http://sorel.vefblog.net/

  VEF Blog

lettres de la campagne

posté le 30-09-2010 à 14:34:58

Raymond Roussel à Biarritz.

La mode était, au XIX° siècle finissant, de se faire construire à Biarritz (comme à Deauville ou Cannes) de splendides villas pour des villégiatures dopées par l'air marin dont on découvrait les vertus. Là, des ducs russes, des milliardaires anglais, des cocottes enrichies, des excentriques fortunés se retrouvaient menant grand train et rivalisant de luxe et de fantaisie dans des défis architecturaux qui ont pris avec le temps ce charme des choses patinées même si leurs prestigieuses vocations primitives ont laissées la place à des entreprises commerciales ou des hôtels.`Le long d'un boulevard qui serpente en surplombant l'océan s'alignent villas aux noms ravissants qui égrènent les souvenirs de fastes et de fantaisies. Et voici la villa baptisée Bégonia qui fut celle de la mère de Raymond Roussel.Construite par Walter André Destailleur, elle est achetée par Marguerite Moreau-Chaslon en 1907. Elle s'appellera alors Villa Chaslon-Roussel. François Caradec, dans la savante biographie de l'écrivain, note qu'elle fut "gratifiée d'un long et disgracieux escalier extérieur enrichi d'une rampe ancienne en fer forgé rouillée par le climat et qui descend directement du balcon en façade du troisième étage au jardin latéral". En raison de la forte déclivité du terrain, le rez-de-chaussée côté rue correspond au troisième étage côté mer. La villa est dotée d'un ascenseur.  Fort soucieuse de son confort, madame Roussel mère avait reléguée la cuisine dans un bâtiment annexe, "le monte-plat de l'office qui jouxte la salle à manger est relié aux cuisines, au moyen d'un chemin de fer miniature souterrain". Rien d'étonnant à ce que Roussel, devenu écrivain, imagine des univers mécanisés proches de la folie, des  machineries délirantes et l'attrait du théâtre..De son côté, Michel Leiris (qui avait connu Raymond Roussel en rapport avec son père dans des affaires de bourse), ira faire un pèlerinage et note que l'entrée monumentale de la villa "à triple voûte" évoque quelque grotte mystérieuse.
 


 
 
posté le 30-09-2010 à 11:04:51

Molière chez lui, à Paris.

Le souvenir de Molière est étroitement lié au plus vieux Paris. Nombreuses sont les maisons du centre qui revendiquent l'honneur d'avoir été celle de sa naissance. (à en croire Francine Mallet, une spécialiste, ce serait au 93 rue Saint Honoré). Certaines, en raison de leur grand âge, s'élèvent sur plusieurs étages de caves voûtées qui remontent au Paris médiéval. C'est bien dans la chair même de la ville que les traces du sublime comédien s'inscrivent.Dans la voisinage immédiat de l'ancien Couvent des Cordeliers (aujourd'hui l'Ecole de Médecine) s'élevait (jusque dans les années 1900) une double maison qu'habitait Armande Béjard. On est là au coeur du foyer du comédien, dans son intimité. Son théâtre n'était pas loin, il a dû hanter ces rues aujourd'hui bigarrées par une modernité trop indiscrète qui tend à gommer tout souvenir du passé. Rendant celui-ci d'autant plus précieux quand il surgit, comme dans un murmure, et offre d'émouvants lambeaux de ce qu'il fut.Mais Molière est constamment présent dans ce Paris que les assauts de l'urbanisme a pétri avec rage, taillé à merci, et méconnu. Grâce soit rendue à ces historiens de la ville qui dénichent les documents qui réhabilitent des lieux, les peuplent de ces personnages qui hantent notre mémoire. Une malice de l'Histoire veut que cette présence de Molière s'accuse mieux encore dans le voisinage de l'école de médecine, lui qui donnait du médecin une image si ridicule. Quant aux Précieuses elles sont encore là, dans quelques Salons mondains qui persistent. Mais Proust est aussi passé par la double porte où la valet préposé à la chose, annonce l'arrivée de l'invité. Lui aussi chargera sur la bêtise des dames qui jouant de leur nom (de leur fortune) se croient en mesure de régir l'opinion publique et imposer leurs caprices.De Molière à Proust le ligne est tracée, qui dénonce les faiblesses humaines. Le Misanthrope n'est  pas loin.On pousse quelques pas de là, rue de l'Ecole de Médecine aujourd'hui, et l'on frôle l'ombre de la maison de Marat, autre fantôme dont on peut se flatter d'en sentir la furtive présence.
 


 
 
posté le 29-09-2010 à 10:48:17

Balzac, enfin rue Fortunée.

Encore une chance que la rue porte son nom, fixe le souvenir de sa présence, là. Derrière le haut mur de la fondation on devine une colonnade comme il y en avait au XVIII° siècle dans les jardins de philosophe (et de plaisir). Elle aurait été récupérée par Balzac quand il rêvait de sa maison d'amour (pour l'assez irritante madame Hanska qu'il épousera au terme d'une longue attente et un flopée de lettres d'amour et de folie).Humour du hasard, ou incongruité, la rue s'appelait rue Fortunée. Un signe du destin, comme il en est tant, que l'on ne perçoit pas toujours et qui, détecté, laisse sans voix.  Triste histoire que celle de ce forçat de l'écriture, ayant enfin atteint le bout de ses rêves et la fortune derrière laquelle il avait passé son temps à courir, aménageant dans ce "palais" de parvenu pour y agonir. Dans un grand désordre de meuble juste livrés par les déménageurs, d'oeuvres d'art (lui qui les aimait tant) qui n'avaient pas encore trouvées leur place.Epuisé, l'homme titan va recevoir sur son lit de mort l'hommage ému de Victor Hugo (quel dialogue au bord de la mort !). Se tenant par la main, l'un sentant la mort monter dans le corps de l'autre, ou le contraire, celui qui part, recevant l'ultime décharge de vigueur en signe de reconnaissance.Il est des morts vulgaires, apaisantes, surprenantes, celle-ci a des allures de mort de légende.
 


 
 
posté le 28-09-2010 à 11:13:47

Paul Eluard donne à voir.

