posté le 05-06-2009 à 14:55:11
Baudelaire dessine Jeanne Duval.
Page arrachée au quotidien de Baudelaire, notes rapides, adresses, ces jalons de sa vie d'errance encadrent un portrait idéalisé de Jeanne Duval. Altière, impérieuse et belle à damner. Baudelaire est pris au piège. Son portrait dénonce son aveuglement.
posté le 05-06-2009 à 14:40:03
Jeanne Duval, l'enfer de Baudelaire.
On en revient au thème de "La femme flambée".
D'abord le terrible portrait de l'atroce Jeanne Duval par Manet. C'est l'inspiratrice de Baudelaire, sa plaie vive. Des îles, elle apportait le parfum capiteux, les mystérieux silences, les voluptés cachées, mais Paris l'a blessée, vieillie avant l'âge et elle n'est plus qu'une sorte de poupée lascive, affalée sur un siège dans un désordre de mousseline, visage blafard, rongé. La mort peint sur elle ses stigmates. Elle a le regard vide de ceux qui, déjà, abordent les vertiges intérieurs. Droguée, la chronique renchérie sur les supplices qu'elle inflige au poète par sa veulerie, ses maladies qui n'en finissent pas. Son alcôve n'est plus celle du plaisir, enivrée de parfums, mais étouffée de médicamentations.
Le court chemin qui mène de l'alcôve à l'hôpital est une constante de cette "fin de siècle" énervée de fièvres malignes, de pulsions vicieuses, d'évanouissements suspects. On prépare l'itinéraire initiatique de la Dame aux Camélias. L'amour serait-il infailliblement puni par un Dieu qu'il offense. Comme Eve chassée du paradis en raison d'une trop vive curiosité, la femme du XIX° siècle est chassée des plaisirs de l'amour par la maladie et la mort.
Si le paradis est dans l'alcôve, l'enfer est à l'hôpital.
Même dans sa fugitive splendeur Jeanne n'a jamais été qu'une Vénus de bazar. Aimée par Baudelaire comme un objet de plaisir, de curiosité. L'attrait des pays lointains, de l'Orient, de l'exotisme, entraîne ceux, qui en ont la possibilité, à exhiber comme des colifichets, esclaves soumises aux caresses professionnelles, ces perles rares des îles qui parent les salons de la bizarrerie de leur allure, de leur couleur, de leur odeur même, qui a ces profondeurs troublantes que chante Baudelaire.
Gauguin, lors d'un passage à Paris, aura sa Vénus exotique, que l'on dirait sortie d'un de ses tableaux, et Pierre Louys ornera son salon d'une dulcinée aux silences expressifs, aux sourires ambigus, aux flexiblités suggestives..
posté le 05-06-2009 à 11:29:46
En bonne compagnie d'André Fraigneau.
Encore une rencontre manquée. J'avais Fraigneau au téléphone (suite à un article dans la Quotidien de Paris). Remerciements, potins et proposition d'un rendez vous. Il était un voisin (de la rue Saint Romain à la rue Récamier il y a une poignée de pas dans un quartier qui respire le confort et la sérénité).
Accumulations de petites choses qui nourrissent le quotidien et Fraigneau meurt. Trop tard pour connaître cet être assez étrange (et sans doute séduisant) pour avoir créé une légende autour de lui. En dépit d'une "production" (l'horrible mot) littéraire modeste et une audience presque clandestine, il brillait d'une aura qui est de la nature des vrais réputations ( comme il en fut pour Julien Gracq). Encore que Fraigneau fut assez répandu, et fréquente dans sa jeunesse tous ceux qu'il fallait connaître de Cocteau à Malraux, en passant par Drieu la Rochelle, après avoir reçu l'onction de Maurice Barrès ce qui, pour un écrivain de sa génération, c'était comme être béni par le pape alors qu'on est encore un enfant de choeur. Tenu en marge de la grande avancée des gloires des années 30 il devient, sans l'avoir voulu, une sorte de gourou des écrivains qui, dans les années 50, refusent l'engagement, le militantisme politique, se détournent de Sartre et de ses lieutenants et composent ce qu'on aura baptisé "Les Hussards" (référence à Jean Giono, leur idole).
