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posté le 30-05-2009 à 13:30:48
Charles Asselineau bibliophile.
Le XIX° siècle est riche en figures d'originaux qui furètent dans les bibliothèques et participent activement à la réhabilitation d'auteurs oubliés. Le bibliophile Jacob est l'un de ces personnages que l'on dirait inventés par Balzac et qui sèment sur les rayons des bibliothèque (leur élément ) des ouvrages savants mais souvent pittoresques. L'association du savoir et du charme de la chose inattendue, voire la fantaisie, est bien l'un des attraits de leur production qui ne peut rivaliser avec les grandes entreprises littéraires mais participent à l'agrément de leurs marges. Ce sont, à l'image des chapelles qui encadrent la nef d'une cathédrale, des espaces où l'on aime à s'attarder car ils sont l'ornement de la majesté, ses fantaisies, ses surprises.Si le titre de gloire de Charles Asselineau est d'avoir été le compagnon le plus fidèle de Baudelaire, son premier biographe et celui qui a constitué la première édition complète de ses oeuvres, il vaut aussi d'être visité pour des effets de sa curiosité car c'est sous cet angle qu'il brille, qu'il étonne, qu'il séduit.
Le voici donc en action. Au coeur de son temps, dans la familiarité de ceux qui façonnent une manière d'être, de penser, de créer. Verlaine n'est pas si écarté de son temps que sa manière d'écrire pourrait le laisser supposer. Il donne le ton, il est à l'accord d'une sensibilité qu'il affine, dont il se fait le maître. On est au coeur de cette fin de siècle qui accumule la crapulerie et l'élégance ( ayant souvent les mêmes acteurs), étant lui même délicat et horrible, lâche et audacieux, sa sexualité n'étant que le reflet de ce que l'époque accorde à la culture des sentiments, L'homme est en chute libre, mais la tête dans les étoiles et le coeur battant la chamade et qu'importe l'opinion, il s'accomplit selon ses penchants, aime au gré de ses caprices. Il paye cher sa liberté. Il prépare le terrain pour une nouvelle société entre l'absinthe du quotidien, et l'errance amoureuse pour quêter des sensations raffinées et subtiles.
C'est le genre d'images que l'on enregistre et qui définissent une fois pour toute une rencontre dans notre mémoire. Le lieu : Le Rubens, un modeste estaminet rue Mazarine, à l'angle du porche qui conduit au Passage Dauphine et, il me semble, dans l'immeuble même où avait vécu Robert Desnos (ce qui était un significatif parrainage). J'ai appris par la suite que Blondin habitait au 72 de la rue Mazarine.Au comptoir, bavard, entouré et fêtard, un homme dont on percevait une élégance naturelle en dépit de vêtements usagés, avec un rien de coquetterie dans le détail. Mais surtout une tête admirable, chauve mais justement mieux sculptée dans sa masse et fort expressive. C'était Antoine Blondin. La légende.Il était déjà presqu'au terme de sa vie (il est mort en 1991) mais le découvrir si tard ne faisait que mieux cerner l'étonnant parcours de celui qui s'est délibérément écarté des voies royales du politiquement correct au lendemain de la guerre.J'aimais (sans nécessairement partager la chose) qu'il fût d'une droite franche, joyeuse, conquérante, alors que derrière les prophètes de Saint Germain des Près il n'était bon que d'être à gauche. Il affichait des admirations propres à le jeter dans l'excommunication des penseurs qui faisaient la loi intellectuelle du moment. Vénérer Marcel Aymé était du dernier mauvais goût et rendre juste à Robert Brasillach vous menaçait des foudres de la justice. Enfin il rendait justice au "génie" de Louis Ferdinand Céline, ce qui est une manière assez directe de se faire jeter dans les poubelles de la pensée. L'hypocrisie intellectuelle ne l'atteint pas et il aurait plutôt tendance à la provoquer. A sa manière c'est un rebelle.
Le dessin de Verlaine a la promptitude du croquis pris dans la hâte. Ce sont des notes qui épousent le rythme du voyage. Dans son errance avec Rimbaud il dessine sans autre besoin que de marquer un temps privilégié de complicité amoureuse qui n'est jamais exempte de malice, l'humour au bout du crayon. Le dessin est pour lui aussi une manière de retenir un trait de caractère, un comportement, une silhouette avec ce qu'elle a de typique. Le dessin n'est pas l'illustration d'un texte, quand il était parfois son temps d'hésitation, de réflexion ; il est aussi une manière de saisir au vif la réalité du moment. Une manière de voir qui précède celle du photographe. C'est un dessin clic-clac.
Quand le poète dessine en marge de son manuscrit c'est souvent en un temps de reprise, de repos, d'errance mentale, alors que les mots ne suffisent plus, s'échappent, et que la pensée n'a pas terminé son déroulement, ses effusions, son travail. Le dessin est une fixation immédiate, spontanée, maladroite souvent, de cette pensée, ce qui le distingue du dessin élaboré, volontaire, conduit vers sa finalité plastique. Le dessin de poète n'a pas de vocation plastique. Il est la mise à nue de la pensée.
C'est le manuscrit de Madame Bovary, mais ce pourrait être celui de n'importe quel roman qui aurait fait l'objet d'un harassant travail de corrections dans une recherche de la perfection. L'attrait du manuscrit sur la version imprimée et définitive, c'est cet espace d'incertitude qui s'ouvre devant l'écriture. Il s'amorce (non sans douleur) à la page blanche mais il n'est pas interdit de penser que plus grande encore est la difficulté devant une ébauche qui impose sa présence, et freine l'élan de l'imaginaire.Les rapports de l'écrivain avec son oeuvre se mesurent à l'insistance qu'il aura marqué à ses reprises, ses remords, ses refus et ses incertitudes trahies par les biffures, sabrages et autres interventions parfois rageuses, souvent méthodiques et à travers lesquelles ont perçoit le cheminement de sa pensée.Quand l'oeuvre a acquit le prestige de la légende, on est particulièrement sensible à la découverte de ce travail qui prend alors des allures exemplaires. On peut aller jusqu'à publier ces différentes étapes, révélant ce qui n'avait pas pour destin de l'être, fouillant dans les arcanes de la création, ressortant des pans entiers que l'auteur ne destinait pas à la lecture. Regard de voyeur qui veut percer le mystère de la création.Parfois le manuscrit s'orne de dessins, c'est le prolongement de l'écriture, ses pauses quand l'esprit s'égare.On aura aussi évoqué les manuscrits enluminés (pratique des copistes du moyen-âge). C'est une structure inventée au texte. Son écho.
