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lettres de la campagne

posté le 27-08-2009 à 23:16:00

Avis au visiteur.

Quand on allait rendre visite à Pierre Albert Birot, dans son antre de la rue des Saint Pères (au 73 déjà célèbre pour avoir été l'adresse de Remy de Gourmont et en quelque sorte sa cellule de travail), on trouvait sur la porte et un peu partout dans l'appartement des affiches pour notifier faits et gestes. En voici le leçon.Interruption de ce blog jusqu'à la mi septembre, pour cause de voyage.
 


 
 
posté le 27-08-2009 à 15:19:15

Tzara en homme d'affaires.

En forme de souvenir. Ce devait être un soir d'hiver, il pleuvait sur un Paris refroidi, rue de Lille, dans les premiers numéros, un immeuble bourgeois de bon standing, l'appartement de Tzara. Un musée ethnographique dès l'entrée, et, dans le bureau, une bibliothèque de livres précieux. Il doit me confier des inédits de René Crevel pour un petit numéro d'hommage de la revue "Temps Mêlés". Il ouvre de grands et profonds tiroirs, admirablement rangés, en sort des dossiers comme le commissaire de police, celui d'une enquête menée à son terme. Il déborde de documents. Et voici quelques feuillets et un texte (médiocre mais le meilleur a été publié) de Crevel. L'homme est froid, précis, et fait plutôt penser à une puissant homme d'affaires. J'ai droit en prime à un numéro de la revue "Interventions" où figure un texte de Crevel. Cela ressemble, austère, à une revue de sociologie. On en restera là. Je pense que Dada était loin puisqu'on on en était à la phase muséale.
 


 
 
posté le 27-08-2009 à 15:15:59

Sur les pas de Jarry.

Sur les pas de Jarry.On connaît la célèbre photographie de Jarry sur sa bicyclette "du côté de Corbeil". Voici, déniché du côté des archives de Louise Faure-Favier (une amie d'Apollinaire), la photographie de la maison du couple Vallette-Rachilde où Jarry venait passer ses dimanches (ayant par ailleurs une manière de baraque construite sur la Seine, aux abords).La villa de Corbeil était l'annexe du Mercure de France, et avait des allures de phalanstère. Jarry venait  y faire ses facéties, quelques unes des aventures les plus légendaires avaient Corbeil pour cadre. Il était de l'ordre des usages bourgeois de l'époque de posséder une propriété proche de Paris mais offrant tous les avantages de la campagne. Les bords de la  Seine, célébrés par les Impressionnistes, sont en faveur (les Nathanson à la Grangette et Mallarmé, du côté de Valvins). Editeur des symbolistes, Vallette ne pouvaient échapper à cette mode.
 


 
 
posté le 26-08-2009 à 20:40:00

Brassaï le piéton du merveilleux.

Piéton de Paris, comme son ami Léon Paul Fargue dont il a laissé un étonnant portrait "nocturne", sans doute témoignage de leur complicité, Brassai est un oeil en permanence ouvert sur les singularités du réel (version dynamique de cette intrusion du rêve dans la réalité qu'évoque Gérard de Nerval et certainement aurait-il été son complice dans les errances du bon Gérard).Brassai capte, comme le chasseur de papillons avec son grand filet, des instants sans jamais forcer sur le trait, ni composer, se donnant seulement la chance d'être là au bon moment, quand un de ces petits miracles qui enchantent notre quotidien se produit. Il est vraiment le poète des instantanés (il est aussi celui des ambiances, on en rencontrera). Il donne de la ville  (en  l'occurrence Paris) des images que l'on dirait hantées. Les êtres y sont toujours singuliers même s'ils se livrent à des tâches ordinaires, s'ils sont dans leur élément.  C'est l'art de BrassaÏ qui les fait basculer dans l'état de ce merveilleux invoqué par André Breton.
 


 
 
posté le 26-08-2009 à 12:26:11

Le voyou Rimbaud.

Il est des sujets tabous. Contester, critiquer certaines catégories sociales relève du délit. On peut nous entraîner devant les tribunaux pour quelques remarques jugées désobligeantes, voire criminelles par exemple si l'on porte un jugement sur les juifs (ayant plus d'indulgence, inexplicablement,  quand il s'agit des chrétiens ou des musulmans). Il en est de même en littérature et curieusement vis à vis de ses figures les plus déterminantes. Sade ici, Rimbaud là (pour l'exemple).Rimbaud donc. Sans nul doute une plongée dans la verbe que nul n'avait osé porter si loin, quitte à s'y perdre (et lui, en fuir les prestiges), une radicalisation du rôle de la poésie qui l'érige en modèle ;  peut-être en fait-on une sorte de saint et martyr comme l'église catholique a tant aimé en placer sur le calendrier des postes.Le surréalisme à travers Breton, son mentor, aura été l'un des plus clairvoyants détecteurs de son temps et on lui doit une révision radicale de notre panthéon littéraire. On peut le suivre. Et la gloire de Rimbaud (tout comme celle de Lautréamont) lui doit beaucoup. Alors, peut-on oser émettre des réserves sans passer pour un lourdaud, un béotien, quelqu'un, justement, de cette catégorie que l'enfant génial de Charleville poursuivra de sa haine.La traversée du verbe (comme il y a la traversée du miroir - mais n'oublions pas en retenue et sans se croire obligé d'agresser l'opinion, le rôle aussi essentiel de Mallarmé) aura conduit Rimbaud  à fuir jusqu'à la reconnaissance qu'elle entraînait. D'où ce Rimbaud double : l'enfant insolent (et parfois irritant) du Quartier Latin et des Vilains Bonshommes, et le marchand d'arme du Harrar. Un palmarès qui donne, à en croire ses biographes, les clefs pour le comprendre. Mais n'est-ce- pas là une assez complaisante et naïve manière d'excuser ses "mauvaises manières".Le génie (?) doit-il tout excuser ?On voudrait nous le faire admettre. Au prétexte que la réalité est horrible, mais nul n'y échappe ;  peut-on tout oser pour la contredire, quitte à y sacrifier la qualité des rapports humains. Par exemple (il y en a de multiples), l'attitude de Rimbaud vis-à-vis de Verlaine confine à la plus détestable muflerie (ne va-t-il pas jusqu'au chantage pour affaire de moeurs dont il était lui-même l'objet trop aimé) et l'on passera sur de louches trafics comme des  ventes d'armes accomplies dans la plus parfaite tradition des aventuriers les moins recommandables.Alors on portera sur l'autel de toutes nos admirations un petit voyou qui avait tenté, par la poésie, d'outrepasser l'horreur du quotidien, d'un réel qu'il frappait de son plus total mépris. Il en résulte des poèmes d'une vertigineuse beauté. mais fallait-il pour cela se rendre odieux ?
 


 
 
posté le 25-08-2009 à 15:45:20

Jean Cocteau sous le feu de la critique.

La hargne dont témoignait Philippe Soupault contre Jean Cocteau était assez représentative de l'état d'esprit du groupe surréaliste qui voyait en lui un arriviste, toujours à l'écoute des dernières nouveautés, touche à touche futile et opportuniste. Il y avait du vrai dans un jugement qui aura été  cependant trop radical et systématique au point de rejeter en bloc une oeuvre qui, dans tous ses aspects, révèle un prodigieux inventeur, un poète surtout (et romancier) et un dessinateur qui avec une aisance stupéfiante va accumuler des thèmes, des figures, des plongées inspirées dans les domaines les plus divers dont ceux des mythologies.Tout chez Cocteau paraît trop facile et c'est son habileté même qui lui portera tord. Un préjugé moderne veut que la création s'accompagne de souffrance, d'une nécessité intérieure qui engage totalement l'individu dans sa recherche. Toute spéculation et sujet apparemment gratuit est condamné. Et c'est ainsi que toute une partie de la production  contemporaine va choir dans une sorte de purgatoire où la critique professionnelle avait quelque crainte à se risquer craignant les condamnations les plus intempestives.
 


 
 
posté le 25-08-2009 à 12:06:12

Apollinaire sur le chemin des dames.

Le nom même du lieu était prédestiné pour l'aventure personnelle d'Apollinaire vivant les affres d'amours malheureuses avec plusieurs "amantes" de coeur, de Louise Coligny-Châtillon (dite Lou), à Madeleine (avec laquelle il y aura officialisation des fiançailles) et Jacqueline (la rousse) enfin, qui épousera la poète avant la fin de la guerre mais quelques mois seulement avant la mort de Guillaume.Source pour Apollinaire d'une abondante correspondance et de poèmes, le tout entrant pour une large part dans la constitution d'une oeuvre qui en gardera le ton si particulier. Pourtant, pour la plupart, l'évocation du Chemin des Dames est liée à l'atrocité même de cette guerre qui enterre vivant dans la boue les combattants, qui incite au "corps à corps" le plus atroce. Et c'était bien le paradoxe qu'une dénomination aussi plaisante soit confondue avec l'une des pages les plus sombres de la grande guerre.Chemin des dames parce qu'il fut l'itinéraire emprunté par les filles de Louis XV pour aller à Reims au couronnement de leur père. Elles voulaient faire étape au domaine de Narbonne qui avait dans la vallée de l'Ailette son château,  étant de leurs relations les plus chères. Plateau calcaire entre la ville de Laon, perchée sur son monticule, et Soissons autre lieu de l'histoire d'une France qui se créé, le Chemin des Dames offre de vastes étendues à la culture (betterave et blé) et quelques étapes de pèlerinage pour ceux qui veulent comprendre une page d'Histoire qui fut celle d'un enfer.
 


 
 
posté le 25-08-2009 à 11:01:12

Brassai roucoule.

Ca avait plutôt mal commencé. D'avoir publié dans ma petite revue Sens Plastique une reproduction d'une sculpture de Germaine Richier, sans mentionner le nom du photographe, m'attira une lettre comminatoire du "secrétariat" de Brassai qui me traitait d'assez vive façon assortie d'une demande de "droits" que j'eusse été bien incapable d'honorer. La chose en resta là et bien longtemps après je rencontre enfin Brassai en personne, dans son petit appartement du côté du boulevard Port Royal. Ce fut par une chaude et belle journée, de franche gaieté, et le déferlement d'une chronique roucoulée de cette voix propre aux roumains qui chantent quand ils parlent. Puis il y aura une exposition de ses sculptures, chez mon ami Verrière à Lyon. Un régal dans la simplicité naturelle des formes, un sens unique de la lumière qui y faisait ses caresses, jouait avec ses ombres, régalait la pierre de toutes ses facéties. Brassai était devenue une star. Les livres se succédaient qui rassemblaient ses admirables photographies selon des thèmes qui sont ceux de la poésie. Et c'est là qu'on comprenait (enfin) qu'il était bien plus qu'un bon technicien (ou un inventeur, un prospecteur, comme Man Ray) :  un poète de la photographie
 


 
 
posté le 24-08-2009 à 19:45:45

Les amours tragiques de Malraux.