Le titre de "critique d'art" est inapproprié quand écrire sur l'art n'est pas motivé par le souci d'en faire une analyse avec le sentiment d'être en mesure de juger de sa valeur. D'ailleurs, dans la plupart des cas, la critique d'art est assurée par des poètes.        Pensons à Baudelaire qui aura été l'un des premiers ( il y a aussi Diderot ), et notons qu'au XX° siècle qui aura été particulièrement riche en la matière, ce sont les poètes qui tiennent la plume (et même souvent le pinceau).Eluard est de ceux-là. S'il écrit "sur" les peintres c'est en usant de ses armes propres, la poésie, et d'ailleurs c'est souvent sous forme de poème qu'il approche la peinture qu'il  aime. Au point qu'il collabore avec les peintres, créant des livres avec eux (Man Ray, Max Ernst, Valentine Hugo, Dali, Vulliamy, Bellmer) tant texte et illustrations sont un effet de miroir. Critiquer alors n'est pas porter un jugement mais fraterniser avec l'objet de son attention, de son admiration. Avec le souci de partager.Mais c'est aussi "donner à voir". C'est sous cette formule (utilisée par Paul Eluard) que quelques "critiques" d'art des années 60, se ralliaient, militant pour des artistes qu'ils aimaient et avec lesquels, souvent, ils travaillaient à la réalisation d'ouvrages de bibliophilie.  Le caractère fraternel et généreux de  DONNER A VOIR situe bien dans quelle orientation on doit aborder l'oeuvre d'Eluard et celles de tous ceux qui se réfèrent à lui.
 


 
 
posté le 27-09-2010 à 15:41:29

Un Soupir à la Tchekhov.

Il n'est plus que l'ombre de lui-même. Pierres taillées comme par la foudre, au milieu des champs, et une porte sublime, menant au vide, à l'espace qu'elle marque comme d'un sceau magnifique la fragile et tremblante présence. C'était le château (comme il y en avait tant) de Soupir, ravagé par la première guerre mondiale (il est aux pieds du Chemin des Dames). L'imaginaire que met en route la plus simple image (et la magie des cartes postales anciennes) nous restitue une vie de grande bourgeoisie. Une sorte de version  française du monde de Tchekhov avec ses sentiments blessés, ses amours impossibles, et son exquise politesse. C'était au temps d'une vie que l'on disait plus facile, mais reposant sur l'abnégation des plus modestes qui se mettaient au service des riches. Une cassure dans la hiérarchie des classes qui avait ses cadres : les lourds décors de tapisserie et de boudoir des appartements parisiens, et ces demeures de campagne, château de carton pâte et de fantaisie avec ses références naïves au moyen-âge. Le romantisme était passé par là, le style troubadour et l'imaginaire développé par l'inventif Viollet-le-Duc. Chacun voulait son petit Pierrefonds privé. On est entre le merveilleux de la Belle au bois dormant, et les grâces surannées des troubadours. Un château pour cadre d'une histoire d'amour. Chacun doit l'inventer.
 


 
 
posté le 27-09-2010 à 10:03:38

Colette au plus près.

Il est le troisième (et dernier) mari de Colette. Il y eut d'abord Willy (qui l'exploite) Henry de Jouvenel (qui lui donne un vernis social) et ce Maurice Goudeket (qu'elle avait connu par l'intermédiaire de la fantasque Marguerite Moreno) qui veille sur elle jusqu'au terme de son voyage terrien, partageant sa gloire et portant, en quelques pages de souvenirs un très précieux témoignage sur son quotidien.L'écriture en est élégante, d'un rythme classique fort agréable, et il donne de son modèle, une image pleine de ferveur et  d'admiration épandue en des pages chaleureuses fort précieuses pour approcher une individualité complexe, fort égocentrique, source de toute une oeuvre limitée en ses ambitions mais d'une incroyable pénétration pour les choses simples. C'est dans la mesure où il s'efface devant elle qu'il atteint cette vérité que nul autre que lui était en mesure de restituer. Trop de souvenirs, de mémoires sont aussi le faire valoir de celui qui les donne. C'est ici un cas assez unique. Et exemplaire.
 


 
 
posté le 26-09-2010 à 11:29:54

André Breton à la plume ardente.

La correspondance des poètes suit souvent le chemin du dessin qui est si proche du mot, sa logique conséquence et comme l'ornement d'une pensée à vif.André Breton aime "bricoler" les objets, les mots, les formes. Il y a la part du jeu, mais aussi, comme chez Victor Hugo (un maître en la matière), une exploration en profondeur, donnant au dessin le pouvoir de pénétrer la pensée,  d'en extraire l'or comme du limon de la banalité du mot quand on  le secoue  pour tirer de lui l'essentiel et peut-être cette magie qu'il contient et que le dessin scrute, piège, met en valeur.Théodor Fraenkel, ami de collège, aura droit à des lettres qui sont de véritables "oeuvres de création" où le dessin a sa part. Que ce soit ce visage que l'on dirait surgissant de la nappe fluide d'une eau dormante, ou cette notation échevelée, à la ressemblance de quelque sorcière. Déjà toute une histoire se profile dont on peut varier à l'infini les issues. Plus encore que le rôle donné à l'illustration (qui accompagne, souligne, dialogue avec un texte), on a un texte en soi. Et pour faire bonne mesure, demandons nous s'il n'est pas en soie ? Celle d'une pensée fluide et chatoyante.
 


 
 
posté le 25-09-2010 à 16:24:02

Un monument de la solitude : le livre.

Dans l'inextricable forêt des mots que Proust met en scène une phrase sort de son contexte et se met à scintiller comme une enseigne. C'est :  les livres sont l'oeuvre de la solitude.Cela, seul, suffit pour nourrir un regard, une pensée. Un destin.Toute écriture est une trace. Plus ou moins codée.Le contenant est un monument. De style et de taille fort divers et chacun ayant ses clefs.Le découvrir, y pénétrer, c'est violer une solitude qui y est tapie.Toute solitude se meuble de fantasmes, confine parfois à la folie. On peut voir, dans l'oeuvre de Lautréamont, (encore qu'on lui prétende quelques mondanités lors de son ultime séjour parisien, mais n'était-ce pas seulement ceux de son banquier -car il n'était pas pauvre- et de ses éventuels éditeurs !) l'expression achevée de ce mal de la solitude qui prépare les livres les plus beaux. Les plus riches et dont la richesse serait en exacte proportion de l'étendue du mal psychique que la solitude peut engendrer.Faute d'aller dans le monde on se le créé à sa  guise , à son image. Sans doute on est loin des livres qui sont le produit d'une expérience (voyageurs), mais dotés de l'étrange pouvoir de l'imaginaire qui le peuple. Il est aussi une énigme. Une solitude n'est-elle pas un drame caché, à celui-là même qui l'éprouve, et le livre devient la clef, choisie pour en sortir. S'en sauver.
 


 
 
posté le 25-09-2010 à 10:36:10

Colette face au Danger.

