http://sorel.vefblog.net/

  VEF Blog

lettres de la campagne

posté le 31-12-2008 à 11:04:52

Aragon aux Buttes Chaumont.

Le paysan de Paris aux Buttes Chaumont.Le surréalisme a révélé des lieux chargés de mystère, d'insolite, préférés à ceux que le touriste fréquente avec des alibis culturels. L'errance est privilégiée, au détriment du parcours fléché. On se donne à l'improvisation, au hasard, aux rencontres illuminantes (selon la belle expression d'André Breton). En s'en tenant au territoire parisien, il découvre et charge de poésie des lieux jusqu'alors négligés. Parmi eux : les Buttes Chaumons. Une création du Second Empire voulue par Napoléon III, féru de jardins depuis son séjour, alors qu'il était jeune, à Londres qui en donne l'exemple.C'est un espace vert récupéré sur des terrains vagues, mais accidentés. On y créé une nature qui est un peu l'héritière des jardins anglais, les jardins pittoresques qui  s'opposaient au jardin à la Française jugé trop strict. On tentait de suivre la nature dans ses caprices, ses accidents, ses surprises.Voici qu'Aragon, en compagnie d'André Breton, Marcel Noll (et je crois Max Morise) partant du domicile de Breton à Pigalle, décide de se rendre aux Buttes Chaumont (bien que la nuit s'annonce) pour y trouver l'insolite. On le suit dans son itinéraire (rue Notre Dame de Lorette, rue Lafferière sinueuse et cachée, carrefour de Chateaudun) et, abordant enfin le jardin : "abandonnant la route pour le plus ombreux des sentiers nous découvrions aux creux des feuillages noirs des figures couplées sur leurs chaises sacrées..." et la promenade décrit moins un jardin dans ses précisions qu'une descente en ses ferveurs intimes, une entrée dans un monde de sensations fortes, s'arrachant au quotidien pour se retrouver en soi-même au coeur du secret.
 


 
 
posté le 28-12-2008 à 10:55:47

Rêver avec Gaston Bachelard.

Il s'arrêtait volontiers au Soleil dans la tête quand il se rendait à la Sorbonne. C'était "sur son chemin" disait-il avec cet accent rocailleux qui donnait tant de charme à son discours. Il était souvent accompagné d'une jeune élève qui avait un air protecteur devant le caractère vénérable d'un homme à la fois solide et qui, pourtant, donnait l'impression d'être si fragile. Il aimait fouiller dans les rayonnages à la recherche d'une de ces plaquette de poésie dont il faisait son miel. Pourtant tout poète qui lui faisait le service de presse de son ouvrage avait toute chance d'être "cité" dans les merveilleux ouvrages qu'il donnait chez son ami l'éditeur José Corti (un voisin). Car c'est moins la qualité du poème qui l'intéressait alors que ses références au monde élémentaire dont il analysait avec une puissance évocatrice exceptionnelle la force d'imprégnation sur notre pensée et notre sensibilité. Nous avons été toute une génération fortement marquée par cette pensée originale et d'un énoncé sans faille. Promeneur rêveur il aura été aussi un homme de "cabinet" le philosophe tel qu'on l'imagine, sous la lampe et dans l'intimité des livres.
 


 
 
posté le 22-12-2008 à 18:07:03

Les lettres, ligne de force d'une oeuvre.

Ce sont celles de D.H. Lawrence, ce pourrait être celles de tout autre dont on a retenu et publié l'oeuvre épistolaire. Mais si les lettres d'un écrivain sont, d'ordinaire, considérées comme une simple marge (ou complément) de son oeuvre, on pourrait aussi considérer qu'une oeuvre peut aussi se résumer à la technique de la lettre. Celle-ci contenant la totalité de ce qui sera développé dans un poème ou un roman voire un essai. La lettre, par sa nature même, son caractère intime, et une présence dans la perspective de sa conception, est chargée de bien plus de force, de suc, de sentiment, de mémoire, qu'une fiction ou une divagation poétique (divagation faisant référence à Mallarmé, expert en la matière).Chargée de toutes les ambitions d'une oeuvre de création (et défiant toutes les techniques qu'elle peut adopter) la lettre devient le coeur central d'un élan qui s'y déverse avec infiniment plus de spontanéité que dans une construction trop élaborée et obéissant à trop de critères arbitraires. Elle s'ancre radicalement dans l'inconscient de celui qui la rédige. N'est-ce pas la rêve de l'écriture surréaliste qui refuse le roman (le tolère chez Crevel, et le snob chez Aragon), et n'est pas toujours dans la plus juste clarté dans le poèmes. Ceux de Breton ne sont pas, loin  de là, ce qu'il a laissé de mieux, mais c'est dans l'essai, souvent sur le ton confidentiel (ou la colère) que Breton donne le meilleur de ce qu'il a à dire.La lettre, donc, comme médium essentiel et parfait dans l'ouverture qu'elle offre, l'infinité de formulation qu'elle propose et auxquelles elle se prête.Reste à trouver un destinataire. Le mal choisir c'est se condamner à l'échec ou la déconvenue : quoi !  tant d'élan, tant d'effort pour rien, c'est un peu comme se lancer contre un  mur. Le choc est terrible, il peut être fatal.J'avais imaginé une correspondance fictive avec des absentes (des figures mortes, des êtres de légende) mais le projet s'assèche à mesure qu'il croît.Il me reste à trouver "Celle" qui inspirera une correspondance chargée de tant d'ambitions, de tant de ferveur non consumée. Pour me consoler je relis les Lettres de la marquise de Sévigné, un modèle dans le genre, même s'il est encore trop marqué par une époque, un mode de vie qui n'est plus.
 