Des amours tragiques de Malraux.Il avait du panache, commençait à être célèbre, elle sortait de sa province (Beaune la Rolande, dans le Loiret). Ils se rencontrent dans les couloirs de la NRF chez Gallimard (que de rencontres dans ces couloirs), et c'est le coup de foudre pour une jeune fille qui vient de publier son premier roman. On la dit belle, elle a des ambitions romantiques. Malraux, l'objet de son culte va descendre de son perchoir pour l'entraîner dans une folle histoire d'amour qui inspire, à la jeune femme des pages d'une tendre et folle ardeur. Avec une fraîcheur qui dit bien la qualité de ses sentiments (on doute plus de ceux de Malraux). Suzanne Chantal,  l'amie de Josette Clotis (l'héroïne de cette aventure), a recueillie après sa mort dans un terrible accident de chemin de fer, les papiers de la défunte qui était sa meilleure amie. Elle en tire un ouvrage qui vaut plus pour l'émotion qu'il traduit , l'histoire étant la banalité d'une aventure amoureuse. Semée d'embûches, encore qu'il y aura des heures heureuses et même deux garçons qui, eux-mêmes, sont tués dans un accident de voiture. Brusquement la tragédie est venue se glisser dans les frissons du coeur. Malraux épouse finalement sa belle soeur elle-même devenue veuve. Tant de rebondissement donnent à la vie de Malraux un ton d'aventure qui est bien à la mesure de son oeuvre. Ce qui ne le rend pas nécessairement plus sympathique. En revanche, on a un portrait délicieux de cette Josette Clotis qui a des réactions spontanées, entre le goût un peu naïf du luxe et l'intelligence de s'adapter à toutes les situations. Partagée entre la vie de château et la confection des confitures, elle est le portrait typé d'une femme ouverte, vive, sans préjugés ardente et qui serait aujourd'hui lectrice fidèle d'Elle et des magazines de mode.
 


 
 
posté le 24-08-2009 à 19:27:46

Tinguely dans la rue.

C'est Iris Clert qui nous avait fait découvrir ces infernales machines qui débitaient du dessin à toute allure et de quoi ruiner les spéculateurs. C'était l'intérêt de la chose, et la force du propos. Le dessin mécanique vole à celui que propose la main la priorité de l'automatisme. Tinguely en fera un mode d'action soutenue par son ami Pierre Restany. Dans la foulée du "Nouveau Réalisme"  Tinguely offrait la participation la plus évidente de la machine, son intervention relevant du mécanicien qui agence des pièces détachées à des fins de dynamiser le monstre qu'il engendre.  J'avais compris le message et voulait faire participer à ma réflexion des amis artistes qui donnèrent, pour ma revue "Sens Plastique", leur opinion. Et sans aller chercher bien loin je m'adressais au milieu qui fréquentait le Soleil dans la tête : Robert Lebel, Pierre Jacquemon, S.W.Hayter, Raymond Grandjean, Gaston Criel, Sonia Delaunay, Lapoujade, Robert Estivals, Pierre Loeb (très hostile et donnant un magnifique témoignage), John Levée, Bertholle, Camille Bryen (dialogue avec le poète Jacques Boursault). Pour aller jusqu'au bout de l'expérience Tinguely installera sur le trottoir de la rue de Vaugirard, devant Le Soleil dans la tête, une de ces machines drôlement agitées quand elles fonctionnaient et dessinaient à toute volée. Les passants, dessin en main (les veinards), découvraient un aspect de l'art contemporain . L'un de ceux qui remettent le plus radicalement en cause le talent. Voire. Il y aura de longs débats contradictoires et cela peut continuer
 


 
 
posté le 24-08-2009 à 19:19:14

Jean Vodaine, le passeur de mots.

Jean Vodaine. Un art brut. -Armé d'une "machine à imprimer" de caractère artisanal, de caractères dont l'imprimerie commerciale ne fait plus usage, Jean Vodaine conçoit des ouvrages d'un aspect rustique d'une allure incroyable. L'aristocratie du pauvre. Il est l'ami de Gaston Chaissac qu'il est l'un des premiers à célébrer, et de Dubuffet qui, plus que tout autre, regarde autour de lui et déniche des pépites dans le magma de la vie culturelle ( disant tout le mal qu'il pense de la culture bourgeoise). Jean Vodaine, dans les marches de l'Est, plus loin encore de Paris que ne fut l'ardennais Rimbaud, imprime les poèmes qu'il aime, les dessins qui en sont le doublement par la liberté de la main. C'est ferme sous les yeux, dru comme un matin d'hiver, un plein chant du soleil en été, sans chichi et d'une formidable élégance naturelle. On vient d'annoncer sa disparition. Naviguer sur Internet vous donne parfois des sueurs froides. On peut aller se promener dans ses jardins à travers google. Le voyage vaut la peine. Il n'y a pas de peine pour la vérité du coeur
 


 
 
posté le 23-08-2009 à 17:44:38

Le perroquet de Flaubert.

Il y en aurait deux. Un de trop. L'un dans une vitrine-musée, l'autre dans ce qui reste de la demeure de l'écrivain, une salle où l'on a réuni, tant bien que mal, des objets liés à sa vie. Un autre perroquet semblable au premier,  mais déplumé et en deuil de Flaubert qui l'avait en sa compagnie. C'était pour l'écriture de "Un coeur simple". D'ailleurs à l'Hôtel Dieu, à propos du premier on le précise :  " Perroquet emprunté par G. Flaubert au musée de Rouen pour être mis sur sa table de travail pendant la rédaction d'Un coeur simple où il s'appelle Loulou, le perroquet de Félicité, personnage principal du conte de Flaubert". Même scénario chez Flaubert lui-même. Et le malicieux Julian Barnes l'auteur de ce livre délicieux "Le Perroquet de Flaubert", de reconnaître qu'après tout l'authenticité de la pièce invoquée n'avait qu'une importance relative, sinon pour celui qui aura fait, comme lui, une fixation sur l'objet fétiche. Lequel des deux a côtoyé la souffrance de l'écriture ? De ce qui reste de l'écrivain, touchant son quotidien, il n'y a, de toutes manières, que des miettes, des laissés pour compte dans un changement radical de l'endroit et la ruine fatale de tout lieu qui, s'il n'est plus "habité" reste pourtant celui qui enveloppe une pensée, une action, un désir dont dépendra une oeuvre. Toute relative est l'authenticité de ce qu'on nous montre dans ces nombreuses demeures d'écrivains qui ont fait l'objet de très  bon guides. Ce sont, de toutes manières, des lieux où est passée l'ombre du génie. Peut-être reste-il un  fantôme? Un perroquet ferait bien l'affaire. Mais on sait bien que les fantômes, c'est nous qui les inventons.
 


 
 
posté le 22-08-2009 à 16:58:24

Les Grands Boulevards et le monde de la galanterie.

Sur le tracé des anciennes murailles qui ceinturaient le Paris médiéval vont se développer les "grands boulevards". De la République à la Madeleine, une poussée de fièvre, où l'argent et l'amour perdent leurs repères et s'entrecroisent, où se font et se défont les réputations. Au rythme trépidant de la presse qui y implante ses plus importants journaux. La galanterie y dessine de séduisants chemins de mousseline et de soie, où règne la cocotte en ses parures de princesse de ce demi-monde qui veut défier l'ancienne hiérarchie où la noblesse de cour tenaient le haut du pavé. Ici le pavé est à l'audace, l'initiative, le talent, voire la rosserie. C'est le monde du ragot et des scandales. Et parmi les énergies d'un monde qui découvre la joie de la consommation, se glissent tous les talents dont ceux de séduire. Depuis les scènes des théâtres nombreux en l'endroit jusqu'aux tables des  cafés où se déploie le talent des gazetiers, chacun étant le Saint Simon de son monde. C'est déjà la "furia" de la rue, l'immense serpent des voitures qui se pressent. Paris y trouve les accents de la modernité.
 


 
 
posté le 22-08-2009 à 13:38:02

Le blanc du papier chez Mallarmé.

S'il a relativement peu publié de son vivant, Stéphane Mallarmé a très volontiers composé des maquettes de livres en projet, et apporté à ses manuscrits un soin qui annonce la perfection formelle des poèmes. Sollicité par Léon Vanier (en 1886), Mallarmé projette de faire "quelque chose de très joli". Il conçoit une maquette "découpant ses poèmes parus dans divers journaux en 1872". Et c'est son ami, voisin et complice Edouard Manet qui doit en assurer l'illustration, d'autant qu'est joint à cet ensemble "Le Corbeau" ce poème légendaire qui le lie durablement à la légende d'Edgar Poe. Avant de passer en vente (en 1986) la maquette avait fait partie de la collection d'Henri Mondor l'incomparable spécialiste du poète, celui à qui l'on doit tant de détails significatifs sur sa vie et son oeuvre.Plus que manuscrit, maquette donc, cette étape essentielle entre l'état premier d'un texte (le jet initial) et sa mise en forme définitive, pour une lecture publique, largement partagée. On voit bien Mallarmé attentif plus que tout autre à cette mise en forme. L'existence du poème ne passe pas seulement pas un alignement des mots, mais une orchestration, une occupation des lieux réfléchie où même la blanc du papier prend toute sa valeur. Mallarmé fait, du blanc du papier, une partie intrinsèque du texte.Le poème est visible jusque dans son absence.
 


 
 
posté le 21-08-2009 à 12:36:49

Apollinaire chantre de l'avant-garde.

Le voilà dans toute l'énergie de son travail qui se porte sur la langue, lui trouvant de nouvelles vocations, de nouveaux visages. Il avait flirté avec les avant-gardes et bientôt ce sont elles qui vont l'invoquer comme un précurseur. Etrange destin que celui de ce enfant de l'aventure (père hypothétique, mère à moitié courtisane), qui aura vécu l'intensité des premières années du XX° siècle parmi les plus riches sur le panorama de la vie culturelle, où les arts se croisaient, se mêlaient pour une plus forte expression, cela allant en tous sens, avec l'énergie formidable d'une idée alors optimiste de la modernité (on en reviendra après).Tel qu'il s'offre au clic-clac du photographe c'est tel qu'il séduit son milieu (peintres et poètes confondus). Avec un rien de moquerie, de morgue peut-être, d'innocence aussi, car il avait la candeur de celui qui "s'émerveille".Il va traverser la guerre, dans les combats, les amours tumultueuses et décevantes. Il en sortira de beaux livres, comme sont beaux ceux que la douleur inspire, et les épreuves du quotidien.
 


 
 
posté le 21-08-2009 à 11:26:32

Iscan en pleine nature.