Importe-t-il plus qu'une action (ou fiction) soit l'essentiel du texte. Ne tient-il pas sa force, sa grâce, son attrait, de la manière même de son écriture, devenue quand l'action fait défaut, l'essentiel.Et voici Colette dans la mouvement de la déroute générale qui jette sur les routes de France, lors de la dernière guerre, une foule confusément mêlée, moins pittoresque que lamentable (ou pathétique) parce qu'elle signe (dénonce) l'état d'un  pays, sa chute.Colette  relate une étape chez sa fille (celle aussi d'Henry de Jouvenel). Elle habite le double château de Curemonte, dans un climat de désolation, et des effets de ruine qui inspirent à Colette ses plus admirables pages (dans "Journal à rebours"). Il y a là des notations, des observations, des remarques d'une incroyable finesse de perception et d'un rendu stylistique à la fois très simple et magnifiquement doté du pouvoir de nous ravir du moindre détail donné qui est la réalité que nous ne savons pas voir.Avec elle la ruine est un grand corps malade, avec sa respiration, ses frissons, le tout signé d'un avertissement qui lui inspire de bien savoureuses réflexions : DANGER. Une simple planche à demi rongée par le temps et qui met en garde celui qui se risquerait à franchir comme la frontière d'un état de merveilleux. Qu'elle  distille avec gourmandise.
 


 
 
posté le 24-09-2010 à 11:12:05

Rêve de jardin de Valentin.

Un chapitre de la vie de Valentin. Enfant, il n'avait connu qu'un jardin trop bien "peigné" pour qu'il y trouve quelque plaisir à s'y attarder. On y jouait au croquet en bonne société (le sous-préfet, quelque haut fonctionnaire en goguette), buvait le thé sous un grand tilleul, mais les arbres plantés au bord de pelouses trop bien taillées avaient des allures d'invités trop bien habillés. C'était une manière de damier sur lequel se jouaient les réputations provinciales, se fomentaient les stratégies électorales et peut-être en surplus quelque belle opération commerciale.  Il rêvait de forêts aux halliers mystérieux, d'allées serpentant parmi des arbres centenaires, et n'avait à sa disposition qu'une nappe de cérémonie où nul rêve ne pouvait éclore. C'est bien après, et après qu'il eut fait l'expérience de la ville et de ses squares fiers de leurs ornements sculptés, qu'il disposa d'un jardin dont tout enfant rêverait qu'il fut sien. On en appréciait l'épaisseur végétale, s'accordait aux capricieux méandres des naissances d'allées qui se perdaient dans des lointains ombreux. Alors, dans le joie toute neuve de s'y attarder, d'y rêvasser, il se posait, au gré de ses fantaisies, en un point d'où il pouvait admirer le développement anarchique des arbres et cette allure presque sauvage qui donne au plus minuscule coin arboré une idée de ce que pouvait être le cadre de quelque conte de fée. Car il attendait toujours les fées, et il savait qu'elles aimaient s'attarder là où la foule ne se presse pas, où le silence n'est interrompu que le chant d'un oiseau ( le soir d'une nuée d'oiseaux chamailleurs). D'en tant aimer l'atmosphère il fomentait le projet d'y finir ses jours sous une simple stèle qui aurait mentionné les dates qui font le grand écart entre sa naissance et sa mort. Il la commanda, laissa le chiffre ultime dans la béance des jours qu'ils lui restaient à vivre. Etait-ce une manière de mieux s'arrimer au lieu dont il se délectait ? Il repensait à l'émotion ressentie lors de ses promenades en quelques lieux où même la mort semblait se vêtir de dignité et défier ses ignominies intimes. Il voulait se construire son Ermenonville privé, sans pour autant se prendre pour Jean-Jacques Rousseau.
 


 
 
posté le 23-09-2010 à 15:35:28

Les femmes-muses de Max Ernst.

La vie affective (sentimentale) de Max Ernst est jalonnée par des présences féminines fortes, souvent inspiratrices et moteurs de sa démarche d'artiste toujours ouvert à de nouvelles expériences (explorations) sans rien perdre du fond de sa nature profonde, teintée de germanisme et d'un romantisme noir. Après une certaine Louise Strauss (critique d'art), il y aura Gala, vivant alors avec Eluard et qui deviendra la femme de Dali. et furtivement Meret Oppenheim et Leonor Fini (peintres toutes les deux et dans un réel voisinage culturel de Max Ernst) enfin, mais semble-t-il conduit par l'intérêt que représente sa fortune et ses relations, Peggy Guggenheim.Marie-Berthe Aurenche, contrairement à Léonard Carrington, et Dorothéa Tanning, n'est pas "créatrice", en revanche les témoins lui accordent une force singulière et un attrait qui va jouer aussi sur Soutine dont elle deviendra, à la fin de la vie de celui-ci, la compagne (il ne faudrait pas oublier dans ce dernier cas, la dévouée Gerda Groth-Michaelis dite Garde, qui laissera de pathétiques souvenirs sur Soutine dont elle partage épisodiquement la vie).Soeur du cinéaste Jean Aurenche, Marie-Berthe trace dans le milieu intellectuel des Années folles, le sillon d'une vie aventureuse, aux choix radicaux, aux engagements passionnels, ce qui fait d'elle, un personnage de légende.
 


 
 
posté le 23-09-2010 à 10:44:39

Kubach-Wilmsen l'archéologie d'une bibliothèque.

Du livre elles ont la forme. La forme seulement. Leurs feuillets entassés sont une feinte. Une entaille dans la masse, une suite d'entailles. L'illusion est complète. A la mesure humaine et propre à être tenus dans la main, on s'en empare. Surpris alors par le poids. On se souviendra de l'expérience de Marcel Duchamp taillant un morceau de sucre dans du marbre pour juger de l'effet de surprise de ceux qui s'y laissent prendre.Non pas que la forme seule si habilement reproduite y suffise. C'est qu'ils ont choisi pour l'imposer dans la plénitude de sa matière immuable et somptueuse à la fois, le marbre.Matériau de la splendeur des palais dont ceux qu'on ne peut plus qu'imaginer dans cet espace d'une Histoire qui a rejoint les mythes et qui, dans leur froideur ostentatoire, rejoignent celle, sombre et inquiétante, du tombeau.Kubach-Wilmsen (un couple) se sont interdit le pittoresque. Au profit d'une rigueur qui va dans le sens de la durée. Dont celle du discours. Et de sa mise en forme. On ne choisit pas innocemment le marbre pour s'exprimer. On y cherche l'éternité qu'il est le seul à offrir. Et sa gravité aussi. Le marbre est le matériau des oeuvres ambitieuses.Kubach-Wilmsen composent ainsi une bibliothèque qui est  loin d'être un simple jeu, même s'ils jouent de la surprise qu'elle provoque, et d'une mise à l'échelle propre à enchanter quelque amateur de conte qui trouvera là des allusions aux grands mythes de mondes lointains habités par des géants.Grands, posés dans le paysage comme un autel incongru, ils atteignent le monumental.On se retrouve là comme à l'instant sublimé de quelque somptueuse découverte archéologique, dont celle d'une bibliothèque qui refuse de nous livrer son message.Livres abandonnés comme à la suite d'une chute d'une immense bibliothèque venue de la nuit des temps. Parée du mystère de ce temps inconnu dont il ne reste que ces traces qui ont si souvent des allures de sarcophage.Comme si dans le silence monumental les livres de Kubach-Wilmsen étaient autant de tombeaux pour un texte mort. Ou interdit.
 


