Cybel: et on dit : une héroïne, en faisant la liaison ...
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posté le 31-07-2011 à 17:44:38
Paul Morand et la modernité.
Nous étions quelques uns (ce n'est pas Bernard Delvaille qui me contredira) qui portions à Paul Morand un admiration que ne ternissaient pas ses ennuis politico-judiciaires qui suivirent la guerre et le forcent à se réfugier en Suisse. `C'est d'ailleurs des bords du lac Léman qu'il m'avait, à la sortie, au Mercure de France du petit livre "Tentative pour un itinéraire", adressé une lettre à vous faire rougir, alors qu'elle émanait justement de quelqu'un qui n'était pas étranger à la forme qu'avait pris ce petit ouvrage. Il s'y reconnaissait, ou plutôt, il y voyait un héritier et faisait l'honneur de l'apprécier.Il se créé ainsi des sociétés secrètes où fleurissent des adhésions, des reconnaissances, des complicités qui assurent le déroulement des générations.N'est-ce pas l'occasion de rappeler cette formule donnée par un philosophe : " un livre en engendre un autre, il est lui-même l'écho d'un précédent".Et le club des fervents de Paul Morand était le même qui adoptait pour en célébrer les vertus (et les charmes), un Léon Paul Fargue, surtout quand il s'affichait le "Piéton de Paris". En commun, ce goût de l'errance urbaine, une fascination pour la modernité qui s'y déploie et y trouve le terrain de ses plus évidentes conquêtes.Pourtant, le temps a fait son ouvrage, et sans rien perdre de l'admiration qu'on lui portait, il est venu le moment de remettre en cause, cette obsession de la modernité qui a ses vulgarités quand elle occupe le terrain et gagne la partie.N'avions nous pas commis l'erreur, dans les années 60, avec Martial Raysse, de décréter que les grandes surfaces étaient les cathédrales de notre temps.Oui, mais on prendra nos distances avec les objets du culte. Ils pourrissent notre monde, nous conduisent vers notre perte. Il est des cathédrales qu'il faut savoir déserter.
Précoce, Rachilde (fille de militaire comme Colette) va publier son roman le plus connu, qui fera sa célébrité, en 1884 (elle est née en 1860) sous le titre provocateur de "Monsieur Vénus". L'intrigue est simple et les personnages plutôt conventionnels (jusque dans leur singularité), parce qu'ils incarnent l'androgyne comme le voit l'opinion.Jacques Sillver est fleuriste et Raoule de Vénérande fille de bonne famille.Lui est outrageusement "féminin" et elle virile de comportement. Ils échangent leur sexualité, composent une intrigue qui témoigne de l'androgyne tel que l'invente la "fin de siècle" par ailleurs fort friande du thème. Rachilde ne fait qu'illustrer une mode, mais c'est sa jeunesse et le fait qu'elle soit une femme qui donne un caractère scandaleux à une banalité de l'époque.Est-ce une légende, rien de le prouve, beaucoup de témoignages l'évoquent. Il y aurait eu une intrigue amoureuse entre la jeune Rachilde et Maurice Barrès, alors prêtre de la décadence.A en croire Edith Silve, la troublante réalisation littéraire de Rachile allait trouver "son expression dans la rencontre de ce frêle jeune homme aux yeux de "houri" avec une âme de femme honnête dans un corps, de débauché. Rachilde et Maurice Barrès vont connaître une fascination réciproque". Et de supposer qu'ils voulaient (inconsciemment ?) " vivre le rêve androgyne qui semble les porter l'un vers l'autre". Réalisant le vieux rêve (l'Antiquité l'évoque) de renaître l'un par l'autre en un être parfait c'est à dire insexué.Un rêve d'absolue au delà de l'amour charnel. La victoire de l'esprit (l'incarné) sur la volupté.Il était singulier que derrière une affiche qui suscite le scandale, un titre volontairement provocateur, l'auteur prétendait proposer un rêve de pureté absolue.Mais c'est la même qui déclarait : " j'ai prostitué ma plume, mais ma personne est intacte".
Plaidoyer pour un portrait.Est-il ressemblant ? C'est la question que chacun se posera puisqu'il revient à un portrait de ressembler à celui qui en fut le modèle.Mais la ressemblance a plusieurs niveaux. Plusieurs lois.Si elle vise à la stricte vision qu'on a de celui qui a "posé" pour son exécution on s'en tient à une idée reçue. On n'est jamais tel qu'on paraît à l'instant donné.D'ailleurs, même la photographie nous joue de drôles de tours, quand, découvrant le cliché d'une prise photographique, on ne se reconnaît pas d'emblée. Différent parfois de celui que l'on croyait être. Tant et tant de choses nous façonnent dans le secret de notre être (et souvent à nos dépends) qu'il est bien difficile d'atteindre le point le plus juste.Voici René Bertelé, homme discret s'il en est. Cette discrétion elle nous saute aux yeux devant le dessin de Dubuffet.René Bertelé, dans la vie, homme qui glisse sur le réel, la tête ailleurs. IUn arrêt sur image pour le mieux connaître : Il est au restaurant. Seul. En mangeant il est tout à la lecture d'un livre posé, au risque de choir, entre une carafe et une assiette. On dirait un personnage de roman ( Bove, René Jean Clot, ceux qui vont au bout de leur vision). On est dans les parages de ce qui fut la galerie de Fleurus, l'une des plus captivantes dans les années 60, quand elle y exposait, outre Dubuffet, les artistes de Cobra, Christoforou, Jorn, tous portés à creuser leur modèle jusqu'au fond de leur propre nature donnée en pâture au peintre qui révèle une identifié enfouie, secrète, pas toujours flatteuse, mais qui remue au fond de chacun et l'anime. En somme on est dans le monde de Bertelé. C'est celui que nous montre Dubuffet.
Un titre aux allures de slogan. Parlant de la peinture on pouvait dire : reconnaître, sentir, comprendre, analyser, Eluard va droit au but : VOIR. Injonction qu'il renouvelle quand il rassemble ses poèmes sous le titre "Donner à voir".De tous les poètes de sa génération Eluard est sans doute celui qui aura les rapports les plus profonds et les plus étendus avec les peintres. Ceux-ci marquant leur adhésion au poète en illustrant ses livres ou faisant son portrait : Picabia, Picasso, Giacometti, Max Ernst, André Beaudin, Bellmer, Dali, Valentin Hugo, Marie Laurencin, Marcoussis, Magritte, Man Ray. La vue (tout un art) est une sorte de fil rouge à travers toute son oeuvre. Les titres de ses recueils en disent long : "Les yeux fertiles", "A 'l'intérieur de la vue", Voir c'est aimer. Adhérer, par les sens, à l'objet aimé. Les rapports d'Eluard avec les peintres sont ceux de l'amitié. Une amitié partagée, d'où l'illustration qui est un acte de complicité, un face à face image et mots. A propos de Rimbaud Eluard évoque "le droit de regard sur le poème", c'est le peintre qui ouvre la voix. L'y suivre, c'est entrer dans ce laboratoire central où se fomente la qualité d'un air différent, vital, par quoi le poème sort de l'usage distrait des mots, et leur donne une qualité qu'un usage intensif et quotidien leur fait perdre.S'il parle des yeux fertiles Eluard donne d'emblée la mesure de cet art qu'il pratique et le fait si essentiel dans l'ordre du commentaire sur l'art (surtout la peinture qui ne s'offre qu'à la vue quand la sculpture suppose le contact physique et du même coup lui donne, selon certains, une supériorité).Aux préoccupations esthétiques qui conduisent aux académismes, la peinture selon Eluard (et pratiquement tous les tenants de la peinture surréaliste), rejoint les préceptes du merveilleux. Car le peintre émerveille, et touche aux sens.Voir, si l'on va plus loin en suivant Eluard, est un geste jouissif.
Les dessins de Michaux poussent au milieu des mots, comme une plante étrange au coeur d'un champ de blé. Elle se balance, têtue, hautaine, mais d'où vient-elle, et pourquoi en un lieu où on ne l'attend pas. Sinon que les dessins de Michaux sont de la même main que les mots d'où ils jaillissent. En sont-ils une sorte de reflet ou une quintessence de leur ondulation sur la blanc du papier. Tout cela est un monde de nature fantastique, tenant de tous les genres sans s'arrêter à aucun. Hybride, comme les moyens utilisés pour lui donner vie.Des encres, des crayons de couleur, de la gouache, des "cuisines" graphiques turbulentes et agitées comme poussées par un vent qu'on ne voit pas si on en voit les effets. C'est ce lent tremblement qu'évoquait Max Ernst, d'un dessin de l'âme quand celui du corps s'épuise de ses propres effets. Des dessins qui ne font pas d'effet (n'en jouent pas), ni de ces joliesses qui gâtent parfois les intentions les mieux fondées. Ils sont drus comme les plantes sauvages (de mauvaises herbes !) et jouant parfois à singer l'homme, en suggérant la silhouette, cette manière de se dresser comme en une incantation barbare.Ils sont le surgissement dans notre champ visuel (décidément on ne sort pas de la métaphore agricole) de monstres venus d'au delà des frontières de notre réalité banalisée à outrance (et dominée par des lois rationnelles) . Surgissement fantomatique de notre propre imaginaire angoissé.
L'apparition de la photographie va décidément bouleverser la manière de peindre.Si Toulouse-Lautrec est encore dans les délices de la transcription graphique du monde, en se donnant cette liberté qui est comme une signature, une manière d'imposer sa vision, Seurat remet en cause une technique qui s'est selon lui sclérosée. Partant de préceptes scientifiques qu'il aura soigneusement étudié, le voilà peignant par un jeu de petits points qui, rapprochés, recréent l'image du réel dont il s'inspire. N'est-ce pas d'ailleurs le principe de l'image télévisée !Ses sujets sont les mêmes que ceux de Toulouse-Lautrec. Salles de spectacles, silhouettes de femmes confondues avec leur manière de s'habiller. Un Paris de bastringues et de fêtards, de filles faciles, et une immense solitude pour couronner le tout.Le cirque, l'orchestre, et tout le clinquant des musiques qui réunissent les badauds et trompent les esprits. Distillant un bonheur triste, et morne jusque dans l'expression.Il étale de vastes visions figées et comme hiératiques. Figures d'un monde pétrifié dans ses clichés. Même la promenade est morose (l'île de la Grande Jatte), même la fête est amère. Toulouse-Lautrec l'exprimait par la fébrilité du trait, une jubilation agressive, Seurat dans la manière même de la dire. C'est comme un film qui serait arrêté sur une image, un plan fixe, dans une histoire qui nous reste à inventer.