Du côté des boulevards extérieurs, dans ces maisons toutes semblables construites entre les deux guerres sur le tracé des anciennes fortifications de monsieur Thiers  le peintre Ferit Iscan se battait avec la peinture. Il avait trop d'idées, une énergie qui cherchait ses chemins. C'était dans les années 70, et il regardait plutôt du côté de Bacon, histoire de chairs, histoires d'hommes, une peinture tourmentée. Puis est venu le miracle. Quand on "se trouve" que la peinture gagne son rythme, sa respiration, à la ressemblance de celui qui la fait et non plus à celle de ce qui se fait. Miracle. Iscan est né. Tel qu'on l'a aimé. Les doux paysages de la Dordogne l'inspiraient. Il y avait une maison, des promenades tranquilles, des attentes douces pour voir la lumière faire ses bottes de saveur, ses jeux tremblants, ses miracles, que d'un pinceau sensible et d'une étrange sérénité il captait. Renouvelait. Transportait de toile en toile, pour le plaisir.Il donnait la juste mesure du paysage et son immensité. Procédant par larges plans comme un cinéaste. Les détails étaient comme des notes de musique sur une partition. Il portait la musique de la nature dans la toile. Tout cela au passé. Bêtement Iscan est mort alors que la gloire l'attendait au coin de la rue. Il n'est pas trop tard.
 


 
 
posté le 20-08-2009 à 19:50:18

Montesquiou dans la pompe.

Sans doute on a la maison qui nous ressemble. On se fait un décor qui rend tangible nos rêves et le goût du paraître peut aussi être un motif qui inspire l'esprit de notre environnement. A la chaumière modeste préconisée par Jean Jacques Rousseau (voir le décor de ses vieux jours à Ermenonville), s'oppose le caractère ostentatoire de celui que Robert de Montesquiou se compose au Vesinet.Un relent de Versailles. D'ailleurs, en perspective, outre le temple à l'amour et la mettant en valeur, la fameuse vasque dit de la Montespan provenant du château de Versailles qui était dans l'appartement des bains avant que celui-ci devienne celui du Dauphin. C'était une vasque de marbre, ronde, offrant la possibilité aux chasseurs de nettoyer leurs bottes en revenant de la chasse (sport et activité favorite des courtisans sous Louis XIV). Par une succession bien connue des historiens d'usage et de changement de propriété, elle devient celle de Robert de Montesquiou, flattant son snobisme et son goût du luxe. Elle avait d'abord orné son jardin de Neully dans ce qui fut le pavillon des Muses. (voir toute l'histoire de cette vasque légendaire sur : mapage.noos.fr)
 


 
 
posté le 20-08-2009 à 15:28:30

Proust en toutes lettres.

L'abondante correspondance de Proust offre un aperçu de sa complexe personnalité partagée entre un humour complice (ici avec Reynaldo Hahn auquel il avoue son amour) et les constantes allusions à ses bonnes relations dans l'aristocratie dont il recherche, non sans une certaine naïveté, les grâces et l'accueil en leurs salons. Un besoin de mondanité qui trahie le bourgeois mal dans sa peau de bourgeois et se sachant différent. Encore qu'il mettait dans l'aristocratie plus de charme et de pouvoir que la réalité leur en offrait, mais peut-être une certaine distinction de vie (toute en apparence) qui pouvait faire illusion. A y bien voir en son immersion dans un milieu autrement fermé et alourdi de préjugés, il en donne un tableau plutôt terrifiant de bêtise et de sotte vanité. Il aura été, comme son maître Saint Simon  (témoin du Versailles de Louis XIV), un juge, et parfois impitoyable. Ce qui donne à la lecture de la Recherche un sens nouveau, une profondeur sociologique qu'on aurait tendance à négliger, emporté par la musique de la phrase, la beauté intrinsèque du style.
 


 
 
posté le 20-08-2009 à 14:57:44

La magnifique solitude de Gauguin.

C'est dans la cadre de l'Exposition Universelle de 1889 que Gauguin organise une exposition dans le Café des Arts dont le directeur (Volpini) cherchait à décorer l'établissement qu'il  avait installé dans l'enceinte même de l'exposition. Il avait même prévu des miroirs quand Gauguin et ses amis y voient l'opportunité d'y exposer leurs oeuvres. Ce sera la "Groupe impressionniste et synthétique" où se côtoient des artistes plus liés par l'amitié qu'une réelle poussée commune vers la modernité que tous revendiquent à leur manière. C'est pour Gauguin une expérience qui s'avérera décevante mais bien dans l'esprit qui était le sien, tout au long de sa vie. La création d'une communauté (un phalanstère) d'amis s'estimant et travaillant dans une entente humaine plus qu'esthétique. Encore que la primauté de l'art sur la vie rendra l'expérience menée avec Van Gogh  vers un désastre absolu et sans issue. Il est paradoxal de voir que l'artiste le plus tenacement soucieux de créer une communauté d'artistes (à Pont Aven, au Pouldu, à Tahiti, à Arles) sera le plus seul, le plus magnifique dans sa solitude. La condamnation des esprits les plus singuliers.
 


 
 
posté le 20-08-2009 à 11:59:57

L'histoire d'un tableau passe par l'envers.

Ainsi, "Combat de jaguar et cheval" coûte, en 1910, cent francs. Et le douanier Rousseau devait être bien content de recevoir de l'argent pour son art qui en dehors d'une petite élite de connaisseurs ne rencontrait que mépris et moqueries. Ses voisins qu'il réunissait pour d'innocentes petites fêtes où l'on jouait des charades et du violon aimaient l'homme qui vivait à leur façon et sans façon, avec seulement quelques petites manies qui marquent les hommes égarés dans leur quotidien. Dans une solitude un peu hautaine il poursuit une oeuvre que sa singularité même écartait de toute large audience.Un modeste bout de papier, légalement timbré pour avoir effet, raconte le début d'une longue histoire : celle du tableau lui-même.Y songe-t-on quand on admire une peinture (dans un musée) qu'elle a, comme tout individu a sa fiche à la police (du moins le dit-on) , un dossier qui raconte l'aventure d'un simple objet, devenu mythique par notre besoin de sacraliser, et la part de rêve qu'il peut susciter chez celui qui l'admire (le vénère).De même que l'envers de chaque tableau raconte ses voyages, ses étapes de prestige dans les grandes, capitales, car un tableau a une vie de star. Notre amour de l'art ne serait-il pas une version "culturelle" de notre appétit de people.
 


 
 
posté le 20-08-2009 à 11:27:50

Une cellule en plein ciel.

Est entrée dans la légende l'idée du fameux grenier à foin (aux Roches où sa mère avait une propriété agricole) dans lequel le jeune Rimbaud s'enferme durant quelques mois (en 1873) pour rédiger ce manuel de tous les vertiges "Une saison en enfer".Qu'on n'aille pas croire qu'il y cherchait le pittoresque champêtre à la mode, mais l'isolement nécessaire à cet affrontement terrible (et épuisant) avec soi-même qui est le moteur même de son oeuvre."Rimbaud n'est pas de ceux qui, plume à la main, s'installent devant un paysage pour mieux s'y pénétrer du "sentiment de la nature". Il écrit  claquemuré, en tête à tête avec lui-même, ses pensées ricochant d'un angle à l'autre de la pièce. Il se met de son plein gré en loge, dans un lieu d'expérience où il ne peut plus tergiverser, où plus rien ne le protège de sa propre violence". (Jean-Luc Steinmetz).Ira-t-on vers d'autres enfermements radicaux ? Celui de Pascal à la recherche de l'illumination intérieure  ;  de Sade, dans sa frénétique débauche imaginaire, tant au Château de Vincennes qu'à la Bastille où il écrit l'essentiel de son oeuvre.La cellule d'un moine au Mont Athos semble alors relever du luxe le plus grand : son ouverture sur l'espace, dans les hauteurs où il s'est perché. Plus près de Dieu ?
 


 
 
posté le 19-08-2009 à 15:10:41

L'imaginaire des ruines.

L'intérêt de l'ouvrage est contenu tout entier dans son titre situant la ruine comme incitateur de l'imaginaire et n'ayant de pouvoir sur l'esprit que dans cette distance qu'elle créé entre sa réalité (pratique, historique) et la leçon  qu'elle dispense. Chacun la contemple à l'aune de ses besoins, de ses rêves, de sa notion de la vie et des buts qu'il s'est assigné pour la bien guider.  Lire les ruines c'est marcher d'un  pas de somnambule dans les chemins écartés d'une histoire qui n'a plus droit, dans les livres qui se prévalent le pouvoir de nous l'évoquer, qu'à quelques lignes savamment dosées, par un éminent professeur à la retraite qui se refait une jeunesse en enseignant le passé aux jeunes têtes penchées sur ses manuels scolaires. L'hostilité     affichée des sols que l'on foule dans des champs suffoqués souvent de chaleur, avec, dans les hauteurs d'un  ciel d'été éternel,  les signes énigmatiques du vol lent des oiseaux aux ailes immenses (mais c'était là le livre ouvert des prêtres d'autrefois), le grand silence que l'on affronte comme le murmure des disparus surpris de notre intrusion, sont des éléments plus subtils pour une meilleure découverte de ce qui fut là l'orgueil d'une ville, l'affichage éhonté d'une puissance tyrannique, car si l'on évoque souvent la simplicité des moeurs antiques, et la grandeur d'un destin bientôt brisé par la décadence des malheureux sujets d'une société qui avait perdu son idéal, on perçoit, dans la majesté des ruines, la prix du sang et des cris qui les ont érigées. Toute ruine est une souffrance qui a la mémoire chancelante mais des veilleurs sont là, immobiles, invisibles, qui murmurent à nos oreilles la chronique du lieu. Une ruine, c'est un tout d'un groupe, on cherche souvent le destin d'un seul, car on a l'appétit grandissant des exemples et des modèles, des destins qui nous comblent, faute de pouvoir soi-même aller jusqu'au bout de nous-même. L'attrait des ruines ne serait-il par une recherche du temps perdu ?
 


 
 
posté le 19-08-2009 à 11:36:46

Raoul Hausmann à la campagne.

Eric Losfeld toujours à l'affût de ce que la littérature offre de plus rare, de plus insolite, avait drainé vers son catalogue le dadaiste Raoul Hausmann dont il publie"Le Courrier Dada" (1958). Texte majeur dans l'histoire d'un mouvement qui a déterminé tout le "devenir" de la pensée artistique. Raoul Hausmann vivait alors dans un petit village proche de Limoges et se livrait à une activité picturale relevant plus de l'abstraction lyrique que de ses travaux des années dada. Une facture libre, déchaînée, propre à traduire l'instant, et parfois rude. C'est cet aspect là, le moins connu de son oeuvre, que le Soleil dans la tête expose alors. La réception en fut marquée par un certain désarroi des amateurs qui attendaient un Raoul Hausmann qu'ils connaissaient bien, mais on peut le voir aujourd'hui au Centre Pompidou. L'exploration des à-côtés de son oeuvre restait à faire. Ne pas oublier le sensuel photographe qui offre des "nus" d'une suave et audacieuse tendresse.  Les éditions Allia ont réédité le Courrier dada.
 


 
 
posté le 19-08-2009 à 11:02:22

Apollinaire banlieusard.

