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  VEF Blog

lettres de la campagne

posté le 30-04-2010 à 09:42:13

Marie de Régnier, du côté de Lesbos ?

Pour que Jacques Emile Blanche ait fait son portrait il fallait bien que Marie de Régnier (Gérard d'Houville) soit une célébrité de son temps. Fille de José Maria de Hérédia, épouse d'Henri de Régnier, elle vivra, tout enfant, dans les coulisses de la littérature, son père tenant "salon" rue Balzac où le Tout Paris des lettres et des arts se pressait. Elle saute sur les genoux de Mallarmé. Lecomte de Lisle, Anna de Noailles, Paul Valéry fréquentent la Bibliothque de l'Arsenal dont son père et le directeur (comme le fut avant Charles Nodier). C'est parmi les livres qu'elle écrit ses premiers poèmes et rapidement elle rencontre une attention d'estime auprès des milieux intellectuels avant de gagner le grand public avec une oeuvre volontiers sentimentale et d'une sensualité encore discrète. "Elle chante la solitude, la nature, son enfance, la mort et la beauté éphémère du corps de la femme" à s'interroger' sur un lesbianisme latent qui serait bien dans l'esprit de son temps, la chose étant largement partagée chez les poétesses de cette "fin de siècle" si étrangement éprise de lassitude, et du doux sentiment du péché qui a les grâces exquises de l'interdit.
 


 
 
posté le 29-04-2010 à 16:17:10

Léandre le montmartrois.

Il est de cette génération féconde qui a donné un grand nombre d'humoristes (Forain, Steinlen) et, comme eux, il s'est fait les griffes dans ces publications qui doublent et accompagnent les cabarets montmartrois comme "Le Chat noir". Il pratique le trait vif, capte ses modèles avec "les particularités ridicules d'une figure ou d'un individu" remarque Théophile Gautier. Dessinateur, lithographe, il s'est aussi essayé à l'illustration pour Maupassant, Courteline, Alexandre Dumas (Les trois mousquetaires), Gustave Flaubert  (Madame Bovary). Il est fort proche des peintres académiques sans pour autant pratiquer une peinture qui découle de leur esthétique étroite, prenant le large des conventions par la pratique de l'humour et ne dédaignant pas pour autant le paysage dans sa définition la plus naturelle (proches des naturalistes, et au plus étendu de leur propos, des impressionnistes).Bien que d'origine normande il est indiscutablement lié à l'aventure de Montmartre, celui du XIX° siècle quand la Butte était encore campagnarde et que la fête y avait un ton enfantin et (l'humour n'est pas incompatible avec une certaine tendresse du coeur), d'ailleurs il y avait son atelier au 87 de la rue Caulaincourt (son ami Steinlen était au 73 de la même rue).
 


 
 
posté le 29-04-2010 à 13:55:02

Antonin Artaud et le théâtre.

Le théâtre est au coeur de la vie d'Antonin Artaud, la matière vive de sa pensée créatrice qui aura tenté (mais sans succès) de donner corps à une énergie qui restera illusoire, mais génératrice, après lui, d'un des principaux courants du travail scénique dont son ami Jean Louis Barrault aura été le premier artisan.C'est dans le grenier de la rue des Augustins (devenu par la suite l'atelier de  Picasso où fut peint Guernica) que Jean Louis Barrault faisait répéter sa troupe, et Artaud suivait avec passion cette aventure. Des liens très forts d'estime et d'amitié se seront créés entre les deux hommes. Une passionnante correspondance en marque l'esprit et les étapes. Autant que ses poèmes, ses traductions (Le Moine de Monk Lewis) et ses études, les lettres d'Artaud cernent les principaux problèmes qui le mobilisaient.
 


 
 
posté le 28-04-2010 à 14:46:17

Dubuffet pape de l'art brut.

Outre son génie propre Dubuffet aura su magistralement organiser son oeuvre, la dérouler selon un programme (un plan quinquennal ?) et lui donner une visibilité de lecture qui explique la formidable audience qu'il rencontre. Ouvrant l'art à des chemins jusqu'alors ignorés (ou méprisés) comme l'art des enfants, des fous, et toutes les marginalités qu'il a recensées, Dubuffet a codifié une nouvelle esthétique à laquelle il a donné droit de citée. Sa dynamique créatrice passe aussi par la reconnaissance et la promotion d'artistes qu'il va réunir sous le label frappant "d'art brut". Il fera des expositions pour le faire connaître, à la galerie René Drouin, dans celle que Gallimard avait créé dans un pavillon de son hôtel particulier de la rue Sébastien Bottin, en rapport avec des galeries amies comme Facchetti, Craven. Dès lors le courant est lancé, il en est le conducteur sinon l'exemple. L'exploration des talents instinctifs mais aussi un rapport sans "complexe culturel" avec la réalité la plus évidente. Rejoignant ainsi, ou préfigurant, la peinture de la matière même. Le macadam au même titre que le graffiti.
 


 
 
posté le 28-04-2010 à 13:29:37

Pascin, les draps froissés.

La force de Pascin, son originalité, c'est d'avoir tourné le dos aux idées  esthétiques qui gouvernent sa génération et situent les artistes dans une logique historique qui lui est étrangère, sans doute indifférente.Peindre, au début du XX° siècle, c'est militer pour une idée de progrès, et chanter la modernité. Trouver une grammaire nouvelle, briser les formes, tourner le dos à la tradition. Ce militantisme l'indiffère, et plutôt que de s'inscrire dans une "école", un courant, il progresse dans son art en suivant ses instincts, sa sensibilité, et nous offre une sorte de journal de sa vie intime.On l'aura comparé à Toulouse-Lautrec en raison de ses sujets (filles, bordels) ce qui est une manière un peu rapide et propre à fausser sa propre vision du monde qu'il aborde. Toulouse-Lautrec le fait d'une manière frontale, avec quelque chose de crâne dans le graphisme, une main qui se plaît à des raccourcis aux effets décoratifs, dans une sorte d'éclat chromatique qui le rapproche du décorateur, de l'affichiste (qu'il aura été superbement). On est loin de la manière de Pascin, toute en ondes sensuelles, en profondeur de champ pour aller dénicher les intimités d'un décor souvent glauque, dans un climat de draps froissés, où l'on à l'impression de surgir en voyeur, en indiscret. Son amour de la femme est si intense, et si "visible" qu'il parvient à nous suggérer cette fameuse "odeur" qui est  celle de la chair en émoi. Mêmes sujets, mais relevant d'un tempérament différent, et dans un contexte esthétique lui aussi en forte variation. Toulouse-Lautrec, comme ses amis les Impressionnistes (si bien qu'on le confond avec eux), lutte contre l'académisme régnant, Pascin n'a pas à s'insurger contre le poids de cet académisme qui aura été vaincu par ses prédécesseurs, mais il participe d'un climat de liberté des moeurs qui s'affiche sans complexe, et, tout au plus fera-t-il, la nique au bourgeois, dernier bastion de la tradition allant au fond des niches à plaisir où se dilue une société qui a perdu ses illusions et se raccroche au plaisir avec une note de désenchantement.
 


 
 
posté le 27-04-2010 à 11:37:14

Paris égyptien.

La mode de l'Egypte suit l'expédition de Bonaparte et toute l'époque en est imprégnée jusqu'à un style du mobilier qui deviendra "empire". Mais l'architecture n'échappe pas à la mode, et Paris, en son centre actif, en reçoit les échos.C'est que l'Histoire se fait grandiose, et tout comme le romantisme remettra à la mode l'architecture (et le décor) gothique (c'est le style troubadour), l'Empire imposera ses lois. De la rue du Caire (une autre référence) au parc Monceau, en passant par le Palais de Justice, le souvenir égyptien laisse des traces, inspire des références qui sont entrées dans la climat parisien, et si profondément, qu'on en oublierait l'origine.Le cinéma Louxor, au pied du métro aérien, décrépit, fut, dans l'entre deux guerres, un exemple attachant de reconstitution archéologique. On lui prédit un destin prestigieux. Il fut, dans les années 80, déchu de ses fonctions, transformé en cinéma glauque où se pratiquait la drague gay et le trafic de drogue. Un lieu enténébré et porté aux fantasmes de ceux qui, passant devant son entrée bariolée de graffitis, pouvaient imaginer les orgies "égyptiennes" dont il était le cadre.
 