C'est un peu la même sensation, (le même plaisir), que lorsque l'image apparaît sur le papier photographique quand on le sort du bain de fixatif. Enfant, j'étais fasciné par cette opération quand mon père sortait du bac où elle avait été plongée, délicatement, à l'aide d'une pince, une image qui , peu à peu, se formait sur le papier. On la voyait effectivement apparaître depuis la zone de flou où elle gîtait, jusqu'à la totalité de sa définition. Dans la peinture d' Elie Lascaux le sujet conserve quelque chose de son séjour dans cette sorte de purgatoire où elle sommeillait. Elle n'a pas la franchise d'une réalité affichée avec la force de la conviction, mais ce halo qui lui donne un mystère tendre et complice. Car elle est de l'ordre du murmure, de la confidence. Avec, comme une compensation, des joliesses dans les détails, une manière gracieuse de se complaire dans un temps infini qu'elle semble distiller, car elle va défier l'urgence qui commande notre vision des choses. Même ses vues de Paris (nombreuses) sont touchées par une sorte de grâce qui se prête à de minuscules récits dont le paysage est souvent le cadre (on devrait dire l'encadrement).Il lui donne un caractère provincial. C'est midi, on entend les cloches sonnant l'heure, carillon hautain et distingué, car ce monde comme suspendu à ses propres délectations, dédaigne l'ordinaire. Même marcher dans la rue prend une allure irréelle et mystérieuse. Chacun va vers un destin bien éloigné de nos mesures rationnelles. C'est un monde largement ouvert à toutes les spéculations. D'où son attrait auprès des écrivains.Il est des peintres pour écrivains. Outre Elie Lascaux : Gaston-Louis Roux, Pierre Charbonnier, Klossowski, Balthus....
Au lendemain de la guerre (1945) le monde de l'édition s'est restructuré, et de nombreux nouveaux venus apportent "un sang neuf". Sans doute, devant les contraintes financières, grand nombre de ces petites maisons plus novatrices que les "grands" classiques de ce monde éditorial se verront absorbées et perdront de leur autonomie. Pourtant c'est là que la vie littéraire se faisait avec le plus de détermination. Pour les gens de ma génération, la révélation de Jacques Prévert a été un événement considérable. On la devait à la personnalité d'un certain René Bertelé qui va créer la maison "Le Point du Jour" absorbée ensuite par Gallimard.C'est le même qui va publier les "Entretiens" d'André Parinaud avec André Breton, une manière de souligner le retour dans la vie cultuelle française de celui qui avait fui l'Occupation nazie aux USA et devenait un personnage historique. Robert Desnos, victime de la barbarie nazie, était également honoré d'une belle édition de ses poèmes.A quoi s'ajoute la publication d'un "Panorama de la Nouvelle littérature française" qui nous ouvrait aux oeuvres les plus remarquables de l'époque. Bien plus séduisante manière d'aborder la littérature que celle proposée alors par les manuels scolaires qui n'avaient pas la qualité de ceux d'aujourd'hui.
L'intimité est affaire de lumière. De sa discrétion, et cette manière toute en surprise de se poser sur des détails. Non pour faire un inventaire, mais créer l'atmosphère d'où va jaillir le sujet.Comme toujours chez Balthus ce sera une femme enfant. On dira une jeune fille mais on se trompe. Elle n'a plus l'innocence de l'enfant, les poupées sont loin.Elle vient d'avoir conscience de son corps. Ce qui lui donne cette allure à la fois effrontée et comme pensive. Elle s'étire. Pour mieux mesurer le territoire qui attend ses émotions. Elle devine qu'il est proche le temps des découvertes qui troublent la chair, qui l'inquiètent.Elle a des allures de figure d'abandon. Ce n'est pas celui de l'odalisque qui sait jouir de l'instant. Et attend. C'est plutôt une mue. Comme celle d'un animal qui mesure sa capacité à s'affirmer dans la réalité. Un chat, par exemple, regardons-le, il est comme sur le bord d'un précipice avant de s'y jeter, mais il en a la détermination. Il prend son temps, il a le temps. Il ne faut pas croire qu'une enfant qui devient femme est pressée. De quitter un monde , sa quiétude, peut l'alarmer. La fait un temps hésiter. Elle est sur la crête de la vague. Au coeur de sa tempête intime.D'ailleurs, tout, autour d'elle, chavire. C'est le désordre des journées qui ne sont pas programmées, d'un temps imprécis.Seul, le chat (il y en a souvent chez Balthus) s'installe dans son quotidien. Qui a dit (Georges Bataille je crois) que le lait est chargé de forces érotiques. N'est-ce pas l'irruption, immaculée, de la chimie intérieure.
C'est un peu la même sensation, (le même plaisir), que lorsque l'image apparaît sur le papier photographique quand on le sort du bain de fixatif. Enfant, j'étais fasciné par cette opération quand mon père sortait du bac où elle avait été plongée, délicatement, à l'aide d'une pince, une image qui , peu à peu, se formait sur le papier. On la voyait effectivement apparaître depuis la zone de flou où elle gîtait, jusqu'à la totalité de sa définition. Dans la peinture d' Elie Lascaux le sujet conserve quelque chose de son séjour dans cette sorte de purgatoire où elle sommeillait. Elle n'a pas la franchise d'une réalité affichée avec la force de la conviction, mais ce halo qui lui donne un mystère tendre et complice. Car elle est de l'ordre du murmure, de la confidence. Avec, comme une compensation, des joliesses dans les détails, une manière gracieuse de se complaire dans un temps infini qu'elle semble distiller, car elle va défier l'urgence qui commande notre vision des choses. Même ses vues de Paris (nombreuses) sont touchées par une sorte de grâce qui se prête à de minuscules récits dont le paysage est souvent le cadre (on devrait dire l'encadrement).Il lui donne un caractère provincial. C'est midi, on entend les cloches sonnant l'heure, carillon hautain et distingué, car ce monde comme suspendu à ses propres délectations, dédaigne l'ordinaire. Même marcher dans la rue prend une allure irréelle et mystérieuse. Chacun va vers un destin bien éloigné de nos mesures rationnelles. C'est un monde largement ouvert à toutes les spéculations. D'où son attrait auprès des écrivains.Il est des peintres pour écrivains. Outre Elie Lascaux : Gaston-Louis Roux, Pierre Charbonnier, Klossowski, Balthus....
Il est sorti de sa chambrette sous les toits, le voici dans la rue. C'est le poète selon Jacques Prévert. A la rue il emprunte ses courants d'air et ses chansons, ses mots perdus et ses figures déclassées. Il n'est pas chroniqueur encore qu'il en a la verve, le goût du détail qui tranche, impose, va définir une figure.L'oeil (l'oeil de Prévert, c'est comme celui de Brassaï ou de Picasso, un phénomène hors du commun) ouvert, non sur ses intimités tourmentées mais sur la vie, ses accidents, ses incongruités, ses singularités (on peut trouver du singulier dans la situation la plus ordinaire : le petit bruit de l'oeuf dur sur le comptoir pas exemple).Qu'on le confronte à Doisneau, un compère en errance dans les quartiers populaires, les rues dédaignées par les touristes, et l'on a le ton, les sujet, le goût (en commun) du quotidien qui "fait icône". On va s'y référer par la suite. Dans sa franchise d'expression (il est significatif que l'on compare un poète à un photographe !), la promptitude de l'instantané, voici le monde du commun habillé pour durer. D'ailleurs il entre, fanfaron, dans les manuels littéraires, la chanson populaire, notre mémoire collective.Un mot encore, à propos de mots justement, ceux qui fleurissent sur les murs, sont un cri, une prière, un aveu, quelque chose qui sort du plus fort, du plus intime, de plus essentiel pour celui qui se livrera à ce qui est maintenant un art : le graffiti.document blog moniqueetdany.typad.fr
Même s'il cherche un nouveau langage le peintre n'échappe pas au catalogue des sujets de la tradition. Et c'est en portant son regard sur la réalité qu'il trahit le mieux ses aspirations. Ne pas échapper au réel c'est aussi chercher à lui donner corps en fonction du regard que l'on porte sur lui. Dufy, avant de s'épancher dans un graphisme dansant, enveloppant, sautillant, s'est penché sur la définition de l'objet en sa quintessence. Dire, de lui, l'essentiel, et la force des relations qu'il entretient avec son environnement. Dont il est parfois l'élément essentiel. En à-plats vibrants, où la couleur joue de toutes ses nuances, comme un musicien sur un clavier pour composer ses gammes, Dufy met en scène un paysage perçu à travers une fenêtre. C'est lui qui donne de l'assise à la mise en scène (légèrement en biais) d'une table et son bouquet de fleurs, prétexte à quelques accords (on reste dans la comparaison musicale) bien plaqués.S'il s'agit d'un exercice pictural pour résoudre des problèmes plastiques, l'oeuvre a le mérite d'exprimer aussi un sentiment humain. Le respect (voire l'admiration) pour ce qui fait l'essentiel d'un environnement paisible et jusque dans son austérité (sa réserve) profondément rassurant. Mieux, il dit l'harmonie du jour, et par son côté paisible dit aussi la qualité d'un instant. On aimerait entrer dans le tableau, s'asseoir au bord de cette table et regarder le paysage qui joue de ses ondulations majestueuses au delà de la fenêtre qui l'encadre. C'est un tableau dans le tableau. Un des grands thèmes de la peinture universelle.
Le collage de Prévert se distingue par une attaque plus directe de l'image appelée à s'intégrer dans une autre, sans le souci, comme chez Max Ernst, de créer une liaison qui donne plus d'unité à l'ensemble, un côté lisse qui est vertigineux quand on pénètre dans l'oeuvre. Le passage est brutal, agressif et relève d'un humour plus théâtral. Il y a un esprit guignol dans l'anecdote.Jeu de masques, mascarades, et gaudrioles, l'homme est malmené avec une bonne humeur, une santé qui relève de l'esprit d'enfance qui est l'un des traits propre à l'univers de Prévert dans son ensemble, et naturellement dans sa poésie, spontanée, proche de la chanson (et si merveilleusement adapté à elle).C'est souvent la confrontation de l'homme avec le monde animal, la prédominance de celui-ci, mais sur un ton jovial (on n'est pas dans l'espace de l'épouvante animale comme chez Lautréamont).Parfois un clin d'oeil par rapport à une oeuvre classique. Une manière bien à lui de la revisiter, sans le caractère intellectuel et le jeu de code d'un Marcel Duchamp (la Joconde), et même une façon de laisser aller qui est plutôt une gifle vis à vis des rapports conventionnels et respectueux que le public entretient avec l'oeuvre du musée. C'est un collage "à l'arraché". Chez les autres le collage est intimiste (Max Ernst, Bucaille), chez lui il joue de la grosse caisse.