 
 
posté le 22-09-2010 à 10:24:29

Man Ray et Le Ballet mécanique.

Les manuels nous disent que le "Ballet mécanique" est un film de Fernand Léger, typique de sa propre démarche picturale en prise directe avec les problèmes du mouvement. Pourtant Man Ray (entretien avec lui en 1958) affirmait qu'il en était aussi l'auteur et d'une manière qu'il précisait (Revue Actualité, été 1958)."Dudley Murphy, jeune cinéaste américain fraîchement débarqué à Paris, sa caméra sous le bras, rencontre son compatriote Man Ray qui, tout en peignant, se livre à des expériences photographiques qui l'amènent à traduire, par la pellicule, l'étrange, le stupéfiant, la poésie. Nanti de quelques  pellicules vierges Murtphy commence à tourner sous la direction de Man Ray, dans son atelier et à la foire de Montmartre. Dans l'esprit de Man Ray il fallait que ce film fut fait d'images saisies dans l'immédiat sans idée préconçue. Celles qui étaient prises à l'extérieur étaient choisies en fonction de leur pouvoir d'évocation et de symbolisme qui soit un rappel de Paris, de sa mythologie particulière. Bientôt pourtant les pellicules vinrent à manquer et l'argent pour l'achat de nouvelles ; Murphy offrit alors à Léger de continuer le film et Léger le finança ; ils continuèrent ensemble ce qu'avait commencé Man Ray et dans son esprit, Murphy utilisant ce que ce dernier lui avait appris."Où est la vérité, et serait-il juste d'associer au générique de Ballet Mécanique le nom de Man Ray qui n'y figure pas ?
 


 
 
posté le 21-09-2010 à 10:37:27

Théodor Fraenkel un marginal du surréalisme.

Il apparaît, ici ou là, dans l'intimité qui scelle de sûres amitiés. Dans le voisinage d'André Breton et dans le cadre scolaire du lycée Chaptal. Ils se rencontrent et se lient dans la poésie allant jusqu'à fonder une revue (Le Club des Sophistes) dont, à ma connaissance on ne trouve pas trace, et on peut aussi imaginer que Breton fera des études de médecine pour rester près de son ami. Les voilà tout deux au chevet de Jacques Vaché qui sera tellement frappé par la personnalité de Théodor Fraenkel qu'il en fera le personnage, d'une de ses rares nouvelles (Le sanglant symbole). Cela eut suffit à le faire entrer dans la légende. Mais Fraenkel est plus l'homme des attitudes cinglantes que d'une oeuvre continue et organisée.Un poème de lui passe dans la fameuse et alors essentielle revue de Pierre Albert Birot (SIC) mais pas sous son nom : il est signé Jean Cocteau. Tout Fraenkel est là, dans la dérision. Il sera de toutes les cérémonies de Dada, montant sur les planches pour interpréter ces piécettes qui relèvent moins du théâtre que de la farce de potache : S'il vous plaît (de Breton et Soupault) au théâtre de l'Oeuvre, Vous m'oublierez (Salle Gaveau) Première aventure céleste de M. Antipyrine et Le Coeur à Gaz de Tristan Tzara (Studio des Champs Elysées). Il aborde aussi le collage, mais nullement dans une visée esthétique (comme Max Ernst) et, certainement pas en plasticien. Mais en pamphlétaire. La photographie détournée à valeur de dessin humoristique.Entraîné dans les scissions internes qui secouent l'unité du groupe surréaliste, il fera son choix du côté des plus radicaux, jetés aux périphéries du groupe.Il y a là Artaud, Desnos, Masson. Même dans sa vie intime il s'allie à la grande famille surréaliste, en épousant une des filles Maklès, les trois autres étant respectivement la femme d'André Masson, de Georges Bataille et de Jean Piel,Le surréalisme (et surtout Breton) a toujours aimé les singuliers, les êtres chargés d'une force intérieure qui ne passe pas nécessairement par la création (artistique ou littéraire), elle fonde en revanche une vie d'aventures. Celles de l'esprit (et souvent aussi du coeur).
 


 
 
posté le 20-09-2010 à 10:34:56

Le corps à corps chez Henry Miller.

Il est de la race de ceux qui ont fait Montparnasse ce haut lieu de l'esprit et de la débauche. Moins désinvolte qu'il y paraît. La bohème n'est pas l'indifférence, sinon aux choses du quotidien, mais plutôt une manière de vivre en profondeur sa propre nature. Ce que Miller fait doublement. Dans sa vie, dans son oeuvre. Alors celle-ci se construit sur sa propre expérience de la vie, des autres et de son corps. Important le corps chez Miller. Omniprésent et porté aux limites de sa conscience et du plaisir qui est le chemin de connaissance. On peut être choqué par le ton de ses livres, et justement "Le Tropique du Cancer" écrit (réécrit) travaillé par Miller, que ce soit Villa Seurat (dans le voisinage de Théodor Frankel et d'AnaÏs Nin) ou à Clichy (qui donnera un autre livre) le boulet rouge éclôt. Oreilles chastes, éloignez vous. Miller nous promène dans le monde du sexe (c'est le sien) sans précaution ni hypocrisie. Pour être franc, certains pages étonnent, choquent, soulèvent le coeur. Aurions nous le coeur trop sensible, trop pudique ?Nul romantisme en lui, la vérité est charnelle et impudique. L'anatomie effrontée et sans grâce. Pourtant, il y a de l'amour, surtout quand on sait que derrière le livre (et sans elle il n'existerait pas) il y a sa femme June, femme étrange, fantasque, qu'il a dénichée dans un dancing où les filles se font payer pour une danse. On peut avoir des carnets, comme des chèques restaurants, pour avoir le droit de les coller contre son corps, au rythme de la musique, et palper un corps qui se veut désirable. Miller n'emprunte pas les chemins les plus suaves pour accéder à la femme, mais ceux, abrupts, de la prostitution. Il y trouve la mesure de son désir. Il en rend compte. Avec une verdeur de ton où l'on retrouve l'amateur de Rabelais. L'insolite nouveauté de son oeuvre c'est qu'elle bouscule la bienséance, et l'hypocrisie bourgeoisie qui règne alors. A le lire de plus près on dépasse la flot ardent de la pornographie qui s'affiche et l'on devine le sage (un peu chinois) qui se profile. Le choc camoufle l'essence même de sa quête plus intime et spirituelle. N'a-t-il pas reconnu, sur lui, l'influence des grands philosophes chinois ?
 