 
 
posté le 22-12-2008 à 14:58:36

La femme surréaliste.

Sans doute, la femme domine l'univers surréaliste. Elle n'y est pas que muse (une sorte de Nadja somnambulique), elle milite, s'alliant aux engagements de ceux qui la célèbrent. S'ils sont des troubadours modernes les poètes surréalistes sont aussi des combattants. Pour un monde "autre". Ils suivent l'exemple de Rimbaud. Et la femme qui est à leurs côtés, n'est pas qu'une figure emblématique de l'amour, elle est aussi objet de désir. Jusque dans la violence qui n'est pas tabou. Elle entre dans le "jeu" qui s'appuie sur des références poétiques où le marquis de Sade rencontre Lautréamont. C'est l'intrusion de la femme-objet. Consentante dans la douleur comme elle l'est dans l'extase qu'elle provoque ou inspire.Elle entre dans une étrange machinerie qui n'est pas l'effet d'un sadisme primaire ni d'une misogynie active, mais dans la recherche éperdue des sensations, fussent-elles suicidaires. On voit Nora Mitranie sous l'emprise d'un Bellmer sadique dans des séances de "bondage", ou un modèle anonyme mis en scène par Oscar Dominguez.
 


 
 
posté le 22-12-2008 à 13:42:12

Les lieux de D.H.Lawrence.

D.H.Lawrence est un vagabond. D'une Angleterre natale dont il détestait l'hypocrisie bourgeoise à l'Australie, où il découvre les vastes espaces, en passant par l'Allemagne, l'Italie, et surtout le Mexique, il s'enchante d'un passé qui subsiste encore dans certaines enclaves de la population épargnée par le mythe du progrès. Il marquera une nette préférence pour Taos et son folklore indien. Il faut lire les pages enthousiastes, de son hôtesse d'alors, l'excentrique Mabel Dodge Luhan pour le retrouver familier. Il aime une vie fruste, proche de la nature. Il écrit sur ses genoux, sous l'ombre d'un arbre, fait du cheval et bientôt, contre le don d'un manuscrit à Mabel, il reçoit une cabane qu'il aménage à son goût, car il est, de surcroît, bricoleur et très habile de ses mains. Ce ne sont pas les mains d'un intellectuel détaché des "choses de ce monde" mais, bien au contraire, celle d'un homme attentif à la réalité dans ses aspects les plus simples, élémentaires, au rythme des saisons, dans une approche sensible et forte avec la nature.
 


 
 
posté le 22-12-2008 à 11:29:01

D.H.Lawrence sur le mode intime.

On l'aura dit que les découvertes littéraires de l'adolescence sont déterminantes du devenir de ceux qui s'y donnent sans mesure. Oserais-je une confidence. Alors que l'heure était à la passion pour Jules Verne ou la bibliothèque verte, il me fut donné de "découvrir" D.H. Lawrence. Ce fut d'abord moins l'oeuvre que le personnage lui même qui me fascinait. La lecture de sa biographie m'aura à ce point transporté que je le suivais par l'imaginaire dans ses pérégrinations d'Allemagne, où il rencontre le grand amour, à l'Italie où il traverse la vie des petites gens dans leur quotidien. Que d'admirables pages pour ses déambulations qui ne sont pas celles d'un touriste mais d'un pèlerin. Il aime se donner l'allure de celui qui est porté par une quête. Vers l'amour cosmique, une adhésion totale avec le monde, une approche subtile (et sans doute complexée) avec autrui, dont les femmes (Katherine Mansfiled n'est pas étrangère à la comédie qu'il se donne) et quelques autres que fascine son physique de gourou, son verbe imagé.J'avais accroché son portrait dans ma chambre comme on épingle sur le mur un poster des Beatles ou des Rolling Stone. Il était une idole, je voulais qu'il soit un frère. Un grand frère qui me guide dans la vie, me débarrasse. des préjugés qui m'entouraient. Je lisais ses livres avec avidité, comme on lit des livres d'aventure, et souvent au mépris de ceux qu'il m'était conseillé de me référer. On choisi ses repères, ses idoles et ses exemples. Grande fut ma déception lorsque je découvris qu'André Breton (une autre idole) le méprisait, le traitait "d'imbécile". Il est parfois difficile de concilier nos admirations.
 