Il y a là Antoine Blondin, Michel Déon, Pierre Boutang, une belle génération de flambeurs (Rogier Nimier est leur mentor). André Fraigneau écrivait clair et presque classique mais avec quelque chose de la grâce qui donne aux mots leur azur et leur transparence. Un plaisir tranquille, innocent. Indécent quand le monde est en souffrance, peut-être.
posté le 04-06-2009 à 11:34:11
Ludovic Halévy, le confort bourgeois.
Descendant d'émigrés juifs venus d'Allemagne, la famille Halévy s'est, en deux générations, imposée dans le milieu bourgeois et intellectuel du XIX° siècle. Ludovic, en particulier, a fait une brillante carrière comme librettiste (en collaboration avec Henri Meilhac) pour des opérettes dont la musique était d'Offenbach (La Belle Hélène, La Vie parisienne, La Grande Duchesse de Gérolstein, aux Variétés, Froufrou, au Gymnase, Le Réveillon et la Boule, au Palais Royal). Plus sérieusement il est l'auteur de quelques ouvrages d'une piquante actualité (les Petites Cardinal, l'Abbé Constantin).
Suprême honneur il entre à l'Académie française en 1884. Carrière exemplaire pour un homme de sa classe même s'il n'en reste pas grand chose au regard d'un amateur d'aujourd'hui qui voit plutôt l'incarnation d'un certain confort conventionnel que traduit bien son mode de vie. Dans la quiétude et l'opulence discrète d'un hôtel particulier de la Nouvelle Athènes qui existe toujours (rue de Douai).
On est là dans les coulisses du monde de Proust qui, d'ailleurs fréquente le salon de la cousine de Ludovic, Geneviève, d'abord mariée au compositeur Bizet puis à l'homme d'affaire Srauss. Proust s'appuyant sur une observation aiguë et impitoyable de cette comédie bourgeoise teintée de culturelle et vivant en vase clos.
C'est le "côté" Verdurin de la "Recherche du temps perdu", le "côté" Guermantes puisant ses sources dans le faubourg Saint Germain. On y déployait pourtant sensiblement le même décor, seuls changent les personnages.
posté le 04-06-2009 à 10:16:13
Baudelaire chez Nadar.
Tout le monde allait chez Nadar, pour se "faire tirer le portrait". Baudelaire en fit de surcroît un ami. De concert ils sillonnent le Paris nocturne et ses bas-fonds Baudelaire tirant de ces incursions où il gâche sa santé et ses finances, des impressions qui vont subtilement nourrir sa poésie. "Les Fleurs du Mal" sont bien celles de ce Paris marginal, avec ses figures hâves et ses sirènes maladives.
Il prend volontiers la pose, se joue la comédie du décavé. Hors du monde des soumissions pragmatiques il prône l'élan vers cet idéal défini en ses formes, en ses icônes, mais il est comme l'oiseau à qui l'on aura coupé les ailes. Il n'en a que la nostalgie.
Tout comme Manet, peignant sa maîtresse Jeanne Duval, souligne le caractère fatal et désenchanté d'un modèle de complaisance, Nadar insiste sur le côté maladif de Baudelaire, il en fait une icône de cette version du romantisme "fin de siècle".
posté le 03-06-2009 à 09:31:07
Le Paris de Baudelaire.
Tout comme Gérard de Nerval, ou Verlaine, Baudelaire aura souvent déménagé, sort de ceux qui ne peuvent, faute de moyen, avoir un lieu fixe. Mais cette errance malheureuse entraîne une connaissance plus physique d'un Paris où ils ont de multiples adresses. Une approche au quotidien d'un Paris aux multiples visages.
Voici Baudelaire dans le luxueux hôtel particulier de l'île Saint Louis, et dans un misérable bouge de la rue d'Amsterdam, Quai Voltaire et rue de Seine dans un hôtel de seconde zone. Un va et vient entre luxe et misère qui façonne sa sensibilité et donne des arêtes à sa vision des choses. Un tour de Paris qui est aussi celui du piéton, et tout dandy qu'il s'affiche, sensible aux spectacles parfois désolants de la rue.