Progressivement l'action créatrice s'emballe et se sert de l'enveloppe (comme support postal) pour une oeuvre qui gagne son autonomie par un ajout d'éléments à priori étrangers à son activité.L'enveloppe gagne son statut d'oeuvre d'art. Avec toute la déclinaison des éléments qui participent à la signification qu'on ambitionne de lui donner. Elle ne porte qu'elle même, perd son rôle de contenant pour devenir contenu.L'imaginaire s'empare de cet espace dont la réduction entraîne un jeu d'accumulation qui, sur une grande surface, serait dispersé, dilué. Il en résulte une concentration favorable à la densité de l'oeuvre.C'est de sa réduction même qu'elle acquière cette force, cette densité que toute oeuvre d'art réduite en sa surface est en mesure d'offrir. Comme le poème qui va se durcir sous forme de maxime.Ce qui n'interdit pas des variations, diversifications des éléments qui constituent une unité d'autant plus efficace que concentrée.Plus qu'un message (qui s'est absenté dans les replis de l'enveloppe qui a perdu sa fonction), c'est tout un monde complexe qui s'offre d'emblée à la vue. A quoi s'ajoute l'estimation au "toucher". On contient dans la main, dans l'intimité des contacts qui manquent si souvent à l'oeuvre d'art destinée au mur, à la simple contemplation, tout un monde organisé comme un défi au chaos. Une construction dont l'intimité va de la création à ce qui est une nouvelle manière d'aborder l'art. Dans la dynamique d'un contact physique. La part manquante dans la tradition.
D'emblée Georges Bataille situe Emily Brontë dans l'esprit qui va dominer son oeuvre : " Entre toutes les femmes Emily Brontë semble avoir été l'objet d'une malédiction privilégiée. Sa courte vie ne fut malheureuse que modérément. Mais, sa pureté morale intacte, elle eut de l'abîme du mal une expérience profonde. Encore que peu d'être aient été plus rigoureux, plus courageux, plus droit, elle alla jusqu'au bout de la connaissance du mal". A quoi s'ajoute le cadre exceptionnelle dans lequel elle vivra, dans une intimité et une complicité faite de chaleur partagée avec son frère et ses soeurs pour vaincre l'ambiance morbide de leur environnement. Un presbytère austère au coeur d'une lande désolée."Par ses fenêtres à guillotine, le presbytère donne sur un jardin de quelques mètres, où poussent des groseilliers, puis immédiatement sur le cimetière. Les tombes, horizontales ou debout, pressées les unes contre les autres montent vers la maison. Impossible d'échapper à sa macabre insistance. Elle a imprégné de mélancolie, d'effroi, l'imagination des enfants qui, jetant leurs premiers regards sur le monde, l'ont contemplé sous ce aspect funèbre."(Robert de Traz).Au rythme de l'horloge familiale dont on entend le tic-tac dans le profond silence de la maison trois fillettes et un jeune garçon inventent des histoires d'où la violence n'est pas exclue. On est là dans la fiction pure qui camoufle la banalité du quotidien, la rigueur du cadre et l'absence d'une mère, quand le père, un austère pasteur, n'offre que la lecture de la Bible comme dérivatif.Trempés dans la fiction, les sentiments les plus violents, les plus destructeurs peuvent s'épanouir et s'incarner dans des personnages. Ce seront ceux qui se déchirent au nom de l'amour dans Wuthering Heights.
C'est un enfant de Montmatre (1874). Son père est coiffeur, rue Fontaine, et sa mère blanchisseuse. Dans le quartier elles étaient nombreuses et Degas en avait fait un de ses thèmes de prédilection. . Il fait ses classes chez Cormon, 104 boulevard de Clichy. C'est alors le temps des découvertes, des rencontres, dont celle d'un voisin du 8, rue Clauzel : Anquetin, étonnant chroniqueur de la vie montmartroise.Bottini est un fêtard. Et les lieux de plaisir qu'il fréquente avec assiduité lui servent de motif. On le voit à l'Auberge du Clou, dans les bastringues, et les bordels dont il tire des notations cruelles et pittoresques.Saint George de Bouhélier pourra dire de lui qu'il est le "Goya de Montmartre".Moins tragique que le peintre espagnol qui tire ses sujets vers l'universel, mais plus sensible à la décadence qui s'inscrit dans les attitudes, les visages. C'est un défilé de femmes fatales et perdues, les lesbiennes de Baudelaire et les vierges folles de Jean Lorrain. Il donne des titres explicites à ses expositions ou ses tableaux. Ce sera ici "Bars et Maisons closes" ou, là : "Lesbiennes, insexuées et Pierreuses"Il est bien dans l'esprit "fin de siècle", à la fois dépravé, vulgaire et sophistiqué, et comme se complaisant dans la débauche comme en une sorte de fuite.Quand Picasso arrive au début du siècle, il est fortement impressionné par cette oeuvre à la fois sulfureuse et si moderne de ton. Elle va décider de son style à venir.Pour donner encore plus de force à un destin comme marqué par la malédiction du sexe il meurt (presque fou disent des témoins) de syphilis, à l'asile de Villejuif en 1907.voir l'excellent blog : Autour du Père Tanguy richement documenté.
La lubricité a son dieu. Il est le protecteur des troupeaux et les bergers en Arcadie le vénèrent.Il est né de la copulation amoureuse d'Hermès avec une nymphe.C'est Pan, le maître des satyres avec lesquels il se lance dans des courses folles dont la femme est la proie. L'une d'elle, la nymphe Syrinx, pour échapper à sa voracité, se transforme en roseaux. Ceux qui s'enchantent de leur ondulation lente et souple au bord des nappes d'eau, où se réfugient les oiseaux, n'oublieront jamais qu'une femme se cache là qui craignait le contact de l'homme en rut. Lors de la bataille de Marathon il intervient en faveur des Athéniens et l'ennemi fuira en le voyant. Il en résultera le terme : panique.La statuaire antique varie la représentation, évitant parfois les détails pittoresques comme les pattes velues, dressant un athlète aux chairs pleines, incarnant la puissance du désir.
Avec Cocteau, Max Jacob aura été le poète le plus constamment lié aux mouvements littéraires et artistiques de son temps. Aussi aura-t-il été celui dont on a le plus de portraits qui, tous, soulignent bien le caractère austère de son physique (celui d'un moine), ce qui le conduit à tenter l'expérience du repli stratégique dans une solitude monacale ( à Saint Benoît sur Loire).Non sans y mettre une pointe d'humour, Jean Cocteau souligne le caractère particulier de son ami "venu en sabots" de sa Bretagne natale. Lui qui généralement aborde le dessin avec une certaine liberté et un effet de promptitude s'est appliqué dans la représentation de Max Jacob à une certaine précision et figeant son modèle selon la formule classique du genre.Il lui confère une certaine gravité en dépit d'une exagération de certains traits du visage. Mêlant humour et majesté.
C'était dans les années 50. L'époque était friande de poésie. Le surréalisme tentait de reconstituer des troupes, l'Ecole de Rochefort apparaissait dans toute sa plénitude autour de René-Guy Cadou qui venait de disparaître, l'esprit revanchard né de la Libération (Aragon en était une sorte d'éminence du tribunal qui tranchait dans les réputations) rendait sa justice, la poésie placée sous le signe du communisme connaissait un véritable succès populaire. Les poètes qui avaient participé à la Résistance étaient au sommet de leur gloire, et Paul Eluard était l'un d'eux.Contrairement à André Breton qui avait très mal vécu ses velléités politiques (déjà avant la guerre, et avait préféré la fuite devant l'envahisseur), Eluard s'était posé en figure de proue de la Résistance et sa poésie y avait trouvé de nouvelles forces.C'est avec lui que Pierre Seghes inaugure ce qui allait être la fameuse collection des Poètes d'Aujourd'hui. Une tentative de vulgarisation qui restait éminemment proche de son sujet jusque dans ses audaces, ses subtilités, son emprise sur la pensée collective à laquelle elle apportait une substantielle matière.D'ailleurs c'était toujours un poète qui parlait d'un poète (et non comme d'ordinaire, un universitaire). Il en résulte une cohésion unique entre l'auteur et son sujet.C'est Louis Parrot, qui avait participé au mouvement de la Résistance dans le midi de la France, en liaison directe avec Paul Eluard, qui sera chargé de l'étude consacrée à ce dernier. Un accord fraternel entre deux poètes liés par les mêmes convictions, les mêmes références.