 
 
posté le 27-04-2010 à 11:28:14

Gaston Chaissac en mots bien dans leur peau.

Le besoin d'expression qui pousse Gaston Chaissac vers la peinture (et quelle peinture) le conduit aussi à l'écriture. Et quelle écriture !Elle ne ressemble à rien de ce qui se fait. Non qu'elle torde les mots, brouille la syntaxe, se moque de la grammaire, mais elle sautille dans la réalité qu'elle décrit avec innocence et malice à la fois aussi paradoxal que cela puisse paraître.En fait, en totale indépendance et avec une savoureuse verdeur de la vision. Chaissac serait une sorte de Saint Simon de village, un cancanier inspiré et volontiers indiscret, mais au profit d'un vitalité rafraîchissante.A une telle écriture (entre le conte et la lettre, et les deux à la fois) un certaine type de typographie convient mieux que celle qui régimente les mots, les discipline, les aligne jusqu'à affadir le texte. L'art de la typographie comme le pratiquait Jean Vodaine, a le pouvoir de donner ce relief au mot, retrouvant dans l'impression cette diversité d'humeur que peut traduire la calligraphie. Il épouse (par le choix des caractères, leur mise en page), le tempo de la phrase, l'esprit du texte, en fait chanter l'âme comme le fait un instrument de musique d'une note écrite sur une portée.Il n'est pas jusqu'au choix du papier, support de la typographie, qui a des rudesses, des rusticités, évoquant la main calleuse de l'homme des champs.Les mots de Chaissac sont, là, dans leur peau. Et bien.
 


 
 
posté le 26-04-2010 à 10:37:33

Pierre Louys érotomane.

Pierre Louys érotomane distingué.On ne peut aborder l'oeuvre de Pierre Louys sans passer par la case "intimitié". Connaître ses complexes relations avec sa femme  et la soeur de celle ci, Marie,(photo, la future Gérard d'Houville) que son père José Maria de Hérédia a marié à Henri de Regnier, le cocu de l'histoire. Il aura d'elle un fils, lui même étant le fils de celui qui passait pour son frère. S'il développe dans son oeuvre une large érudition marquée par la fascination de l'Antiquité, il est sans doute significatif qu'il ait fait une entrée dans les lettres avec un texte censé être l'oeuvre d'un autre (en cela comme son ami Gide avec "les Cahiers, d'André Walter"). "Les Chansons de Bilitis" sont en effet un faux que Pierre Louys lance avec un réel succès. C'est l'histoire d'une poétesse grecque, sorte de concurrente de Sapho, et comme elle attachée à la célébration d'une sensualité raffinée. Elle conte l'histoire de son amitié pour une jeune fille du nom de Mnasidika dont elle partage la vie, célébrant son corps délicieux, sa grâce et ses voluptés innocentes. Des textes brefs, lumineux, d'une sensualité qui se veut naturaliste et ne manquent ni de charme, ni de séduction, annonçant une sexualité sans complexe et détachée du sens judéo-chretien du péché. Pour "Bilitis" Pierre Louys s'était inspiré d'une liaison passagère, à Constantine, en 1887, avec une jeune prostituée du nom de Meryem ben Ali qui aura aussi été la première maîtresse du jeune André Gide venu en Algérie pour se déniaiser.Au soir de sa vie Pierre Louys développe encore plus cette curiosité pour la littérature érotique, il est un grand amateur de "curiosa" et son immense bibliothèque sera une mine pour les chercheurs. Jean Paul Goujon est l'incontournable spécialiste dans ce domaine.
 


 
 
posté le 26-04-2010 à 09:49:43

Verlaine dans l'ivresse.

Verlaine dans l'ivresse.La Petite Source fut, dans les années 6O, au mi-temps de son parcours sur le boulevard Saint Michel, une cafétéria faisant cliquer ses néons et son formica, hésitant entre le bistro qu'elle n'était plus et la brasserie qu'elle n'osait pas devenir.Curiosité du lieu, dans un coin, entre faux rocher et moleskine, une table posée comme une relique et le cartouche précisant que c'était là la place préférée de Verlaine quand il venait dans l'établissement. De fait, il les faisait tous, le café étant son ère de vie (d'errance) depuis qu'il avait perdu son compagnon lumineux de fuite éperdue devant soi et ses ultimes rêves d'amours, conciliables avec le sexe.Devenu une sorte de statue-fétiche pour tous les amateurs de poésie (voir les pages émue de Francis Carco), une sorte de lien entre le symbolisme dont il était un héros et la nouvelle génération, (ce que sera à son tour Apollinaire).Un Verlaine figé dans sa gloire maudite, et l'ivresse qui lui  tenait lieu de secours, plongé dans un rêve si vague qu'il ne pouvait déboucher sur le réel que dans un climat de catastrophe. C'est l'image que l'on gardera de lui, jusqu'à en faire une icône (comme Mallarmé et son large châle), l'image de la poésie poussé à ses limites, extrêmes quand elle a tué l'homme pour en faire une figure de légende.
 


 
 
posté le 26-04-2010 à 09:44:46

Henri Michaux au coeur d'Antagonismes;

Des nombreux commentateurs qui se sont penchés sur l'oeuvre graphique d'Henri Michaux, Geneviève Bonnefoi, est sans doute celle qui a offert l'analyse la plus pertinente (comme René Berthelé  et Robert Bréchon pour l'oeuvre poétique), sans excès de langage et en cherchant à la situer historiquement.Ce qui a son importance, car si l'oeuvre poétique se détache totalement de ce qui se fait dans le même temps, il n'en est pas de même pour l'oeuvre graphique qui a d'ailleurs été constamment revendiquée par les faiseur de l'Histoire de l'art contemporain, les critiques, les concepteurs de vastes synthèses souvent bien utiles pour se diriger dans la jungle de la "production" des années 30-60 où elle se développe et trouve son audience.Les divers mouvements en action, font référence à Michaux pour autant qu'il a libéré la main des contraintes de la représentation du réel pour saisir l'instant émotif, voire les incertitudes du rêve, des illusions optiques, et les remous dans la véhémence de son inconscient. On aura parlé du "tachisme" de "l'abstraction lyrique", de "l'informel", tous courants où Michaux à sa place. Non tant qu'il diversifie sa propre trajectoire, mais elle est assez riche pour recouper chacun de ces courants et d'y trouver des équivalences à travers les oeuvres de Wols, Mathieu, Degottex, Fautrier, Tapiès, Camille Bryen, et bien d'autres encore, en mesure différente,  comme l'avait démontrée la remarquable exposition organisée par Julien Alvard sous le titre "Antagonismes".
 


 
 
posté le 23-04-2010 à 09:45:35

Henri Michaux en dessin.