 
 
posté le 20-12-2008 à 16:41:25

André Masson face à Sade.

Des nombreuses références que le Surréalisme s'est donné  le marquis (sic) de Sade est la plus révolutionnaire et volontairement provocatrice. Parce qu'elle défiait le concept de la morale hérité de la société du XIX° siècle, hypocrite et se voilant la face devant les conséquences que la philosophie de Sade pouvait avoir moins dans l'état des moeurs que le regard que l'on portait sur la société.Il ne faudrait pas voir Sade sous l'angle exclusif de la sexualité qui n'est, pour lui, qu'une arme donnée pour se dégager de la société qu'il combattait.A travers la sexualité il préconise la liberté totale du corps, contraint par des siècles  de soumission aux lois de l'Eglise omniprésente dans la société française. S'est  on demandé si la philosophie de Sade aurait le même pouvoir d'influence sur une société primitive ou tout simplement aux antipodes géographiques de l'Europe occidentale. Comment l'aurait-on interprétée en Polynésie ?Sade est au coeur du surréalisme ( comme Jacques Vaché, Rimbaud, Lautréamont, Arthur Cravan, Xavier Forneret). Chacun est à la recherche de son visage, nombreux sont ceux qui étudient sa vie (Maurice Heine, Gilbert Lely) et rien de ce qui émane de lui ne peut laisser indifférent les peintres et les poètes qui abordent aussi son  oeuvre, l'illustrant moins dans l'immédiat du texte que dans une sorte de synthèse.  Tel Masson qui trouve là un  terrain favorable à l'expression d'une certaine violence. Celle même de la vie.
 


 
 
posté le 20-12-2008 à 16:08:56

Oscar Dominguez le flamboyant

Envoyé à Paris par son négocient de père (établi aux Canaries) Oscar Dominguez y découvre la peinture et la poésie. Ce sera le ralliement au surréalisme alors fort amateur de nouvelles recrues. Il en est une, pittoresque, ardente. Dominguez fait vibrer toute sa verve hispanique dans une peinture qui doit beaucoup à Picasso (il fera des faux), et devenu l'amant en titre de la fantasque Marie Laure de Noailles qui joue les mécènes et taquine le pinceau, il fait une carrière assez retentissante entre monde des salons et des ateliers où l'on accueille la poésie. Dominguez fait preuve d'une fantaisie inspirée, d'une adhésion assez orthodoxe aux préceptes du surréalisme sans se départir d'une verve qui lui est propre. Il lui donnera toute sa mesure dans la pratique de la décalcomanie sans objet préconçu (décalcomanie du désir). On frotte une feuille de papier préalablement enduite de couleur sur une feuille vierge, et on y faire surgir d'étranges continents aux ondulations suaves qui suivent les mouvements de la main, de ses pressions. Max Ernst reprendra le procédé dans quelques unes de ses compositions les plus ambitieuses.Mesurant les limites de ses prospectives artistiques, ou victime d'un problème personnel, il se donne la mort (d'une manière spectaculaire) en 1957 (le soir du réveillon de fin d'année).
 


 
 
posté le 20-12-2008 à 12:07:18

André Masson et les mythes antiques.

La force des mythes antiques, c'est qu'ils donnent vue sur les mystères de la création et le fonctionnement du monde. En créant une suite de figures chargées de toutes les forces de la vie et de la mort, inventant des intrigues claironnées sur la scène de la légende, on donne à voir le destin de chacun. C'est une sorte de catalogue des situations humaines et des caractères. L'art y a puisé des thèmes repris de génération en génération, renouvelés selon les époques et l'image que se fait de son destin une société, le balisage d'une culture qui se donne des références, s'appuie sur des exemples.André Masson n'échappe pas à la fascination des mythes qu'il explore avec une indépendance d'esprit, originalité et une singularité qui renouvelle totalement la figuration des thèmes et de ses personnages. Le Minotaure est au centre de cette mécanique fantasmatique. 
 


 
 
posté le 19-12-2008 à 14:19:59

André Masson sous le signe de Bachelard.

Masson sous le signe de Bachelard.De Bachelard on parlera à part (il venait souvent au Soleil dans la tête qui était sur son passage quand il allait à la Sorbonne). Mais de son influence sur le développement artistique de l'entre deux guerres il y aurait long à dire. Elle fut radicale et ouvrait (surtout au peintre) la porte à l'immensité de l'univers qui n'avait plus la forme et la définition réduite de la tradition mais une ampleur vibrante qui donnait libre court à un graphisme propre à confondre les éléments, assimiler l'intimité des corps avec la nature, donner sens à un regard moins cartésien que sensible. André Masson fut, plus que tout autre, sensible à cette leçon et en a  nourri sa peinture lui donnant cette force graphique qui faisait son dessin rejoindre l'énoncé de l'évidence, corps si totalement inscrit dans la souffle de la création qu'il accédait  à la dimension mythologique.  
 