Lettre aux amazones.On va dire que je me nomme Valentin. Ce n'est pas mon vrai nom mais j'avance masqué. Tout le contraire de ce que demande au roman André Breton (dans Nadja) qui refuse les clefs et veut que les portes soient ouvertes.Ici tout est, caché, cadenassé, codé. Celui (ou celle) qui viendra devra faire preuve de patiente, de bonne volonté, et piqué par la curiosité, aboutira au but recherché : savoir qui se cache derrière Valentin.Le modèle de cette histoire (il y en aura plusieurs et de nombreux personnages) est "Le Songe de Poliphyle", cette étonnante histoire d'un jeune amoureux qui affronte de multiples épreuves pour atteindre celle qu'il aime (et qui l'attend). C'est une version de" la Belle au bois dormant". C'est dans le sommeil que l'on traverse les contrées innombrables de l'imaginaire. Alors il y a deux traversées qui se croisent, celle de l'amant qui prend tous les risques pour approcher sa promise, et celle-ci, dans l'immobilité du sommeil, qui nage en eaux profondes à la recherche de son promis.Valentin je suis (je serai) et voici d'où je viens. Ma famille est antique comme on disait dans le théâtre du Grand Siècle. On se cherche des ancêtres jusque dans la mythologie, ou, pour les plus modestes, dans les premiers efforts d'une société qui s'organise pour donner sens à la vie des masses, nourriture à tous, bonheur au nom du Christ puisque sur cette terre d'Europe c'est lui qui sert de référence.Un ancêtre donc, disons vers l'an mil, de laboureur qu'il était, et parce que sur un champ de bataille (du champ de blé à celui des morts il n'y a pas de frontières), s'était montré hardi et brave, reçoit des mains de son roi (un Capétien à l'époque) une contrée dont il devient le seigneur avec mission de l'assagir, de la faire fructifier et de rendre hommage au roi généreux.Ainsi naquit la famille dont je suis l'un des derniers héritiers.Il y a eu entre ce laboureur-seigneur (de Crécy) et moi une succession de capitaines, de chapelains, de financiers, d'homme de loi et d'honneur, et naturellement quelques chenapans.C'est de la branche de ces derniers que je suis issu. Enfance dans les bosquets d'un château délabré, ridodon et ridondelle dans les près, et, avenantes, les petites bergères qui délaissaient les troupeaux pour me divertir. Tout manant que j'étais seigneur je restais. Ou plutôt "fils du seigneur" ce qui est bien pire.Comme dans la bourgeoisie du XIX° siècle (voir "l'Enfance d'un chef" de Jean Paul Sartre) le fils de la maison est celui qui lutine la bonne quand le père, hautain et digne, faire régner la terreur sur sa domesticité. A l'un l'ordre à l'autre le désordre des draps.Je ne pouvais rester, les années passant, lié aux plaisirs simples et naturels des champs et des alcôves d'herbe tendre. Vint un jour, où quémandé par mon père dans la Haute Salle du château (dont l'usage supposait quelque solennité du moment), il me fut sommé de déclarer ce que je comptais faire de mes dix doigts et de mes deux pieds, sinon que la tête encore un peu vide fonctionnait plutôt bien.-La magistrature, l'armée, le commerce (pouah), la diplomatie (et quoi encore je ne parle aucune langue étrangère et n'aime pas les voyages). Alors ? un long silence.J'entendais le croassement des corbeaux nichés dans les créneaux tout proches. Mauvais signe me disais-je. Tout ce noir en mouvement c'est Hitchkook ou Van Gogh sur un champ de blé, rien de bon à en attendre.Subitement, allez savoir comment la chose me passe à travers ma pauvre tête, je déclare, ménageant mes effets.- Je veux être typographe.Bien que fort cultivé mon père apparemment ne situait pas très bien un personnage qualifié d'aussi étrange façon.La typo, d'accord, l'agencement des lettres, du plomb plein les mains.Voulant faire de l'humour (qu'il avait facile et plutôt dans le genre commis voyageur) mon père de dire alors, fort satisfait de sa trouvaille :- A défaut de l'avoir dans la tête tu auras le plomb dans les mains.-Oui père, mais quelle aventure, donner forme à ce qui est informe, sens à ce qui n'est que matière molle en ses métamorphoses.J'étais parti. Coutumier de mes travers père y mis le hola comme on siffle la fin de la récréation.-Typographe ? Si tu y tiens.Ainsi se scellait mon destin.Grâce à ses multiples relations (on lui demandait d'être le député du coin, pour un manant cela allait de pair ) mon père me trouva une place (modeste) dans le journal local qui tirait mollement les dix mille exemplaires quotidiens et donnait surtout dans les mariages et enterrement, inauguration de routes et écoles et loto pour le troisième âge.Mais j'avais le plaisir de jouer avec les lettres, (on était encore à l'époque où l'on faisait les titres à la main sur un composteur). Je me prenais pour Restif de la Bretonne. Bref rappel : Restif (de la Bretonne parce qu'il adopte le nom d'un champ de la ferme paternel pour se donner quelque lustre) est en apprentissage à Auxerre dans une imprimerie locale et tout en composant les ouvrages de commande de son patron, il se met à écrire directement en assemblant les lettres une à une, écrivant ainsi comme on distille un bon alcool. Il y a plus, il y a mieux, il séduit la femme de son patron. Sans suite, et on lui montre le chemin de Paris oubliant que c'est celui de tous les vices.A Paris Restif, devenu Restif de la Bretonne (ça chante bien) oeuvre toujours dans les imprimeries. Elles sont à l'époque (1750) ainsi que les librairies, assemblées autour de l'église Saint Séverin et dans la montée, subite ici, de la rue Saint Jacques. Commence alors l'étonnante épopée de Restif, typographe et galant.Valentin je suis, et Restif n'est qu'une ombre qui passe dans ma vie, parmi beaucoup d'autres (on fera connaissance avec elles, peu à peu).La seule similitude c'est que je séduit la fille du patron (16 ans, des cheveux d'or, une bouche déjà gourmande, des jambes de gazelle et un culot monstre) ce qui n'a pas l'air de lui plaire vraiment (au père).Prière m'est faite d'aller porter mes talents de typographe en d'autres lieux et sous d'autres cieux. Paris donc, le destin de tout provincial qui veut aller quelque part.Chambrette rue Saint Séverin et le train train dans une imprimerie spécialisée dans les affiches de spectacle (music hall, festivals et autres réjouissances temporaires).La clientèle est à l'image de son métier. Pittoresque, capricieuse, généreuse de ses sentiments et les portant hauts et forts. Il y a du "chéri" dans l'air.Ce qui devait arrivait arriva, et des filles pleins les bras. Elles sont plus hardies quand elles vont par paire. Alors, juste conséquence, on se retrouve à trois. C'est une manière de voir les choses, elles ne me déplaisaient pas.Que pensez vous qu'il arrive. C'est toute la question.J'avais de vagues (oh très vagues) velléittés de sainteté. Savoir se détacher des piètres plaisirs qu'offrait le monde pour élever mon âme vers de plus riches promesses.C'était passer du stupre à la méditation, de la caresse à la prière, du coït à la génuflexion. Et ça marche.Songez à toutes ces catins qui traînaient leurs jupons (sales ) dans la cour du roi, passaient dans son lit et finissaient au couvent. Curieux ce mélange de cuisse et d'encens. J'y allais de mon train tranquille, c'est à dire en visitant d'abord les églises. A Paris on a le choix. Et on se forme une jolie culture spécialisée dans les vieilles pierres. Cela s'appelle le Patrimoine (la majuscule obligatoire).L'idée m'est alors venue de mettre à profit mes connaissances croissantes en adoptant un autre métier qui me sortait un peu de l'atelier (le plomb fondu faisait parti des manières polies d'arracher la vérité des prisonniers au moyen-âge) et regagner le grand air qui avait été le charme de mon enfance.Guide alors je serai. Guide je fus. On me voyait suivi d'une horde de russes bavards et bruyants, d'allemands méthodiques et méticuleux, de japonais triturant leur appareils photo à mille euros pour rapporter la vue des tours de Notre Dame et l'arc triomphant de la place du général de Gaulle.Entre une messe basse et des après midi au plein soleil des autobus de touristes je me fabriquais une vie qui avait toutes les apparences de l'ordre et de la sérénité.C'est mal compter avec les caprices du hasard et sa malignité.Ce fut à propos d'une jeune italienne que tout bascula. Encadrée par des parents qu'on eut dit inventés par un caricaturiste, elle offrait toute la grâce des vierges de la Renaissance, sinon que son regard se posa sur moi avec une insistance qui me donnait une hardiesse que l'on dira contraire à des voeux sus-nommés.J'obtins cependant, grâce à la complaisance du voiturier de l'hôtel où la donzelle logeait, son adresse italienne. En mon for intérieur je décidais que je profiterai de mes futures vacances pour aller à sa recherche. (on peut imaginer une suite !)IIlustration : Le Songe de Poliphile.
Si elle a gagné la totalité de la surface de l'enveloppe, et même assuré son autonomie pour devenir une oeuvre d'art confiée aux services postaux (non sans risque) l'intervention manuelle a débuté fort modestement. Et dans la formulation de l'adresse comme le fera, non sans panache, Mallarmé. Affrontant les principes d'ordre que suppose l'énoncé d'une adresse, et lui donnant le charme (aujourd'hui suranné) d'un petit poème. On verra par la suite des peintres orner de quelque modeste dessin l'enveloppe, comme un petit signe amical (Picasso pour René Char, Matisse pour André Rouveyre).L'énonce de l'adresse reste la partie dominante de la surface de l'enveloppe, le dessin s'aménage un espace qui n'intervient pas dans son architecture pratique , il est un plus, comme le serait un cachet, la signalisation d'une marque de fabrique (celle de l'expéditeur par exemple), une empreinte quelconque qui enjolive sans s'imposer.Le timbre sera encore l'élément le plus marquant qui participe à l' ornementation de l'enveloppe. D'ailleurs le timbre lui-même, dans son autonomie, se réserve le droit de développer une forme d'art. Quand il ne se réfère pas directement aux institutions du pays émetteur de l'envoi, il adopte sur sa modeste surface des références touristiques ou artistiques qui contribuent à la personnalisation de l'envoi. Mais en restant dans les limites de son intervention.document : blog quinquabelle2008.
Ecrit par Apollinaire alors qu'il avait 19 ans l'ouvrage ne paraîtra qu'en 1909 chez une jeune marchand de tableau qui allait jouer un rôle capital dans l'émergence de la génération de Derain, Picasso, c'est "L'Enchanteur pourrissant". L'ouvrage est alors illustré par des bois d'André Derain.Par une attitude plutôt paradoxale, Apollinaire qui se veut le champion de la modernité, s'appuie sur un texte médiéval (la légende de Merlin).`Le principe de la réécriture d'un texte antérieur est bien dans la manière du moment. Ne voit-on pas Blaise Cendrars "piller" des textes de son ami Gustave le Rouge pour en faire des vers d'un genre nouveau.En s'identifiant à Merlin (à travers l'ignorance de ses origines, absence du père) Apollinaire peut édifier l'image du poète (qu'il n'est encore que dans les intentions, c'est son premier texte). En l'enchanteur Apollinaire cherche une définition du poète "le voyant" et qui se distingue de la condition humaine vouée à la solitude de chacun.C'est une sorte de dialogue entre Merlin et la fée Viviane, l'enchanteur lui délivre les ressorts magiques dont il deviendra la victime et il meurt des mains de la Dame du Lac. S'en suit le défilé des personnages mythiques, des animaux, toute une cohorte de monstres (comment ne pas penser à Lautréamont ) à quoi s'ajoute une quantité de personnages sortis des mythes et légendes comme si le poète avait pour compagnie des êtres sortis du commun et qu'il résumait à lui seul ce formidable patrimoine. L"ouvrage s'achève sur un rêve dont le style flamboyant annonce les dérives imaginatives du surréalisme.