Quand il dessine il écrit, prolonge les mots par l'image qui en découle. C'est un long fleuve, pas tranquille, où l'on voit, de la berge, flotter, sur sa surface mouvante, des formes étranges, détritus abandonnés par la nature, rejets d'une identification difficile, quand l'homme incivil s'en sert comme d'une poubelle vivante, animée, qui entraîne dans son cours les déchets qui ont perdus leur fonction, leur utilité, leur nature propre. Un dessin qui implique l'abandon de la main à sa propre croissance, lui accordant une sorte d'autonomie qui le révèle participant d'un autre monde. Fait d'accidents, de ces choses insolites que l'on balade avec soi, et qui nous encombrent. Nos remords, nos hontes, nos craintes et  quelle sorte encore de  monstres cachés.Henri Michaux les déroule du bout des doigts, sans pudeur et sans fanfaronnade, comme s'il s'agissait d'une autre nature, d'un autre monde.  Les monstres sont cachés derrière les signes, derrière les mots, dans leur texture même.  Le dessin a jeté le voile, dénudé la pensée, l'émotion, au vif de l'instant, à l'urgence de la simple errance du crayon, du pinceau, sur la surface qui en frémit, qui est devenue une sorte de théâtre impudique et secret.
 


 
 
posté le 22-04-2010 à 14:20:33

Henri Michaux et son ombre.

Si furtif qu'on pourrait penser à un rêve quand, au sursaut du lit on tente, non sans peine, à recomposer les images que l'on vient de quitter (ce sont elles qui nous quittent). Voilà, une première fois, dans un couloir des studios (aux Champs Elysées) où l'on organise des pré-projections des films présentés sur une chaîne de télévision. C'était à propos du "Complexe de Pompéi". On discutait mollement alors que le invités s'installaient dans la salle minuscule. Je lui demande ce qu'il avait pensé du livre. Il regarde dans le vide, semble réfléchir, et lentement, comme s'il découvrait les mots au fur à et mesure qu'il les lâchait :  - Je crois que je m'en suis servi pour caler un meuble. Ce qui n'était pas répondre à la question, l'éluder ou peut-être simplement faire de l'humour.Une autre fois, devant le haut et noble portail de son logis parisien, je vois un ami (A.M...) s'engouffrer non sans avoir préalablement regardé à gauche et à droite comme quelqu'un qui se serait senti suivi (observé?), ou qui se rendait en quelqu'endroit honteux (où il eut été honteux de se rendre). Saisi, je reste en observation (un temps relativement long) et je vois sortir Michaux lui-même.Peu de jours après je rencontre A.M.. qui me dit ,non sans une pointe de vanité, - J'ai rendu visite à Michaux l'autre jour.Ce n'est qu'après que je me suis posé une question.  Pourquoi n'était il pas avec Michaux lorsque celui-ci sortait ?J'ai trouvé la réponse. Comme Michaux n'existe pas c'est mon ami que je voyais sortir, il avait simplement pris l'apparence de Michaux, pour camoufler sa honte d'être venu dans ce lieu.
 


 
 
posté le 22-04-2010 à 10:48:13

Maurice Dekobra la littérature de gare.

Maurice Dekobra était l'auteur type dont on trouvait les ouvrages dans les relais librairie des gares. Vite lu, l'ouvrage souvent était abandonné sur les banquettes des wagons. Juste destinée pour une littérature qui n'avait pas d'autre ambition que de distraire (le temps d'un voyage). Et "La Madone des sleepings" (1925), avec son fabuleux succès, entre bien dans le genre.  Encore qu'il faudrait peut-être y regarder de plus près. N'est-on pas là dans ce courant à la fois exotique et moderne qui réunissant Joseph Kessel et Paul Morand exalte une certaine modernité auquel Dekobra, qui fut grand reporter, grand voyageur, apporte une pincée de provocation  en inventant une femme "moderne", descendante de "La Garçonne" de Victor Marguerrite, et annonçant les femmes fatales des romans de la Série Noire. C'est que Dekobra qui n'est plus lu aujourd'hui, ou en cachette quand on se revendique un intellectuel branché, vaut mieux que sa détestable réputation. Il fut, jeune encore, le compagnon des nuits parisiennes de Carco, Pierre Mac Orlan dont les sujets ne sont pas toujours éloignés des siens. Il met dans ses ouvrages tous les ingrédients pour flatter le lecteur, jusqu'aux pincées poivrées qui viennent de Catulle-Mendès et de Jean Lorrain dans leurs plus exécrables manies de faire canaille ou frivole, avec un humour de garçon de bain. Comme d'ordinaire, sur la dos de "Le sabbat des caresses", figurent les noms des "auteurs maisons" (édition Baudinière, 27 bis rue du Moulin-Vert Paris 14° spécialiste de ce type d'ouvrage). Qui connaît aujourd'hui : Henri Avelot, Roland Charmy, André Dahl, Jean Drault, Henri Falk, Pierre Frondaie, Jacques Mortane, Jeanne Ramel-Cals. Et, oh surprise, Rachilde, la muse du Mercure de France, prise en flagrant délit de dévergondage : elle signe un ouvrage au titre prometteur : "Mon étrange plaisir". A lire, vite, entre Paris et Marseille.
 


 
 
posté le 22-04-2010 à 10:36:49

Henri Michaux un tsunami.

Henri Michaux, un tsunami. Le mot lui aurait plu. Par son étrangeté, sa  couleur exotique, et comme l'écho d'un ailleurs, et ce quelque chose un rien barbare qui aurait enchanté son oreille. Car il aimait cette gymnastique mentale qui pétrie les mots pour en percer leur secret, leur donner cet aspect insolite de la chose venue d'ailleurs.Un tsunami dans le paysage littéraire alors même que l'orage "dada" s'éloignait et que le surréalisme étendait ses multiples branches, un surréalisme dont il aurait pu "être" mais la solitude le tentait.Solitaire et secret. C'est bien aussi ce qui le distinguait quand l'écrivain tenait le haut du pavé, s'exposait et piaffait. Lui, replié en ses plis, distillait dans l'espace du dedans une mixture verbale qui fascinait et inquiétait tout à la fois. Etrange, en effet qu'il puisse s'attirer l'attention si réfléchie d'un maître comme André Gide et la curiosité complice d'un Breton, d'un Sartre, et l'admiration de toute une génération (Maurice Blanchot, Henri Thomas) .Lui, discret au point de devenir une sorte de légende. Multipliant en revanche les publications comme autant d'assauts, dans un paysage où elles avaient cet aspect incongru des choses que l'on n'attend pas, et dont bientôt on ne peut plus se passer. Solitaire mais nullement fermé. D'ailleurs il le précise lui-même :- Moi, j'aime les issues.
 


 
 
posté le 21-04-2010 à 17:28:15

Fin de siècle, le travail d'Hubert Juin.

C'est un entreprise éditoriale parmi les plus captivantes dans les années 90. Confiée au poète Hubert Juin elle complète par l'exemple la remarquable étude qu'il avait organisée autour d'un sujet qui souligne les bizarreries de ces années cinglantes, séduisantes d'intelligence qui se vautrent dans les atmosphère parfois les plus glauques et souvent les plus scintillantes entre le parfum de la femme damnée (enfant de Baudelaire), un humour corrosif et un pessimisme annonciateur des grandes catastrophes (la première guerre mondiale dont nous ne sommes pas totalement remis).Encadrée par deux phénomènes de générations qui se sont affichées  avec leurs plus brillants atouts (les "années folles" après la guerre faisant une sorte d'écho à cette fin de siècle qui la précède) cette première guerre "mondiale" remet totalement en question la manière de vivre ensemble. Quelques années suffisent à détruire tout l'édifice d'une société qui avait mis des siècles pour s'équilibrer (mal). Une double opération sur un corps fatigué, putride ici, flamboyant là, et pétri d'espoir et d'illusions.L'entreprise d'Hubert Juin est de celles qui remettent en perspective les grandes lignes de conduite de la société et de la pensée. Il est regrettable qu'il n'ai pu la  terminer avant de disparaître. On y voyait bien Jean Lorrain, Catulle-Mendès, Laurent Thailade, et tant d'autres dont il faudrait revisiter les oeuvres.
 


 
 
posté le 17-04-2010 à 11:38:42

Nathalie Barney, le salon de l'amazone.