Il faut revendiquer le droit de ne pas créer un "univers en soi" comme Balzac ou Zola ( d'ailleurs on n'en est pas forcément capable) et pas nécessairement, pour autant, s'attarder sur son seul et mirifique nombril. Ecrire c'est aussi s'épandre et s'éprendre du monde, donner au regard toute sa force et tenter, par les mots, de retrouver le charme d'un instant, d'un lieu, d'un moment miraculeux. Car il peut l'être sous de multiples formes. A travers la chronique tout instant est un morceau d'exception, de charme et même parfois riche d'enseignement. Encore que dans l'esprit du chroniqueur il n'y a pas nécessairement la valeur ajoutée de la réflexion, il sera plus poète que philosophe, et porté à traduire une sensation plutôt qu'une connaissance. Ce n'est pas un affaire de savoir et jamais un enseignement mais le partage du miracle de la vie quand la vie vaut la peine d'être vécue, donc partagée.Je vois en un chroniqueur une sorte de photographe de l'instant. Il en aura l'acuité de vue, la rapidité d'enregistrement, la promptitude. C'est une pensée en clic-clac même si le rythme général est celui de la nonchalance qui est la meilleure incitation à bien voir, et voir avec saveur. Le regard pratique est celui de l'huissier, du rapporteur, celui du chroniqueur est le regard de la saveur, du plaisir.Un roman (et même une saga) une fois lu, (et relu quand il s'agit d'un chef d'oeuvre) est enfermé sur lui-même, si riche soit il, il ne peut donner que ce qu'il a, une chronique, du fait qu'on s'y accorde selon le moment, présente de nombreux visages. Elle se relit, se déguste, modifiée chaque fois et donc multiple.Et puis un roman c'est une réalité fabriquée, une chroniqueur c'est le monde tel qu'il est, mais passé par le regard de celui qui sait voir.
Charles Monselet est de ces écrivains qui pratiquent l'errance urbaine comme un art. Paris sera son site de prédilection. Homme de théâtre, de café, il traduit bien, comme beaucoup de ses contemporains, la fièvre "fin de siècle". Né à Nantes il est l'un des fleurons de la vie culturelle de cette ville riche en découvertes artistiques et littéraires. On y croisera Jacques Vaché, Benjamin Péret, Julien Gracq, Camille Bryen, Michel Manoll.
La découverte d'un auteur passe par des chemins capricieux. Son nom apparaît lorsqu'on s'attarde sur un autre, l'ignorant jusqu'alors. Il revient au fil des pages et sa silhouette peu à peu s'épaissit. Il prend corps.Voici Charles Monselet. C'est en se promenant dans l'univers de Baudelaire qu'on l'aura d'abord rencontré. Furtif, encore qu'il avait du poids à en croire ceux qui témoignent de l'époque. On se retrouve au Café de Madrid (près du Passage Jouffroy sur les Grands Boulevards) et voilà le personnage dans son monde, parmi les siens, ces chroniqueurs du théâtre qui font les modes et de bien sémillants cavaliers au bras des demi-mondaines nombreuses en l'endroit. Des buveurs d'absinthe (mais qui ne s'y perdent pas comme le fera la pauvre Lélian alias Verlaine), des pisseurs de copie (les journaux ont leur siège dans les environs immédiats),Le journalisme mène à tout et même à la littérature. Charles Monselet en est un exemple. Sans doute on va privilégier le gastronome, celui qui s'épand largement dans une production éditoriale qui s'appuie sur la table et les gros mangeurs qu'étaient alors les bourgeois de Paris ( il suffit de lire les menus pour se demander comment ce petit monde a pu survivre à des tables incroyables, c'était l'époque des dîners Marny - on croisait Théophile Gautier, Alexandre Dumas, Gustave Flaubert, Taine, Sainte Beuve, Edmond de Goncourt et même, seule femme, George Sand). Mais au delà de la table, à son voisinage immédiat il y a le théâtre et Charles Monselet s'y risque, de chroniqueur devenant auteur. On reste dans le quartier entre le théâtre de la Renaissance, celui de la Porte Saint Martin et le Gymnase. Succès de théâtre, à l'époque, conduit au succès mondain. L'un souvent inspiré par le désir de l'autre. Charles Monselet tient le haut du pavé. Il aura aussi le mérite de sa curiosité. N'est-il pas l'un des rares, à l'époque, à connaître et parler de Xavier Forneret. Rien qu' à ce titre il mérite notre attention.
Ce n'est pas une blague, j'ai trouvé l'Or au fond d'un carton. C'est, en édition de poche, le roman de Blaise Cendrars (sans doute le plus populaire de son oeuvre et le plus réellement roman) : l 'Or avec une couverture criarde, faite pour attirer le chaland. C'est bien le charme des vides grenier que d'y trouver des livres qui ont vécus. Ainsi, celui-ci, froissé, taché (preuve qu'il avait été bien lu) portait les mentions de ses propriétaires (apparemment deux, successifs) : au dos de la couverture, d'une écriture tendue, soignée, encore malhabile, mais manifestement d'une adolescente : Aurore Péan , 4° Saint Grégoire, Pithiviers, et en dessous un dessin humoristique comme on en fait dans une salle d'étude où l'on s'ennuie. Plus brève sera la mention qu'y fera Sandrine Guérin, à la dernière page du livre. Peut-être passa-t-il de l'une à l'autre comme il en est l'usage dans la fièvre des découvertes littéraires adolescentes scellées par des amitiés, parfois vives et troublantes. Pour corser l'histoire (ou plutôt donner une information supplémentaire), glissée comme marque page, une image pieuse : "Rayon du ciel. C'est Jésus, J'ai suivi ses pas" et un petit poème bien indigeste en manière d''exercice de piété.Le livre à peine entrouvert pour en humer l'odeur, et s'attaquer à sa lecture, on a les données qui permettent d'esquisser l'histoire d'une jeune élève d'une institution religieuse, abandonnée à la lecture de ce texte qui incarne l'aventure. L'Or c'est l'histoire du général Suter qui a conquis la Californie, est devenu milliardaire, et a été ruiné par la découverte des mines d'or sur ses terres. Entre deux prières, une rêverie languide en salle d'étude, Aurore Péan s'est assoupie sur ces pages écornées, jaunies. Elles me ravisent. Voici comment les livres voyagent et traînent avec eux des traces de vies qui s'y abandonnent.