Le monde de Vuillard (si tranquillement bourgeois) n'est pas éloigné de celui de Léon-Paul Fargue ,et leurs carrières sont contemporaines. "Sous la lampe" (photo) rejoint Léon-Paul Fargue qui publie en 1929 un recueil sous ce titre.Plusieurs textes de natures différentes.Des morceaux d'images arrachées à la mémoire. Dont la nostalgie des soirées familiales: "Je suis venu chez toi du temps de ma jeunesse.Je me souviens du coeur, je me souviens du jourOù j'ai quitté sans bruit pour surprendre l'amourMes parents qui lisaient, la lampe, la tendresse,Et ce vieux logement que je verrai toujours.Sur l'atlas enfumé, sur la courbe vitreuse, J'ai guidé mon fanal au milieu de mes frères. Les ombres commençaient le halage nocturne...."Un sous-titre qui met la poésie dans le sillon du quotidien "Banalité"Et c'est bien la puissance de l'art (de la poésie) que de sortir ces miettes d'instant du quotidien pour en faire des icônes aux riches connotations mémorielles, donnant tout son poids à la richesse des sensations qui accompagnent et donnent de la pérennité à des "riens". Sous la lampe, c'était, en des temps qui ne sont pas si lointains, le rapprochement des corps autour d'une occupations commune, dont celle, enrichissante, de la lecture qui pouvait se faire à haute voix. Quand, sous la protection d'une lumière familiale, on découvrait le monde dans son étendue exaltante, mais aussi effrayante à l'esprit encore fragile d'un enfant. Et de porter, ensuite, cet instant, comme la lumière d'un fanal au coeur de la plus profonde nuit de l'angoisse, quand les rites les plus innocents, retrouvent tout leur sens.C'est de n'avoir pas découvert le monde dans des livres richement ornés et lourdement reliés pour défier le temps, que des destins s'écrasent dans l'absurde.Sous le lampe c'est aussi le protection des âmes quand l'ombre qui l'entoure est pleine de menaces.
Une pauvreté totale va lier Picasso à Max Jacob au début du XX° siècle, quand l'un et l'autre découvrent Montmartre et sa bohème.Le fait de disposer d'un seul lit les conduit à s'y coucher alternativement, Picasso s'y reposant quand Max Jacob, tout dévoué à son ami, court les galeries pour tenter de vendre ses oeuvres. Une complicité à laquelle Picasso ne sera pas fidèle une fois le succès venu, mais dans l'intimité des débuts, il se plaît à caricaturer Max (comme il le fera avec Guillaume Apollinaire). On y découvre un Picasso, jovial, maniant l'humour avec un sens aigu du détail, et pratiquant la technique de la bande dessinée avec une réelle aisance.Comme pour Apollinaire il voit déjà son ami Max couronné par la gloire, les références mythologiques s'alliant sans complexe avec les notations les plus quotidiennes. Projetant le présent dans l'espace des mythes.
Tiraillé entre la vie mondaine et la méditation dans un isolement quasi religieux Max Jacob va faire alterner des séjours à Montmartre et à Saint Benoît sur Loire, dans le cadre d'une abbaye bénédictine qui élance sa majestueuse silhouette (un narthex exceptionnel) dans un paysage plat, et ondulant de riches cultures. La Loire paresseuse dans son voisinage immédiat.Tissant des relations de complicité pieuse (mais n'y avait-il pas une part de jeu chez Max Jacob ?) le poète et le curé du village entament de longues et quotidienne méditations dialoguées.Parce qu'elle participe étroitement de son quotidien, la poésie chez Max Jacob se confond souvent avec le carnet de notes, voire la correspondance (elle est considérable et d'une riche texture philosophique), elle rejoint un chemin de sagesse qui attire à lui de nombreux amateurs-poètes à l'âge des premières expériences d'écriture.Saint Benoît sur Loire devient ainsi, grâce à la présence de Max Jacob, une sorte de "Laboratoire central" en province. Des carrières poétiques s'y amorcent sous ses auspices, des amitiés (parfois équivoques) s'y ébauchent. Chez Max Jacob rien n'est transparent tant son homosexualité (qui l'encombre) fausse souvent les rapports qu'il entretient avec les jeunes. Il en sera de même avec Gide, sinon que ce dernier assume mieux son état et sa fonction de "maître à penser".
Fils d'un peintre amateur, Azéma Savigny, il optera pour le nom de sa mère quand il décidera d'être lui-même peintre. Mais professionnel. Max Jacob ami de son père décèle vite son talent et l'emmène à Paris, alors qu'il habite le Bateau Lavoir. Aussi la formation du jeune Pierre de Belay se fait elle dans le climat montmartrois.Ce sera un des aspects de son oeuvre (ainsi que le monde judiciaire où il se montre un observateur impitoyable) et sa Bretagne natale qui constitue l'essentiel de son inspiration.`Montmartre donc, de cette fin de siècle (et début du XX°), quand il est le foyer d'une intense vie artistique, tout en gardant son caractère villageois qui fait alors son charme et la bohème qui y trouve un cadre à sa convenance.Pierre de Belay côtoie alors le monde de la peinture qui se cherche de nouvelles voies. Lui ne s'engage dans aucun combat, aucune école, mais sait tirer parti des innombrables aventures encore solitaires (avant que l'Histoire ne les enferme dans des courants). Un éclectisme qui sert sa verve naturelle, son instinct très sûr (il le montrera dans ses scènes sociales). On est là à la fin de l'Impressionnisme, aux côtés de la flambée fauve et expressionniste, dans une ardeur qui donne toute sa verve à un paysage. Plus proche finalement de la tradition que des avant-gardes Pierre de Belay se posera dans son temps avec une indépendance qui va nuire à sa carrière, l'enfermant dans une sorte de provincialisme qui l'écarte des grands mouvements et de l'Histoire. Pourtant, grâce à l'attention de Max Jacob, il subsiste dans la mémoire de ceux qui s'attachent à la vie du poète et de la colonie montmartroise.Fréquente sont les liaisons qui se feront sous la houlette de Max Jacob dans un esprit d'indépendance, le poète ne jouant jamais le rôle de maître et se tenant lui-même dans une farouche indépendance face à une flambée d'innovations qui n'ont pas un effet direct sur son travail pictural.
Entrant dans la vie d'Apollinaire (pour elle il emménage rue Gros - d'où le Pont Mirabeau pour s'y rendre depuis la rive gauche) , Marie Laurencin va jouir d'un régime de faveur qui souligne les faiblesses du poète quand intervient un sentiment qui obère le jugement objectif.Il la classe parmi les peintres cubistes et dans l'ouvrage qu'il leur consacre n'hésite pas à la confronter aux maîtres les moins contestables du mouvement.L'amoureux Apollinaire (qui s'enflamme si facilement) ne rate jamais une occasion de signaler les oeuvres de sa maîtresse. Portant des jugements qui trahissent la force des sentiments bousculant les critiques strictement esthétiques.Ainsi, en 1912 : " L'art raffiné et élégant de Mlle Marie Laurencin est un des plus évidemment originaux qui soient aujourd'hui. Et si ses peintures ne rappellent absolument rien, ni par la composition, ni par le coloris, ni par le dessin, on découvre aisément que les sentiments et le goût qui les ont inspirées ne vont point sans analogie avec ceux qui ornaient l'âme des artistes français de la Renaissance. Et j'imagine que lorsque Mlle Marie Laurencin peint, les Grâces et les Muses se tiennent près d'elle pour l'inspirer."Lorsque le douanier Rousseau (photo) fait le portrait du poète et de sa muse il tente de traduire cette harmonie d'un couple lié au nom de la poésie.
"Nul, avant Survage, n'a su mettre dans une seule toile, une ville entière avec l'intérieur de ses maisons." En présentant une exposition Survage-Irène Lagut, dans le cadre des "Soirées de Paris", Apollinaire donne l'essentiel de ce qui fait la nouveauté de Survage, entré dans l'histoire de la peinture marquée par la modernité en situant ses repères dans le monde urbain mais seul à l'exprimer d'une manière aussi radicale sans raideur ni violence.Un jeu de découpe, de perspectives cassées, comme en un curieux effet de miroir, démultipliant l'espace et traduisant le fourmillement de la vie urbaine.Avec, cependant, et c'est ce qui pouvait retenir l'attention d'Apollinaire, outre l'esprit de "modernité", une humanité, presque une tendresse d'expression qui fait la part de l'homme dans un monde construit, défini dans sa rigueur. Tout comme la poésie d'Apollinaire affiche une modernité de ton mais n'évite pas (s'en targue) le caractère humain et presque confidentiel qui s'y développe avec naturel.C'est, qu'en poète, Apollinaire ne retient pas une oeuvre picturale uniquement pour ses qualités plastiques, mais pour le ton, la saveur humaine dont elle témoigne. Et qui s'accorde avec sa propre vision du monde, que sa poésie exprime.Il conduit la critique d'art en une étroite liaison avec la saveur des mots qui lui font écho.
Nombreux furent, à la fin du XIX° et au début du XX° siècle, les Salons où la maîtrise d'une femme orientait les carrières de ceux qui les fréquentaient.Beaucoup d'entre elles se piquaient de littérature et sous des noms d'emprunt commettaient des ouvrages qui rencontraient la bienveillance d'un public de fidèles qui n'y voyaient pas une concurrence dangereuse pour leurs propres productions. C'était le jeu mondain qui primait. Marcel Proust en fera le vivier de son univers humain, caricatural et assez grinçant (quel portrait affligeant de l'aristocratie d'alors !).Avec "la baronne" d'Oettingent les enjeux sont bien différents. D'origine russe, elle épouse un aristocrate qui lui donne son nom, mais elle le quitte pour venir à Paris avec son cousin le peintre Serge Férat, et ce couple étrange tient salon boulevard Raspail (au 229) où fréquente toute l'avant-garde de l'époque. C'est que cette femme, qui signera sous divers noms, et écrira sous celui de Roch Grey, dépasse largement par son tempérament (volcanique) et son talent (indiscutable), le simple rôle de mécène. Elle le fut pourtant, plaçant Apollinaire à la tête d'une revue qu'elle rachète (Les Soirées de Paris) et qui devient l'un des pôles de la vie artistique. Elle reçoit chez elle Survage, Modigliani, Picasso, Cendrars, Archipenko, Braque, Soffici, Max Jacob dans le désordre et l'enthousiasme d'une génération qui bâtissait les règles de la modernité. Un de ses titres de gloire aura aussi été de savoir apprécier le génie du douanier Rousseau dont elle achète plusieurs oeuvres et sur lequel elle écrit quelques pages nerveuses et originales.Plus laboratoire d'idées que salon mondain, ce qui le fait différent des autres et plus directement attaché à la création artistique auquel il fournira par ailleurs un véritable tremplin pour une plus large audience.