On peut le suivre à la trace, d'hôtel en hôtel, comme un errant accablé par les contraintes du quotidien, et s'interroger sur l'influence de ce mode de vie sur la création. Ce serait, dans son cas, s'égarer dans des considérations gratuites. Au delà de l'errance (qui n'est pas pittoresque mais contrainte), Baudelaire se fixe des règles de vie, et vise des objectifs qui dépassent le quotidien. L' influence de ce dernier est subtile, tout comme son art. Il ne fait que donner les couleurs à un dessin qui est à la mesure de son âme. Il évoque d'ailleurs cette dernière, et dénonce une blessure.
posté le 02-06-2009 à 15:38:38
Le fauteuil de Balzac.
Qui n'est pas fasciné par la contact avec les éléments constitutifs d'une entreprise aussi gigantesque que "La Comédie humaine"" ou La Recherche du temps perdu" ? On ira comme à la messe contempler le lit de Proust au musée Carnavalet. Il est là dans une niche (comme les statues des saints à l'église) avec la table de nuit fameuse où Marcel gisant préparait ses fumigations pour lutter contre l'asthme, et les carnets sur lesquels il notait en phrases brèves ce qui allait dans le livre devenir parfois tout un chapitre. Du carnet des écrivains il y aurait beaucoup à dire et pourquoi pas une étude rationnelle de cet aspect peu connu de la création ?
Côté Balzac c'est d'abord ce jardin découvert depuis la rue et que l'on gagne en descendant un escalier comme creusé dans la falaise pour aboutir à la plage. C'est un jardin intime, fait pour les promenades digestives. Un banc pour rêver, des buissons pour l'odeur des essences végétales qui composent un décor de verdure, et les portes fenêtres mettant la maison au niveau de la nature, dans son intimité et ses variations climatiques. Un lieu de calme et de labeur. Il n'y manque plus que Balzac. On l'imagine entre deux chapitres, faisant quelques pas. Il est en robe de bure comme il aime quand il s'attelle à sa table de travail. Et voilà justement la table. Genre Louis XIII et surtout le fauteuil. Haute époque, Balzac aime les meubles de style et les objets trouvés chez les antiquaires. Il en subsiste quelques uns dans les alentours. Le fauteuil c'est un peu le trône de son génie. Il s'y épuise, s'y maintient, par l'abus de café, en veille quand le sommeil le gagne. Ecrire la nuit c'est aller au coeur des mots. S'y enfouir, comme en une cache pour mieux se retrouver comme dans le ventre maternel.
Notons le : le lit de Proust, le fauteuil de Balzac sont liés à la nuit, source de toutes les spéculations de l'esprit.
posté le 02-06-2009 à 13:46:55
L'écriture de la lenteur.
Quand l'écriture manuscrite suit la vitesse de la pensée, en traduit même parfois les frémissements, relève des traits de caractère du scripteur (d'où l'intérêt de la graphologie) l'enluminure est un produit de la lenteur, celle du copiste. En revanche elle permet d'étayer le texte par l'image qui l'accompagne, dont le texte est souvent le prolongement (à moins que ce ne soit le contraire).
Texte et image font corps. La BD y trouvera l'essentiel de son mécanisme. La page est un peu l'écran d'un cinéma intérieur, avec tout ce qu'il faut de gravité, de naïveté, pour donner au texte toute sa portée quand, la plupart du temps, il relève de l'enseignement religieux.
La technique de l'enluminure n'ignore pas l'humour, elle aspire à résumer la réalité de la vie et du comportement des hommes parce qu'elle a une valeur pédagogique.
posté le 30-05-2009 à 13:30:48
Charles Asselineau bibliophile.
Le XIX° siècle est riche en figures d'originaux qui furètent dans les bibliothèques et participent activement à la réhabilitation d'auteurs oubliés. Le bibliophile Jacob est l'un de ces personnages que l'on dirait inventés par Balzac et qui sèment sur les rayons des bibliothèque (leur élément ) des ouvrages savants mais souvent pittoresques. L'association du savoir et du charme de la chose inattendue, voire la fantaisie, est bien l'un des attraits de leur production qui ne peut rivaliser avec les grandes entreprises littéraires mais participent à l'agrément de leurs marges. Ce sont, à l'image des chapelles qui encadrent la nef d'une cathédrale, des espaces où l'on aime à s'attarder car ils sont l'ornement de la majesté, ses fantaisies, ses surprises.