L'oeuvre avait été signalée par Georges Bataille, sans doute figurait-elle dans son musée imaginaire ( tout écrivain s'en conçoit un ) et sa rencontre, sa découverte fortuite, au détour d'une ouvrage distraitement feuilleté, avait joué comme un formidable déclic. Le sentiment d'entrer dans un espace dangereux. On invoquait satan et les sauterelles. On devinait l'un (plutôt l'air d'une forgeron grattant les braises pour faire naître la flamme - il restait l'artisan du feu-), et des figures ailées qui tenaient de la sauterelle tout autant que de n'importe quel animal inventé par les mythologies antiques. Mais le moyen-âge est encore très voisin de certaines d'entre elles, les peurs sont encore suspendues au dessus des têtes innocentes des pèlerins sans culture sinon celle, modeste et imagée, qu'on entretenait ici.C'est bien l'attrait de cette imagerie que de créer une sensation (éveiller un sentiment) et dans le même temps, permettre toutes les interprétations possibles. En somme, faire travailler l'imaginaire qui devait être plus vif en ce temps des cathédrales haut lieu des réunions publiques de toutes natures, qu'à l'ère de la télévision qui mâche les images en les basculant dans le vide de notre gloutonnerie imbécile.
Editées par K, les "Lettres de guerre de Jacques Vaché" étaient en fait une réédition de l'ouvrage conçu par André Breton après la mort de l'auteur de ces étranges missives et qu'il ait été reconnu comme l'un des incitateurs du Surréalisme. L'attrait de l'édition de K, outre les différentes préfaces que Breton avait donné, tant il revint sur le sujet et marqua sans faiblir son admiration pour Vaché, tenait à son aspect graphique qui semblait s'adapter si parfaitement à l'esprit de son contenu.Il n'y avait pas dans la rédaction de ces lettres une ambition littéraire, encore que certaines remarques prouvaient que Vaché n'était pas insensible à la qualité littéraire de ce qu'il écrivait. Mais la charge provocatrice, l'humour qui y présidait chassaient et supplantaient l'esprit littéraire. Le livre fut, dans le contexte du Soleil dans la tête, un élément fort, une pièce à conviction dans la campagne menée pour diffuser des documents à valeur historique autour du surréalisme. Il était emblématique de ce que devait être une bibliothèque idéale. Ce qui est la vocation de toute bonne librairie.
Rassemblées avec un soin pieux, les lettres envoyées par Hans Bellmer à Henri Michaux, à propos de l'internement de sa compagne Unica Zurn, pour "folie", constituent un pathétique témoignage tant sur Unica Zurn elle-même que sur un aspect de Bellmer qu'on n'imaginait pas aussi scrupuleusement attentif à autrui, et qu'il était difficile d'apprécier tant l'homme resté enfermé sur lui-même, avec cette rigueur, ce dédain magnifique du Germain hanté par son monde et se frottant mal aux exigences de la réalité. On l'a connu dans la plus effroyable misère, quand il vivait (avec une Unica qu'il venait de "ramener" d'Allemagne), dans cette arrière cour de la rue Mouffetard où tous deux gravaient à la lumière avare d'une pièce qui avait des allures de sous-sols.Bellmer n'était pas l'homme de la palabre, et sa discrétion confinait au dédain, comme s'il préférait s'enfermer dans sa solitude mentale, intellectuelle et affective.Ses amitiés furent balisées par des réalisations qui scandent toute l'aventure de l'esprit, de Breton à Gracq en passant par Bataille et sous le signe obsédant de Sade. Ce qui entretenait une manière de légende autour de lui, et dispensait les frissons d'une réputation sulfureuse. Unica, dans ce climat, se trouvera en complicité, et sans doute aussi, parfois, en conflit. J'ai le souvenir d'une équipée à Ermenonville où le couple avait trouvé refuge. Unica y écrira et dessinera de minuscules géographies fantasmées sur des boites d'allumettes. Le feu était sur la boite en imagerie faussement naïve. Comme des blasons de souffrance. Les portes de l'enfer. Cette poignée de lettres qui témoignent de l'enfermement d'Unica ne peut qu'évoquer le cas d'Antonin Artaud à Rodez (Lettres de Rodez à Henri Parisot). Cernant la folie, les mots la ramènent aux dimensions du quotidien, pour le rendre pathétique.
Jacques Vaché agrémentait ses lettres de dessins souvent malhabiles (mais il ne prétendait pas à une carrière artistique) et narquois, surtout vis à vis de lui-même. Affichant un dandy superbe et vain, artificiel et moqueur, le jeu le portant à figurer l'emblème du futile et cela dans le climat de "lettres de guerre". Loin du front on pouvait afficher un appétit de vivre qui passe par ses symboles les plus artificiels. C'était la version "costume pour homme" présenté dans les vitrines de magasin de confection, du "Diable au corps" de Radiguet qui, lui, engage l'élan de l'amour, du désir, sur fond de mort et de trahison.Chacun se choisissant un défi à l'absurdité de l'Histoire.