Suivons Apollinaire dans sa réflexion : ".... toutes les écritures plastiques ; les Egyptiens hiératiques, les Grecs affinés, les Cambodgiens voluptueux, les productions des anciens Péruviens, les statuettes nègres africaines proportionnées selon les passions qui les ont inspirées peuvent intéresser un artiste et l'aider à développer sa personnalité. C'est en confrontant sans cesse son art avec les autres conceptions artistiques, en ne fermant pas non plus son esprit aux arts voisins des arts plastiques qu'Henri Matisse, dont la personnalité déjà si riche pouvait se développer isolément, a pris cette grandeur, cette fierté assurée qui le distinguent". C'était en 1907, alors que Matisse débutait, Apollinaire a su voir loin ; le découpage de 1952, au terme de la vie de l'artiste, répond parfaitement à cette remarque qui anticipe toute sa carrière.Taxé d'éclectisme (pour l'en critiquer), Apollinaire milite pour une ouverture des arts à toutes les disciplines, écoles et courants qui peuvent en enrichir le développement. Matisse, loin d'être un dynamiteur de l'art, s'ouvre à toutes les influences, le XX° siècle est celui d'une large ouverture sur le monde. Apollinaire la vivra en tant que poète. Il sait voir, chez les peintres dont il vante l'émergence, cette dynamique de la pensée qui va les construire dans toute la force et la majesté de leur art propre. Matisse en est un parfait exemple.
Une fois qu'il aura été choisi comme résidence du roi (sous Charles V) le Louvre, jusque dans son constant développement, sera le point névralgique autour duquel Paris va croître.Sa liaison aux Tuileries va renforcer cette dynamique.Et voici un Palais déployé comme un labyrinthe et sa part de verdure reflétant les fastes de l'architecture dont elle est, comme l'eau d'un vaste bassin, le reflet.Verdure maîtrisée et guidée comme un simple ornement (une dentelle ?) avec sa part de pièces d'eau et de statues pour en dynamiser les circuits invitant à une promenade soumises à des rites, dont ceux de la Cour.Quand on dessine le plan de Turgot (juste avant la Révolution) le jardin des Tuileries a toute la rigueur d'une vie de Cour. D'ailleurs le petit peuple y est admis avec des réserves tatillonnes.Le temps viendra, car un jardin, comme un corps humain, connaît des phases diverses, où, devenu espace public, il retrouvera quelque chose de la force naturelle de la forêt (une forêt de convention) où l'on se perd sous ses ombrages et où tous les fantasmes de l'homme moyen se développent. Il devient le théâtre d'une vie sociale où l'idée de la rencontre (de l'aventure) prédomine.Certains jardins (le Luxembourg), sont le théâtre des jeux de l'enfance (Gide en sait quelque chose), Monceau a des secousses qui contrarient sa définition, et la littérature s'en empare. Le jardin des Tuileries, cette sorte de colonne vertébrale d'un Paris en expansion, devient la part d'ombre de la ville, son espace de liberté et de stupre. Il en faut bien un pour que la ville n'éclate pas de trop de fantasmes non vécus. A coeur de la ville, à l'abri de ses rumeurs, un morceau de nature (serait-il de fiction) devient la théâtre de tous les désirs, de toutes les folies, dont celles des fêtes nocturnes qui y sont ardentes.L'Histoire y a laissé des traces qui surnagent comme ces déchets que charrient des fleuves en crue. On se cogne à bien des ombres qui sont celles de notre mémoire collective (la Révolution y a drapé quelques unes de ses plus légendaires séquences), on s'y cogne aussi à ses propres désirs, comme en un territoire d'illusions. Bruissante tache verte sur la carte, elle n'est pas une Aracadie de secours, et parfois un coupe-gorge pour mauvais sujets.D'ailleurs une légende veut que les animaux en bronze du sculpteur Cain, qui ornent les escaliers côté rue de Rivoli, sortent de leur inertie, la nuit venue, et transforment le jardin en une jungle effrayante.
Il y avait le "Guetteur mélancolique", il y a, d'une présence tenace, "Le flâneur des deux rives". Dans le titre même qu'il aura choisi, Apollinaire donne le ton. Il est exemplaire. Parler de l'art dans le rythme de la marche que justifie la recherche des oeuvres (visites des ateliers, des galeries, des musées), ouvre une perspective de lecture (d'analyse) qui défiera les lourdes théories, les discours pontifiants qui font écran à la lisibilité (l'amour) de l'oeuvre concernée.Elle est la clef d'une approche de l'oeuvre d'art qui jouera de la spontanéité, de l'émotion, de la fraîcheur de la sensation, la meilleure mesure pour en apprécier la force et la valeur de communication (et d'expression) qu'elle est censée porter en elle.Flâner est un art, dont Apollinaire savait, plus que quiconque, tirer toute la saveur.Dans ma génération de "critiques d'art", qui venait de la littérature plutôt que de l'Université, cette manière de parcourir le territoire de la création nous paraissait la seule possible. Nous étions des piétons de Paris (l'allusion aux deux rives, désignait bien Paris comme lieu de prospection - et de flânerie), aussi bien portés à fouiner du côté de la poésie que de la peinture. Allions de bouquineries en galeries dans une continuité de lecture qui jetait des ponts entre littérature et arts plastiques. D'où l'éclectisme d'Apollinaire (souvent critiqué) et ce refus de monter des frontières entre les genres, osant des rapprochements qui font injure à la logique des théoriciens, mais relèvent des élans spontanés vers des oeuvres qui répondent à une forme de sensibilité à laquelle, en revanche, on était fidèle.Apollinaire est alors un modèle. On va le suivre dans les méandres de sa démarche de piéton inspiré.
Fernand Léger, au début du XX° siècle, alors qu'il incarnait la modernité (on en est revenu !) avait porté son attention sur le mur. Le mur, support d'une expression picturale qui n'avait rien à voir avec la peinture murale classique. On le considérait en tant qu'oeuvre d'art spontané (publicités, affiches) à quoi s"ajoute bientôt l'intérêt que l'on porte au graffiti.Imaginons la jonction de tous ces éléments, un chatoiement des couleurs et des formes porté par l'affiche et l'apport occasionnel, accidentel, spontané, des éléments climatique (pluie, vent), de la main du passant qui intervient sur l'affiche, en déchire des morceaux, y ajoute une écriture qui est celle de la hâte, voire de la protestation.Un art est né, celui de l'affiche lacérée.Quelques artistes des années 60 (Villéglé, Hains, Rotella, Vostell, Dufrène) ce sont spécialisés dans cette quête de l'affiche comme support artistique d'un geste créateur qui s'incarne dans l'arrachage, lui même devenant un élément intervenant dans un résultat où jouent le hasard, le rythme même de la rue. Car cet art est étroitement lié à la vie urbaine. Il s'inscrit dans la hâte, la fébrilité du climat de la ville et retrouve quelque chose de la rudesse des éléments, tout comme la peinture qui lui est contemporaine et se résume à sa seule émergence sur la toile (Fautrier, Dubuffet).L'attrait de cet art c'est qu'il mêle forme et mots, couleurs et matières (l'épaisseur créée par les couches successives des affiches collées les unes sur les autres). Il devient le territoire de cette alliance aléatoire et qui est une obsession de l'art : cette rencontre du mot et de la forme. C'est aussi le règne de la lettre, ce support du rêve (que l'on songe à Mallarmé, aux dadaïstes). Un support sans limites.
Est-ce que la musique a une couleur ? Sera-t-elle la même pour tous. Et n'est-ce pas de cette différence que chaque oreille prêtera à la musique qu'elle aime et perçoit avec toute l'acuité qu'elle exige que s'imposera une atmosphère spécifique. Beethoven ne peut-être que sombre, dans une palette où dominent les crépuscules orageux ; Wagner tout en éclats, un arc en ciel à la théâtralité grandiose ; Mozart dans la douceur des teintes qui cherchent la lumière ; Liszt avec des brillances appuyées, et ainsi de suite.On parlera d'une palette musicale.Les rapports de la peinture avec la musique ( ici Raoul Dufy ) en disent long sur cette approche où la couleur l'emporte et domine sur la définition formelle du sujet. C'est moins une image qu'on attend qu'une couleur dominante.
Quand Botticelli fait naître Vénus c'est dans tout un appareillage théâtral, des figures d'accompagnement de caractère mythologique, tout un contexte littéraire qu'il convient de déchiffrer pour apprécier pleinement l'esprit et le sens de son tableau.Moderne, Dufy va vers des solutions plus radicales, simplifiées à l'extrême et la lecture du tableau s'inscrit plus volontiers dans un climat de réjouissances qui sont de son temps. Hymne d'abord à la mer. Vaste et prometteuse de délices naturels. Une mer de vacances, de plage mondaine, avec le jeu charmant et futile des voiles qui serpentent dans les courants de l'air que l'on devine parfumé des profondeurs marines.Il n'est pas jusqu'au défilé malicieux des nuages qui ponctuent un ciel de plein été. Tout est dit du plaisir de la plage, de la complicité aimable des eaux qui sont celles des sports et d'une nature conçue (ou rêvée) pour le plaisir des sens.Alors, posée sur le bord, presque en figure de caryatide, une baigneuse à l'écoute d'une conque où la légende veut qu'on entende la rumeur lointaine de la mer.A l'écoute de lointains horizons marins, dans sa nudité innocente et tranquille, elle est une déesse de pacotille, comme on en voit dans les pièces d'Hoffmann, de pure convention, mais résumant dans une charmante simplicité toute la nostalgie d'un merveilleux qui vient de notre enfance et de son cortège de contes et légendes. Moins déesse que femme d'un aujourd'hui charmeur.