Qui n'y a pas vécu ne peut en comprendre le charme étrange, quand la banlieue était encore marquée par un soupçon de campagne et que l'on y dégustait une vie aux allures provinciales tout en étant à un "jet de pierre" de la capitale.Dans les années 60 je faisais à Pierrefitte, qui était une charmante annexe de Montmartre (elle avait aussi sa "butte" et ses estaminets),  un court séjour dans une maison de famille avec son modeste jardin et ses pommiers et sur la pelouse, l'armée de sculptures d'amis (Ossa Sherdin, Rancillac...). On y créa la revue "Sens Plastique" et c'était par le train (gare du Nord) des virées au Quartier Latin. Souvenirs, souvenirs, et Apollinaire m'y conduit par le chemin de la mémoire et des pèlerinages qu'inspirent ceux qu'on admire. Au Vesinet, c'était une ville plutôt élégante où la mère du poète, extravagante et capricieuse, malmène son monde et transforme le lieu en zoo intime. Apollinaire n'y vient que le week-end, et devient un familier de la gare Saint Lazare (alors que la gare du Nord était pour moi liée au souvenir de Léon Paul Fargue). Le Vesinet, c'était une mythologie, des résidents de prestige et les moeurs bien ritualisées d'une bourgeoisie aisée qui jouait à la bergère et au jardinier. Apollinaire échappe aux manies du lieu. Il préférera la pétulance d'un  Paris qui grouille de talents, entre la Butte Montmartre et Montparnasse que les artistes sont en train de coloniser. Raymond Roussel n'était pas loin.
 


 
 
posté le 18-08-2009 à 19:58:41

Apollinaire annonce le livre de peintre.

Picasso à l'honneur quand il s'agit d'Apollinaire, qui rejoindra la cohorte de ces poètes qui vont survivre grâce à la critique d'art, dont André Salmon  et naturellement celui qui aura été le plus fidèle (et peu payé de retour) Max Jacob.La légende veut que la rencontre des deux hommes appelés à confronter leur travail, aurait eu lieu dans un des cafés proches de la gare Saint Lazare.Apollinaire critique d'art, c'est, grâce à lui, suivre toute l'actualité artistique de ces années de fièvre qui vont précéder la grande guerre et jeter les bases de  l'art du XX° siècle : de Derain à Delaunay, en passant par le douanier Rousseau et les futuristes italiens. Apollinaire voit l'art sans sectarisme, ce qui fait l'attrait de ses écrits mais le dénonce aussi, aux yeux des puristes qui veulent une critique tracée sur une ligne droite, sans digressions ni éclectisme qui est la  menace de se faire traiter de futile. Il opte pour le ton familier, goguenard au besoin, et son écriture suit bien la marche, tant la critique d'art, suivant l'actualité entraîne l'art du piéton. Le "Flâneur des deux rives" sait voir l'art dans le sens de la vie de ceux qui le font, dans une sorte de familiarité avec un milieu dont il connaît personnellement  tous les acteurs (Il aurait écrit "Les peintres cubistes" au logis des Delaunay rue de Savoie) . Alors il est devenu un modèle pour qui veut concilier l'écriture (voire la poésie) et un regard sur l'art qui lui est si proche. Il est significatif que pratiquement tous les poètes des générations qui vont suivre s'attacheront à commenter la peinture, à cohabiter avec elle. La pratique du livre où se rejoignent peintres et poètes en est une conséquence.
 


 
 
posté le 18-08-2009 à 12:54:59

La Porte Saint Martin, l'écho d'un triomphe.

Plus que le monument lui-même c'est la vision qu'on en a qui change. L'environnement, plus naturellement enclins à bouger, y est sans doute pour quelque chose, mais le regard qui le retient, le détaille, le fixe, contribue largement  à sa mise en situation d'autant plus s'il n'a pas de fonction pratique dans la vie quotidienne de la cité. On le conserve par respect du passé, de l'art dont il est un témoignage, et  bientôt des pans entiers de la vie s'y rattachent et lui donnent une vie autonomie. Les surréalistes le voyaient d'un mauvais oeil. Dénonçant son caractère funèbre. Ne va-t-on pas jusqu'à affirmer qu'il génère une forme de malaise.  La pollution se charge de souligner son grand âge. La ronde silencieuse des prostituées  côté Seine (et la rue Saint Denis n'est pas loin), les primeurs turcs et les fruits et légume à petit prix  côté gares, sans oublier la nonchalance des cinémas qui furent ceux des avatars western avant de faire une brève étape dans le sillon de la pornographie, voilà le décor planté pour ce qui est de la vie quotidienne. On a perdu le sens de la grandeur des Entrées Royales pour lesquels la Porte avait été conçue. Comme les empereurs romains, revenant victorieux parmi ses populations en délire, le roi de France, entouré de sa cour et de ses maréchaux, s'offrait à l'admiration béate (pas trop longtemps) des foules qu'on enivrait pour donner du tonus aux hourras, et qui agitaient des mains qui n'étaient pas encore celles d'assassins.
 


 
 
posté le 18-08-2009 à 11:33:58

Pannini au milieu de la circulatiion automobile.

Ici Pannini, ailleurs Hubert Robert, ils sont tous, et tant d'autres avec eux, les fervents piétons d'un passé qui a oublié dans le paysage des pans entiers de ses rêves, et de faux témoins de sa grandeur, car en tout constructeur de la cité il y a un rêve de puissance qui s'affiche, et que le temps va meurtrir comme il menace tout destin individuel. Une ville n'est pas mieux disposé à survivre que les êtres qui l'habitent et ceux qui l'on rêvée.Rome, toute bruissante de vie et même frénétique quand le nuit y apporte un peu de douceur après un soleil ravageur qui cogne sur la pierre comme sur un gong, n'échappe pas au grand sentiment de nostalgie qui gagne une présence aussi constante de quelques siècles brisés par la hargne des vainqueurs. Tout vaincu aura le droit à une stèle mais une ville anéanti contient ses stèles en elle-même, semble en être faite comme le corps de l'homme l'est des maladies qui l'attendent et vont le courber jusqu'à sa tombe.Panini moins en splendeur qu'en charme, car au milieu des pierres qui ont tant de mémoire on a coeur à se mettre au diapason de leur prix de souvenir. Alors si le quotidien s'y trouve un décor pour donner plus d'agrément à ce qui est autrement tellement banal (aller chercher l'eau au puits, surveiller l'animal qui broute les mauvaises herbes, ou tout simplement converser avec son voisin - y amorce-t-on des aventures amoureuses ?) on usera de tous les poncifs qui ont charge de nous donner une idée paisible du bonheur. Echappe-t-elle à la mélancolie ? La Pyramide de Cestius subsiste dans la rumeur automobile. L'odeur infecte de l'essence à moins d'attrait que celle, subtile mais furtive, des plantes  qui poussent avec mollesse (avec respect) sur des pierres patinées par les éléments. Les brisures se prêtent bien à cette croissance végétale sauvage. Mais sauvage au nom de l'innocence et c'est bien la seule ici aujourd'hui. La policeman conduit avec vigueur la ronde des voitures, j'en ai vu un, aux heures de pointes, qui chantait, à tue-tête un opéra de Verdi en brassant, d'un geste large et généreux, la montée de l'acier au milieu d'un souvenir de pierre.
 


 
 
posté le 18-08-2009 à 00:28:55

Stèles jardinières.

Le mot même de "stèle" a le pouvoir d'évoquer la ferveur qui a gagné la pierre quand elle n'était encore qu'informe et que brute, juste sortie du sol (ou de quelque carrière profonde). L'ornement est la fantaisie du sculpteur, sa phrase intime quand il porte avec son stylet l'empreinte de ses plus secrètes et pieuses pensées. On s'étonne toujours devant l'admirable invention des décors religieux qui font des édifices de n'importe quel culte un espace de méditation, de retour sur soi.Stèle veut aussi dire mémoire. Détachée de son destin architectural, (que fut-elle en son dessin premier) toute pierre sauvée du désastre et de l'oubli (oh le charme intense des musées lapidaires! ), reprend une valeur nouvelle selon qu'on en fait un usage qui retrouve sa vocation première, d'afficher une foi, une loi, un culte.C'est d'un grand-père (qui avait couru le monde pour gagner ses galons) et le soir de sa vie venu, recueillant çà et là, comme on recueille des animaux perdus, des pierres qui furent d'abbayes, d'église ou peut-être de châteaux, que je tiens ce respect pour ce qui n'est pourtant plus que débris, souvent informes, encore que la grâce, le style, d'une chose qui fut de noble ambition, subsiste jusque dans le morcellement qui précipite normalement sa chute.
 


 
 
posté le 14-08-2009 à 11:10:21

Une lettre de Sade.

L'abondante correspondance de Sade révèle une part plus humaine d'un homme dont l'oeuvre, volontiers "outrée", pouvait donner une image parfois effroyable, encore qu'aux yeux de ses défenseurs, c'est dans cette outrance même, serait-elle purement imaginaire, qu'il ouvre de nouvelles perspectives philosophiques, ce qui réhabilite totalement son oeuvre, (la justifiant) au delà des tracasseries administratives qui l'occultait  et en interdisait la diffusion.Lettre pourtant fortement liée à ses démêlés judiciaires et relative aux accusations du père d'une jeune domestique, Catherine Treillet,  que Sade avait engagée lors d'un de ses séjours au château de Lacoste, et dont il s'inspirera pour son personnage de Justine. Plaidoyer pour sa défense, mais Sade n'aura pas gain de cause. Il s'en suivra un enfermement à Vincennes, le 13 février 1777. Un séjour qui durera seize mois durant lesquels il entretiendra une abondante correspondance où il révèle les aspects les plus humains de son complexe caractère.
 


 
 
posté le 13-08-2009 à 15:22:14

L'écriture éclatée.

Est-ce un faille pour celui qui veut se vouer à l'écriture, ne vit que par elle, que ne pas être capable (de ne pas avoir l'envie) d'écrire un roman. Un vrai. Avec des personnages, des situations explosives, des rebondissements, des paysages plantés comme des décors. Bref, une organisation du monde qui soit le reflet (l'écho) de la société. Du côté de Balzac (un monde à lui seul), de Zola (quel journaliste !). Ne pas être capable. Ne pas vouloir.Alors écrire revient à jeter sur le papier des phrases qui se cherchent une raison d'être, qui se fabriquent des petits bijoux. Vain exercice mental ?Je n'aime la littérature qu'en fragments, marges, éclats d'une grande chose qui n'existe pas. Une littérature qui ne fait pas que raconter mais se faufile dans les plis les plus secrets de nos émois, de  nos sensations, ou encore qui émiette la réalité moins pour raconter que croquer les gens, les situations. On ira de Cioran à Gaston Chaissac (un exemple). Point de contradiction en cela. Ecrire au fil de la plume en  passant d'une simple notation à une réflexion (modeste) sur les angoisses qui nous assaillent car je ne pense pas qu'un esprit dégagé de toute inquiétude se complaise à perdre son temps dans l'écriture qui peut aussi être une épreuve. On y peine, on s'y essouffle, on s'y tue.Alors Proust ?Un cas. Il ne faut pas lire simplement la Recherche (s'attarder sur la force du terme employé ici) pour suivre une histoire ( de gens plutôt méprisants et méprisables) mais lire entre les lignes, dénicher des saveurs, des couleurs, des odeurs qui se justifient à elles seules. Sont des perles dans la coulée des mots, le déploiement élastique des phrases. Alors la poésie peut-être. La poésie oui. Mais quel gâchis, de poèmes faussement suaves, dégoulinants d'idées reçues, tournant autour de l'amour comme seul sujet. Qu'on se souvienne de ce texte de Georges Bataille  : "La Haine de la poésie". Nous voilà fixés. Et pourtant à bien chercher dans la masse confuse, que de levées exemplaires sur la sagesse, la grandeur de la vie (quand elle est menée avec art). La poésie c'est l'auberge espagnole de la littérature. On y trouve de tout et surtout ce qu'on y amène. Et tout le monde n'est pas René Char ou Apollinaire, Rimbaud ou Cendrars, Pessoa ou René Guy Cadou. Il y a de tout là dedans, mais autant de portes ouvertes sur le monde tel qu'on le rêve.
 