Le salon de l'Amazone à nul autre ne pouvait ressembler. Tant la personnalité de celle qui l'animait (Nathalie Barney) tranchait sur les simples mondanités que la plupart entretenaient, quand celui-là, rue Jacoib, dans le fameux temple "A l'amitié", générait à la fois l'intelligence, la culture et le plaisir. Placé sous le signe de Sapho il n'était pas interdit aux hommes (Rémy de Gourmont n'était-il pas le troubadour de Nathalie quand elle était son amazone). Ils en assuraient la figuration la plus bigarrée, la plus chatoyante qu'on puisse imaginer. Ce Salon défiait la morale, tout comme les regroupements plus ou moins organisés autour d'idées communes. L'époque était aux engagements radicaux, débouchant sur des luttes claironnantes pour mieux afficher son appartenance à un  courant, une esthétique, des références. Toutes frontières niées par le règne absolu de la femme en ses charmes "vénéneux" et son libéralisme sexuel sans complexe.Colette mal mariée à Willy, René Vivien, la grande pécheresse et d'autres encore vont organiser des danses à la couleur antique, s'ébattre dans une atmosphère saturée d'encens, et la fascination des drogues douces qui mènent au rêve.A déchiffrer le catalogue des habitués on découvre toute une époque qui s'exalte aux parfums vaguement pervers de Sapho déesse des lieux.
 


 
 
posté le 17-04-2010 à 10:13:00

Hermine David parmi les livres.

Quand le peintre se fait illustrateur, toute la science de son métier se concentre dans la mise en forme (en valeur) en espace réduit, d'un "discours" qui a pour fonction de faire contre-poids au texte. Un art spécifique et délicat qui a connu des heures fastes dans l'entre deux guerres quand la bibliophilie consistait à reprendre des textes déjà connus (souvent des classiques) et de leur donner un encadrement flatteur, souvent si riche qu'il peut être perçu pour lui-même et comme une finalité  du dessin qui en est le médium obligé.Hermine David, qui fut la compagne de Pascin et si proche de lui dans une sensualité exacerbée, mais plus enveloppée d'artifices, des colifichets d'une femme bien ancrée dans son temps et ses séductions passagères, s'est imposée dans ce genre délicat et séducteur.On la voit s'atteler à de nombreuses entreprises éditoriales avec un éclectisme qui témoigne d'un tempérament riche et généreux, ouvert et dispendieux.On la voit passer de la religiosité un peu désuète de Marie Noël à la prodigieuse épopée mondaine de Proust, des petits bijoux de Tristan Derème à la préciosité baignée d'intellectualisme de Giraudoux, de la malignité décadente d'Huges Rebell à l'atmosphère étouffante de Mauriac, de l'élégance bourgeoise d'André Maurois, de Verlaine si abondamment scruté par le dessin de ses nombreux illustrateurs aux singularités psychologiques de la littérature anglo-saxonne à travers Pearl Buck  ou Mary Webb, en passant par Maurice Barres ou le savant André Billy.Au delà des modes, des courants qui structurent l'histoire de l'art et témoignent de son développement c'est une rencontre savoureuse, aux charmes désuets.
 


 
 
posté le 16-04-2010 à 14:16:15

Kafka chez les bibliophiles.

Ses textes annonçaient l'ère de la souffrance et de l'absurdité radicale du mal. On l'avait vu surgir, au milieu des diverses formes de nouveauté que proposait l'actualité éditoriale de l'époque. Mais tout restait à faire et l'Histoire avançait à grands pas qui forçait à continuer la prospection de l'oeuvre de Kafka (et sa traduction en français) dans la clandestinité. Jean Carrive était de ceux qui pouvaient en revendiquer l'apostolat. Il avait fait un passage furtif au sein du surréalisme et André Breton revendiquait son appartenance à une nouvelle forme de pensée qu'il veut diriger. Ce qui ne convient pas toujours à ceux qu'il attirait à lui et iront vers d'autres rivages. C'est le cas de Carrive qui ira du côté du Grand Jeu, et, là encore, simple passage. Reste l'approche par la traduction (dont il fait son métier), de Kafka, et sa diffusion dans ces publications qui se posent alors contre la pensée générale, l'esprit de Vichy, une France qui vivait, justement, les fictions de Kafka sans le savoir.L'émergence de Kafka dans le domaine français (passant par la traduction) se fera alors par des publications de nature confidentielle, jouant la carte de l'élégance éditoriale se substituant à une large diffusion. Ce sera la cas de "l'Arbalète", admirablement dirigée par Marc Barbezat, un éditeur comme seules les périodes de crise peuvent en générer.Kafka revu par ceux qui l'admirent et veulent faire partager leur passion, s'inscrit ainsi dans une certaine forme de bibliophilie à laquelle il aurait été totalement étranger, lui qui demandait qu'on brûle ses manuscrits. Il est curieux de noter que deux auteurs (lui et Artaud) sont ainsi révèles au public à travers des ouvrages de haute confidentialité, devenus des objets de bibliophilie.
 


 
 
posté le 16-04-2010 à 09:51:07

Marcel Duchamp du côte de Puteaux.

Ils étaient trois (Marcel Duchamp, Duchamp-Villon et Jacques Villon) enfants de la bonne bourgeoisie de Rouen, qui fuyant les facilités d'une vie sociale tempérée s'engagent dans le domaine alors bouleversé des arts. Bouleversé ? C'est le début du siècle, et la conviction profonde que quelque chose va changer. Doit changer. La guerre s'en chargera. Mais le monde de l'art est aux avant-postes pour scruter de nouvelles formes, une nouvelle pensée. A trois ils s'y lancent, Marcel Duchamp avec le plus de résolution, l'humour en plus qui permet de jouer l'ambiguïté, l'équivoque, le scandale ;  Duchamp-Villon dont le nom sert de trait d'union entre ses deux frères. Sculpteur audacieux qui trouvera justement dans la guerre annoncée son calvaire et son golgotha.  Jacques enfin, adoptant le nom de Villon en référence, et pour mieux souligner le caractère scandaleux de son entreprise. Ce qui n'est pourtant pas le cas. Il est moderne, invente une nouvelle formulation, mais le fait avec la lenteur de la réflexion. Copiant d'abord les maîtres du passé (en gravure) et constituant progressivement son vocabulaire, si neuf qu'il n'aura d'audience qu'au soir de sa vie.Ils sont à Puteaux, alors campagne aux portes de Paris, assemblant autour d'eux la fine fleur de l'art novateur. On y raisonne mais on y révolutionne aussi.Guillaume Apollinaire,  l'oeil aux aguets, ne les rate pas, les suit et les commente. Il est le chantre de cet art qui fait le pied de nez aux valeurs bourgeoises encore arrimées aux académismes. Il faut toujours se méfier de l'engouement des mondains, des gens en place, des officiels, de la  mode. Il n'échappe pas toujours aux complaisances qu'inspire l'amitié et parce qu'il pratique la critique d'art en journaliste, tout poète qu'il est. Le poète ne commente pas, il collabore. C'est un travail à deux voix, l'art doit aussi évoluer sous les ailes bienveillantes  (et inspirées) de la poésie.
 


 
 
posté le 15-04-2010 à 17:06:21

La bibliothèque de Kafka.