Si le titre de gloire de Charles Asselineau est d'avoir été le compagnon le plus fidèle de Baudelaire, son premier biographe et celui qui a constitué la première édition complète de ses oeuvres, il vaut aussi d'être visité pour des effets de sa curiosité car c'est sous cet angle qu'il brille, qu'il étonne, qu'il séduit.
posté le 30-05-2009 à 11:29:44
Verlaine au coeur de son temps.
Le voici donc en action. Au coeur de son temps, dans la familiarité de ceux qui façonnent une manière d'être, de penser, de créer. Verlaine n'est pas si écarté de son temps que sa manière d'écrire pourrait le laisser supposer. Il donne le ton, il est à l'accord d'une sensibilité qu'il affine, dont il se fait le maître. On est au coeur de cette fin de siècle qui accumule la crapulerie et l'élégance ( ayant souvent les mêmes acteurs), étant lui même délicat et horrible, lâche et audacieux, sa sexualité n'étant que le reflet de ce que l'époque accorde à la culture des sentiments, L'homme est en chute libre, mais la tête dans les étoiles et le coeur battant la chamade et qu'importe l'opinion, il s'accomplit selon ses penchants, aime au gré de ses caprices. Il paye cher sa liberté. Il prépare le terrain pour une nouvelle société entre l'absinthe du quotidien, et l'errance amoureuse pour quêter des sensations raffinées et subtiles.
posté le 30-05-2009 à 11:01:01
Antoine Blondin au comptoir.
C'est le genre d'images
que l'on enregistre et qui définissent une fois pour toute une rencontre dans notre mémoire. Le lieu : Le Rubens, un modeste estaminet rue Mazarine, à l'angle du porche qui conduit au Passage Dauphine et, il me semble, dans l'immeuble même où avait vécu Robert Desnos (ce qui était un significatif parrainage). J'ai appris par la suite que Blondin habitait au 72 de la rue Mazarine.
Au comptoir, bavard, entouré et fêtard, un homme dont on percevait une élégance naturelle en dépit de vêtements usagés, avec un rien de coquetterie dans le détail. Mais surtout une tête admirable, chauve mais justement mieux sculptée dans sa masse et fort expressive. C'était Antoine Blondin. La légende.
Il était déjà presqu'au terme de sa vie (il est mort en 1991) mais le découvrir si tard ne faisait que mieux cerner l'étonnant parcours de celui qui s'est délibérément écarté des voies royales du politiquement correct au lendemain de la guerre.
J'aimais (sans nécessairement partager la chose) qu'il fût d'une droite franche, joyeuse, conquérante, alors que derrière les prophètes de Saint Germain des Près il n'était bon que d'être à gauche. Il affichait des admirations propres à le jeter dans l'excommunication des penseurs qui faisaient la loi intellectuelle du moment. Vénérer Marcel Aymé était du dernier mauvais goût et rendre juste à Robert Brasillach vous menaçait des foudres de la justice. Enfin il rendait justice au "génie" de Louis Ferdinand Céline, ce qui est une manière assez directe de se faire jeter dans les poubelles de la pensée. L'hypocrisie intellectuelle ne l'atteint pas et il aurait plutôt tendance à la provoquer. A sa manière c'est un rebelle.
posté le 29-05-2009 à 11:49:46
Verlaine dessine Rimbaud.
Le dessin de Verlaine a la promptitude du croquis pris dans la hâte. Ce sont des notes qui épousent le rythme du voyage. Dans son errance avec Rimbaud il dessine sans autre besoin que de marquer un temps privilégié de complicité amoureuse qui n'est jamais exempte de malice, l'humour au bout du crayon.
Le dessin est pour lui aussi une manière de retenir un trait de caractère, un comportement, une silhouette avec ce qu'elle a de typique.
Le dessin n'est pas l'illustration d'un texte, quand il était parfois son temps d'hésitation, de réflexion ; il est aussi une manière de saisir au vif la réalité du moment. Une manière de voir qui précède celle du photographe.
C'est un dessin clic-clac.
posté le 29-05-2009 à 11:10:40
Le dessin de poète (Verlaine).