 
 
posté le 13-08-2009 à 15:00:27

Alechinsky face au doute.

La gravure illustrait un poème dont le titre, "L'espace d'un  doute", ne plaisait pas à Alechinsky. Pourtant, conciliant, il accepta de donner cette gravure pour le petit tirage qu'en fit Pierre André Benoit (PAB) et qui compte parmi ses  beaux livres jusque dans sa modestie, car tel était aussi le but de l'opération. Offrir une page arrachée à un  carnet de notes (notes et poèmes) qui tournaient autour de la difficulté d'être et de créer. Le doute est au coeur de toute création, encore faut-il qu'il en sorte autre chose d'une simple plainte. Il peut déboucher sur des projets positifs, constructifs. D'ailleurs, pour l'illustrer, Alechinky a choisi ces figures agitées et souvent inspirées par le folklore belge, qu'il lance, avec audace, dans l'espace, parmi un fatras de formes plus ou moins définies, comme l'est tout destin humain.Sont-ce des masques de carnavals, les fameux "Gilles" qui chahutent et agitent des clochettes dans un tohu-bohu qui est autant celui des enfers que de la liesse. Ambiguïté qui joue pour beaucoup dans la portée poétique d'une oeuvre sans cesse motivée, inspirée, soutenue par le mot, et sa force et son rôle d'arme contre l'inertie mentale, sans doute la mort.
 


 
 
posté le 13-08-2009 à 11:28:46

Atget dans les Passages parisiens.

Soucieux de tout enregistrer, promeneur impénitent, Atget ne pouvait échapper au prestige des Passages qu'il a soigneusement retenus par la photographie, saisissant ceux-ci dans le rythme de leur quotidien. Promeneurs, flâneurs (et l'on est porté à croire qu'ils avaient la préférence d'Atget) y jouent une figuration discrète mais efficace comme quoi le lieu n'est pas qu'un décor et que la vie s'y déroule sur un rythme qui leur est propre. Moins dans l'esprit d'une société de consommation ( ce pour quoi ils avaient été conçus) mais pour donner libre cours à la nonchalance "éveillée" de tout vrai flâneur.La vocation du Passage, avec le temps s'est affinée même si elle a perdu progressivement  son caractère pratique. Les commerces qui s'y rassemblent ne sont pas de première nécessité, mais plutôt de l'ordre du passionnel. On y vend (y marchande) des choses qui relèvent d'une manie (d'une passion, comme celle du collectionneur) allant du timbre poste au bouquin d'occasion en passant par des frivolités exquises qui agrémentent une promenade, et relèvent de la surprise, de la découverte. Il est comme la caverne de tous les rêves, et sans doute (Aragon l'avait dans un très beau texte souligné), un incitateur de tous les fantasmes. Il pourrait être une sorte d'antichambre de quelque lieu surprenant, inattendu, et vaguement clandestin.
 


 
 
posté le 11-08-2009 à 15:35:29

Lucie Delarue Mardrus était à la mode.

L'Amazone plurielle.Enfant gâtée, bien née, douée, brillante, elle parachève par un mariage de prestige avec le docteur Mardrus (traducteur des "Mille et une Nuits") un départ fulgurant dans la vie mondaine et le cercle des écrivains qui firent les beaux jours de l'édition dans "les Années folles". Une production pléthorique où le meilleur côtoie le pire. Il semblerait qu'après avoir écrit "pour le plaisir" elle doit le faire pour subvenir à ses besoins après s'être séparée de son époux, marquant par ailleurs une nette préférence pour les femmes et multipliant les conquêtes de ces amazones hardies qui défient les préjugés bourgeois et affichent leur sexualité.Une oeuvre sans contenu essentiel et des notations charmantes, révélant une nature ardente, parfois mutine, une adhésion réelle et profonde avec la vie dans sa sensualité première. Ce qui fait tout le prix d'une prose sans relief et qui a perdu beaucoup de son attrait.
 


 
 
posté le 11-08-2009 à 12:06:52

La Plume s'envole.

La perte d'hégémonie du Salon qui avait assuré jusqu'alors la réputation de ceux qui y étaient admis, va entraîner une multiplicité de manifestations et de publications qui vont animer la vie artistique et littéraire "fin de siècle". Créée par Léon Deschamps en 1889, La Plume va largement s'ouvrir aux nouveaux courants artistiques et privilégier l'art de l'affiche alors naissant. Eugène Grasset, Alfons Mucha y font leurs débuts.Les sommaires y sont éblouissants. Côté peinture avec Willette, Forain, Toulouse-Lautrec, Pissarro, Signac, Seurat, Redon, Maurice Denis, Gauguin, Claude Monet, Félicien Rops ; côté lettres avec Verlaine, Jean Moréas, Jules Laforgue, Mallarmé, Léon Bloy, Willy.En 1899 Léon Deschamps laisse la place à Karl Boès qui la dirige jusqu'en 1914. A la revue s'ajoute bientôt un salon (des Cents) qui s'ajoute aux multiples expositions d'indépendants. Il se tient dans les locaux de la revue (rue Bonaparte).
 


 
 
posté le 11-08-2009 à 11:03:37

Robert Desnos et la décalcomanie.

Comme la plupart des manuscrits de poètes ceux de Robert Desnos sont abondamment illustrés. Sans qu'il y ait de rapport logique entre images et mots le passage de l'un à l'autre se faisant dans la fantaisie du moment, les pauses de l'inspiration ou encore une espèce de frénésie de l'écriture qui s'empare de tous les modes possibles. Pour ce texte, "Longtemps après...hier", publié en 1947 avec des illustrations d'Yvette Alde, Desnos fait usage de décalcomanies. On y perçoit alors le caractère artisanal de l'écriture qui fait appel à des diversions, des récréations à seul fin d'orner une page. Comme le copiste médiéval se plaisait à orner les pieuses écritures des ouvrages religieux. Ou encore, comme le faisaient aussi peintres et poètes quand la technologie postale le rendait possible, ornant leurs enveloppes de dessins, de fantaisies graphiques qui n'entraient pas dans la stricte obéissance à des règles pour mieux maîtriser la détection d'une adresse. Aujourd'hui cette pratique (qui peut devenir une expression artistique, c'est le Mail Art) se raréfie, prend tous les risques  de condamner l'enveloppe ainsi traitée de "rester en rade", la technologie a horreur de la fantaisie, de l'inattendu.
 


 
 
posté le 11-08-2009 à 10:42:06

Germain Nouveau dessine.

Germain Nouveau écrivant à Verlaine (en invoquant les souvenirs d'un pèlerinage commun à la maison de Saint Benoit Labre), le remercie des dessins que ce dernier lui avait adressé et suggère un "concours" de dessins entre lui et quelques amis communs. "Envoyez en souvent, et tenez ! une idée : tâchez de garder le même format pour tous, ce sera  une collection amusante à revoir pour nous plus tard"Ornant sa lettre d'un dessin qui relate ses propres occupations, Il est à l'hôtel, sa table est encombrée de papiers divers, la bonne entre, portant le petit déjeuner et une lettre. La légende le souligne : "La Bonne - Monsieur, il y a une lettre. Moi - Veine ! La Raison : Et de qui ?La Rime : de Verlaine !  "
 


 
 
posté le 10-08-2009 à 14:55:42

Léon Paul Fargue, en ses Refuges.

Histoire d'un livre.Je l'ai trouvé, coincé parmi des romans à l'eau de rose, dans un carton siglé tomate La Provence. Solide, et de ceux dont font usage les brocanteurs pour exposer leurs produits à vendre. Payé 50 centimes d'euros avec le sourire complice du vendeur qui affirmait  -Vous avez fait le bon choix. A comprendre que je pouvais choisir les biographies de Charles Trenet ou de Simone Signoret (un fort volume, au même prix) ou encore une vie très privée de quelque princesse du gotha européen dont m'importe peu les amours et les souffrances. Bref, ce fut un Léon Paul Fargue un peu fatigué mais dont le titre seul (eu-t-il été de n'importe qui) ne pouvait que séduire. "Refuges". Il y a là quelque chose qui tient des Mémoires, de la chronique, cette forme de  littérature dont je me suis toujours dit qu'elle prônait à la première place sur le podium des oeuvres que nous laissent ceux qui se croient le droit de donner aux mots tous leurs pouvoirs et que l'on a pris au sérieux. L'éditeur en est Emile Paul. Je connais cette cour à l'allure pro vinciale, rue de l'Abbaye, dans le 6, où il tenait ses bureaux. Aux abords de l' église  Saint Germain des Près dont chaque immeuble en l'endroit est un peu une survivance de ce que fut une formidable abbaye. On n'est pas loin de l'admirable jardin du "musée Delacroix", où le gravier fraîchement disposé sur le sol, comme un tapis, donne tout son prix à la marche, et réveille  tous  les fantômesEmile-Paul, un éditeur comme il n'y en n'a plus. Où les auteurs (P-J Toulet, Tristan Derème, Rainer Marie Rilke) faisaient partis d'une grand famille.,,
 


 
 
posté le 10-08-2009 à 14:24:38

Nathalie Barney, une Sapho "fin de siècle".