Comment ne pas penser à la fiction picturale d'Hubert Robert imaginant la Grande Galerie du Louvre dont la voûte détruite laisse apparaître le ciel. Image de ruine où la vie subsiste, anarchique, absurde en ses aspects. Comme ces lecteurs face aux rayonnages restés intacts d'une bibliothèque ruinées. Serait-elle celle de Sarajevo ! ou de quelle autre ville martyre. Les guerres ne tuent pas que les hommes, elles éventrent les maisons, brûlent les livres, nient le meilleur de la vie et les forces de l'esprit. Plus que tout discours, fut-il à la hauteur du propos, une simple image en dit long (et fort) et donne une sorte d'icône de l'horreur vécue par les hommes de bonne volonté qui veulent nier l'absurde et la bêtise, et se tiennent debout devant l'inévitable. Y aurait-il, dans le monde des images, ce pouvoir de lutter ouvertement contre les dérapages de l'Histoire, les dérives de la folie humaine. Non en étalant la mort (les cadavres étaient froids), mais des situations absurdes et si inattendues qu'elles  bouleversent plus que l'excès. Et ne penserait-on pas à quelque fiction de Kafka devant cette absurde fiction de l'immobilité de la mort et la curiosité éveillée au coeur de la tragédie.
 


 
 
posté le 15-04-2010 à 10:51:50

La rue Campagne Première et ses doux fantômes.

L'atelier de Jean Couy touchait presque le ciel. Pour l'atteindre, il fallait gravir de longues séries de marches bien cirées en partant d'une cour silencieuse garnie de plantes en pots qui lui donnaient une allure campagnarde, et rendue dans l'appartement, s'attaquer à de raides échelles pour surgir enfin, à travers une trappe, dans le lieu où s'élaboraient des paysages qu'eut aimé Jules Laforgue (que Couy illustra d'ailleurs), dans une sorte d'univers d'un Rousseau allégé de ses lourdes végétations mais offrant, lui aussi, des forêts verticales.On avait, au passage, fait étape sur un mince palier ou Jean Couy entreposait sa collection de petits trains, signe évident de son âme d'enfance encore préservée, comme son goût pour les lanternes magiques dont on retrouvait dans sa peinture l'esprit hiératique et innocent. Un voisin mystérieux intriguait nos soirées, quand derrière la cloison en entendait d'étranges bruits provenant de l'atelier de Weisbuch, qui lançait dans l'espace des cohortes de figures échevelées et un rien tragiques.Outre le ciel, avec lequel il frayait de si tendre humeur, Jean Couy côtoyait les doux fantômes de la rue Campagne Première, quand, de chez lui, on entendait, tôt le matin, les cloches joyeuses du couvent de la rue Boissonade, voisine.Fantômes déjà, Gérard Vullimay, qui peignait dans un atelier haut perché au début de la rue, quand elle est traversée par le boulevard du Montparnasse, il exaltait de tendres et transparents paysages imaginés au delà d'une main chargée de senteurs et de souvenirs ;  et dans ses sous-sols encombrés de livres, Bernard Citroën semblait livré aux rêves en attendant le client. Il était attaché à la vive et impétueuse revue "Osmose", qui, dans les années 50, naviguait dans les courants les plus impétueux de la poésie nouvelle.A l'autre terme de la courte rue Campagne Première (au 31) c'était l'immeuble d'ateliers avec sa façade de céramique où un temps fit escale Félix Labisse (peut-être même bien Lucien Coutaud) mais, bien avant encore, Man Ray qui dans sa chambre d'hôtel voyait défiler le Tout Paris mondain pour se faire tirer le portrait tandis qu'il vivait une ère de folles amours avec l'audacieuse et pétulante Kiki (de Montparnasse) qui prêtait son corps avec désinvolture pour embraser dans leurs ateliers, et devant leurs chevalets, les artistes à lavallière qui chantaient la vie facile des "années folles".Yves Klein, dans le voisinage, inventera l'intensité du bleu qui le rendra légendaire.Basculant au delà des miroirs du temps, on croisait alors Modigliani qui venait se saouler chez la tenancière, aimable complice, qui au 7 (?) de la rue tenait bistro.Au coeur de la rue, et comme un monolithe tombé du ciel, l'hôtel Istria dont la façade modeste ne dit rien (sinon une plaque pour la mémoire) de ce qui fait sa gloire, quand il fut le gîte plus ou moins furtif de quelques autres fantômes plus nerveux et chargés de biens, comme Rainer Maria Rilke, Picabia, Kisling, Tristan Tzara, mais surtout Aragon du temps de sa flamboyante jeunesse alors qu'il venait de découvrir Maïakovski et celle qui allait être sa muse, Elsa Triolet. Et plus lointainement encore, dans un Paris qui vivait ses plus importantes métamorphoses, Eugène Atget, le sublime piéton mettant en boîte la mémoire des rues et des petites gens, avait son atelier au 9, négociant ses clichés avant que Béatrice Abott ne le découvre et amorce sa glorieuse carrière.
 


 
 
posté le 14-04-2010 à 13:31:35

Michel Ragon admirateur de Francis Jammes.

)Arrachant de son support  une feuille de lierre à la face brillante et luisante comme un émail, Michel Ragon me la tendait en racontant qu'en un pèlerinage littéraire à Hasparren il avait fait de même devant la maison qui fut celle de Francis Jammes. C'était une manière appropriée à son sujet et m'invitant à me rendre au coeur de cette oeuvre que le hasard m'avait jusqu'alors fait ignorer. Pourtant, il est des auteurs les plus en faveur auprès des cercles de bibliophiles qui confient à des illustrateurs le soin de confectionner quelque bel ouvrage, de ceux qu'on hésite à feuilleter les ayant extraits de leurs emboîtages où le poème est enfermé comme un papillon épinglé pour une observation scientifique, ou les feuilles d'un herbier. Ce qui, dans le cas de Francis Jammes, recoupe son univers, familier, et celui qui fit l'attrait de son oeuvre en ses débuts, avant qu'il ne soit touché par la grâce de la foi vécue dès lors avec une ferveur quotidienne et quelque peu encombrante, son oeuvre, amorcée comme celle du peintre Maurice Denis, dans les forces de l'innovation, de la modernité, se diluant dans une piété plutôt naïve. Comme quoi, même en s'égarant sur les terres de Paul Claudel (qui l'y pousse avec vigueur), il ne perd pas totalement les feux de sa nature épanouie au coeur de la nature, à son écoute attentive.Il aura ouvert la poésie à de nouvelles sources, alors même que le symbolisme, dont il était un héritier, s'épuisait de ses formules trop sophistiquées. Portant la littérature au coeur d'un quotidien familier et vaguement mélancolique (suite à des déboires amoureux). Il donne le ton à tout ce courant de la poésie que ne séduisent pas les feux du scandale surréaliste et de ses incursions dans l'automatisme, l'inconscient, ces zones secrètes qui subsistent en nous quand, lui, ouvre les portes et les fenêtres, chante les matins tranquilles de la montagne et ses  lumières lavées comme un linge qui claque, disant le monde dans ce qu'il a d'éternel et de simple.  "Les campagne qui "tressaillent comme des ventres de femmes enceintes" lui ont livré "l'obscure douceur des choses villageoises". Il pénètre la vie des villages, des hameaux, des fermes et s'introduit dans les foyers les plus modestes pour en restituer le charme. Il célèbre les travaux des champs soit  par touches rapides, soit dans de véritables fresques." (Robert Mallet).
 


 
 
posté le 13-04-2010 à 09:37:13

Le Grand Guignol logé chez Rochegrosse.