 
 
posté le 15-12-2008 à 14:58:57

André Masson, inventeur du dripping

L'action painting revendiquée par l'école américaine (peindre en projetant la couleur sur la toile, et généralement celle-ci posée sur le sol), a pour inventeur André Masson ce qu'oublient souvent les historiens promptement dévoués aux courants de l'opinion téléguidée par les décideurs de l'art (et les esclaves du marché). Le poids fantastique du marché américain occultera ainsi les prodigieuses inventions conduites dans l'entre deux-guerres par les artistes qui gravitent autour du surréalisme (en particulier, outre Masson, Max Ernst).Le dripping (peinture projetée, ce qui donne tous son prix au geste pictural) a été pratiqué par Masson à partir de toiles préalablement enduites de colle et sur lesquelles il projetait des coulées de sable, celui ci adhérant sur la surface.Il s'en suit une toute nouvelle appréhension de la surface picturale, une sorte de mise en spatialité de la sensation qui inspire le peintre, ce qu'est la géométrie dans l'espace par rapport à la géométrie de base qui ne conçoit la théorie que sur une surface plane. On ne peint pas ce que l'on voit mais ce que l'on ressent.
 


 
 
posté le 15-12-2008 à 14:46:52

Armel Guerne parle d'André Masson.

Parce qu'il tenait plus du "salon" où l'on  échange des idées que d'une librairie active à la vente de ses livres, le Soleil dans la tête provoquait, solidifiait, ou se faisait l'écho de rencontres dont celles qui enrichissent le développement des oeuvres de ceux qui en sont les acteurs. De ses fidèles visiteurs Armel Guerne fut sans doute le plus attentif commentateurs de l'activité artistique qu'on y prônait. Il connaissait ma passion pour André Masson qui venait d'illustrer une petite plaquette que je publiais chez PAB. On échangea maintes considérations, et grand spécialiste de la littérature romantique (jusque dans son caractère nocturne), Guerne me donnait maintes clefs pour mieux aborder l'oeuvre mutliforme d'un André Masson dont il connaissait toutes les arcanes.Poètes des excès, André Masson donnait la démesure du rêve surréaliste qui était de conquérir les territoires inconnus du subconscient.
 


 
 
posté le 14-12-2008 à 14:07:25

Victor Brauner chez le douanier Rousseau.

Et si l'on abordait le monde de Brauner en passant pour le douanier Rousseau. Victor Brauner, venu de sa Roumanie natale (patrie de Ionesco, Isidore Isou, Tristan Tzara, Ghérasim Luca), s'installe dans l'atelier qui fut celui du douanier Rousseau, dans ce lointain Montparnasse où des airs de campagne subsistent qui donnent tant de charme au quotidien avant que les travaux de rénovation de la gare n'aient bouleversé tout ce petit monde d'artisans, d'artistes de gens modestes qui vivaient à l'ombre d'une modernité galopante et parfois cruelle.Brauner se risque à réinventer une toile emblématique du douanier Rousseau ( la dernière) et y introduit un monstre qui fait front à la charmeuse de serpent. Confrontation de deux mythologies, et pourtant le tableau a gardé toute son autorité poétique, sa cohésion. Il y a là un phénomène singulier d'identification d'assimilation qui en dit long sur les rapports que peuvent avoir les peintres avec leurs aînés. Dès lors, l'oeuvre de Brauner va évoluer selon le sens donné par la poétique qui y préside et qui n'est pas étrangère au prestige du merveilleux ou encore de cet "art magique" que revendiquait André Breton et qui justifiera l'adhésion de Brauner au surréalisme. Il y trace son chemin propre, singulier, hanté et appuyé souvent sur les sciences occultes, une ouverture sur des mondes autres que le notre, tout comme Rousseau qui le fit en s'enivrant de folies végétales, une plongée dans la mystère de la forêt tropicale. L'un et l'autre, chacun avec ses armes nous arrachent à la lourdeur du quotidien.
 


 
 
posté le 13-12-2008 à 16:35:55

Rimbaud, danger !