Un souvenir d'abord, flou. C'était dans le cadre d'une de ces grandes soirées du Paris où l'art se confond avec les mondanités. Quelque vernissage de prestige au Grand Palais. Jean Chalon, frétillant, galant, soutien une très vieille dame qui peine à gravir le majestueux escalier plutôt conçu pour des entrées (ou sorties) triomphales. Impossible de mettre un nom sur cette forme vague, emmitouflée qui n'est pas loin de "la folle de Chaillot". Mais une rumeur enfle, parvient jusqu'à mes oreilles et j'y distingue : - C'est Nathalie Barney. Stupeur (et tremblement), voici, à la dure réalité de son grand âge, celle qui fut l'Amazone de Remy de Gourmont, la beauté incarnée, et l'insolence sexuelle, et le fanion de la liberté, et Sapho célébrée par une horde de beautés peu vêtues (même la pétulante Colette, alors madame Willy,  en était) qui faisaient des rondes à connotation culturelle et antique dans ce fameux "Temple de l'Amitié", caché au regard du commun derrière la porte cochère du 20 de la  rue Jacob. Il suffisait, dans les années 60, de franchir le seuil, on découvrait un jardin en friche, et les colonnes d'un bâtiment qu'entourent les légendes. Ne va-t-on pas dire qu'il fut offert par le maréchal de Saxe (un ancêtre de George Sand) à la coquette Adrienne Lecouvreur, actrice adulée en son époque;De sordides histoires immobilières salissent la mémoire du lieu. Un ancien ministre du général de Gaulle et sa digne famille, précipitent Nathalie Barnay (une légende vivante) dans les fosses de l'ignominie en la rejetant d'un lieu dont elle avait créé l'esprit et ciselé de son génie propre l'attrait. Il y a du génie à savoir attirer à soi le monde le plus raffiné des arts et des lettres. Ce qu'elle avait fait sans prétendre pour autant se mêler de créer. Etant sa propre création. Des portraits subsistent qui en témoignent .
 


 
 
posté le 10-08-2009 à 13:53:31

Lautréamont visité par Magritte.

Les Chants de Maldoror offrent le plus formidable territoire de fantasme dont peut rêver un peintre. L'homme des mots, serait-il le plus subtile des poètes, butera sur le verbe incantatoire, inimitable, qui fait tout l'attrait du texte ;  un peintre, un homme d'images surtout (comme Magritte), y trouvera la source incomparable pour se livrer à toutes les spéculations qui cernent le texte, l'enrobent de leur excès même, car tout ici invite celui qui s'y risque à de forcenées escapades imaginaires. Tous les éléments s'en mêlent et le climat de catastrophe nous y est bientôt familier. Un comble. Comment rendre lisible, absorbable, le chant le plus dément, le plus sadique, le plus brûlant qui soit, et nous invective sans cesse, et nous bouscule et nous provoque, et nous précipite dans nos derniers retranchements. Quand la lecture est une guerre de tranchée (on peut se réfugier dans les réserves que l'on s'accorde, les petites omissions que l'on s'invente). Là rien. On est en terrain découvert. Seul à errer dans cette couse folle, impitoyable, fatale. Alors le peintre (ici Magritte) se mêle à l'aventure et distribue, ça et là, des images comme  on en glisse dans un bréviaire, pour scander les psaumes. On s'y arrête un instant, pour souffler.
 


 
 
posté le 08-08-2009 à 16:22:33

Cocteau habille les mythes.

La pratique du dessin, chez Cocteau, suit étroitement l'écriture. Il se créé une circulation naturelle et vivifiante, de l'un à l'autre. Dans un constant va-et-vient qui suit l'idée, la nourrissant des apports fécondants d'une plume qui sait adopter tous les rythmes, se glisser dans les mythes comme dans l'intimité. D'où cette habitude d'habiller ses amis des  oripeaux de la mythologie qu'il modernise en revanche, faisant jouer les grands classiques en "costume de ville". Ses amours (Raymond Radiguet, Jean Desbordes, Jean Marais) deviennent facilement des figures mythologiques. Il transcende le moment, la réalité physique de ceux qu'il aime, en les projetant dans les mythes qu'ils animent, qu'ils enjolivent, leur charme donnant chair à l'idée que l'on peut en avoir. On reconnaîtra ici Jean Marais incarnant Oedipe roi (créé au Théâtre Antoine en 1937).
 


 
 
posté le 08-08-2009 à 15:11:07

Le Cabinet de curiosité d'André Breton.

Max Jacob (un vagabond) avait baptisé le "Laboratoire Central" le lieu de la création, mais il passera d'une chambre d'hôtel à Montmartre jusqu'à la simple cellule de moine à Saint Benoit sur Loire. Pour André Breton, ce sera la Cabinet de curiosité. Un lieu relativement stable, 42 rue Fontaine, qui est étroitement lié à l'aventure du surréalisme. Lieu de création, espace de rêverie et bibliothèque où aux livres se mêlent les objets. Plus encore que chez Apollinaire (qui annonce la chose), les fétiches océaniens et nègres côtoient les tableaux des amis ( Chirico, Tanguy, Masson, Picabia, Arp...) André Breton "navigue" en lieu clos. Lui, piéton de Paris, se fait, dans sa bibliothèque, piéton de tous les rêves qu'elle propose, qu'elle consigne, qu'elle génère. On a toujours une bibliothèque à sa ressemblance. Elle est bien le portrait de celui qui l'a conçue, la fait vivre et dont il vit. Etroite complicité qui nourrie la vie, l'enrichie, lui donne ses portées pour échapper au quotidien. C'est le refuge "contre tout le machinal du monde".
 


 
 
posté le 08-08-2009 à 14:23:52

André Breton face au miroir.

Celui qui se regarde dans la glace, (Izis à appuyé sur le déclencheur) a cet air effaré de celui qui se découvre. Angoisse ou prise de conscience que le temps fait son travail, et que les invectives de la jeunesse s'engloutissent dans le savoir, la diffusion et la banalisation. Faut-il militer pour l'exceptionnel, le singulier, l'inabordable, l'impossible. Pour ceux qui découvraient Breton, dans les années 50, et avaient l'âge de toutes les promesses, de tous les espoirs, de toutes les angoisses, chaque mot du "Manifeste", de ses livres difficilement trouvés (et Nadja était un mythe), avait valeur de clef. Pour ouvrir la porte du Graal. On s'épuisait de banalité, trépignait sur d'absurdes versions latines, apprenait que Gide venait de mourir (encore un guide de la jeunesse, mais celle de nos aînés). Alors on s'accrochait à des livres, et j'admirerai, un peu après, le peintre Hantaï qui avait décidé de se coucher sur le paillasson de l'appartement de Breton, 42 rue Fontaine, pour être certain d'être reçu par lui. De le voir, d'entendre les mots que l'on attendait. Bien après je le rencontrais parfois, par hasard, dans des cafés, et la conversation ne dépassait pas les banalités d'usage. Au Soleil dans la tête, où il lui arrivait de s'arrêter (pour saluer un exposant qu'il connaissait par exemple), il prenait ce ton docte qui créait la distance obligatoire entre le maître et le disciple. Et je n'étais même pas un disciple, un de ces petits jeunes qui gravitaient autour de lui, dans les années 60, pour se donner du lustre, et se dire "surréaliste" officiel.
 


 
 
posté le 07-08-2009 à 14:17:09

Le château de Lacoste et Sade.

Qui n'a pas affronté, depuis le village de Lacoste, en l'abordant pas sa base, le puissant château de Lacoste ne peut comprendre l'esprit et la pensée de Sade au souvenir duquel il est si étroitement mêlé. Ce fut, dans les années 50, un amas formidable de pierre, dans les broussailles qu'un professeur de l'endroit (de Carpentras je crois) avait entrepris d'extraire pour tenter de le sauver. Depuis il est devenu un centre culturel animé par Pierre Cardin, une sorte de relais provençal de la "jet-set" bien loin de la poétique initiale. Je me souviens d'une photographie d'André Breton assis dans l'herbe sauvage de la prairie qui, sur le plateau, prolonge le château. Il était proche d'une statue grandement endommagée ce qui donnait à la vision quelque chose de pathétique et de mystérieux. Le lieu fut un but de pèlerinage pour le surréalistes. René Char, un voisin, encore jeune, avait erré en l'endroit et écrit quelques pages exemplaires sur Sade. C'était le début d'un formidable "culte" rendu au "divin marquis" et qui éclaire le surréalisme  comme ces torches légendaires (qui ont pour nom Jarry, Lautréamont, Forneret, Roussel), brandies au nom de la liberté du non-conformisme, d'un monde meilleur.
 


 
 
posté le 07-08-2009 à 11:01:08

Robert de Monstesquiou.

Personnage complexe et très controversé, Robert de Montesqiou, qui fut le modèle de Des Esseintes pour J.K Huysmans et surtout le ridicule et insupportable baron Charlus de Proust, a laissé une oeuvre multiforme, ampoulée et à jamais datée mais que l'on peut cueillir comme un des fruits vénéneux de cette "fin de siècle" dont il est un des personnages clefs, un de ceux qui en illustrent avec le plus de magnificence l'éclat et la désolante fatuité. Des vers très travaillés mais qui n'atteignent jamais la densité cristalline de Mallarmé, et flirtent dangereusement avec la préciosité. Le "Chef des odeurs suaves" aura été victime de sa trop grande fortune et de ses succès mondains. Toutes considérations qui donne encore plus de prix à des accents furtifs (trop peu nombreux) d'une certaine fraîcheur de regard comme en témoigne cet étrange portrait "Garçon à la toque"
 


 
 
posté le 07-08-2009 à 10:32:58

Souvenirs de vacances.

L'image est celle de la nostalgie. Tel il fut ce modeste château comme la province française en offre tant. La première guerre mondiale l'a rasé et l'on a reconstruit à sa place une demeure de conte de fées, un mélange de style art-déco et pseudo- médiéval propre à faire rêver. Des amis y venaient pour des vacances comme on les représente dans les films des années 50.  Innocentes et soumises à des rites exigeants où la découverte de l'amour se faisait par petites touches et puériles approches. Une ferme dépendant de la propriété vivait comme au XIX° siècle, au rythme des saisons. On y rencontrait les animaux qui meublent les Histoires de Benjamin Rabier. Plus tard, une femme se piquant de culture, y avait, dans une des tours (de modestes dimensions), entreposés tous ses volumes de la collection de la Pléïade de chez Gallimard. C'était, pour elle, le summum de la culture et du bon goût. Mais aucun livre ne traînait sur les meubles dépareillés qui donnaient à l'endroit un faux air de pension de famille. Alentours, les bois avaient des sauvageries de forêt et quelques chemins tracés par les sangliers conduisaient dans de mystérieuses clairières où les galopins du village conduisaient des filles effarouchées par les légendes qui couraient et dotaient les hêtraies de quelques histoires que l'on se rapportait à la veillée. On vivait comme au XIX° siècle.
 


 
 
posté le 06-08-2009 à 12:10:20

Proust au square.

Celui qui hante les salons les plus huppés (les plus snobs), qui brille par sa conversation, qui adore frôler les jupes des duchesses, n'est en fait qu'un formidable solitaire. Il se traîne dans les stations thermales qui sont le purgatoire de toutes les solitudes. Le voici, emmitouflé comme s'il devait affronter les grands froids, le regard bien posé pour répondre à la demande du photographe. Poseur, jusque dans la manière de s'asseoir pour donner un ton de nonchalance à sa présence. Insolite à y bien réfléchir, la floraison d'un jardin public devait agresser son asthme lattant. Mais n'y-a-t-il pas aussi une once de mélancolie (de désenchantement ?). Familier des squares urbains je connais ces solitudes qui laissent glisser le temps, ne souhaitant même pas de fécondes rencontres, la conversation sur le banc public se résumant, la plupart du temps, en banalités.Soucieux de préserver sa solitude il a négligé le banc pour traîner une chaise sans doute bien inconfortable sur laquelle il s'est "tassé". Comme une bête traquée.L'homme des villes, qui en a l'uniforme conventionnel, est ce monument de mots qui crépitent en sa tête, comme autant de feux qui veillent. Que restera-t-il de cet instant de pose dans un jardin de ville d'eau ?
 


