De grandes choses, souvent, partent de rien. Naissent dans l'innocence d'un moment d'oubli. L'art est l'enfant d'une distraction autant que d'un songe. C'est d'un crayon errant que certains conduisent leur rêve jusqu'aux lointains horizons de l'oeuvre accomplie.Voici Hundertwasser, sur le sol accroupi, humant cette vaste feuille de papier sur laquelle il va étaler la couleur comme le soleil étale les richesses végétales sur le déroulé tranquille des champs offerts à ses célébrations.Il prend tout son temps. Se délecte de silence. Il s'évase en lui-même comme en une eau profonde. Ce qui lui donne cet air égaré, fuyant, quand il marche. Il est encore sur ses territoires, projeté parmi nous. Le regard peu assuré, on le croit faux, il n'est qu'absent.Dans ses vieux vêtements de fakir il a des allures de mendiant hindou. Dans la rue, les passants se retournent et commentent méchamment son étrangeté. J'ai fait quelques pas avec lui, boulevard Saint Germain. Il n'est pas facile de dialoguer avec une sorte de fantôme. On le retrouve mieux, apaisé, souriant, dans son dessin qui s'est embelli entre temps. Sa croissance est semblable à celle du végétal qui chemine doucement sur le sol, l'occupe, et y dessine ses rêves intérieurs. Des rêves venus des profondeurs de la terre.Et si la forme de l'arbre qui fait danser ses ramures au vent le plus léger, et si cette invasion tranquille du lierre n'étaient que des images immergées d'une riche vie dans les profondeurs de la terre. La mise en éclat de ses chaudes croissances souterraines, cachées aux yeux des distraits, et qui ne s'adressent qu'aux pensifs, à ceux qui savent s'arrêter devant un caillou, une motte de terre, un buisson, et s'enfoncer, par la pensée, dans les profondeurs de cette matière d'aspect ingrat. Sa richesse est bien cachée. Ne la découvre que celui qui la mérite.Hundertwasser est un jardinier de ses songes. Il fait resurgir sur le papier ses errances rêveuses. Posant, ça et là, des touches vives comme des fleurs dans un parterre si bien nommé.Peu à peu se forme, à l'étonnement de ses propres yeux, mais la main vive à dénouer les surprises du dessin, une complexe construction qui évoque le cheminement de la marelle. Comme elle se fermant sur ses propres audaces, l'offrant, au final, comme un itinéraire sacré.Du dessin à l'espace il n'y a que le pas d'un autre rêve, celui de donner un horizon de vie à ceux que lassent les rigueurs fonctionnelles des maisons en série, des banalités du quotidien.Alors, Hundertwasser a conçu des maisons qui ressemblent à ses peintures, en sont la croissance magique ; une manière de développer des niches pour ces oiseaux égarés que sont les pauvres humains délogés de leur quotidien.Des maisons qui ressemblent à des nids fabuleux, à des palais de chimère pour des regards gloutons, avides de plaisirs rustiques. Entrer dans l'intimité des sols, d'une nature qui a ses chaleurs subites, ses splendeurs cachées, ses surprises pour plaire aux personnages d'Alice qui s'y trouveraient bien, au delà des miroirs vite franchis quand l'ennui gagne. Car les maisons d'Hundertwasser sont si intimes avec le sol qui les accueille qu'elles semblent en prolonger les reliefs, les fantaisies.Il dessine à demi couché, au seuil du sommeil qui est le domaine de toutes les libertés. Ses maisons lui ressemblent, elles ont cet air singulier des décors de nos livres d'enfant, cul par dessus tête, le jardin sur le toit pour courir à la hauteur du ciel.Ne peuvent habiter de telles demeures que ceux qui sortent du bois. Du bois de leurs rêves enfin réalisés.