 
 
posté le 17-09-2010 à 10:48:33

Cazals et lez grosses têtes.

Est-ce une manière futile ( encore qu'évidente ) de noter que si F.Cazals n'est pas aux première loges de l'histoire littéraire "fin de siècle", c'est qu'il est dans les coulisses. Il participe plus de la vie des cabarets (et leur réelle dimension littéraire) que des antichambres d'éditeurs. On le voit aussi dans les cafés dont le rôle est si important alors. Il aura croisé les fortes têtes de son époque (d'où Jarry), celles qui situent une pensée, une vision du monde, et apportent quelque chose à l'évolution des idées et à la manière de les formuler. C'est un homme curieux, ouvert, et qui devait avoir du charme puisque Verlaine, toujours à l'affût d'un amour possible, se prend à l'aimer. En retour, Cazals voue au poête une véritable vénération. Il devient un extraordinaire témoin de Lélian dans sa terrible dérive et son chute finale. A son chevet, dans les hôpitaux, les hôtels sordides, il est présent, un crayon à la main, et nous a laissé une formidable iconographie de celui qui entrait déjà dans la légende. Avec Gustave Lerouge, (un autre personnage de second plan mais essentiel pour comprendre l'époque - Cendrars avait une grande admiration pour lui), il va donner un  précieux témoignage de première main sur la mort du poète. Beaucoup de choses encore à glaner sur son destin. On va s'y employer.
 


 
 
posté le 16-09-2010 à 10:17:21

Le photogaphe de village.

L'arrivée du photographe.On a annoncé l'arrivée du photographe. Il venait de la ville, c'était, dans le village, un événement. De sa voiture il a extrait tout un matériel lourd et encombrant. Son aide, (un futur grand artiste dans le domaine de la photographie) aura procédé à un repérage des lieux, des monuments, des singularités architecturales qu'il fallait retenir. De porte en porte, de bouche à oreille, la chose avait été rapportée et chacun s'interrogeait, se demandant s'il aurait les honneurs d'un cliché. Dans la rue, c'était un peu comme un rassemblement  de curieux, d'oisifs, qui se passaient des informations qu'ils inventaient pour se donner de l'importance. Certains allaient (les plus audacieux) jusqu'à prétendre connaître le photographe et avoir vu son atelier en ville. D'ailleurs en y allait en couple pour se faire "tirer le portrait", entre une colonne pseudo-antique et un paysage de parc avec fontaines et statues blanchâtres, en fond, peint sur une toile. Chacun avait mis ses plus beaux habits et le cliché entrerait dans l'album familial pour le souvenir, et plus tard le montrer aux enfants.Le temps d'installation terminé, le photographe a choisi la rue principale où se trouvent la plupart des commerces et l'activité du village.Ce sont là, posées un peu au hasard, au fil du temps, des façades à l'ornement varié, et portant fiers les enseignes qui distinguent l'activité de chacun.Alors, à l'instant où le photographe a appuyé sur le bouton magique qui mettait dans la boite ce morceau de réalité bien cadrée, les passants se sont figés chacun dans son rôle. Par une bizarrerie du hasard ils sont bien à leur place comme l'aurait sans doute voulu un peintre qui aurait choisi de décrire l'ambiance de la rue.
 


 
 
posté le 14-09-2010 à 22:09:51

Dada s'affiche.

L'éclosion (l'explosion) des revues dada, juste après la première guerre mondiale, a été un fantastique laboratoire de recherches graphiques, un creuset d'inventions, d'audace, qui n'a jamais été égalé.On sait combien la place du mot dans l'espace de la page aura été, depuis longtemps, une préoccupation dont on a déjà des témoignages au moyen-âge.De Rabelais à Laurence Sterne, l'idée reprise que la page est un terrain visuel sur lequel la position du mot, les rythmes de la phrase dans leur aspect graphique, entrent pour beaucoup dans le sens à donner, moins effet esthétique (même s'il l'atteint) que nécessité dans l'expression.Et s'impose l'angoisse de Mallarmé, jouant du blanc du papier pour forcer le sens des mots.Ce que Mallarmé fait au nom d'une recherche poétique, dada le fait au nom du choc visuel que cultive aussi une affiche. D'ailleurs le poème rejoint le tract. Il y a une sorte d'urgence à laquelle il faut répondre, comme un écho des transformations radicales du paysage industriel, de la montée en puissance de cette modernité qui veut secouer les lenteurs, les paresses du texte, pour lui donner le plein feu (comme le néon) de sa force propre.
 


 
 
posté le 14-09-2010 à 10:34:08

Max Ernst un jeu d'enfant.

Au coeur même de l'oeuvre de Max Ernst et comme un frisson propre à réveiller la conscience, se glisse une dose d'humour qui se magnifie dans la peinture à travers de véritables icônes, devenues oeuvres de référence, et trouve, dans la part strictement graphique, une liberté de ton, une finesse, une grâce aérienne qui réinvente un monde malicieux entre Gulliver et  Lewis Carroll. Ernst a bien traversé le miroir et exploré les zones où l'incroyable prend corps, sans rien perdre de son caractère insolite, avec d'inévitables clins d'oeil pour connaisseur et complice.Illustrateur, il réinvente le texte autant qu'il l'accompagne, propose une lecture parallèle et riche de nouvelles perspectives. Il s'appuie sur une grand curiosité de techniques qu'il réhabilite et qui souvent sont du domaine de l'enfance, ce qui donne à son oeuvre sa véritable dimension qui est d'enchanter.C'est l'histoire du magicien qui transforme le plomb en or. Voici des recettes de la cuisine picturale qui entre ses mains réveillent de vieux thèmes de légendes, des apparitions saugrenues ou stupéfiantes. Même le quotidien, l'anecdote, trouvent avec lui une nouvelle dimension (ses collages) . Mais le voici mêlant les techniques, ajoutant des apports de cette alchimie intime et farceuse et c'est tout un monde qui nous arrache aux tristes pesanteurs de la réalité, frôle tous les domaines de la pensée ( n'évitant pas, au besoin le domaine de la philosophie).Il maintient ce qu'il y a d'enfance préservée en chacun, et lui donne de nouveaux sujets d'étonnement.
 