 
 
posté le 06-08-2009 à 11:24:22

Cécile Miguel dessine les arbres.

D'une main assurée, mais ferme sans être brutale ni sèche, d'un oeil énivré d'espace et de toute la magie des parfums qui y circulent, s'accrochent, comme les oiseaux, aux ramures, Cécile Miguel dessine avec des minuties d'orfèvre, des élégances élégiaques de chantre médiéval, les paysages qu'elle rencontre. Elle va vers eux comme vers des personnes dont elle quête l'âme, car ce sont des paysages habités, quoique modestes en leur comportement. Nul éclat, ni rien de cette emphase romantique qui dramatise le moindre arbre dont la mémoire ne peut qu'être celle de catastrophes. Les siens ont une sorte de tendresse fraternelle qui invite à une douce rêverie. Il y a là la manière des anciens créateurs de carton de tapisserie qui déclinent les splendeurs de la nature comme si elle était en prière. Rêveuse, tendre et bienveillante. Il n'y manque plus que ces animaux arrachés au bestiaire du fantastique (mais une biche au naturel, l'est déjà), mais elle craint la miévrerie qui en découlerait. Alors elle préfère  que l'imagination du spectateur remplisse ce décor, l'anime à sa convenance L'air circule librement, le blanc du support (le papier) est comme une respiration. Euphorique mais en douceur.
 


 
 
posté le 06-08-2009 à 10:29:22

Rimbaud tête en l'air.

Les rapports que nous entretenons avec les manuscrits de ceux que nous admirons (dont nous sommes, par l'habitude de la culture, imprégnés) relèvent sans doute plus du fétichisme que d'une juste et rationnelle appréciation des choses. Un poème, même médiocre, "copié" de la main de Rimbaud, aura le pouvoir de nous émouvoir. Rimbaud n'échappe pas à la règle d'autant qu'il subsiste un rien de l'enfance dans une graphie plutôt laborieuse et banale.L'enfant, il le reste, qui ajoute au texte des griffonnages dans les marges, une prétention au dessin. On connaît ce besoin qu'éprouve l'écrivain, de s'épancher par le dessin quand le texte l'aura contraint. C'est une sorte de rêverie spontanée. On devine le scripteur, la tête levée, le regard vague, quêtant quelque fantaisie, une diversion. Alors la plume abandonne le territoire des mots (qui nous imposent leur indiscrète présence) et s'invente ses propres vagabondages. L'humour souvent prend place sinon le rêve, mais se moquer, persifler c'est aussi une manière de s'échapper de soi-même. D'être "l'autre".
 


 
 
posté le 05-08-2009 à 15:04:03

Lucien Coutaud, érotomane ?

Lucien Coutaud n'a pas eu la chance de son ami Felix Labisse sur qui des écrivains prestigieux ont écrit (dont Robert Desnos). Hormis un essai (fort conventionnel) de Pierre Masars, celui qui portait la littérature au degré premier de son univers n'a pas encore inspiré de "grandes plumes". Illustrateur fameux et inspiré, on ne lui a pas rendu un juste retour d'intérêt et sa prise de distance avec le surréalisme orthodoxe l'a privé d'un engagement qui aurait apporté un éclairage sur son travail et qu'on pouvait attendre d'un Gilbert Lely qu'il a pourtant splendidement illustré. Ni Jean Blanzat qui fut de ses amis intimes, ni Marc Bernard qui le connaît jeune encore, ni André Fraigneau dont on pouvait attendre une étude sur celui qu'il appréciait pourtant grandement, ni Eluard qui afficha nettement son admiration, n'ont capturés les mots qui eussent apporté un nouvel éclairage sur ce monde halluciné et fascinant. Un jeune poète fort prolixe (Christophe Dauphin) s'est attelé à la tâche avec beaucoup de bonne volonté et une pieuse attention qui rachète partiellement cette pénurie dénoncée.Il a choisi de placer son modèle sous le signe de l'érotisme. Ce qui n'explique peut-être pas totalement la démarche de l'artiste si elle lui donne en revanche un séduisant relief. Voici, en attendant l'ouvrage vivement inspiré qui collerait totalement à l'oeuvre, une approche sympathique et bien utile.
 


 
 
posté le 05-08-2009 à 12:04:48

Photo de famille, les surréalistes belges.

Il y a là tout le gratin du groupe surréaliste belge,  de René Magritte à Irène Hamoir en passant par Camille Goémans, Georgette Magritte (modèle préférèe de son peintre de mari), E.L.T Mesens (agitateur et créateur de mots en forme de collages), Louis Scutenaire (l'incomparable auteur de "Mes inscriptions", une des oeuvres les plus singulière de sa génération), Paul Colinet, Marcel Marien (aux mémoires savoureuses). Tous, ou presque, fréquentaient le Soleil dans la tête et y apportaient leur humour encore un peu collégien, leur faconde de bourgeois frondeurs en goguette, et une bonne humeur qui se concrétisait par des ripailles homériques dans les brasseries du boul'mich. On vivait, au quotidien, la farce et la légende. C'était la rencontre de Rabelais et de Paul Eluard. Une version très particulière de la poésie.
 


 
 
posté le 05-08-2009 à 11:38:21

Les Lèvres nues et l'humour belge.

Dans la grande tradition des revues surréalistes, Les Lèvres nues (ainsi que Phantomas , Temps Mêlés et Daily Bul) venaient, bouche ouverte et prometteuse, de Belgique. Dans les années 50-60 il s'était créé une véritable effervescence poétique et picturale qui perpétuait les valeurs provocatrices du surréalisme alors que Paris s'était entièrement donné aux philosophes "saintgermanotropins" dont Jean Paul Sartre, à son corps défendant, était devenu le gourou de référence.Bruxelles affichait des courants qui se croisaient, s'opposaient et parfois se fondaient dans une action libératrice alors que le règne de l'argent pointait déjà du nez. L'humour (et ne nous moquons pas de l'humour belge) y dominait dont on voyait dans Magritte le chantre le plus accompli. Il parraine d'ailleurs plus ou moins toutes ces publications et reçoit d'elles hommages et reconnaissance.On était, au Soleil dans la tête, un peu "le bureau" largement ouvert de toutes ces publication qui recrutaient pratiquement les mêmes collaborateurs tant français que belges. Il y aurait toute une histoire de ces revues à entreprendre. Elle révélerait la formidable volonté de sortir de l'ornière d'une modernité trompeuse, de valeurs commerciales qu'elles défiaient. A suivre.
 


 
 
posté le 04-08-2009 à 15:44:59

Les reliques d'André Breton.

Il est difficile d'imaginer ce que pouvait être pour un adolescent de l'après-guerre la découverte (surtout en province) d'André Breton dans sa vie et dans son oeuvre. C'était à Laon, où l'on traînait notre ennui, du lycée où Jean Paul Sartre avait professé quelques années auparavant (alors qu'il écrivait La Nausée), et la vieille ville qui déroulait ses rues aux pavés irréguliers depuis la cathédrale jusqu'aux remparts d'où l'on avait une vue superbe sur une France qui se souvenait de ses batailles. Un décor propre à susciter les vocations les plus inspirées. Sans succès, longtemps après, j'ai tenté de le reconstituer dans Le Palais de Diolcétien dont personne n'a voulu, qui conduisait de ce Laon fantomatique à Spilt, dans les plis du palais de l'empereur qui voulait dominer le monde. Une sombre histoire si compliquée qu'en l'écrivant je m'étais perdu. Mais Breton était dans l'ombre, dont nous avions découvert (grâce à Maurice Nadeau) les termes décisifs du Manifeste du Surréalisme dont chaque mot portait à vouloir changer de vie, secouer notre inertie et notre confort petit bourgeois. Rencontré après, à maintes reprises, André Breton n'était plus qu'une représentation de lui-même. Onctueux et péremptoire. Inspirant une sorte de respect, de celui qu'on avait alors pour les maîtres, avec une aura de gloire qui les statufiait. D'ailleurs leurs écrits sont devenus l'objet d'un culte et ont rôle de reliques. Lit-on une relique, si on la vénère ?
 


 
 
posté le 04-08-2009 à 15:19:30

Flaubert, dernières heures.

Il est du tourisme culturel ce qu'il est des rêves dont on a tant de mal à reconstituer le déroulement qui nous enchanta dans l'inertie physique du sommeil. Parce que sans doute, notre mémoire ne retient pas la globalité de ce que nous avons découvert et qu'on aura eu le tord de contempler avec la ferveur un peu naïve du militant, allant au devant de ceux qu'il admire et s'imprégnant ( croyant s'imprégner) de l'environnement qui fut celui d'une oeuvre qu'on aura admiré, regardant le lieu à l'aune de celle-ci et n'y trouvant le plus souvent que les marchands du temple.Flaubert c'est Croisset. Son havre, il n'avait de cesse, même voyageur, de s'y retrouver dans le confort d'une vie familiale assez bourgeoise. Qu'en est-il de ce qui fut sa maison. Un jardin où l'on cherchera la fameux "gueuloir" où il mettait à l'épreuves ses pages à peine écrites.Un pavillon, comme il en existe souvent dans les propriétés bourgeoises, et qui donnait directement sur le chemin de halage au bord duquel était construire la maison, à la charge de restituer un climat qui pourrait être celui de son cabinet de travail.Suivons Julian Barnes qui y va de son pèlerinage narquois autant que scrupuleux : "..on est touché au hasard par les objets exposés, étalés avec insouciance. Des portraits, des photographies, un buste en argile ; des pipes, un pot à tabac, un coupe-papier ; un encrier en forme de crapaud avec une bouche grande ouverte ; le bouddha d'or qui était posé sur le bureau de l'écrivain et qui ne l'a jamais irrité ; une boucle de cheveux, plus blonds évidemment que sur les photos. Deux objets, exposés dans un cabinet, sont faciles à rater : un petit gobelet dans lequel Flaubert a bu de l'eau pour la dernière fois, quelques instants avant de mourir ; et un mouchoir blanc roulé en  boule avec lequel il s'est épongé le front, ce qui a peut-être été le dernier geste de sa vie"
 


 
 
posté le 04-08-2009 à 12:18:28

L'oncle Marcel (Proust).

