvre, la mieux comprendre de cette rencontre avec ce qui fut le cadre de sa création.Paris est ainsi jalonné par des phares de la mémoire, des "feux de brume", un balisage qui échappera au distrait, mais donnera à celui qui a la curiosité de s'informer, une dimension supplémentaire, un "aller" vers cet au-delà qui est l'invention d'une oeuvre, la mémoire que l'on en a.  Ainsi, André Chénier avait son domicile dans cet immeuble en forme de proue de navire sur les Grands Boulevards (97, rue de Cléry). Dans sa mansarde il avait vue unique et imprenable sur les rumeurs de la rue. Et pourtant il trempait sa plume dans les mythologies. Ne sont-elles pas de toutes les époques. Aujourd'hui encore, des figures de dieux et de déesses sillonnent les artères de ce très vieux Paris, englouti dans les fracas de la modernité. Il me semble entendre parfois, imperceptibles, des voix étouffées. Comme on peut entendre, quand on y porte attention, le chant des oiseaux dans les arbres. Ivres, semble-t-il de toute cette rumeur, mais vaillants.