L'aspect physique de tous les artisans de l'histoire du surréalisme mérite qu'on s'y attarde tant il en dit long sur la qualité sociale des hommes (et des femmes) qui en figurent l'esprit. Il existe un air de ressemblance, et une manière de s'habiller, d'afficher leur statut social qui les font frères et soeurs et enfants de cette bourgeoisie qui s'est développée sous le signe de la culture. La culture bien plus que l'argent, laissant la culte de celui-ci à la classe des besogneux du commerce et des affaires.D'ailleurs on affiche un dédain très marqué pour l'argent et le travail n'est pas un but en soi, tout au plus une nécessité traitée avec juste le soin qu'il mérite mais sans étouffer les ambitions créatrices qui prédominent et décident des choix de vie. On peut aller plus loin encore, et il n'est pas innocent que le suicide ait été l'issue fatale pour ceux qui ne voulaient pas s'engager dans les chemins préparés pour eux, cette espèce de fatalité qui allait tuer le poète en gestation.Jacques Vaché est significativement dans cette voie. Poète sans oeuvre mais dans cette aura d'un destin qui deviendrait légendaire.
Plus que tout autre, le Journal de Virginia Woolf est au coeur même de celle qui s'y abandonne. Il nous la rend présente. Dans l'art si délicat du journal qui peut tourner à l'auto célébration, une attention vaine et excessive de son moi errant dans la réalité, elle, y trouvant un amarrage, comme le puissant navire qui, fuyant la mer déchaînée, s'est réfugié dans un port.Le port de Virginia c'est sa table de travail, elle s'y accroche avec une volonté parfois désespérée, partagée entre une vie sociale qui peut devenir mondaine, les responsabilités de l'entreprise commerciale qu'elle anime avec son mari Léonard (mais qui lui permet de se publier en toute indépendance), et des accès de "folie" qui scandent sa vie faite de patiente pénétration du réel et d'ardeur, et toute vibrante de ces émotions qui chargent ses romans et les font si riches de texture, si prenants.La puissante séduction de son oeuvre tient à cette force de pénétration qu'elle développe pour saisir les rapports du corps pensant (sensuel) avec la réalité, que ce soit la nature ou les êtres qu'elle affronte. Autant que Katherine Mansfield elle rend sensible l'approche de la nature, s'identifiant avec la sensation, dans l'esprit du plaisir qui s'en dégage.Viviane Forrester, avec ténacité, mène une approche sensible de cet univers, nous y introduit avec une grande subtilité, sans doute un accord profond de sensibilité avec son sujet,
Alors même que le titre Le soleil dans la tête désignait un recueil de poème (dont la librairie sera la conséquence) il était déjà mal compris et confondu avec une allusion à la joie (du soleil plein la tête était une chanson) alors qu'il s'inspirait plutôt du drame de Van Gogh. Une certaine tension de l'esprit qui ne se portait pas nécessairement vers l'optimisme. C'était une déclinaison du "soleil noir" invoqué, lui, par Gérard de Nerval. Le soleil noir de la mélancolie. Le soleil dans la tête était celui d'une soif que rien ne peut apaiser. Peut-être une certaine aspiration à s'identifier avec la force (destructrice) de sa chaleur. Dans l'esprit de Bachelard qui décrivait le monde sous le signe des éléments qui le constituaient.Le soleil dans la tête était une marche vers un but lointain, indistinct encore, auréolé d'un attrait ravageur. Une sorte de quête du Graal en somme. Les poèmes invoqués n'étaient que de modestes petits cailloux sur ce cheminement.La librairie (galerie) qui en recueille l'énoncé affichait son adhésion à la poésie. Elle fut (dans les années 50-60) avec celles de Pierre Bearn sa voisine (rue Monsieur le Prince) et surtout celle de Marcel Béalu (dans le quartier Saint Séverin) le point de rassemblement de toute la jeune poésie et d'hommage à ceux qui avaient ouvert des chemins exemplaires : René Guy Cadou, Pierre Albert-Birot,
Vu de loin, vu de près.Il faisait parti de ceux dont on attendait, vus de loin, qu'ils apportent quelque chose de majeur à notre appétit de rêve, tant ils creusaient leur sillon dans les forces de l'inconscient, non sans une voluptueuse cruauté qui n'était pas pour rien dans l'attrait qu'ils pouvaient exercer sur ceux qui découvraient, tout à la fois, Breton et le surréalisme, Ernst et les flambées de la prose de Julien Gracq.Vu de près on était séduit par sa "bonhomie" qu'il roulait dans les "r" n'ayant rien perdu de ses origines roumaines.On le retrouve à Lacoste (lieu idéalement fait pour lui), il avait trouvé maison de campagne dans ce qui avait été (mais c'était peut-être une légende) les communs du château du marquis de Sade. Le château était bien là. Il dominait, le village, orgueilleux, impérieux, que l'on aurait dit sorti d'un des ces romans gothiques anglais du XVIII° qu'on aimait tant. On pouvait s'y promener en toute liberté. Les poètes étaient venus là, nombreux, rendre hommage au terrible maître de leurs fantasmes. Hérold ciselait des figures totémiques emportées par la foudre. Son monde était celui du déchaînement. Prestigieuse était la cohorte des poètes qu'il avait illustré : Ponge, Fardoulis-Lagrange, Butor, Breton, Gracq, Jean Pierre Duprey, et tant d'autres qui se croisent dans le jardin des délices et celui des terreurs.
J'avais compris : les soeurs Brontë, se reprenant elle précise, non je voulais dire les soeurs Beauvoir. Une confusion qui me semble fort révélatrice. Elle est pourtant amoindrie par de nombreuses nuances. Les soeurs Brontë fusionnent dans une solitude morbide, les soeurs Beauvoir s'inscrivant dans le monde et se distinguent. Dans son travail Claudine Monteil ne révèle pas tout de suite son intention. Elle nous présente la vie parallèle de deux rejetons de la bourgeoisie plutôt enclines à défier leur classe, et se chercher dans la création.Simone y parvient avec éclat, provoquant scandale et reconnaissance de cette cause des femmes qui est le véritable objectif de l'auteur (l'auteure comme elle le précise avec insistance). Bientôt elle est introduite dans l'intimité des deux figures de la révolution féminine qui se précise (plutôt avec Simone qu'avec Hélène, plus réservée). Et c'est pourtant elle que l'on va découvrir dans son parcours et l'intimité familiale qu'elle a créé autour d'elle. Claudine Monteil situe bien ce qui distingue les deux soeurs, et l'ampleur de la démarche de Simone, Hélène étant plus secrète, plus attachante aussi. Dommage que ce soit dans une écriture un peu terne, conventionnelle, qui n'échappe pas toujours aux clichés d'une mignardise attendrie. Qu'importe, elle nous fait approcher deux êtres d'exception, hantés par les problèmes de la création. D'autres personnages virevoltent alentours, dont Sartre. Ce n'est pas là qu'on cherchera à le mieux connaître. Il est hors sujet.