 
 
posté le 13-09-2010 à 16:47:04

Le Grand Jeu s'expose.

Mouvement purement parisien (bien qu'il se soit diffusé à travers le monde et donné de la culture une vision planétaire) le Surréalisme va rencontrer dans Le Grand Jeu (mouvement provincial, né à Reims) un concourent si sérieux et redoutable que Breton va en prendre ombrage. Sont connues les luttes intestines qui secouent les tenants des deux groupes et modifient sensiblement l'ordre des alliances qui s'étaient créées. Outre la revue qui selon  l'usage permettait à la fois la définition, la diffusion et la dynamique des collaborations de ses membres  : Roger Vailland, René Daumal, Roger-Gilbert Lecomte, Maurice Henry,  Arthur Harfaux, Pierre Minet, Joseph Sima, André Delons (le cousin de Jacqueline Lamba, la future compagne de Breton) le groupe organise des manifestations, et celle présentée rue Bonaparte en 1929 souligne la cohésion peinture-poésie qui est toujours au coeur de ce type d'aventure intellectuelle.La Grand Jeu résultait de la rencontre au lycée de Reims de ses trois principaux protagonistes (Daumal, Vailland, Roger-Gilbert Lecomte). C'était le groupe des "phrères simplistes", "afin de retrouver la simplicité de l'enfance et ses possibilités extrasensorielles" .  Le titre choisi est un clin d'oeil à Jarry et à la pataphysique. En progressant, et sous l'effet de la drogue considérée comme un instrument de connaissance, la philosophie des poètes liés par la révolte et l'humour va passer au stade plus périlleux de la recherche d'une "métaphysique expérimentale" Une déviance qui fissure l'unité première, et entraîne Daumal dans la mouvance (fort contestée, c'est elle qui a tué Katherine Mansfield) du "mage" Georges Gurdjieff.
 


 
 
posté le 10-09-2010 à 11:38:09

Valentin et les mots.

Histoire de Valentin  (2).Le mot cherche l'action. C'est le surréaliste (de la première heure) Maxime Alexandre (à redécouvrir) qui l'assure et formule ainsi une des raisons d'écrire.Pourtant, écrire ce n'est pas décrire l'action sinon se substituant à elle. C'est l'incarner.Avec Lautréamont nous avons à faire à un poète en chambre. L'enfermement le définissant, son oeuvre est l'ouverture sur le monde. Chahutée, grandiloquente, outrancière pour ne pas dire à la dimension d'une épopée baroque. Epopée de l'âme ?Non, épopée des nerfs, de l'imaginaire.Imaginons, justement, l'homme au travail. Dans sa chambre d'hôtel, 7 faubourg Montmartre. La rue est à la turbulence. La vie s'y presse, s'y écoule, s'y précipite comme le plomb fondu dans la rigole de l'industrie qui le maîtrise.Encore à s'interroger, est-ce- que l'on peut maîtriser la rue ?C'est l'avenir de la société qui s'y fait, s'y formule, dans le tobu-bohu des voix, des cris, des gestes qui façonnent une foule, qui sont le plus naturel de ses élans.Cette rumeur (cette clameur) monte jusqu'à sa chambre, comme la brise de la mer vient bousculer les rêves des marins.Et Lautréamont de dire :  "je te salue vieil océan".Lautréamont à la tâche.A en croire Philippe Soupault il mettait ses phrases à l'épreuve de la musique (en tapant sur un piano des accords virils). Sa préférence le portait à la musique militaire. C'est à dire celle qui conduit le soldat à l'assaut. A sa mort. Avec des éclats  qui sont ceux de la bravoure, peut-être de la vantardise.Je vois assez bien l'ancien combattant qui aura remisé ses médailles au fond d'un placard, avec les lettres d'amour de sa jeune fiancée, se poster au bord de la cheminée, main sur le manteau de pierre comme sur un char d'assaut, et débitant avec force vantardise les faits et méfaits de son aventure militaire. Il y a toujours du hâbleur dans l'ancien combattant. Il fait frissonner sur sa poitrine ses médailles quand il défile la torse bombé.Lautréamont ne pouvait être insensible à cette dimension du verbe qui va chercher ses notes les plus hautes, les plus osées dans cet espace où la mort menace.Il mettait sa vie  en péril, et l'avait mise au point de mourir. Les mots peuvent tuer.
 


 
 
posté le 09-09-2010 à 14:49:01

Valentin découvre Lautréamont.