Sans doute il fascine. Toutes les générations sont passées par là. L'adolescence se moule sur ce modèle qui conjugue la beauté et le génie, la liberté et l'insolence.La poésie s'est soumise à son verbe enflammé, plus rien n'est possible sans passer par son exemple. Le surréalisme (parmi tant d'autres mouvements) l'a admirablement statufié lui qui n'en demandait pas tant. Pourtant il faudrait bien admettre qu'il faut le mériter. Le revendiquer, ne suffit pas. Ce serait trop facile et lâche que de se croire son disciple quand on casse des vitrines et insulte le passant. Rimbaud s'est si totalement engagé dans son aventure qu'il s'y est perdu. C'est ce perdre que de se renier. L'âpre marchand d'arme du Harrar n'a plus rien à voir avec le collégien échevelé de Charleville-Mezières qui aspire à un autre monde.C'est une alchimie du verbe bien trop subtile pour s'imaginer rivaliser avec elle en jetant l'ivresse dans les mots. Il y a chez Rimbaud une situation similaire à celle d'un saint dont on veut suivre l'exemple en restant paisiblement dans ses pantoufles. Qui peut prétendre rejoindre Saint Augustin, ou Saint François d'Assise en demeurant attaché à son confort bourgeois qu'ils refusent, fuient.Etre Rimbaud c'est risquer la sanction sociale, le déportement dans les marges, l'abandon du possédant que nous sommes tous un peu malgré nous. Rien dans les mains, rien dans les poches et tout dans un cervelle en effervescence qui réinvente le monde en réinventant la verbe. Alors il reste comme une figure de légende. On s'incline devant son audace, son destin brisé. Il y a un autre Rimbaud qu'on invoque jamais : porté sur une litière (dessinée par lui) à travers les sables du désert destination Marseille. Pour y mourir.
 


 
 
posté le 12-12-2008 à 14:39:05

Vive le Cadavre exquis.

Les enfants aiment y jouer, c'est le jeu des "petits papiers", les surréalistes ont toujours récupéré ces moyens d'explorer l'inconscient sous le prétexte du jeu, et parce qu'ils impliquent un travail de groupe, l'évolution des idées du surréalisme fonctionnant toujours comme un élan collectif, jalonné de tracts, prises de position, manifestes et autres interventions intempestives tant la passion s'y mêle au concret ,au pratique, et bouleverse l'usage des différents modes d'expression, l'art plastique y trouvant maintes techniques nouvelles et l'écrit un moyen  de sortir de ses habitudes, de ses conventions. Le cadavre exquis (le terme s'est trouvé dans la hasardeuse confrontation de deux mots d'un jeu de petits papiers), donnant à celui-ci l'enseigne qu'il arborera dans l'univers surréaliste, et offrant le territoire d'une inépuisable exploration des mots, de leur insolite confrontation. Du hasard naîtra la poésie, de la danse des mots naît cette voyance revendiquée en  se référant à Rimbaud qui, le premier, en faisait l'objectif de la poésie. 
 


 
 
posté le 11-12-2008 à 15:28:56

Marcel Jean chez lui.

Il ouvrait facilement sa porte aux visiteurs. C'était dans son atelier de la rue Hégesippe Moreau que recevait Marcel Jean alors que, très âgé, il montrait déjà les signes d'une fatigue fatale.D'avoir été injustement oublié dans le dictionnaire des "grandes figures du surréalisme" par Alain et Odette Virmaux (pourtant, d'ordinaire, bien informés et fort scrupuleux), donne l'envie de souligner son passage dans la constellation du surréalisme. La photographe Mélanie Gribinski  (une oeuvre fort attachée aux peintres et poètes) fait son portrait la veille de sa mort. C'est une image pathétique et exemplaire de l'homme sculpté dans sa vieillesse comme une figure tutélaire. Il est au coeur de son monde fait de rêves et de délire graphique. On le voit au coeur du surréalisme non seulement comme un théoricien averti mais un "faiseur d'images" ardentes et porteuses de toutes les promesses de l'aventure de l'esprit.S'il n'est pas au premier plan de l'histoire du surréalisme il tient, dans les coulisses, un rôle essentiel. On lui doit l'invention du frottage injustement attribué à Max Ernst qui ne fit que l'appliquer. Il y promène sa fantaisie lyrique.
 


 
 
posté le 11-12-2008 à 12:06:34

Le surréalisme comme une religion.

Le surréalisme comme une religion. Pour ma génération la découverte du surréalisme va agir comme un stimulant, une manière toute nouvelle et exaltante d'aborder le monde.  L'histoire du surréalisme de Maurice Nadeau y est pour quelque chose. C'était un livre culte, la source à partir de laquelle on allait suivre les multiples cours qui serpentent dans le paysage littéraire et artistique de l'entre deux-guerres et l'illuminent.Après la découverte livresque il y aura les contacts. Une suite de rencontres avec les principaux artisans de cette aventure unique. André Breton en  figure de proue, avec cette majesté et cette onction d'un prélat supérieur. Au passage : une petite visite à l'atelier de Marcel Jean en haut de la rue Hégessipe Moreau. Il avait inventé le "flottage" (trempez une feuille de papier dans un bain d'eau à la surface duquel vous avez versé des couleurs qui flottent. vous relevez le papier lentement à la surface et les couleurs s'y déposent en des variantes et des mélanges improvisés). Il créait des paysages extraordinaires, autant de portes ouvertes sur l'insolite et le rêve. Il avait, avec son frère Arpad Mezei, écrit un essai définitif sur Lautréamont. Il concevra une très copieuse Histoire de la peinture surréaliste.
 