La biographie d'André Billy reste " l'incontournable" pour qui veut connaître et comprendre le rôle joué par les frères Goncourt. Mais le petit livre de Pierre Kyria a le mérite d'en offrir une introduction succincte et aimablement écrite, narquoise au détour de certains aspects, comme quoi il n'est pas dupe et ne joue pas l'admiration béate. Julien, qui disparaît prématurément, laisse son frère Edmond comme une sorte de veuf. Il poursuit la rédaction de ce monumental "Journal" qui est la seule raison de conserver sa mémoire, ses romans ayant bien vieillis et ne sont sans doute guère lus aujourd'hui. Un Journal qui est un formidable vivier de toutes les figures de la vie culturelle de l'époque (Second Empire) avec les personnages principaux de cette saga : la princesse Mathilde (à la fois insupportable et nécessaire), Théophile Gautier, Sainte Beuve, Zola, le bon Gustave Flaubert sorte de frère de province, à la fois goguenard et grognon, ou encore Alphonse Daudet, figure fragilisée par la maladie, vu avec une objectivité qui détruit un peu l'image du doux conteur provençal pour révéler un auteur ambitieux et parfois âpre à conquérir la gloire. Un monde lavé de toute dimension légendaire, tant le regard de Goncourt est rude, impitoyable et sans doute parfaitement objectif. Pierre Kyria s'arrête un instant sur les salauderies évoqués dans des pages qui révèlent des aspects parfois sordides des coulisses de la vie quotidienne dans ce quartier des Lorettes (rue Saint Georges) où les frères Goncourt avaient leur logement. Des ragots de palier contés avec une malsaine complaisance. Une curiosité littéraire !
L'abbé Mugnier était de la trempe de ceux qui, au XVIII° siècle, hantaient les salons aristocratiques et faisaient bonne figure même s'ils étaient d'origine prolétaire car la soutane leur donnait le droit de défier leur condition sociale, et surtout leur humour, leur aisance naturelle à frôler le péché sans s'y perdre, mais surtout à tendre l'oreille aux confidences qu'ils suscitaient. Il y a un confesseur en tout porteur de soutane et l'abbé Mugnier ne s'est pas privé d'en user, d'en abuser même, son "Journal" fourmille de portraits, de notes, de ragots qui en font un Saint Simon du faubourg Saint Germain, l'originalité du style en moins. Pourtant il aurait voulu être écrivain et c'est pour s'en consoler de n'y être point parvenu qu'il s'approche à pas de loup d'Anna de Noailles (personnage type de cette société caviardée par l'argent, la futilité, le snobisme, mais non sans talent), Proust (un concurrent qui chassait sur les mêmes terres - mais pour faire un chef d'oeuvre), Valery (snob à ses heures), Anatole France (sorte de figure du commandeur dans les salons littéraires) ou Jean Cocteau qui est partout et surtout là où il bien d'être vu. Sur ce théâtre des mondanité il promène un regard vachard complété par un usage fort habile de bons mots. Il faut avoir de l'esprit dans cette société à défaut d'avoir des blasons. Son Journal est un tableau fourmillant et drolatique. Une douche froide dans le confort des salons ouatés où l'on se donnait facilement en spectacle.
Kafka, une cage partie à la recherche d'un oiseau.
Kafka au quotidien.Il peut y avoir pire relation que celle-là. Elle fut progressive et prendra de plus en plus de place. Relation capitale. Elle est très ancienne, grâce à la découverte, dans la bibliothèque familiale, de la version du "Château" dans la traduction du savoureux Vialatte (sous une belle reliure de Mario Prassinos). Il y aura aussi des voyages à Prague, dans la climat lourd de l'invasion soviétique, ce qui était une manière de mieux rencontrer celui qui avait annoncé ce climat délétère. Avec Jean Jacques Lerrant nous errions la nuit, autour du Hradcany, sur les traces de Kafka encore sous le boisseau mais si présent dans notre mémoire.Et puis il y avait, mais si confidentielle qu'elle ne fit guère de bruit, cette publication par Millas-Martin de quelques poèmes épars, sous un titre justement emprunté à Kafka : "Une cage partie à la recherche d'un oiseau". Tout est là dans sa force de suggestion, sa brièveté et peut-être le charme étrange de la formule qui va à l'encontre d'une idée toute faite. Nous étions l'oiseau de cette cage portée à bout de bras par un Kafka au visage encore adolescent, ce qui ajoutait à son charme et à la force de sa vision.
La nature même du manuscrit d'un poème dépendrait-elle du mode de vie qui l'a inspiré? Pessoa, ce voyageur immobile, rature, biffe, triture ses manuscrits traduisant un état différent de celui qui emprunte toutes les routes du monde, de l'homme pressé qui suppose une écriture immédiate, spontanée. Encore qu'il ne soit pas exclus que l'écriture qui prolonge le voyage, ou s'en est inspiré, puisse aussi traduire cette inquiétude du mot juste, et s'offre ainsi à la vue comme un territoire de longue recherche. L'écriture suit-elle notre mode de vie ? S'il est vrai que l'on écrit comme on est, et qu'elle est un peu notre portrait, elle peut aussi traduire les rythmes de notre vie. La rature est un signe de vie qui s'interroge, se met en doute, se cherche. Elle est cette machette que l'explorateur utilise pour se frayer un chemin dans la brousse. Ici dans la brousse des mots. C'est une brousse pleine de pièges, de danger. La poésie n'est pas un chemin facile et sans risque.