Quand le poète dessine en marge de son manuscrit c'est souvent en un temps de reprise, de repos, d'errance mentale, alors que les mots ne suffisent plus, s'échappent, et que la pensée n'a pas terminé son déroulement, ses effusions, son travail. Le dessin est une fixation immédiate, spontanée, maladroite souvent, de cette pensée, ce qui le distingue du dessin élaboré, volontaire, conduit vers sa finalité plastique.
Le dessin de poète n'a pas de vocation plastique. Il est la mise à nue de la pensée.
posté le 29-05-2009 à 10:56:32
Le complexe du manuscrit.
C'est le manuscrit de Madame Bovary, mais ce pourrait être celui de n'importe quel roman qui aurait fait l'objet d'un harassant travail de corrections dans une recherche de la perfection.
L'attrait du manuscrit sur la version imprimée et définitive, c'est cet espace d'incertitude qui s'ouvre devant l'écriture. Il s'amorce (non sans douleur) à la page blanche mais il n'est pas interdit de penser que plus grande encore est la difficulté devant une ébauche qui impose sa présence, et freine l'élan de l'imaginaire.
Les rapports de l'écrivain avec son oeuvre se mesurent à l'insistance qu'il aura marqué à ses reprises, ses remords, ses refus et ses incertitudes trahies par les biffures, sabrages et autres interventions parfois rageuses, souvent méthodiques et à travers lesquelles ont perçoit le cheminement de sa pensée.
Quand l'oeuvre a acquit le prestige de la légende, on est particulièrement sensible à la découverte de ce travail qui prend alors des allures exemplaires. On peut aller jusqu'à publier ces différentes étapes, révélant ce qui n'avait pas pour destin de l'être, fouillant dans les arcanes de la création, ressortant des pans entiers que l'auteur ne destinait pas à la lecture. Regard de voyeur qui veut percer le mystère de la création.
Parfois le manuscrit s'orne de dessins, c'est le prolongement de l'écriture, ses pauses quand l'esprit s'égare.
On aura aussi évoqué les manuscrits enluminés (pratique des copistes du moyen-âge). C'est une structure inventée au texte. Son écho.
posté le 28-05-2009 à 10:05:40
Chroniques nonchalantes.
Il faut revendiquer le droit de ne pas créer un "univers en soi" comme Balzac ou Zola ( d'ailleurs on n'en est pas forcément capable) et pas nécessairement, pour autant, s'attarder sur son seul et mirifique nombril. Ecrire c'est aussi s'épandre et s'éprendre du monde, donner au regard toute sa force et tenter, par les mots, de retrouver le charme d'un instant, d'un lieu, d'un moment miraculeux. Car il peut l'être sous de multiples formes.
A travers la chronique tout instant est un morceau d'exception, de charme et même parfois riche d'enseignement. Encore que dans l'esprit du chroniqueur il n'y a pas nécessairement la valeur ajoutée de la réflexion, il sera plus poète que philosophe, et porté à traduire une sensation plutôt qu'une connaissance. Ce n'est pas un affaire de savoir et jamais un enseignement mais le partage du miracle de la vie quand la vie vaut la peine d'être vécue, donc partagée.
Je vois en un chroniqueur une sorte de photographe de l'instant. Il en aura l'acuité de vue, la rapidité d'enregistrement, la promptitude. C'est une pensée en clic-clac même si le rythme général est celui de la nonchalance qui est la meilleure incitation à bien voir, et voir avec saveur. Le regard pratique est celui de l'huissier, du rapporteur, celui du chroniqueur est le regard de la saveur, du plaisir.
Un roman (et même une saga) une fois lu, (et relu quand il s'agit d'un chef d'oeuvre) est enfermé sur lui-même, si riche soit il, il ne peut donner que ce qu'il a, une chronique, du fait qu'on s'y accorde selon le moment, présente de nombreux visages. Elle se relit, se déguste, modifiée chaque fois et donc multiple.Et puis un roman c'est une réalité fabriquée, une chroniqueur c'est le monde tel qu'il est, mais passé par le regard de celui qui sait voir.
posté le 23-05-2009 à 10:28:09
Monselet à Nantes.