 
 
posté le 10-12-2008 à 16:31:18

Joé Bousquet et la chambre des merveilles.

Blessé durant la première guerre mondiale à Vailly sur Aisne (Max Ernst, qui devint l'un de ses amis, m'avait confié qu'il était "dans les lignes ennemies"), Joé Bousquet sera condamné à "garder la chambre" et vivre allongé. Grand infirme, n'ayant plus pour horizon que les tableaux de ses amis ornant les murs de cette sorte de laboratoire central où il recevait peintres et écrivains fascinés par son oeuvre. Il y avait là des oeuvres de Dubuffet (qui fera son portrait), Max Ernst,Fautrier, Klee, Bellmer, Magritte, et tant d'autres qui jettent tous les feux de leur imaginaire dans un espace de concentration mentale, de turbulence affective qui vont nourrir une oeuvre unique et en marge de tous les courants, par beaucoup revendiquée comme exemplaire. Joé Bousquet est, par la force des choses, l'image emblématique de cette création qui se fait dans un repli total sur soi-même, dans l'exploration de la mémoire ou des sensations. On pensera aussi à Proust. La force du pouvoir des mots l'emporte sur l'écume de la vie.
 


 
 
posté le 09-12-2008 à 15:24:30

Apollinaire sur la couche.

Apollinaire sur la couche.Il l'affirme souvent, la nonchalance est un art qu'il cultive, comme celui de la bizarrerie. S'il sait être homme de café (sa fameuse table du Flore où venaient, dévotement, les futurs surréalistes pour recueillir l'art de la poésie) Apollinaire est un voyageur plutôt conventionnel. Il chante les choses simples et se mêle allègrement aux moeurs locales. On le voit aussi parmi ses livres (un chat s'y promenant pour orner les rayonnages d'éditions précieuses et d'ouvrages du "second rayon"). C'est alors un homme "d'intérieur" goûtant le repos et la rêverie.La position couchée est moins celle de l'abandon (que l'on confond avec l'ébauche des jeux de l'amour) qu'une recherche de confort, à moins qu'elle ne résulte d'une santé chancelante, d'une fatigue ordinaire. Pourtant, en raison de sa massivité corporelle, d'une certaine allure qui lui est propre, couché Apollinaire garde toute sa majesté. 
 


 
 
posté le 09-12-2008 à 14:56:03

Rimbaud l'allongé.

Il y a toujours quelque chose de furieux dans le geste rimbaldien. On voit le poète dans son errance frénétique, entre boisson et illumination. L'aventure amoureuse avec Verlaine se repliant dans l'ombre et comme une honte qui ne donnera de poèmes pour l'exalter que ceux de Verlaine. Rimbaud c'est l'homme debout. Depuis le collégien dont la beauté est l'arme absolue, jusqu'au commerçant d'un Orient laborieux, se ceinturant d'or comme il s'était ceinturé de mots venus des étoiles.Le voir allongé est un accident de parcours. Il n'est pas dans son monde mais dans celui d'une contrainte. Il n'est, allongé, que fortuitement. Il faudra aller chercher ailleurs l'image que l'on veut donner de lui.
 


 
 
posté le 09-12-2008 à 14:23:51

René Daumal, un chemin vers l'abîme.

Les hasards de la route, alors que le but était Mézières Charleville, au prétexte d'une manifestation poétique, nous font passer à Boulzicourt, triste bourgade ardennaise, et devant la maison natale de René Daumal (qui était alors à vendre, ce qui ne pouvait que retenir mon attention, la semaine précédente j'avais déjà été tenté par l'achat de la maison natale d'Alain - Mortagne - et de Charlotte Corday, on n'est pas plus éclectique dans la culture des références). La maison de René Daumal n'avait d'autres séductions que d'être liée à son souvenir car, d'apparence (et donnant directement sur une route bruyante et boueuse), elle était plutôt sinistre. On pouvait bien comprendre la hâte de la quitter et de retrouver de lumineux compagnons comme ce fut le cas de Daumal, étudiant à Reims, aux côtés de Roger-Gilbert Lecomte et Roger Vailland, (plus tard s'associant avec Maurice Henry, Arthur Harfaux, Pierre Minet pour animer le mouvement du ""Grand Jeu").Daumal tel qu'en lui-même et si proche, il faut qu'il soit de constitution fragile, (encore que jeune il était très fort en gymnastique ), traînant ce genre de maladie qui vous ronge et vous abat au final, comme l'arbre qui s'effondre au coeur de la forêt. Car Daumal est au coeur d'une pensée incandescente. Une ardeur de l'esprit qui trace son chemin de lumière entre poésie et mysticisme, cultures lointaines et sens du sacré. L'expérience pour traverser le miroir des apparences l'aura brisé. La drogue, les excès en tous genres conduisent alors aux portes de l'abîme. Le poète couché  : on pense à Joé Bousquet, à Rimbaud après le drame de Bruxelles, à Apollinaire enfin, blessé de guerre et sur son divan comme une statue brisée.
 