Valentin travaille sur les Grands Boulevards (heures de bureau), et va, sur le coup de midi, au Bouillon Chartier, 7 faubourg Montmartre. Franchissant le  seuil de l'immeuble, il passe devant la plaque commémorative qui indique que Lautréamont est mort dans cet immeuble, le 24 novembre 1870 (dans une quasi solitude). Ses compagnons souvent l'ignorent et se contentent d'un haussement d'épaules au rappel de ce qui est, pour lui, une date et un lieu de haute tension car il a la mémoire de Lautréamont au plus profond de sa conscience. Sur un cahier (où il colle ces menues choses qui jalonnent l'itinéraire d'une pensée qui se cherche) il note, jour après jour, des remarques concernant l'objet de sa passion (ambitionnant de reconstituer une sorte de Journal), mobilisée à chaque instant par un jeu de coïncidences, ou ces rencontres fortuites (et miraculeuses) dont il a appris grâce à André Breton qu'elles sont comme des sortes de bornes d'un itinéraire secret, parallèle à celui qui conduit notre quotidien. C'est dans l'incursion parallèle (et cachée) qu'il trouve le meilleur de sa vie, celle qu'il a d'apparence s'étalant dans la grisaille. Non que sortir de l'apparence que l'on donne vous fasse meilleur, et que vous y trouviez une forme particulière de bonheur. Il s'est toujours demandé à quoi celui-ci pouvait ressembler. On lui aura dit qu'il avait la visage d'une femme aimée, de la réussite, et les plus vulgaires assuraient qu'il se trouvait dans le pouvoir ou  l'argent.  Rien de cela ne l'atteignait et l'amour avait été bafoué, s'était égaré du côté de la sexualité dont il était revenu, faisant  sienne la remarque de Mallarmé : "la chair est triste et j'ai lu tous les livres". En ce qui concerne le deuxième élément de cette définitive assertion, il gardait quelque réserve. Sa culture était encore à faire. Il s'y employait avec bonne volonté et ferveur. Célibataire il pensait à la triste vie de celui-ci quand Huysmans, qui l'avait connue, en parlait, relativement aux problèmes domestique justement. Il avait définitivement écarté de lui les contraintes qu'assumaient tant de femmes retenues "au foyer" par l'égoïsme de leur conjoint et comme rayées de la vie au profit des casseroles et du balais. Riche, il aurait vécu à l'hôtel (oh ! le luxe d'une suite au Ritz comme mademoiselle Chanel), mais sans doute dans une simplicité de forme qui s'accordait assez bien avec des goûts modestes, une frugalité qui n'était pas de forme mais d'éthique. Avant de se contraindre à un travail sans grâce, mais qui lui laissait quelques loisirs, il avait tâté d'une errance provinciale, le conduisant d'hôtel du Commerce à celui de la Gare, de ville en ville ( une sorte de tourisme flottant) dans une sorte de somnambulisme qui l'aura peu à peu détaché de tout ce qui fait l'armature de la vie d'un citoyen ordinaire. Seulement préoccupé de lui-même, non par égoïsme mais par une sorte de détachement progressif des choses pratiques. Ayant épuisé le petit pécule qui lui avait permis cette fantaisie (ou cette initiation ?) il revient à Paris et trouve un emploi subalterne mais sans pesanteur, dans un de ces bureaux qui pullulent autour de la Bourse et sont, d'ordinaire, ceux des banques et des assurances. Aussi étranger aux besognes qui étaient au programme de son statut d'employé que néanmoins attentif à les mener à bien. Son périmètre d'activité, ainsi que celui de ses loisirs, peu à peu se construisait avec une sorte de logique dans laquelle il avait vu (ou voulu voir) un signe du destin. Le centre de Paris offre, en effet, un curieux agglomérat de bâtiments dont les fonctions répondent à tous les besoin d'un citoyen (fut-il marginalisé par ses complexes). Du Palais Royal et sa mémoire de débauche qui aura pris un ton un rien nostalgique  jusqu'aux Grands Boulevards avec leur clinquant provocateur, il y avait tous les éléments étayant une vie et, point central, la Bibliothèque Nationale et ses refuges solitaires de culture dont il appréciait spécialement l'attrait. Sa vie n'était après tout qu'une grande bibliothèque en désordre où il puisait à foison des rêves et des fictions d'aventures.La vie de Valentin avait fini par ressembler à ses rêves, et c'est en découvrant Lautréamont (un voisin dans l'espace du temps), qu'il était entré dans le monde du  cauchemar. Et il s'y complaisait. Non, il y était condamné. Le savait. Avait entrepris d'en noter la progression.
 


 
 
posté le 09-09-2010 à 10:07:01

Jean Edelmann la leçon des aînés.

L'histoire de l'art n'est guère indulgente avec une génération d'artistes qui ne se sont pas engouffrés dans la perspective tapageuse des avant-gardes et maintiennent la peinture dans ses limites, tout en marquant (mais sans excès) la réception  de la leçon de leurs aînés (les cubistes). Il en découle une peinture proche de la réalité mais  jamais servile ni victime de sa présence de simple apparence. La peinture analyse le réel, en tire une musique particulière qui est la signature du peintre, la mesure de son regard. En harmonie avec la réflexion quand l'avant-garde prêche le rejet du passé.Edelmann est au coeur de tout un mouvement qui s'est épanoui  entre l'exemple de Braque, de Villon, et dans le voisinage d'artistes un peu relégués aujourd'hui dans les arrières boutiques de l'histoire, comme André Beaudin, Lapicque, Chastel. Pourtant la poésie, soeur fécondante de la peinture, n'a jamais boudé ces courants qui portent moins l'aventure que l'harmonie du moment, quelque chose qui relève d'une sorte d'épure du regard, avec une dimension humaniste qui lui donne ses chances de survie.
 


 
 
posté le 07-09-2010 à 11:13:38

Berthe Morisot en son château.

Fille de "bonne famille" Berthe Morisot aurait pu ne faire de la peinture que comme expression de sa bonne éducation ( ce que feront ses deux soeurs peintres amateurs). Elle est poussée par une nécessité, une "rage" de peindre qui témoignent éminemment d'une vocation. Ses rapports avec Fantin-Latour ne font que la maintenir dans la bienséance de son milieu, avec Manet (qui est amoureux d'elle) elle découvre les terribles angoisses de la création et ses parfaites réussites. Jeune (avec ses soeurs) elle se contente du salon familial (à Passy), puis d'un atelier construit dans le jardin. Avec l'achat (une fois mariée avec le frère d'Edouard Manet) du petit château du Mesnil elle dispose enfin d'un lieu qui correspond à sa soif de peinture."C'est près de Juziers, dans cette vallée de la Seine où les impressionnistes ont pour la plupart élu domicile, une demeure élégante, de facture classique, avec un toit en ardoises et une façade en pierre blanche, au milieu d'un grand parc. Loin d'être imposant ou sévère, il apparaît au premier coup d'oeil agréable et séduisant, et on devine aussitôt qu'il sera le plus convivial, le plus aimable des refuges. On l'aperçoit du train, en allant de Paris à Giverny, travers la frondaison des arbres" (Dominique Bona). Des quelques tableaux qu'elle y exécute certains témoignent de la présence de sa fille Julie, qui devient l'axe de sa vie, et son modèle préféré.Mallarmé, selon son habitude d'écrire ses adresses en forme de petits poèmes, rédige sur une enveloppe qui est un peu le blason de la maison : "Julie ou Bibi du MesnilRêvant à l'endroit nommé cieux...."
 


 
 
posté le 06-09-2010 à 15:42:51

André Breton en quête du merveilleux.

Les rapports d'André Breton avec ses manuscrits témoignent d'une constance de la création, comme en un creuset où viennent se fondre les apports constitutifs du sujet abordé, fut-il de l'ordre de la fiction. Il est à la fois le développement du sujet choisi et le dossier de celui-ci. D'où, dans et autour de l'écriture, les dessins, notations graphiques diverses et collages qui étayent le texte, constituent des annexes, un prolongement de celui-ci.Arcane XVII illustre significativement cette méthode. Il est aussi le journal d'une aventure amoureuse et par elle justifié. C'est celle de Breton qui perd l'amour de Jacqueline Lamba avec laquelle il s'était réfugié aux USA, fuyant l'occupation en France, et retrouvant l'amour en la personne d'Elisa avec laquelle il entreprend un voyage en Gaspésie. Mais la référence à une lame de tarot montre aussi que Breton s'intéresse alors plus que jamais aux pouvoirs des sciences occultes de l'ésotérisme (intérêt qui ira croissant) et qui situe l'aventure surréaliste dans le voisinage des quêteurs de merveilleux.Des manuscrits qui comportent le matériel de leur développement il y aura beaucoup à dire et la recherche reste ouverte pour en dénicher de curieux.Pratiquer l'écriture dans ce contexte relève d'une fraîcheur de l'âme, d'une survivance de l'esprit de l'enfance qui colle sur des cahiers les menues choses croisées en un parcours, au titre du souvenir.
 