Ce fut un grand moment de télévision, comme Bernard Pivot savait, dans le cadre de son émission (Apostrophes) les provoquer. C'était dans les années 80, alors que Brigitte Lahaie, qui avait tourné des films pornographiques de 1976 à 1980, avait alors abandonné un univers qu'elle avait enchanté par quelque chose de lumineux et d'ardent (mais de réfléchi) en elle, et se posait déjà en théoricienne de l'érotisme, et que, sur le même plateau, somnolait André Pieyre de Mandiargues dont la prose à la fois recherchée et audacieuse s'alimentait d'un érotisme qui pour être très intellectualisé ne manquait pas d'efficacité et imposait au lecteur un univers non dénué de cruauté.Une confrontation (molle), entre un intellectuel fatigué et une femme dans la force de l'âge qui connaissait, et en jouait habilement, sa force de séduction.Habile, cette ex-actrice du porno, se posait en femme réfléchie, minaudant jusque ce qu'il fallait pour rester dans son rôle, mais donnant la version humaine de ses choix, comme l'acquisition d'une totale liberté arrachée par la femme moderne aux préjugés dont elle avait été jusqu'alors la victime.Nullement agressive, ni aguicheuse, un rien distinguée, quand Mandiargues ne la regardait pas et semblait même l'ignorer. Snobisme, dédain, ou brusquement fuite devant celle qui aurait pu être un de ses modèles et qu'il ne voulait connaître que sur le papier.C'était ce contraste entre le triomphe modeste (presque réservé) de l'incarnation du sexe vécu et l'étrange absence ou repli de celui qui en incarnait la matière littéraire la plus aboutie, qui donnait à cette confrontation tout son prix et sa saveur.Peu de temps après Mandiargues devait mourir. J'ai souvenir de l'avoir vu, au musée Carnavalet, quasiment traîné par sa compagne Bona comme l'ultime ombre de lui-même. La magnificence de ses livres plaide pour sa survie. Qu'en sera-t-il de Brigitte Lahaie, le temps de sa beauté passé.
C'est en procédant à une lecture en gros plan sur un corps que l'on peut le plus fortement lui donner une dimension érotique qu'il n'aura pas, vu dans son ensemble. La lecture d'une anatomie peut ainsi être guidée par une mise en valeur du détail. L'oeuvre de Michel Ange s'y prête d'autant mieux qu'il sait donner à chaque parcelle de corps qu'il traite amoureusement, cette vie frémissante que la chair révèle comme une sorte de cartographie du fonctionnement des organes. On y sent le jeu des muscles, la circulation du sang, l'onde mystérieuse des sensations qui y sculptent des sillons, cette nature si particulière de la peau qui n'est inerte que dans la mort. Michel Ange montre un corps en ébullition intime, un corps désirant, aurait-il cette allure impérieuse du corps triomphant de sa seule force.C'est toute l'ambiguïté de son oeuvre, et de son regard sur le corps masculin, qu'il nous montre des athlètes et révèle des corps en extase. Dont celle d'être. Qu'il y donne une coloration religieuse ne doit pas leurrer car dans sa vision des saints (et même en souffrance) l'Eglise semble se complaire devant la beauté corporelle des acteurs de son Histoire.
S'il n'a pas l'audace (agressive) de certains de ses contemporains Vuillard mène, dans la discrétion, une remise au cause de la peinture pour qu'elle vive de son propre souffle au delà du sujet. Non qu'il renonce à celui-ci. Il prédomine toujours et garde sa totale lisibilité. Mais le peintre fait passer, dans l'écriture, une certaine manière de "poser" la peinture, de définir la touche, quelque chose de l'émotion qui justifie cette mise à plat d'un sujet, où il va dénicher une histoire, un déclic qui ne sera pas que visuel, ou à travers lui, traduit une atmosphère, un moment. De grâce, de questionnement, de doute, rarement enjoué (il est d'une nature trop tranquille) mais emporté par la fulgurance (un mot un peu fort pour lui) de l'émotion. Celle-ci reste pourtant trop mesurée pour inspirer un trait de vigueur, encore qu'il y a chez lui, jusque dans sa peinture, cette promptitude de la notation écrite, dessinée, comme chez Toulouse-Lautrec, mais sans la mise à plat de ce dernier, qui impose une image quand Vuillard la fait doucement apparaître comme au sortir d'un rêve (plutôt d'une songerie).Et le voici au centre d'un lieu qui joue un si grand rôle dans la vie sociale (surtout au XIX° siècle). Il est dans le registre des établissements mondains, avec une certaine élégance dans l'atmosphère (cadre et personnages). S'il se pique d'audace, au delà de la simple lecture d'un lieu et de ses rites, c'est dans cette sorte de dynamique donnée à un vaste travelling avant. Comme une creusée mobile dans le coeur du sujet.
C'est bien tout l'attrait de la peinture de Vuillard d'être hors des chemins de l'Histoire de l'art qui, pour sa génération, voulait qu'on révolutionne la peinture pour en analyser le fonctionnement, alors que lui, ayant dépoussiéré les principes académiques, et s'en prenant directement à la réalité, sait lui donner cette subtile beauté des choses secrètes derrière l'évidence de leur présence. Rien de ce que l'on voit n'est dispensé de mystère et de ces nuances qui font que chacun voit le réel selon son tempérament, ses pulsions les plus inconscientes, et sans doute sa culture.Tout a l'air si tranquille dans ce monde bourgeois, attaché au quotidien, donnant du poids aux gestes les plus simples, les plus ordinaires. C'est une quiétude piégée. Quelle attente souligne-t-elle, quelle nostalgie ?D'être d'apparence si tranquille, ne donne pas de la réalité sa vraie mesure. On sait Vuillard d'un tempérament placide (il restera célibataire toute sa vie) et vivant dans l'intimité de sa mère un quotidien qu'aucune fièvre (connue) ne disperse ou trouble. Derrière cette quiétude peut-on voir une nostalgie si fine (si racée) qu'elle est à peine perceptible, et comme camouflée par le semblant de sérénité que sécrète cette touche qui a des douceurs de caresse, peut-être une légèreté qui est aussi celle de l'oubli. Passer comme un souffle discret sur le temps qui s'écoule, ne pas poser sa marque, mais simplement glisser un frisson sur la peau des choses, l'histoire des gens. Non dans la fuite, mais le murmure, et comme le refus de s'imposer, d'imposer ses angoisses.Je vois, dans ce fauteuil vide, sur l'ouverture tranquille à la nature, l'attente d'un Godot de bonne compagnie. C'est un théâtre bourgeois que celui de Vuillard. Même la douleur (et l'attente) se joue sur une musique de chambre.
De la nostalgie des petits cafés de campagne où il fait bon traîner son chien et un bouquin pour déguster (bien qu'en contrariant les prescriptions médicales) quelques boissons sirupeuses qui finissent par donner soif (un comble !). Mais on ne va pas dans ce genre de café pour boire (ce n'est qu'un leurre) mais pour "passer le temps", le voir passer grâce à des menues choses qui rythment la vie campagnarde et donnent du poids à chaque instant.Un café citadin est soumis aux lois de la ville. Il fonctionne dans l'urgence, sur un rythme qui secoue le temps, le brise en mille petites choses qu'il faut attraper au vol. A moins de se retirer dans quelque quartier éloigné où traîne encore une atmosphère à la Doisneau. Ils sont de plus en plus rares et souvent squattérisés par des communautés qui en ont fait leur quartier général.Je parle des cafés où s'affirme la solitude et qui y offre une version savoureuse, celle qui permet de se retrouver. On y rencontre des personnages repliés sur eux-mêmes et plongés dans une longue rêverie, comme dans une voluptueuse étreinte de la mémoire qui y déploie ses images que l'on y retrouve avec la clarté que donne parfois ce décrochement d'avec la réalité.Double plaisir que d'y goûter le spectacle qu'il offre jusque dans le rituel du service, et paradoxalement cette possibilité d'hiberner en soi. Comme dans cette somnolence qu'offre une légère ivresse.J'y vois, en figure emblématique, la haute figure de Verlaine (aussi fidèle aux cafés du boulevard Saint Michel qu'au plus modeste troquet ardennais). Il est une sorte de dieu lare du bistrot comme ces figures de saints qui trônent dans le choeur des églises.peinture de Gérard Cochet.
La mécanique du corps.Face au corps Man Ray déploie de multiples jeux de métamorphoses, non pour le supplicier (voire ?) mais tirer de lui des formes qui lui sont étrangères ou illustrent ses limites, pour les défier. Corps en instance de se dissoudre dans la lumière, de muter en de nouvelles espèces (espaces) pour connaître une autre respiration.Ou alors lui trouver de nouvelles définitions, lui offrir de nouveaux destins. L'architecture du corps humain est le résultat d'une multitude d'adaptations à son environnement. Il trouve son harmonie (sa beauté) dans cette aisance à se mouvoir dans un cadre qui l'a sculpté (et un temps qui l'a affiné).Défiant cette chimie imposée, pourquoi ne pas poser l'idée d'une autre anatomie (Bellmer avec la poupée le suggère). Mutations secrètes qui permettent à la conscience incluse dans le corps comme le diamant dans le chaton de la bague, de s'ouvrir à de nouvelles perspectives (de nouveaux mondes ?) .Las, faute d'ouvrir le corps (Jacques Hérold l'a fait) qui implique la blessure, on l'enferme d'abord dans des habits qui offrent un semblant de métamorphose (sur un ton ludique) ou on le soumet à quelques contraintes qui vont de la caresse à la violence (d'où l'idée que la pratique du sado-masochisme peut être une forme d'amour !).Restons simples. Ce ne sont là que des spéculations qui trouvent leurs solutions dans des formules relevant de l'art. Ne sont-ce pas les artistes qui imaginent des définitions corporelles si éloignées de celles qu'ils célèbrent, dans l'intimité.
Combien j'enviais ceux qui, disposant de suffisamment de liberté, pouvaient, s'ils le désiraient, s'abstraire de leur quotidien pour se retirer en quelque lieu de leur choix, emportant encre, plume et cahier, et dans quelque hôtel de campagne et une studieuse solitude, s'employer tout entier à la rédaction de quelque roman qui aurait trouvé sa source d'inspiration dans le lieu et la situation ainsi créée.Une oeuvre littéraire qui aurait été ainsi le journal de bord de sa création. Fictions, souvenirs, impressions dans le creuset d'une sorte de journal de voyage, le carnet d'une mise entre parenthèse d'un quotidien autrement totalement occulté par les lois domestiques.Certains vont au bout des Amériques pour trouver l'inspiration, un coin de campagne me paraissait suffire. Un village joliment dessiné autour et dans la complicité d'un courant d'eau qui pouvait être de modeste débit, un circuit de rues qui s'emboîtent, se succèdent, se lovent autour d'une place qui marque le point névralgique du village, avec son arbre plus que centenaire, cerclé par un banc fait de vieilles planches usées par les fessiers de plusieurs générations de ces petits vieux qui regardent l'avenir, le menton reposant sur le pommeau de leur canne et qui se noient dans leurs souvenirs.L'hôtel de la poste (ou du marché, ou du cheval blanc ou commerce ) offrant sa large terrasse pour l'apéritif du soir.De longues semaines écoulées là dans la quiétude villageoise, et poussé comme un défi, quelque fait divers qui prend des allures de scandale, réveille de vieilles histoires locales et fait prendre au texte qu'il inspire, un ton de roman policier.A moins que, à moins que, logé en quelque demeure écartée de la vie villageoise on ait posé sa table sur le bord d'un modeste jardin et trempé sa plume dans le rythme paisible d'un bonheur simple, qui n'est bonheur que s'il est menacé.