Le théâtre du Grand Guignol ouvre ses portes, rue Chaptal, en avril 1897. Il succède à un "théâtre-salon" créé l'année précédente par Maurice Magnier (dont le frère Pierre est le partenaire de Sarah Bernhardt). C'était une version nouvelle de ces petits théâtres privés que l'aristocratie animait dans un climat douillet et fort intime, avec souvent une connotation érotique. Un programme pourtant innocent : Un prologue d'Armand Silvestre, "Les uns et les autres" de Verlaine, un acte de Courteline, un autre de Catulle-Mendès. On était là dans la bonne tenue des activités culturelles teintées de mondanité. Le lieu n'était rien moins que l'ancien atelier du peintre Georges Rochegrosse, une des figures phares de la peinture d'Histoire, fort amateur de décors flamboyants et fastueux, de  nudités palmées aux frontières de la mort.Le répertoire du Grand Guignol va poursuivre ce programme de violence savante et un rien perverse qui avait fait le succès de l'auteur de "La mort de Babylone", de "la Folie du roi Nabuchodonosor", et autre mise en scène largement déployée, alignant, sous couvert d'orientalisme, les allusions érotiques et la mort.La critique, pourtant fort indulgente devant les délires des "peintres pompiers", dont Rochegrosse, ne pouvait s'empêcher de déplorer un trop complaisant étalage de sang. Le théâtre du Grand Guignol va reprendre à son compte le même principe et recevoir les mêmes reproches. Ce que nous offre aujourd'hui, avec une surenchère constante, le cinéma d'horreur va s'inscrire comme une caractéristique des pièces choisies pour le répertoire du Grand Guignol au grand plaisir d'un public amateur de sensations fortes.Comme dans les théâtres érotiques du XVIII° siècle, la salle (à peine plus d'une centaine de places d'orchestre), offrait aux amateurs des "baignoires" grillagées permettant de s'y livrer à toute activité, fut-elle désapprouvée par  la morale, dans la suite logique de la forte" émotion que pouvait susciter le spectacle mariant sang et volupté avec un savant dosage".Il est significatif qu'André Breton (venu en voisin) ait fort apprécié un spectacle (Les Détraqués) au point d'en faire un point fort de Nadja.
 


 
 
posté le 12-04-2010 à 09:53:14

Hubert Robert artiste "gotic"

Familier des ruines, chroniqueur des tempêtes qui balaient les civilisations, promeneur solitaire des champs archéologiques qui distillent la nostalgie de ce qui n'est plus, Hubert Robert aura été mêlé (d'une manière si distraire qu'il en tirera une condamnation à la prison) à la tourmente révolutionnaire. C'est fortuitement qu'il se fait le témoin d'une de ses plus dévastatrices initiatives : le viol des tombes royales à la basilique de Saint Denis. De fait, le sujet devait l'intéresser moins pour sa relation directe avec la mentalité révolutionnaire que l'effet théâtral qu'il pouvait offrir. Plutôt porté à détailler les monuments dans le paysage (créant une liaison fort subtile entre la ruine et le frissonnement végétal), il se plonge, là, dans l'antre obscure des tombeaux. Retrouvant la climat figé et ténébreux des "romans gothiques", avec ses cortèges de désastre, de frissons et d'angoisse.On retrouve là l'esprit d' Ann Radcliffe, Horace Walpole, Charles Robert Mathurin, William Beckford, Matthew Gregory Lewis, Mary Shelley, et tout ces auteurs de romans "noirs" dont le sommet est atteint avec le marquis de Sade écrivant "Les 120 journées de Sodome" produit sulfureux d'un esprit ardent et habité d'horreur et de cette fascination pour les antres obscures qui gîtent sous nos pas et sont des miettes de notre enfer intérieur.
 


 
 
posté le 12-04-2010 à 09:47:21

Léautaud artisan de la solitude.

Il avait pratiqué la solitude, il voulait disparaître seul, dans la plus grande discrétion, mais il venait d'acquérir la célébrité, non qu'il l'ai recherchée. Elle est venue à lui, en raison des Entretiens (si savoureux) avec Robert Mallet. Un écrivain hors normes venait de mourir.Jean Selz, lui aussi discret dans la vie, et auteur de quelques essais sur l'art assez raffinés, donne en un article des Lettres nouvelles, une analyse fort opportune sur le solitaire de Fontenay aux Roses. Il n'aurait été que l'auteur d'un assez savoureux ouvrage (Le petit ami) sorte de dérive piétonnière et mémorielle dans son enfance du côté de la rue des Martyrs, qu'on l'aurait aujourd'hui oublié s'il n'avait entrepris la rédaction d'un monumental Journal fourmillant de ragots, de considérations d'égotisme tempéré mais qui donne la juste mesure des problèmes d'un homme écrivant avec une oeuvre virtuelle. Véritable manuel de réflexion sur le paradoxe de l'écrivain. On l'imagine dans sa solitude presque campagnarde, au milieu de ses chats, jouissant à écrire : "Le grincement de ma plume d'oie sur la papier ; un délice". Peut-il dire de même lorsqu'il fait l'amour avec la "panthère", cette maîtresse égoïste et exigeante qui empoisonne sa vie de petit commis aux écritures au Mercure de France où il entre en 1908."Il fait avoir vu au Mercure, dans cet ancien hôtel de Beaumarchais, rue de Condé, le petit bureau du premier étage où travaillait Léautaud, ses murs couleur de fourneau de pipe, ses tristes fichiers de bois noir, sa lumière de commissariat de police, pour s'étonner que, plutôt que d'y vivre, on ne préfère pas se jeter dans la Seine. " Mais, précise Jean Selz, "c'était une bonne place, c'est à dire obscure".Comme d'autres (de ses contemporains) écrivaient dans leur bureau du ministère (comme J.K.Huysmans), lui écrivait à l'ombre d'une maison qui voyait défiler le tout Paris littéraire, dont il était comme une sorte de confesseur narquois et vaguement inquiétant. Au risque de se retrouver épinglé dans son Journal comme un papillon dont les ailes auraient perdues de leurs couleurs.Moraliste à sa manière et terrible témoin de ses contemporains. Le Journal est une mine où s'entassent, se mêlent, se confondent, s'engluent, des figures d'une sorte d'enfer froid : celui des lettres.
 


 
 
posté le 09-04-2010 à 14:39:31

D.H.Lawrence et la peinture.

Dans sa simplicité même, sa violence (le diagnostic serait-il sans appel ?) D.H. Lawrence pose le véritable problème devant l'art moderne (contemporain) même si son terrain de réflexion n'est pas le même que celui d'aujourd'hui.Aujourd'hui il est à l'image d'une société qui court à sa perte. On y reviendra. Pour Lawrence le problème est lié à l'état moral de la société qu'il dénonce, qu'il veut braver. En écrivant (alors même qu'il pratique la peinture avec uneexceptionnelle frénésie) "L'Amant de Lady Chatterley" qui est son livre manifeste.Sa peinture (surtout rassemblée à Taos Nouveau Mexique où il fait un long séjour) n'est pas celle d'un peintre ordinaire, et guère soucieux de s'appuyer sur une science de l'art (qu'il n'a pas). Elle est l'expression directe, agressive, voluptueuse, emportée, d'un tempérament facilement irritable, saisi au vif et mal dans sa peau (lui qui vante tellement les délices naturels de la chair !).S'il évoque "La beauté malade", c'est un peu comme Baudelaire lorsqu'il déclare devant une oeuvre de Manet (qu'il aime et qu'il défend) que l'on amorce la déchéance de l'art. Le regard de D.H.Lawrence est axé sur les moeurs, celui de Baudelaire sur l'art en son développement mais la constat est le même. Il y a crise dans la maison.
 


 
 
posté le 08-04-2010 à 11:12:14

La Bastille, un symbole.