Charles Monselet est de ces écrivains qui pratiquent l'errance urbaine comme un art. Paris sera son site de prédilection. Homme de théâtre, de café, il traduit bien, comme beaucoup de ses contemporains, la fièvre "fin de siècle". Né à Nantes il est l'un des fleurons de la vie culturelle de cette ville riche en découvertes artistiques et littéraires. On y croisera Jacques Vaché, Benjamin Péret, Julien Gracq, Camille Bryen, Michel Manoll.
posté le 23-05-2009 à 10:10:39
Charles Monselet sur les Grands Boulevards.
La découverte d'un auteur passe par des chemins capricieux. Son nom apparaît lorsqu'on s'attarde sur un autre, l'ignorant jusqu'alors. Il revient au fil des pages et sa silhouette peu à peu s'épaissit. Il prend corps.
Voici Charles Monselet. C'est en se promenant dans l'univers de Baudelaire qu'on l'aura d'abord rencontré. Furtif, encore qu'il avait du poids à en croire ceux qui témoignent de l'époque. On se retrouve au Café de Madrid (près du Passage Jouffroy sur les Grands Boulevards) et voilà le personnage dans son monde, parmi les siens, ces chroniqueurs du théâtre qui font les modes et de bien sémillants cavaliers au bras des demi-mondaines nombreuses en l'endroit. Des buveurs d'absinthe (mais qui ne s'y perdent pas comme le fera la pauvre Lélian alias Verlaine), des pisseurs de copie (les journaux ont leur siège dans les environs immédiats),
Le journalisme mène à tout et même à la littérature. Charles Monselet en est un exemple. Sans doute on va privilégier le gastronome, celui qui s'épand largement dans une production éditoriale qui s'appuie sur la table et les gros mangeurs qu'étaient alors les bourgeois de Paris ( il suffit de lire les menus pour se demander comment ce petit monde a pu survivre à des tables incroyables, c'était l'époque des dîners Marny - on croisait Théophile Gautier, Alexandre Dumas, Gustave Flaubert, Taine, Sainte Beuve, Edmond de Goncourt et même, seule femme, George Sand).
Mais au delà de la table, à son voisinage immédiat il y a le théâtre et Charles Monselet s'y risque, de chroniqueur devenant auteur. On reste dans le quartier entre le théâtre de la Renaissance, celui de la Porte Saint Martin et le Gymnase. Succès de théâtre, à l'époque, conduit au succès mondain. L'un souvent inspiré par le désir de l'autre. Charles Monselet tient le haut du pavé. Il aura aussi le mérite de sa curiosité. N'est-il pas l'un des rares, à l'époque, à connaître et parler de Xavier Forneret. Rien qu' à ce titre il mérite notre attention.
posté le 22-05-2009 à 11:38:27
L'or au fond d'un carton.
Ce n'est pas une blague, j'ai trouvé l'Or au fond d'un carton. C'est, en édition de poche, le roman de Blaise Cendrars (sans doute le plus populaire de son oeuvre et le plus réellement roman) : l 'Or avec une couverture criarde, faite pour attirer le chaland. C'est bien le charme des vides grenier que d'y trouver des livres qui ont vécus. Ainsi, celui-ci, froissé, taché (preuve qu'il avait été bien lu) portait les mentions de ses propriétaires (apparemment deux, successifs) : au dos de la couverture, d'une écriture tendue, soignée, encore malhabile, mais manifestement d'une adolescente : Aurore Péan , 4° Saint Grégoire, Pithiviers, et en dessous un dessin humoristique comme on en fait dans une salle d'étude où l'on s'ennuie. Plus brève sera la mention qu'y fera Sandrine Guérin, à la dernière page du livre. Peut-être passa-t-il de l'une à l'autre comme il en est l'usage dans la fièvre des découvertes littéraires adolescentes scellées par des amitiés, parfois vives et troublantes.
Pour corser l'histoire (ou plutôt donner une information supplémentaire), glissée comme marque page, une image pieuse : "Rayon du ciel. C'est Jésus, J'ai suivi ses pas" et un petit poème bien indigeste en manière d''exercice de piété.