 
 
posté le 07-12-2008 à 16:17:09

Léo Larguier, un personnage de Balzac.

Il fallait bien que la culture fusse bien arrimée à la vie quotidienne, en étroite intimité avec ce qu'il y a de plus dérisoire en notre ordinaire. Elle côtoie ce que nous sommes même sans y penser. Chaque pas nous conduit vers un poète, un peintre, un musicien, ceux-là qui nous remuent l'âme. Sans cela autant mourir.On ne cherche pas leur voisinage, il s'impose, nous ravissant comme la prière élève l'âme du croyant. Leur réalité est notre église. Nous y croisons ceux qui nous nourrissent de leur savoir, de leur génie. Un souvenir pour situer la chose. Rue Saint Benoit, à Saint Germain des Près. Elle est brève, droite, s'imposant, tranquille, où s'amorcent les vitrines de la librairie La Hune. On y dînait, brièvement, d'un oeuf sur une purée, dans une minuscule salle dominée par une mezzanine qui semblait ne servir à rien. On savait que Marguerite Duras avait vécue dans le voisinage. M'intéressait bien plus celui de Léo Larguier. Je situais sa maison près de ce jardin miniature qui prend ici des proportions de rêve végétal.On le savait méridional, et de fort accent. Il aurait rencontré lors de son service militaire Cézanne à Aix, et même Germain Nouveau quand ce dernier mendiait aux porches des églises. Apollinaire l'aime bien, il en parle dans ses  chroniques de nonchalante mémoire.Dans les revues médicales qui ont formé ma culture artistique dans les années 50, il était fort présent et passait pour un "chineur" éclairé. On le disait entouré d'objets hétéroclites, quelque chose comme l'antre d'un antiquaire. C'était un personnage de Balzac. Avec ce qu'il y a de maniaque, de forcené dans les traits de son caractère, jusqu'à oublier (ou négliger) le présent. L'amour des choses inertes n'est-ce pas justement le savoir de leur donner une âme.
 


 
 
posté le 05-12-2008 à 14:04:29

Aragon le piéton des Passages.

Avec "Nadja" d'André Breton "Le paysan de Paris" d'Aragon est un des livres clefs de la sensibilité moderne. Il faudrait y ajouter Apollinaire et Blaise Cendrars, et peut-être Valery Larbaud et Léon Paul Fargue, mais où finit la liste de nos maîtres ?. "Le paysan de Paris" s'articule sur deux récits, ou plutôt, deux itinéraires dans un Paris émerveillé et empli de mystère. Il y aura les Buttes Chaumont, voici le Passage de l'Opéra. Il a disparu sous les pioches des urbanistes qui ont prolongé le boulevard Haussmann jusqu'au carrefour Richelieu-Drouot. La flot des voitures vient jeter sa rumeur dans l'ombre de ce qui fut un passage mystérieux et secret, plein d'ombres lascives et de recoins fabuleux à en croire Aragon qui nous y promène avec la lenteur précautionneuse du piéton rêveur. Tout  a son prix, tout a un sens pour celui qui sait regarder le réel autrement qu'un simple étalage de biens de consommation. Un va-et-vient plein de mystère, des femmes à perdre haleine, des lumières étranges, des rites insolites, des objets en délire, et quelques points d'ancrage dans l'errance parisienne, et dans la tradition des Grands Boulevards, théâtre de la vie parisienne en ses déviances et ses obscures célébrations du plaisir.Aragon nous montre bien que loin du roman, l'expérience de l'errance urbaine offre un formidable tremplin à notre imaginaire. L'odeur de la femme y domine et comme dans Nadja l'amour n'est pas loin, serait-il tarifé. La minutie du descriptif est scandée par de véritables poèmes et rêveries éveillées, pleines de circonvolutions mentales, d'analogies étranges, d'images sulfureuses ou émerveillantes.On y rencontre aussi des amis-complices, compagnons de route dans la recherche de l'insolite ( Noll, Baron, on les retrouvera ici ou là), l'errance urbaine ne se fait pas en solitaire, mais en groupes soudés par une complicité de pensée, de désir et une soif absolue de merveilleux
 


 
 
posté le 03-12-2008 à 16:08:47

Malcom de Chazal à la brocante.