Le plus proche possible de l'événement. Peut-être un témoin direct,  J.P. Houel (né en 1734) joue le rôle du reporter fixant le moment et ses acteurs. La Bastille est l'enjeu d'une courte lutte entre une population remontée par des démagogues de quartier et une poignée de vieux militaires commandés d'une manière laxiste par un encadrement bercé aux illusions de l'ancien régime.Pourtant, la prise de monument prend une signification qui n'a rien perdue de son poids dans l'opinion et la mémoire de l'Histoire.Avec ce qui pourrait n'être qu'un incident (fait-divers) dont le quotidien n'est pas exempt, commence une ère  nouvelle. Du même coup l'image devient une icône.Tout y est, qui lui donne sa portée exemplaire et le ton qui lui donne la chance de survivre dans la mémoire de ceux qui la découvrent. Une dramatisation qui relève bien du théâtre alors en faveur, avec bruits et fureur qui sont les signes de l'orage de l'Histoire. La figuration a presque une valeur documentaire. On sait qui entre en jeu en ces heures agitées, entre mort et colère. Des petits artisans du quartier (dont le quartier est fait). On a pu les dénombrer :49 menuisiers, 48 ébénistes, 41 serruriers, 28 cordonniers, 20 sculpteurs-modeleurs, 11 ciseleurs, 10 tourneurs, 9 tailleurs, 9 fondeurs, 5 joailliers, 5 orfèvres, 5 poêliers, 3 tapissiers, 3 charpentiers, 7 maçons, 10 coiffeurs, 9 marbriers, 9 marchands de nouveauté, 8 imprimeurs, 7 brossiers, 11 marchands de vin, 3 cabaretiers, 2 aubergistes, 21 boutiquiers, 9 chapeliers, 6 jardiniers.Célèbrent sa destruction ceux-là même qui avaient qualité pour la construire. Démolissant, dans l'allégresse, ce que leurs ancêtres avaient élevé. Portant atteinte à ce qui fut leur ouvrage. Mais l'ouvrage passé au rang de symbole. Celui de la tyrannie.
 


 
 
posté le 08-04-2010 à 10:15:58

Femmes peintres, une affaire de famille.

S'il a pris, autour de 1968, un ton plus radical et protestataire, le mouvement féministe lié à la production picturale connaît déjà, dans les années 20, une amorce de revendication. Bien des femmes peintres exposées dans un contexte de ralliement sont à l'ombre d'un artiste qui leur a donné leur nom ou les ont entraînées dans leur ascension sociale. Suzanne Duchamp (devenue Suzanne Crotti) est la soeur du trio des Duchamp (Marcel, Duchamp-Villon et celui qui a pris le nom de Jacques Villon), Valentine Prax suit la carrière du sculpteur Zadkine, Marguerite Matisse est la fille d'Henri, Marie Laurencin la compagne d'Apollinaire, Hermine David, celle de Pascin, Chériane celle de Léon Paul Fargue, Irène Lagut celle ce Serge Férat.La peinture est une histoire de famille.
 


 
 
posté le 07-04-2010 à 10:38:53

L'épouvantail, dieu rustique.

Il se fait rare depuis que la culture, de champêtre est devenue industrielle. Du temps (pas si lointain) où un champ avait les mesures d'un travail qui se faisait à la charrue tractée par un cheval, et où l'homme avait sa part, l'épouvantail avait son rôle, sa fonction impérieuse et pittoresque. Personnage conçu par l'imagination de celui qui lui concédait le pouvoir de sauvegarder les richesses de la semence encore fraîche. Sorti du placard aux vieux habits, avec une pointe de malice comme les enfants en donnent en terminant leur bonhomme de neige. Même esthétique qui est celle d'une totale liberté. Ils pointaient, pour l'effroi de tous les volatiles, leurs silhouettes efflanquées au milieu des sillons encore luisants d'un sol fraîchement retourné, ou dans le fouillis végétal d'un bosquet qui promettait les richesses d'une prochaine floraison.Ils participaient étroitement à la vie de la nature dont ils étaient des sortes de dieux rustiques et bienveillants.On pouvait leur accorder des ancêtres plus savants, du côté des diableries de Jérôme Bosch, des sarabandes de Jacques Callot, et leur trouver quelque descendance si directement issue de leur présence attentive, avec un Gaston Chaissac. Un urbain pourrait plus difficilement inventer un épouvantail, sinon qu'il lui donnerait immédiatement une ressemblance discourtoise avec quelque épave humaine rencontrée sur le trottoir. L'épouvantail est un produit totalement champêtre et  se rapproche plutôt des souvenirs des contes et légendes qui entourent l'émergence à la vie quand le récit s'inscrit dans le cadre qui lui est le plus favorable. La proximité de la forêt, sa fréquentation assidue, sa part dans la mythologie familiale, génère cette peuplade dont le pittoresque efface la part d'inquiétude qu'elle pourrait susciter.
 


 
 
posté le 07-04-2010 à 10:02:15

Max Bucaille le colleur mélancolique.

Il s'était entouré de poètes aptes à partager son goût du rêve et les utopies sociales qui le conduisent à fréquenter les milieux anarchistes qui vont générer le situationnisme (autour de Guy Debord, Asger Jorn). Professeur à la démarche d'un "professeur Nimbus" il s'enchante de la douce alchimie des images qui passent sous ses doigts, du réalisme à l'insolite des situations (à la manière de Max Ernst avec lequel il a une incontestable parenté dans le domaine du collage alors que sa peinture frôle les expériences du tachisme).Il traduit des situations empreintes de mélancolie, nullement en révolte contre le monde qui l'entoure mais comme pour lui donner une touche fine et malicieuse."L'Etat d'ébauche" titre donné à l'un de ses recueils, dénonce bien l'esprit dans lequel il a été conçu. Avec une sorte de modestie (de crainte ?) dans l'énoncé, tant la découverte du merveilleux (selon André Breton) frise la vertige.
 


 
 
posté le 06-04-2010 à 16:06:26

Roch Grey mécène d'Apollinaire

Pour amorce d'une vie fantasque elle est née, selon les uns en Ukraine et selon d'autres à Venise (en 1887). Elle meurt à Paris en 1950.Même diversité d'appellation : baronne Hélène Oettingen pour l'état civil (elle est la fille de la comtesse polonaise Miaczinska et de père inconnu,  et épousera, fort brièvement, Otto von Oettingen, officier du Tsar), elle est Léonard Pieux auteur de poème et Roch Grey romancière (et auteur d'un précieux petit fascicule sur le douanier Rousseau dont elle collectionnait les oeuvres) et peintre sous le nom de François d'Angibout qui participera activement aux activités du groupe de La Section d'Or (autour des frères Villon). C'était une femme fantasque, vaguement mythomane, s'inventant des origines diverses mais toujours prestigieuses, et variant les versions comme pour brouiller les pistes.Mais son rôle principal est d'avoir été mécène et le soutien des artistes à Montparnasse, tenant salon avec son cousin le peintre Serge Férat, au 229 boulevard Raspail. Le fréquentent Modigliani, Max Jacob, Pierre Albert-Birot, Archipenko, Survage, et surtout Guillaume Apollinaire qui, grâce à elle, peut faire vivre sa revue "Les Soirées de Paris". Soffici, dont elle fut la maîtresse, la décrit dans son roman "Fin du monde", comme une sorte d'héroïne sortie d'un poème de Pouchikine ou d'un roman de Dostoïevski, une "femme désastreuse".Elle même publiera "Le château de l'étang rouge" qu'illustre Léopold Survage, et des poèmes "Chevaux de minuit" illustrés par Picasso.
 


 
 
posté le 06-04-2010 à 10:09:50

Hubert Robert en pantoufles.

Sans doute l'atelier était celui qu' Hubert Robert occupait (avec une quinzaine de ses confrères) à l'entresol de la Grande Galerie du Louvre, concédé par le roi.C'est madame Greuze (une gredine dit la chronique de l'époque) qui avait charge de l'entretien des parties communes, autrement chacun s'organisait selon ses goûts et son tempérament. L'atelier d'Hubert Robert était aussi son appartement. Entre les voyages en Italie, les expéditions archéologiques où il se pénétrait de la grandeur passée des villes effondrées et de leurs temples, et sa vie sociale fort agitée, il se retirait dans la compagnie des modèles antiques moins soucieux de restituer l'impérieuse beauté de leurs origines que d'offrir une nouvelle vision personnelle et déjà romantique.Dans son intimité il est plus proche de sa vie domestique que des rites mondains qui seront bientôt la raison d'être de l'atelier du peintre. On le verra devenir la vitrine de son art alors qu'avec Hubert Robert il est l'antichambre de ses délectations paysagères. C'est l'art en pantoufle, où ne venaient distraire le peintre de sa tâche que des intimes. Diderot sans doute franchissait le seuil. C'était le prix de l'amitié.
 