 
 
posté le 04-09-2010 à 17:18:06

Renée Dunan au Second rayon.

Il entrait dans l'attrait que pouvaient exercer sur l'esprit mal dégrossi d'un adolescent, dans les années 50, les revues médicales à vocation culturelle (qui étaient abondantes) qu'elles faisaient de nombreuses incursions dans les marges,  les zones d'ombre, vantaient des publications "à ne pas mettre entre toues les mains", le milieu médical ayant la réputation de n'être point trop bégueule. On pouvait piocher des informations nulle par ailleurs dispensées. Et tracer, d'un doigt léger et de mémoire active, une géographie d'un Paris de la débauche et de la luxure qui avait déjà toutes les couleurs attrayantes que lui donnait la littérature. Celle que l'on trouvait localisée dans des arrières boutiques un peu sombres du IX° arrondissement, et en marge des Grands Boulevards en une artère qui semblait avait été créée pour célébrer Jules Laforgue, la rue de la Lune. Elle était bordée d'établissements qui n'étalaient pas leur marchandise sur la voirie (comme ses voisins du Sentier) mais dispensaient des plaisirs secrets à des amateurs connaisseurs et constituant une sorte de clan avec ses codes, ses repères, ses anthologies de l'érotisme sulfureux où venaient se joindre, par un  effet de fascination réciproque, les amateurs d'hermétisme, ceux d'occultisme, et toute une faune où la culture avait la couleur de l'insolite, de l'effronterie. Renée Dunan était à son aise dans la profusion de ces publications éditées à "la va-vite" et sans grand soin ( encore qu'elles entrent maintenant dans le secteur de la bibliophilie en passant par la quasi clandestinité qui leur fut affligée.La rue de la Lune est aujourd'hui silencieuse, souvent bouleversée par des travaux urbains qui rendent la circulation automobile nerveuse et les piétons exposés à de grands dangers. L'église Notre Dame de Bonne Nouvelle est largement ouverte pour les repentis. L'ombre y est plaisante et le silence surprenant dans ce tohu-bohu des Grands boulevards tout proches.
 


 
 
posté le 03-09-2010 à 22:33:38

Felix Buhot et ses predelles.

Sans avoir participé directement aux manifestations du groupe des impressionnistes Félix Buhot fréquente la plupart de ses membres, ne serait-ce qu'à titre de voisin de tous ceux qui habitaient les environs de la place Pigalle, haut lieu des échanges entres artistes et tout le petit monde de la galanterie qui y musardait, souvent dans l'attente d'être choisi comme modèle. Hommes jeunes et femmes de petite vertu s'appuyaient nonchalamment sur les rebords du bassin central. Entre la profession de modèle et la prostitution les frontières sont fragiles, et souvent franchies.Buhot tout comme son ami Félix Bracquemont est graveur, ce qui le conduit à l'illustration (en particulier de Barbey d'Aurevilly). Il pratique un travail de surimpression et d'éclatement de l'image, baptisant les marges de ses gravures "symphoniques". Ces ajouts souvent d'une taille vive et précise, rappellent le principe des prédelle de la peinture médiévale.  Il invente là un procédé qui annonce celui du cinématographe avec ses plongées-contre plongées, ses panoramiques et ses gros plans, un rythme de lecture saccadé et dynamique.Il a donné de Paris (ce Paris que connurent ses amis impressionnistes) des vues d'une savoureuse précision réaliste. Au rythme des saisons.
 


 
 
posté le 03-09-2010 à 16:51:42

Gil Wolman et l'art scotch.

Prenez un rouleau de scotch, tirez une portion faisant, en gros, la largeur de la feuille de papier sur laquelle vous la reposerez bientôt, l'ayant préalablement mise en contact avec un journal à l'endroit où vous aurez choisi une phrase (ou un élément de phrase) qui vous plaisait. Arrachez avec vigueur pour entraîner la phrase et la coller enfin sur ce qui sera bientôt, par le jeu de l'accumulation, les superpositions, les jeux graphiques qui restent à votre initiative, un montage qui aura recréé un texte venu du hasard des rencontres.  Se situant entre l'écriture automatique, et le fameux cut-up des poètes de la "beat generation" et participant du principe du collage-assemblage source de toutes les incursions dans l'insolite.C'est ainsi que travaillait G. Wolman un artiste fécond qui aura traversé l'aventure du lettrisme, dans les années 50 (Isidore Isou, Gabriel Pomerand, Serge Berna, François Dufrène, Jean-Louis Brau)  et qui, à l'époque, était considéré  comme un mouvement prenant historiquement le relais du surréalisme défaillant (en tant que mouvement).Wolman était un homme curieux, fouineur, un peu rat de bibliothèque ou peut être plus proche du collecteur frénétique de vieux papiers (journaux, publicités, tracts et autres traces dont l'encre était le vecteur). Un manipulateur de mots non dénué de verve et de fantaisie protestataire.  Il avait milité avec Guy Ernest Debord (la figure pensante  majeure de ces années là), la mouvance de Cobra qui menait vers l'internationale lettriste, et c'est dans la médiévale petite rue Git le Coeur dans le voisinage de l'hôtel où Brion Gysin inventait le cut-up, qu'il débuta, passant ensuite chez Valerie Schimdt, l'antre de toutes les avant gardes des années 60. Importante cette localisation au coeur du Quartier Latin (et de Saint Germain des Près) elle le place au coeur d'une intense activité culturelle reposant sur une remise en question du langage artistique (et poétique ?).Car Wolman se trouve à cette jonction des formes et des mots qu'inauguraient les recherches typographiques des futuristes, et de dada. Faire éclater la page, la phrase, lui redonner une dynamique qui en bouscule le sens, en dénonce aussi les limites et aspire à une nouvelle dimension, un nouvel espace d'expression.Wolman n'est pas un artiste se situant dans l'héritage des grands aînés de la peinture (il ne faisait pas de la peinture, mais l'interrogeait ). Il inventait son propre langage.