Jean Igé  jeune poète, étudiant en médecine, qui fréquentait le  Soleil dans la tête, et publiait ses poèmes chez l'éditeur Millas Martin (qu'est-il devenu ?) était en correspondance avec Malcom de Chazal, dans son île lointaine: l'île Maurice.Il paraissait évident qu'on publie des poèmes de Chazal dans la revue Sens Plastique d'autant plus que ce titre même était emprunté à celui du plus célèbre recueil de l'écrivain. J'en avais connu l'existence par Jean Paulhan à la Nouvelle Revue Française, qui se faisait le promoteur enthousiaste de "Sens Plastique", un curieux recueil de textes qui relevaient de tous les genres sans se fixer à aucun d'entre eux. C'était alors, avec "Mes Inscriptions" de Scutenaire (un belge), une bouffée d'air pur, une prose innovante, totalement originale et témoignant d'un esprit vif et peu conventionnel. Une percée vertigineuse à l'intérieur du verbe, de la pensée et une formulation tout à fait singulière. Sens Plastique (trente numéros), malheureusement, ne poussa pas loin son intention de rendre hommage à Malcom de Chazal. Différentes raison (oubliées) en furent responsables, tout comme fut ratée l'idée de rendre un hommage, non moins justifié, à André Breton qui ne se montra guère enthousiaste à cette idée (à la suite d'une petite querelle autour de l'exposition "Eros" de 1960). Malcom de Chazal est resté dans ma mémoire, et ce n'est pas sans émotion que je dénichais ses livres édités d'une manière presque clandestine, dans les petites échoppes de l'île Maurice, perdus parmi les objets folkloriques et les journaux venus d'Europe. Négligés semblait-il par les clients, et que l'on négociait pour des sommes dérisoires. On vous montrait aussi des gouaches du poète. Des poignées de soleils et d'étoiles disposées dans un ciel de pure fiction.C'est quand elle est quasi clandestine que la poésie porte ses forces les plus lointainement, les plus durablement dans notre mémoire. Parce qu'on mesure sa force à sa clandestinité, et que d'avoir à la dénicher lui donne plus de prix. D'où notre penchant (serions-nous un club ?) pour des poètes oubliés, négligés, dont on retrouve avec émotion les pépites précieuses dans des livres dont la découverte même est une merveilleuse aventure.
 


 
 
posté le 02-12-2008 à 15:52:06

PAB et Jean Bélias : un duo de bibliophiles.

La passion de la bibliophilie.Jean Bélias,  dont on vient de disperser la bibliothèque à l'Hôtel Drouot à Paris, était un fidèle du Soleil dans la tête. A la fois client et pourvoyeur de certaines éditions rares dont il assurait la diffusion. Une circulation presque clandestine d'ouvrages illustrés par des peintres, surréalistes en particulier, liait entre eux libraires et démarcheurs qui avaient la main mise sur ce qui se faisait de mieux dans ce domaine. Jean Bélias s'y était fait une silhouette d'un amateur réservé, distingué et d'une rare érudition poétique. Il s'était d'ailleurs assuré l'estime et parfois l'amitié de René Char, André Breton et pratiquement tous les écrivains qui, dans les années 50-60, constituaient la frange expérimentale de la poésie.Il ne pouvait ignorer le travail discret, d'un  provincial comme PAB (Pierre André Benoit) qui, de son côté, à Alès, agençait avec amour et délectation de précieux petits tirages où il mettait en situation de confrontation féconde des peintres et des poètes. D'Alechinsky à Picabia, de Bertini à Jean Hugo, de Picasso à Karskaya, de Dubuffet à Corneille, de Jacques Hérold à André Masson,  ce sont de merveilleux petits ouvrages traités "à la main" dans un souci de rectitude typographique, l'audace étant toujours celle de l'illustrateur.La rencontre  de ces deux artisans de la bibliophilie ne pouvait que se faire au Soleil dans la tête.
 


 
 
posté le 02-12-2008 à 14:04:12

Flaubert et l'appel de l'Orient.

L'aventure égyptienne de Bonaparte semble avoir donné à plusieurs générations d'un XIX° siècle tout empli de sa gloire et du regret d'affronter un  quotidien sans panache, le goût de " l'ailleurs ", cette soif d'horizons lointains qui conduit de Chateaubriand à Rimbaud en passant par Ernest Renan, Gérard de Nerval ou Flaubert. Celui-ci avait déjà placé le voyage sous le signe de la littérature. Moins pour se faire le strict reporter du déplacement que nourrir son imaginaire ou encore affronter la réalité dont il veut percer le secret. En Normandie (avec Maxime Du Camp) ce sera par grèves et chemin, la découverte de son territoire. Il est un enfant de cette terre, il y plantera des personnages aujourd'hui si fortement liés à leur environnement