 
 
posté le 05-04-2010 à 10:15:12

Max Ernst et le collage.

Peindre implique une activité  physique qui peut être si fortement engagée que c'est elle qui devient le sujet du tableau. Avec le collage on entre dans une activité qui relève du jeu (que les surréalistes ont toujours largement pratiqué). L'enfant le fait d'instinct parce qu'il pénètre ainsi plus profondément dans l'image. La juxtaposition de deux images (et plus si affinités) fait basculer la méthode dans l'invention d'une nouvelle image. L'insolite naissant de la fameuse rencontre invoquée par Lautréamont (un parapluie et une machine à coudre). Hors Max Ernst s'empare du collage pour raconter des histoires. Il invente des "romans" en image (comme le fait la bande dessinée). Il l'imagine dans une continuité narrative qui entraîne le regard vers des horizons aux splendeurs surannées. L'usage de gravures anciennes renforce ce caractère vieillot qui fait beaucoup pour le charme que dégagent ses collages.
 


 
 
posté le 04-04-2010 à 10:54:37

L'atelier du peintre un bric-à-brac.

C'est le propre des ateliers des peintres du XIX° siècle, lorsqu'ils ne sont pas des quêteurs de paysage (comme les impressionnistes), de créer un climat qui tient du bric-à-brac avec une prodigieuse accumulation d'objets de toutes sortes témoignant d'un goût prononcé pour l'Extrême Orient alors fort à la mode, et des curiosités multiples. C'est que l'atelier est aussi un salon, un lieu de relations sociales, voire une vitrine propre à valoriser les oeuvres du Maïtre qui y  fait étalage de sa culture, y raconte ses voyages, ses passions et accompagne la manie du collectionneur d'une touche de galanterie en y créant une alcôve qui peut servir de motif à ses nudités conventionnels mais friponnes cependant, et faciliter des rapprochements sensuels qui entrent dans sa légende et ses moeurs.L'atelier implique une mise en scène savamment orchestrée, d'autant que les mondanités s'y déroulent selon des rites qui restent imperturbables. Le désordre qui y règne est un effet de style, une manière de signer ses choix esthétiques et sociaux. L'atelier du peindre est sa première oeuvre, la plus immédiate, la plus largement partagée.
 


 
 
posté le 03-04-2010 à 14:34:42

Max Ernst à la source.

Max Ernst à la sourceC'est au musée de Cologne que le jeune Max Ernst, avant d'entrer en révolte, découvre la peinture dans ses forces vives. "Il aimait s'attarder devant les peintures de tels maîtres anciens, de préférence celles dont les qualités formelles se rehaussaient d'un élément de charme relevant de l'ordre poétique : soleils moribonds d'Altdorfer, visages voilés de mystère des femmes du Maître de Hausbuch, ou de cet énigmatique Maître des demi-figures féminines de Cologne, parfois identifié au précédent et dont les secrets furent si bien gardés qu'on ignore même s'il exista, filles du Rhin échevelées et sensuelles de Stephen Lochner, diableries du XIV° et du XV° siècle, compositions allégoriques évoquant des rites aujourd'hui oubliés. C'est dans ce musée qu'il fit connaissance avec le doux et nocturne Caspar David Friedrich, auquel l'attachent tant d'affinités d'esprit et de coeur, et Moritz von Schwind, peintre de sous-bois à gnomes et à fées, illustrateur des belles légendes Cendrillon, Mélusine, Blanche Neige."Ce dernier s'enfonçant dans les profondeurs mystérieuses de la forêt et levant des personnages silhouettés à l'image des arbres torturés qui les entourent. Arbres-personnages comme animés d'une vie inquiète de tous les rêves qui font frissonner celui qui s'égare en leur compagnie.
 


 
 
posté le 02-04-2010 à 10:37:37

Chez Philippe Chabaneix.

Longtemps, la petite bouquinerie de Philippe Chabaneix, rue de Seine, était l'étape rituelle des amateurs de poésie. Elle tenait du salon littéraire (on y rencontrait de nombreux poètes dans la lignée de leur hôte, en marge d'une modernité partout ailleurs invoquée). Car Philippe Chabaneix était l'unique survivant de ce qui fut l'école (?) des "fantaisistes". En fait, peu école car plutôt réunion d'amis (souvent provinciaux) que Francis Carco avait lié avec la nonchalance aimable qui était de sa nature. La figure dominante en était bien sûr Paul-Jean Toulet, personnage hors normes, qui avait vécu les  belles heures d'un Paris nocturne, entre Wily et Toulouse-Lautrec, les bars marqués par l'anglomanie, et la complicité amicale de Curnonwsky, prince des gastronomes.Selon le Cahier des Poètes (avril-mai 1913) il s'agissait de Francis Carco, Jean Pellerin, P.J.Toulet, Léon Vérane, Tristan Derême, Tristan Klingsor, Jean Marc Bernard.A l'épuisement du symbolisme, mais encore séduit pas son délié imaginatif, la poésie hésitait entre l'expérimentation et l'état de révolte (mouvement dada), des rythmes radicalement nouveaux et emprunts de l'esprit de "modernité" qu'elle partagera avec la peinture qui sera sa complice (Cendrars, Morand, Léger, Delaunay, Kandinksy), et l'établissement d'une forme nouvelle d'humanisme. Il en sortira une infinité de personnalités peu promptes à rejoindre un groupe, fut-il nécessaire à l'acquisition d'une plus large audience. L'école des fantaisistes refusera toute théorie et rassemblera plutôt des individualités qu'attirent le contact (fut-il simplement épistolaire) avec des frères d'arme. Ce qui donnait à l'atmosphère de la bouquinerie de Philippe Chabaneix un ton très particulier. Chaleureux et largement ouvert..
 


 
 
posté le 01-04-2010 à 10:15:33

Tipasa un rêve de grandeur.

Sous le casque honni, le fusil laissé à l'armurerie, les mains dans les poches (attitude du révolté), on était lâché dans les rues poussiéreuses de Tipasa (qui allaient à la mer) comme une bande de voyous cherchant la bagarre. Les plus calmes s'attardaient dans les salles sonores où dominait l'odeur pesante de l'humidité d'un musée en réduction, riche de quelques hautes statues de généraux romains, et de chapiteaux bizarrement fleuris qui devaient participer à l'hommage rendu à Jupiter (on aurait préféré Vénus). Voilà, hors des rumeurs intellectuelles des métropoles, à quoi est réduit un musée de petite bourgade qui se doit d'être digne de son passé, de sa réputation, et de la curiosité discrète des touristes qui l'honorent. Encore qu'en ces temps de guerre et de grenades qui s'égarent dans les foules, le touriste se fasse rare, sinon incongru. Une petite cour, offerte à l'épouvante d'un soleil qui devient fou au médian, se veut des allures de cloître. On n'y célèbre pas Dieu et la piété est ignoré, sinon la science d'un guide (ancien combattant ayant acquit le droit de survivre grâce à l'obole donnée par  les visiteurs). Le discours est sommaire, et trop précis pour calmer la soif éperdue d'horizons nouveaux qu'est sensé offrir l'alignement de pierres venus des splendeurs d'une vie qui n'est plus. On en rejoint bientôt le site, dominant la vaste étendue des eaux. Ce ne sont que crevasses dans le sol, pierres en désordre qui furent temples, maisons de plaisir, palais et échoppes, à chacun d'en conquérir les ultimes sursauts. Ils sont à la mesure de notre propre appétit de rêver.