C'est un aveu, c'est une invite, ce sont les mots définitifs qui balisent la Carte du Tendre que nous propose André Breton :"On peut, en attendant, être sûr de me rencontrer dans Paris, de ne pas passer plus de trois jours sans me voir aller et venir, vers la fin de l'après-midi, boulevard Bonne Nouvelle, entre l'imprimerie du Matin et le boulevard de Strasbourg. Je ne sais pas pourquoi c'est là, en effet, que mes pas me portent, que je me rends presque toujours sans but déterminé, sans rien de décidant que cette donnée obscure à savoir que c'est là que se passera cela (?). Je ne vois guère, sur ce rapide parcours, ce qui pourrait, même à mon insu, constituer pour moi un pôle d'attraction, ni dans l'espace ni dans le temps. Non : pas même la très belle et très inutile porte Saint-Denis".Breton errant, frôlant les ombres de Lautréamont (un riverain) de Gérard de Nerval qui venait chercher à la sortie des artistes du Gymnase Jenny Colon qui toujours lui échappait. Et Baudelaire, et Baudelaire, il était à la fenêtre du 11 (aujourd'hui fripes et frites), veillant sur la foule qui glissait là à la recherche du plaisir.Aujourd'hui les Nadja avancent dépoitraillées comme les Amazones de la légende, et bottes hautes qui frappent la chaussée, en bandes bruyantes et provocantes, guettant la proie de leur désir calqué sur des prototypes diffusés dans les revues qui, sur papier glacé, dictent les lois de la séduction.Sur les bancs où Breton devait venir rêver, des sans abris cuvent leur vin avec dans le regard un mélange de défi et de rancoeur. Comme un phare avancé en pleine mer la tour-signal du Grand Rex sert de repère à une foule en détresse.Le Gymnase donne dans le spectacle d'humour, genre dévoyé par la télévision, et un petit cinéma caché dans une ruelle adjacente passe pour être l'ultime porno de Paris. Une Poste vaste comme une gare a remplacé ce qui fut une sorte de Bonheur des Dames. On y débite des enveloppes pré-timbrées que s'arrachent de vieilles dames qui ont d'étranges et de mystérieux correspondants en de lointaines provinces.La Carte du Tendre a rogné ses doux rivages, dévasté ses bosquets et empli de fiel le modeste ruisseau qui y coulait à en croire les confidences mondaines et l'imaginaire de Mademoiselle de Scudery, et que Breton avait déjà traduit en sol de béton et néons sur les façades. Mais on le sait désormais, les néons sont menteurs.
La fascination du dos féminin sur les peintres et les photographes ne date pas d'hier. La plasticité qu'il incarne atteint la perfection (Velasquez, Ingres). Le corps y décline toutes les beautés de l'harmonie que réclame son fonctionnement (il est avant tout une machine), et une certaine idéalisation de la chair qui y est sculpturale et terrain de toutes les douceurs.Il peut suggérer dans sa nudité tranquille un paysage (n'est-il pas le paysage de tous les rêves érotiques !), il peut s'incliner dans l' onctuosité d'une sensualité apaisée (l'odalisque ), il peut se dresser, devenu torse, cette affirmation du corps triomphant. A partir de lui le développement du corps s'organise selon la situation invoquée, la recherche esthétique qui l'accompagne, le célèbre.
Quand Malevitch vide l'espace de la peinture de tout son contenu, pour retrouver le blanc virginal du vide c'est en suivant une logique mentale, un raisonnement, intellectuel, une volonté ostentatoire de marquer des points dans cette attaque en règle dont la peinture fut l'objet (et la victime) au début du XX° siècle.Après lui, point de salut comme après Duchamp et pire encore parce que Duchamp ouvrait la voie à tous les faiseurs de simple choix crédité de valeur artistique, alors que Malevitch lavait le tableau de toute prétention que d'être sa matérialité même. Une nudité monacale.Vint Miro qui remplissait sa toile des multiples détails d'une réalité vue au microscope (La Ferme). Passant alors progressivement du plein réaliste à une sarabande mi moqueuse, mi enchantée, de faits picturaux détachés du vrai pour s'inventer du merveilleux, de la fantaisie, le pur plaisir de danser la peinture.Comme Pollock, qui explore l'espace infini par la liberté accordée au pinceau de s'élancer sans la lourdeur de la représentation, Miro va élargissant son champ d'investigation spatiale et atteindra la peinture sans limite, le vide sidéral.Du bleu des vastes espaces il s'enchante. Il pourrait y choir. S'étourdir.Alors, comme des repères, il pose des totems qui ont pour fonction de fixer un espace, d'en concentrer l'esprit. Il décline, sur un rythme de danse intime, une affirmation primaire de soi. Retrouvant la magie des signes premiers.
Le 18 septembre 1886, un poète d'origine grec (Jean Papadiamantopoulos) admirateur de la poésie française et qui avait adopté le nom claironnant de Jean Moréas publie, dans le Figaro, un manifeste qui devait ouvrir la voie du Symbolisme. Façon d'en finir avec les tableautins rigides et emphatiques du Parnasse. La "fin de siècle" est extraordinairement féconde en courants, écoles, chapelles qui se livrent à d'impétueux combats, les cafés du Quartier Latin étant le champ de bataille où exercer sa verve ; car ces remueurs d'idées étaient aussi volontiers des tribuns de bistros. L'allure, l'attitude choisie, et jusqu'à la manière de se vêtir comptent dans l'établissement d'une réputation, et l'importance de son crédit.Les Stances restent l'ouvrage le plus célèbre de Jean Morèas et déjà s'y manifeste un revirement de l'auteur vers une forme de classicisme. C'est qu'ayant imposé le symbolisme il se refusera à y faire jouer la complexité du verbe qui deviendra presque ésotérique, quand Mallarmé le portera aux limites du possible.Un esprit de clarté qui refuse l'échappée belle vers des zones incertaines de la conscience. Il reste un terrien. Trop encombrée de théories la poésie de Morèas s'enferme sur ses préjugés. N'est-elle pas aussi prisonnière des mots dans leur définition la plus évidente, d'un partage aisé. Ce n'est pas avec des mots que l'on fait la poésie, mais avec ce qu'on en tire, la substance secrète, l'écho lointain de ses origines. Il doit faire rêver. Comme une femme, un mot a besoin d'être aimé pour ce qu'il a de plus secret.
On dit cheminer (et non marcher) et, instantanément, c'est un nouveau style de vie qui s'annonce. Excluant la hâte, l'impérieuse nécessité qui justifie un déplacement du corps dans un espace qu'il appréciera d'autant mieux que ce sera pour le plaisir et non quelque raison d'ordre pratique.Cheminer implique un temps différent pour aborder l'environnement, un regard d'autant plus intense qu'il n'a pas d'autre objectif que le hasard, le plaisir de la rencontre, de la découverte. On se laisse glisser dans une sorte d'adhérence totale avec l'environnement qui se fait palpitant, ardent, ouvert, complice avec nous, comme une sorte de recherche d'unité fondamentale. On échappe à la pesanteur charnelle du corps qui est le pire des maux dont le destin nous afflige.Avoir perdu le Paradis terrestre serait cette difficulté à sentir les liens fondamentaux, profonds, qui nous unissent à la nature. On ne faisait qu'un avec elle avant le péché originel (la soif de la connaissance). On retrouve une partie de cette innocence première quand on aborde la nature dans cette lenteur de la jouissance qu'elle nous inspire.
Il est bien significatif que la plupart de ceux qui sont penchés sur le destin de Van Gogh ont bien souligné qu'ils jugeaient moins le peintre dans une évolution esthétique qu'un homme blessé dans la recherche (éperdue) de sa vérité.L'oeuvre s'invente sa propre écriture, sa dynamique, elle fonctionne par pulsions, saccades, crises, n'obéissant pas à une trajectoire qui la conduirait vers la meilleure réalisation de ses ambitions, mais toujours dans l'urgence, en climat sans cesse reconduit de crise. Non pas crise d''expression mais crise de vérité, trouvant chaque fois (dans l'improvisation, la fièvre) la réponse, jusqu'à annoncer (sur toile) sa propre mort.Situation assez singulière, et unique dans le principe de la création qui s'appuie d'ordinaire sur une perception personnalisée de la réalité alors que Van Gogh se projette dans la réalité qu'il peint. Elle devient le cadre (le miroir ?) de son état du moment. Elle est moins la réalité dans sa situation immuable (elle ne l'est que pour ceux qui ne savent pas voir), que dans la fulgurance d'une sensation qu'elle inspire, alimente, et que le peintre renvoie en image.Un lieu, vu par Van Gogh, est un état d'âme.
En se posant comme un art "anticulturel" l'art brut affiche une indépendance qui ramène chacun de ses artisans à la solitude de sa création. Fonctionnant de plus en plus dans un mouvement de progrès, s'appuyant sur la connaissance du passé (pour le nier) l'art en place fonctionne par groupes souvent articulés sur des théories, des références, des objectifs communs. Il épuise progressivement des "inventions" (ce sont les inventions qui servent de point d'appui pour un éventuel développement du groupe). On fonctionne dans une sorte de logique. Tout écart précipite celui qui s'y risque dans l'abandon comme quelqu'un qui s'écarte de la masse, de la pensée unique qu'elle diffuse et érige en dogme.La pratique de l'art, non plus en suivant des mots d'ordre, des consignes, des modes, mais des élans propres, des motivations plus intimes, un rapport parfois fondamental avec un moyen d'expression qui n'est ni un luxe, ni une fantaisie, mais une sorte de respiration mentale (le sang d'une vie personnelle), maintient celui qui s'y adonne dans un solitude qui se confond souvent avec des problèmes mentaux. Raison pour laquelle ses artisans (des retraités, de marginaux, voire des fous) n'existent aux yeux des autres que par accident ou par suite d'avoir été repéré (récupéré) par un observateur plus attentif (plus fin) qui aura fait office de "passeur". S'il n'a pas manqué d'en tirer profit pour lui-même, Jean Dubuffet aura été l'un d'eux.