Se placer d'abord sous le signe de Pessoa. Plusieurs raisons à cela. Le jeu du nom qui devient, en français, personne. Et de là à se dire que, le sachant, Pessoa a modelé son comportement (si étrange) et fixé le contenu même de son oeuvre. Certain que le nom vous façonne, vous donne une orientation, peut déterminer votre destin. Et de deux : l'étonnante force suggestive du titre, évoquant à la fois le voyage et son contraire l'immobilité. Mais on sait que nombre poètes condamnés à l'immobilité (pour diverses raisons) savent s'échapper, et d'abord d'eux-même. Tous les poètes n'ont pas, comme Rimbaud, des semelles de vent. J'en connais qui firent leur monde dans le retrait voir la position couchée (Joé Bousquet par exemple).L'idée de la déambulation (surtout citadine) compense le voyage, en est un. Comme la pratique Pessoa mais aussi Léon Paul Fargue, Joyce, André Breton, Aragon, les surréalistes en général, Jacques Réda, et bien avant eux, Restif de la Bretonne, Louis Sebastien Mercier n'implique pas que l'on soit de grands voyageurs. Au contraire. On s'empare d'une ville faute d'aller au bout du monde. Et c'est de cette approche du détail urbain, d'une lumière, d'une couleur qui s'obstine, que l'on conçoit une oeuvre d'une richesse intériorisée.Voyageur au long cours, Blaise Cendrars propose un monde en fanfare, Fargue, piéton de Paris, propose des miniatures urbaines savoureuses, et produit d'une tendre mélancolie.
Le titre est trompeur. Tel, il distingue ce type d'ouvrages qu'on prenait avec soi lors des offices religieux, on le pressait contre son coeur avec un air pieux et je targue que celui qui l'avait entre les mains décollait du réel pour atteindre ces zones sanctifiées où il se réservait une place pour le futur.Plus pervers, et dans le jeu consistant à faire dévier le titre, et la vocation de l'ouvrage qu'il désigne, on peut l'imaginer annoncer quelque cérémonie d'un genre plus clandestin, voire honteux (car il y a souvent de la honte à donner libre cours à ses instincts les plus inconscients - les plus essentiels ?). Donc, la nuit offerte à d'étranges et perverses cérémonies comme on en lit dans des ouvrages échappant à la censure, entre messe noire et orgie ritualisée.Car, par son caractère solennel annoncé, et parce le mot office en dit long, cette orgie sera encadrée par tout un rituel, un décor et des références qui iront sans doute de Sade à Georges Bataille, de Sacher Masoch à Klossowski. Ce dernier, avec son allure de prélat échappé du séminaire, aura inventé de bien curieuses scènes que des bourgeois pris par le démon de midi, restituent en des grottes souterraines, tapissées de velours , en des lieux chèrement tarifés. Klossowki défiait la religion par l'agression du sexe. Ceux qui l'imitent le font par désoeuvrement. L'office de la nuit est celui d'un échec.
Trouvé au fond d'un carton, sous sa couverture jaune, il est défraîchi, son éditeur tenait boutique rue Palatine. Immédiatement on se souvient de l'ombre pesante du clocher de Saint Sulpice sur la vitrine qui propose aujourd'hui encore des ouvrages un peu confidentiels. L'auteur (Jules Lemaître) est de l'Académie Française, ce qui le classe d'emblée dans un perspective qui peut nous rebuter. Son titre avait retenue mon attention : "En marge des vieux livres". Et un cartouche annonce le contenu : de courts textes "en marge" de l'Odyssée, de l'Iliade (car ils font la paire), de l'Enéide, des Evangiles et de La légende dorée. On entre dans l'espace des grands thèmes, des mythes éternels. Le procédé est simple, astucieux. A partir d'un personnage sorti du grand texte évoqué, l'auteur invente une petite histoire qui ne trahit pas fondamentalement l'esprit de la référence sur laquelle il s'appuie avec un ton familier qui est celui des contes. Ce sont des divertissements de lettré qui aura feuilleté ces ouvrages (les vieux livres) que l'on trouvait autrefois dans toutes les demeures bourgeoises et qui ouvraient les jeunes esprits à l'univers chatoyant des légendes antiques. Comment ne pas penser aux nombreuses allusions faites par des écrivains évoquant leurs souvenirs. Une maison de campagne, un après-midi d'ennui, une errance distraite parmi ces choses qui appartiennent au passé, car une maison est souvent le musée d'une famille et de son histoire. Et dans une bibliothèque on découvre des ouvrages abandonnés, souvent de grands classiques, ces livres incontournables que possèdent même ceux qui ne se targuent pas d'être des lecteurs immodérés.
Rêver devant les livres.C'est d'abord une sorte d'approche enthousiaste des rayonnages où l'on voit de nombreux livres présentés, et déjà on se demande dans quel ordre. Alphabétique, par thème, par langue ? Il y a quelqu' indiscrétion à se précipiter sur la bibliothèque d'une personne chez qui on est en visite, et pourtant la tentation est grande. La familiarité acquise dans le quotidien de la librairie (bouquinerie) que fut le Soleil dans la tête m'a donné le plaisir extrême de déchiffrer à travers les bibliothèques le caractère de celui qui l'a composée. Car l'on compose une bibliothèque comme un espace à sa mesure. Elle est à la fois notre mémoire et notre histoire.Elle peut-être faite de livres dont on a hérité (alors le choix est faussé car il peut ne pas répondre totalement à nos goûts, mais on aura pu procéder à une sélection des livres reçus) mais surtout des livres que l'on achète au fur et à mesure de nos déplacement, de nos recherches, et sans doute de nos rencontres.La bibliothèque alors résume nos rapports avec la chose écrite et peut être déterminée par l'opinion, l'information donnée par les médias, l'entourage.Elle peut aussi résulter d'une succession de hasards.J'ai fait l'expérience de composer une bibliothèque uniquement avec des livres "trouvés" dans les brocantes (le vide grenier de province). Chaque livre est alors chargé d'une petite histoire. Celle de sa découverte. Il n'en a que plus de prix.On a la mentalité de l'archéologue qui fouille les entrailles de la vie des gens, recueille ce qu'ils abandonné. Et plus émouvante encore la découverte, égarées au milieu des pages, de ces menues choses qui servent de signet. Parfois des commentaires ajoutés, dans les marges, des phrases soulignées qui dénoncent des préoccupations personnelles.La bibliothèque se fait lentement, progressivement, au hasard des virées dans des villages où l'on est tout surpris de découvrir parmi des "séries noires", des romans "à l'eau de rose", des ouvrages d'un lectorat plus confidentiel : Raymond Roussel ou Xavier Forneret, et des plaquettes de poésie pourtant souvent destinées à rester prisonnières du cercle étroit de l'auteur. voir www.bouquinerie-gaspari.com