L'oncle Marcel.La photographie (le portrait), telle qu'on la pratique jusqu'à la guerre de 1914 définie bien cette société qui, ayant découvert cet art de la ressemblance (et de la durée), impose un certain type humain à la fois dans l'ostentation de sa bienséance et son auto-satisfaction. Proust n'y échappe pas, son milieu l'aura conduit à préserver des gestes, des choix, des attitudes qui n'annoncent rien de son génie propre. Il est largement tributaire de sa classe (même s'il vise "plus haut") et définitivement marqué par les moeurs bourgeoises qui sont le vernis derrière lequel germe l'homme des échappées dans l'écriture et l'abandon aux affres de la maladie qui sans doute, dans son cas, devient un élément positif pour l'engager dans une voie qui n'était pas celle que le passage chez le photographe pour se faire tirer le portrait  prévoyait, annonçait.Jeune encore, et mondain, il a là l'élégance nonchalance de celui que  la vie a relativement gâté et qui hante, en usant de tout son charme, les salons des duchesses dont il va tirer les plus cruels portraits, comme Saint-Simon jetait du venin sur les jabots des ducs de Versailles.Ce pourrait être le gentil tonton qui nous sort le dimanche et nous emmène au bois pour goûter, à la "Marquise de  Sévigné". Qui n'a pas eu le sien, tiré à quatre épingles, et dont on vantait le train de vie fastueux ?
 


 
 
posté le 04-08-2009 à 11:41:54

Watteau et la mort.

A la recherche de Watteau.Peut-on comprendre dans toute l'étendue des fantasmes qu'elle véhicule la Révolution française et tout ce qui l'entoure si on ne va pas du côté de celui qui annonçait sa venue. Non par des démonstrations intempestives, des faits avérés, mais en donnant toute sa théâtralité à cette société qui courait vers sa perte en dansant. C'est bien le propre de l'Histoire, et la preuve de sa logique, que toute période de fébrilité érotique, de charme et de volupté, annonce les grandes catastrophes. Un simple regard sur le passé, et la chute des civilisations, pour voir qu'elle s'annonce toujours par la culture de plaisirs, teintée de cette mélancolie qui témoigne de l'instinct de celui qui s'aventure vers sa propre perte, le sait et ne fait rien pour s'en sauver.Watteau annonce Fragonard, il le fait par petites touches, avec cette légèreté élégante de celui qui reste, toutefois, complice de ce qu'il montre. Il ne le dénonce pas, peut-être est-il aussi si compromis dans ce qu'il montre qu'il ne peut que s'exposer à l'instant même où on pouvait attendre de sa lucidité qu'il s'en écarte. Watteau n'est pas un peintre pamphlétaire, il ne fustige pas la société, il en célèbre la douceur, la futilité, peut-être la mélancolie qui s'en dégage qui est aussi la sienne. De trop bien voir on s'alarme. On se plonge dans le plaisir pour oublier  la tempête qui s'annonce, comme on s'y plonge pour oublier la mort. Et pourtant la mort est dans les bosquets. Tapie, vaillante, elle attend son heure.
 


 
 
posté le 03-08-2009 à 14:39:26

Le Facteur Cheval, des rêves de pierre.

Pierres à pierres, transportées dans un simple brouette de jardinier, sa tournée de facteur terminée, il les accumule, les assemble, construit comme dessiné par un poètes pris de folie, une construction étrange, pleine de circonvolutions, de cavités, d'excroissances bizarres , et bientôt dominées par une forêt de tourelles, cheminées, miradors à rendre jaloux le château de Chambord, mais comme lui répondant à un rêve dément. Ici d'un  roi qui avait le pouvoir de le commanditer, là d'un presque manant mettant la main au coeur de son projet et y sacrifiant sa vie.Tout comme le douanier Rousseau (mais il est un peu son frère en architecture), il met dans son oeuvre la foisonnement de rêves qui l'habitent et qui s'alimentent, faute de voyages, de la consultation à la veillée de ces formidables publications qui, à la fin du XIX° siècle, apportent, dans les foyers, toute l'émotion du voyage, les images fabuleuses d'un exotisme encore vierge de toute exploitation commerciale et de congés payés. Des lointains fabuleux mais aussi porteurs de culture. Il est significatif de voir que le facteur Cheval, tout comme le douanier Rousseau, autodidactes, sont soucieux de parfaire leur culture, d'élargir leur horizon quotidien par ces constructions maniaques, minutieuses, ces agencements de formes empruntés au Magasin Pittoresque et qui deviennent des oeuvres originales, à la mesure de leur personnalité, à la fois discrète, écrasée par les contraintes d'une réalité qu'ils refusent, qu'ils défient, qu'ils contournent, qu'ils provoquent. Offrant leur réalité, et nous invitant avec insistance à les partager. Ce sont, paradoxalement, à la fois des oeuvres profondément  personnelles, et ouvertes. Témoignant d'un souci tenace, presque maladif, de communiquer la puissance de leurs rêves.
 


 
 
posté le 03-08-2009 à 12:28:05

Artaud et la beauté du diable.

Le terme dans sa circulation populaire stigmatise la beauté et lui donne une connotation historique et religieuse. Le diable associé à la beauté, c'est dénier à celle-ci tout autre pouvoir que de nous perdre. A la revendiquer, à la célébrer.Elle est l'élan naturel d'un mal annoncé, dénoncé, porteur d'une malédiction qui sera le terme de son triomphe.Triomphe-t-on d'être beau. Notre société en fait un usage commercial, érotique, jamais sacré. Ou plutôt dans une position diamétralement opposée et comme son contraire maléfique.L'aventure physique d'Antonin Artaud a ceci d'exemplaire, qu'il incarne dans sa jeunesse flamboyante la beauté, et qu'il se métamorphose, avec le temps, en la figure damnée du vieillard dans sa déchéance.Son visage, si bien exploité par les cinéastes qui font appel à ses qualités de comédien (tragique plutôt), sera le territoire de toutes les blessures que la vie, la souffrance, la drogue peuvent apporter, le marquant irrémédiablement.Il se façonne un visage de souffrance. La diable est vaincu ? 
 


 
 
posté le 03-08-2009 à 12:07:21

Lautréamont fidèle du Passage Verdeau

On peut imaginer que Lautréamont, en "riverain", l'empruntait chaque jour. Il lui suffisait de traverser la rue du faubourg Montmartre où il demeurait  au 32 (en 1869     et au 7 en 1870 ) pour s'engouffrer dans les entrailles de cet étrange animal urbain, tout en mystères, suggestions imprévues, curiosités en tous genres, avec, prédominant, les boutiques de libraires. Boutiques tant par leurs dimensions modestes, et une unique ouverture sur le passage, sans quoi elles n'auraient pas d''existence sociale. Elles sont plutôt des cavités que de vastes espaces, et intimes en leur atmosphère, avec, tant pour agrandir leur espace d'exploitation commerciale qu'inviter le promeneur à s'y arrêter, des "caisses" disposées sur leur façade, suscitant l'envie, signifiant le style des "productions" que l'on peut y trouver. Et ce sont, bien plus que partout ailleurs, des relais où l'on s'intéresse à la littérature dans ses aspects les plus nobles.  Les passages sont fréquentés par une faune bien différente de celle qui circule d'abondance sur les grands boulevards tout proches. Ceux ci sont les fleuves tourmentés et rudes des foules, ceux-là de modestes ruisselets où s'attardent ceux qui s'y engagent. On y croise ceux qui optent pour la flânerie Tout l'art de la promenade c'est de choisir des itinéraires à son humeur, souvent à sa ressemblance.Lautréamont, donc, musardant dans cette lumière glauque d'aquarium qui fait le charme et l'étrangeté de ces artères  échappant ainsi aux rumeurs et violences de la rue pour enfermer ceux qui les fréquentent dans leur propre fantaisie, leur intimité juste frôlée par ce qu'ils y rencontrent, y découvrent. On n'y viole pas le regard ni la sensibilité du passant, on lui murmure des charmes inconnus, furtifs. Ne sont-ce pas nos modernes sirènes tant redoutées par Ulysse ?
 


 
 
posté le 03-08-2009 à 11:50:31

Jean Pierre Brazs chez Epicure.

Jean Pierre Brazs "vient" de la peinture, il s'y maintient juste le temps d'en éprouver les limites et de s'en lasser. Par le dessin, une exploration instinctive, sans but anecdotique ou représentatif, il y découvre un nouvel espace à meubler de ses rêves. Du dessin (la feuille de papier, support), il passe à la réalité de l'espace qui s'offre à lui, sinon qu'il est déjà habité (par des monuments, des fonctions, des habitants). Tout son problème sera de l'aborder sans nier ce qui y est. C'était le propre des barbares de détruire dans leur conquête ;  une approche bienveillante permet des mariages, des associations, un enrichissement réciproque.Il va alors composer un événement moins spontané que réfléchi selon les données admises. Il va à la rencontre du paysage sans en être pour autant la victime. C'est bien le problème des grands jardiniers de l'Histoire d'avoir choisi : soit l'emprise totale de leur volonté sur la nature (Le Notre, à  Versailles), soit d'avoir tenté une mise en forme de l'espace en s'accordant à ce qu'il proposait (le jardin anglais : Méréville, Retz, Ermenonville, Maupertuiis, presque tous depuis déformés, et retourné à la brutalité d'une nature presque sauvage).Jean Pierre Brazs intervient avec tact, et curieusement il retrouve parfois ce que la nature aurait pu faire, sans intervention humaine. Le vent, le temps, le cours des saisons sont aussi des artistes qui jouent sur l'environnement.Photon jardin Epicure. Voir site Jean Pierre Brazs.
 


 
 
posté le 01-08-2009 à 15:56:07

Lits et ratures, c'est l'humour de Picabia.

Il fallait aux jeunes André Breton, Philippe Soupault, Aragon, et leurs nouveaux amis, un "organe de presse", une publication qui signale leur alliance autour d'idées communes. Ce qui n'est après tout qu'une tradition du genre. Chaque génération a ses revues et chaque groupe littéraire la sienne. Littérature s'annonce d'abord comme une revue répondant à son titre dans la neutralité qui augure d'une bonne conduite sociale et d'une référence aux aînés. Pour les futurs surréalistes qui n'échappent pas à la règle, c'est une reconnaissance aux maîtres du moment, et Valery n'est pas loin. Lequel n'est pas hostile à l'humour, aux bons mots et à une certaine forme de provocation qui va s'amplifier au cours des mois et devenir une manière de penser, de s'imposer. L'apport de Picabia comme graphiste et dessinateur de la couverture offre l'ultime étape de ce déchaînement qui radicalise l'action  et la mise en orbite des jeunes poètes ralliés (ou en voie de l'être) au surréalisme. L'esprit "dada", cause de tant de malentendus et de querelles intestines, subsiste, dont Breton tendra de se désolidariser avec le temps, lorsque le temps de l'onction protectrice interviendra et le posera comme le "pape" du mouvement.Picabia est un formidable inventeur de calembours, mots à tiroir, décervelage dans la tradition d'Alfred Jarry ( qui, avec Lautréamont et Rimbaud) sera une manière de parrain, de référence absolue. Il transpose, dans le monde du dessin, l'humour qu'il sait aussi manier par la verbe, dans des poèmes qui relèvent parfois de l'almanach Vermot mais constituent une matière durable pour la persistance de l'esprit dada dans une oeuvre qui à elle seule, est un monde. Scintillant et porteur d'une sorte de philosophie désenchantée. Qu'il sera toujours sain de retrouver.