Suivons Sorel (un don Juan décavé, un Léautaud pop). Après une vie sociale un peu décousue, futile, il s'est réfugié (retiré) dans une maison (son blockhaus) entourée de son jardin (ce sera son unique contact avec le réel) à l'écoute des saisons, et consacrant ses journées à la lecture. Il s'est constitué une bibliothèque de plus de 30.000 livres, une manière de lever un mur entre la stupidité (c'est son point de vue) des autres et sa douleur de n'avoir pas trouvé âme enrobée d'un corps qui puisse partager ses caprices littéraires, ses foucades, ses ambitions car il écrit aussi mais répugne à publier, laissant cela à une lointaine descendance qui n'aura peut-être pas d'égard pour ces monceaux de papier griffonnés et souvent peu lisibles. Il entasse des liasses de romans inachevés, des cahiers de sentences dans des malles. Il avait été fasciné par l'aventure du portugais Pessoa dont 27.000 manuscrits se trouvaient consignés dans une malle, que l'on peut voir encore dans la reconstitution de sa chambre-bureau dans un quartier éloigné du centre de Lisbonne ( ce qui est un comble pour un piéton obstiné qui faisait de la ville son territoire de chasse poétique) ou encore par les vantardises de Blaise Cendrars qui prétendait avoir des oeuvres non publiées dans des coffres des sous-sols d'une banque Suisse (double distance créée entre l'oeuvre et d'éventuels lecteurs).D'autres, encore, histoires de redécouvertes post-mortem. La malle en osier que Raymond Roussel avait confié au garde meuble, et qui fut découverte un demi siècle après. Elle contenait, ouvre des éditions originales de l'auteur, des inédits qu'il n'avait pas jugé, de son vivant, utile de publierC'est l'étrange et périlleuse destinée des oeuvres inachevées, dédaignées par celui qui ne s'y retrouvait pas dans l'exacte mesure de son émotion, de sa vérité.Certains éditeurs se font une spécialité de publier ce genre de texte, non sans risque de trahir. Mais l'abandon de l'auteur peut aussi être un geste de dépit. De n'avoir pas rencontré d'audience, ou simplement une modeste attention dans son entourage peut le conduire à rejeter l'enfant non désiré.L'abandon d'un texte ou plutôt sa mise en situation d'être un jour redécouvert, c'est aussi l'expression d'une solitude. Celle de Sorel rappelle celle de Lautréamont dont l'oeuvre n'existe que par la ténacité de l'auteur et le recours, humiliant au "compte d'auteur", seule manière de défier l'indifférence qui l'entoure, celle-ci d'ailleurs reconduite, si souvent, dans la mévente des textes ainsi révélés.Le "Journal" de Virgnia Woolf (à la fois crispant et parfois pathétique) traduit bien cette angoisse devant la chose publiée ou en voie de l'être. Encore qu'elle bénéficie d'un entourage bienveillant et s'édite elle-même, en partie, grâce à la Hogarth Press, (qui lui appartient, ainsi qu'à son mari Léonard Wioolf) dans un mouvement naturel de l'écriture vers la réalisation technique d'un livre.Comment ne pas penser à Restif de la Bretonne qui "compose" lui-même ses multiples et volumineux ouvrages, ouvrant la perspective d'une écriture qui se fait directement sur l'instrument de sa diffusion, retrouvant là, l'excitation de l'artiste devant la pierre lithographique.L'écriture au sein de l'Histoire, et dans les temps forts de la douleur qui l'inspire. C'est l'expérience de Yannis Ritsos (Temps Pierreux Makronissiotiques). Une série de poèmes écrits à Makronissos en 1949 "dans toute l'horreur" du camp. On nous précise que "ces poèmes sont restés enterrés sur place dans des bouteilles scellées, et déterrés en julllet 1950" pour être enfin publiés".Au thème de la malle, si fréquent, se substituant à son caractère vaguement domestique, la bouteille appelle aussitôt la mer, l'élément liquide, porteur de ce fragile esquif qui donne sa chance à un message d'aboutir à un destin heureux.Le même éditeur (Ypfilon) s'est attaché à la révélation de textes de Pier Paolo Pasolini. On revient à la malle, au cahier retrouvé (en 1976) parmi d'autres inédits. Des poèmes écrits dans une langue au-delà des langues. Quand l'écriture libérée retrouve l'énigmatique suggestion des signes, les mots se sont glissés dans une langue qui se cherche.La langue, instrument d'une énigme, clef d'un savoir. Il n'est pas que dans les pommes d'un Paradis perdu mais dans les vieux manuscrits que d'éminents savant s'efforcent de déchiffrer. Voici, immobile et avec la vénérable dignité des statues, le scripteur médiéval qui s'immerge dans le fouillis des manuscrits.Voici les manuscrits retrouvés, balafrés et comme blessés par quelque combat singulier. Image de la difficulté de la création, des risques encourus à s'y vouer.Mais se pose alors le problème essentiel ( de base ?) Pourquoi écrire et que dire par les mots dont on veut dompter le pouvoir. Ne sont-ils pas, eux, les monstres qui nous assaillent et nous dominent ,Ecrire pour se dire ( souvent avec impudence) n'est pas un but qui se suffit à lui-même. Chacun peut le faire et l'intérêt de la chose ne dépasse pas le cercle étroit (plus qu'étroit) de ceux qui peuvent partager la vie du scribouilleur qui se sera penché sur ses problèmes. "A bas " l'ego excessif. Tout au plus peut-il donner sa couleur à la prose qui en découle. Le rêve (souvent difficile à atteindre), serait d'inventer un monde dans lequel on se glisse, s'engouffre pour se fondre dans une matière vivante, ardente, qui est la vie.Sorel risque de se figer sur lui-même. Ceux qui dénoncent l'abus de lecture et le retrait de la vrai vie n'ignorent pas que toute lecture est une fuite. Vient alors l'histoire de Lautréamont qui est celle d'une solitude. Ecrire ne serait-ce pas aussi, et finalement, la réponse à une solitude autrement insupportable.Alors, pour aller à la rencontre de l'énigme du poète, fouiller dans sa solitude créatrice et chercher le sens des mots que sécrète la solitude (ne pas oublier que Lautréamont écrivait -mais peut-être est-ce une légende, à laquelle Philippe Soupault était très attaché-) on va flâner du côté des Grands boulevards, du faubourg Montmartre, sur les traces de Lautréamont.En préparation :LA SOLITUDE DE LAUTREAMONT..voir le site cuisery.livre.freeRetour sur la boulimie de la lecture. Elle s'accompagne quand elle est solitaire de ce besoin, mécanique, de noter, de poursuivre sur la virginale blancheur d'un feuillet, la magie des mots, l'étincelle d'une idée, la beauté surprenante d'une définition. Le plus banal des romans, l'intrigue la plus convenue peuvent, à la lumière d'un esprit curieux, fournir de rejets d'intrigues (comme une plante, dans sa généreuse vitalité se déploie en plusieurs ramifications, se dédouble à l'infini, et la forêt à de semblables lois de la nature, devient cette masse compacte où se perdre et qu'il faut déchiffrer). On trouve pâture dans les mots où qu'ils nichent.C'est alors l'initiation souvent évoquée, des enfants solitaire affrontant une bibliothèque dont ils dévorent, sans ordre, sans méthode, mais avec la passion de la découverte, les enseignements qui peuvent être d'ordre très divers.En figure d'exemple, avec la grâce qui était la sienne, un certain petit Gérard Labrunie, entre les taillis des forêts du Valois dont il tirera son nom de plume (qui est un nom de gloire), dévorant les volumes d'une bibliothèque d'un "savant" de province. Et pouvait naître alors Gérard de Nerval.
Avant d'écrire (et l'écriture sera le résultat de ses expériences) Katy Acker dévore la vie en brisant les tabous, provoquant l'opinion en travaillant comme stripteaseuse et même actrice porno. Son caractère androgyne est une figure visible de sa recherche d'identité qui est conduite sous le signe de la poésie beatnick. Elle subira les influences conjugées de Burroughs, des poètes de San Fransisco et du mouvement français Fluxus. Se posant d'ailleurs au carrefour des différents modes de création.Elle pratique la performence, (impliquant le corps mis en spectacle) s'attaque aussi au cinématographe et son écriture brasse toutes les techniques de l'époque dont le cut-up inventé par Burroughs, "laquelle consiste à couper des passages ou des phrases et à la réagencer de façon aléatoire pour un résultat autre" (Blaise Cendrars avait composé des poèmes en partant de phrases arrachées aux traités pratiques de son ami Gustave Le Rouge).Elle n'hésite pas non plus à pratiquer le plagiat (comme Lautréamont) aussi bien de Proust que du marquis de Sade, ou encore Marc Twain. Elle s'appuie sur des textes de référence jusqu'à s'introduire dans le monde de Pasolini ou de Toulouse-Lautrec. Enfin elle filme sa relation amoureuse avec le poète Alan Sondeheim et cela donne "The Blue Tape".La technique de Katy Acker est moins singulière que dépendante d'une culture "dada", sa prose est secouée par divers apports étrangers ou complémentaires, comme des poèmes, des dessins, attirant le lecteur dans une sorte de dynamisme éclaté et vibrant, traduisant les sensations, un appétit de vie fulgurant et peut-être fanatique. On parlera, évoquant cette violence, d'une impudeur monstrueuse, un narcissisme désespéré. A la fois critiquée et adulée par la presse elle fait figure d'icône de la transgression dans le climat des mouvements de la jeunesse qui scandent toute la décennie 1970.Quelques un de ses textes sont traduits en français : Don Quichotte qui était un rêve, La Vie enfantine de la Tarentule noire (sous le pseudonyme de la Tarentule noire), Sang et stupre au lycée, et encore Grandes espérances.Elle meurt des suites d'un cancer du sein en 1997.
Il faut d'abord s'arrêter au terme. Le vide grenier est un acte fondateur, il est aussi une chute annoncée de ce qui, relevant de notre quotidien, a perdu sa fonction, son charme et son attrait. Le grenier fait rêver (se souvenir des admirables pages de Gaston Bachelard sur ce thème). Enfant on y découvre le monde, certaines des plus belles pages de la littérature lui sont consacrées. De ce bric-à-brac qu'on aura déversé sur le trottoir (autre perspective qui réveille l'inconscient !) les objets sont promis à une nouvelle vie. Ils font le trottoir, mais leur destin est plutôt dynamique. Celui qui les choisira leur donnera une manière de renaissance.D'abondance ce sont les vêtements qui s'y font la belle. Robes défraîchies, mais sur le corps juvénile d'une charmante adolescente, ils retrouvent une certaine beauté (et c'est dans l'ordre des choses, et une mode chaque fois reconduite qui entraîne les jeunes à se vêtîr avec les oripeaux d'une ancêtre). Chaque vêtement proposé à la vente souligne une étape d'une vie passée (des premières robes du bébé à la mantille de l'aïeul, en passant par la robe de bal) récupéré par des mains nouvelles et souvent ravies, il devient l'instrument d'un jeu de séduction.Les jouets d'enfant ( avec l'âge ils perdent leur raison d'être)) sont à l'avant-scène de cette parade parfois impudique. Souvent celui qui les cède semble s'en excuser et donne des explications sur ce passage en d'autres mains. Vendant les jouets ne vend-t-on pas des années heureuses !Reste enfin les livres. Souvent entassés, négligemment, au fond d'un carton. Il faut fouiller, se risquer dans les épaisseurs de papier jaunis pour trouver la perle, l'ouvrage qui peut même être rare et on se demande par quel biais il aura abouti dans ce qui n'est souvent qu'un ramassis d'ouvrages disparates, encore que tout tas de livres ainsi livrés à la curiosité du chaland en dit long sur celui qui les propose, comme une bibliothèque est toujours le portrait de son propriétaire.