Le livre à peine entrouvert pour en humer l'odeur, et s'attaquer à sa lecture, on a les données qui permettent d'esquisser l'histoire d'une jeune élève d'une institution religieuse, abandonnée à la lecture de ce texte qui incarne l'aventure. L'Or c'est l'histoire du général Suter qui a conquis la Californie, est devenu milliardaire, et a été ruiné par la découverte des mines d'or sur ses terres.
Entre deux prières, une rêverie languide en salle d'étude, Aurore Péan s'est assoupie sur ces pages écornées, jaunies. Elles me ravisent.
Voici comment les livres voyagent et traînent avec eux des traces de vies qui s'y abandonnent.
posté le 21-05-2009 à 16:22:48
Satan et les sauterelles.
L'oeuvre avait été signalée par Georges Bataille, sans doute figurait-elle dans son musée imaginaire ( tout écrivain s'en conçoit un ) et sa rencontre, sa découverte fortuite, au détour d'une ouvrage distraitement feuilleté, avait joué comme un formidable déclic. Le sentiment d'entrer dans un espace dangereux. On invoquait satan et les sauterelles. On devinait l'un (plutôt l'air d'une forgeron grattant les braises pour faire naître la flamme - il restait l'artisan du feu-), et des figures ailées qui tenaient de la sauterelle tout autant que de n'importe quel animal inventé par les mythologies antiques. Mais le moyen-âge est encore très voisin de certaines d'entre elles, les peurs sont encore suspendues au dessus des têtes innocentes des pèlerins sans culture sinon celle, modeste et imagée, qu'on entretenait ici.
C'est bien l'attrait de cette imagerie que de créer une sensation (éveiller un sentiment) et dans le même temps, permettre toutes les interprétations possibles. En somme, faire travailler l'imaginaire qui devait être plus vif en ce temps des cathédrales haut lieu des réunions publiques de toutes natures, qu'à l'ère de la télévision qui mâche les images en les basculant dans le vide de notre gloutonnerie imbécile.
posté le 19-05-2009 à 15:23:45
Lettres de guerre de Jacques Vaché
Editées par K, les "Lettres de guerre de Jacques Vaché" étaient en fait une réédition de l'ouvrage conçu par André Breton après la mort de l'auteur de ces étranges missives et qu'il ait été reconnu comme l'un des incitateurs du Surréalisme.
L'attrait de l'édition de K, outre les différentes préfaces que Breton avait donné, tant il revint sur le sujet et marqua sans faiblir son admiration pour Vaché, tenait à son aspect graphique qui semblait s'adapter si parfaitement à l'esprit de son contenu.
Il n'y avait pas dans la rédaction de ces lettres une ambition littéraire, encore que certaines remarques prouvaient que Vaché n'était pas insensible à la qualité littéraire de ce qu'il écrivait. Mais la charge provocatrice, l'humour qui y présidait chassaient et supplantaient l'esprit littéraire.
Le livre fut, dans le contexte du Soleil dans la tête, un élément fort, une pièce à conviction dans la campagne menée pour diffuser des documents à valeur historique autour du surréalisme. Il était emblématique de ce que devait être une bibliothèque idéale. Ce qui est la vocation de toute bonne librairie.
posté le 19-05-2009 à 15:09:51
Unica Zurn, le dossier de la folie.
Rassemblées avec un soin pieux, les lettres envoyées par Hans Bellmer à Henri Michaux, à propos de l'internement de sa compagne Unica Zurn, pour "folie", constituent un pathétique témoignage tant sur Unica Zurn elle-même que sur un aspect de Bellmer qu'on n'imaginait pas aussi scrupuleusement attentif à autrui, et qu'il était difficile d'apprécier tant l'homme resté enfermé sur lui-même, avec cette rigueur, ce dédain magnifique du Germain hanté par son monde et se frottant mal aux exigences de la réalité. On l'a connu dans la plus effroyable misère, quand il vivait (avec une Unica qu'il venait de "ramener" d'Allemagne), dans cette arrière cour de la rue Mouffetard où tous deux gravaient à la lumière avare d'une pièce qui avait des allures de sous-sols.
Bellmer n'était pas l'homme de la palabre, et sa discrétion confinait au dédain, comme s'il préférait s'enfermer dans sa solitude mentale, intellectuelle et affective.
Ses amitiés furent balisées par des réalisations qui scandent toute l'aventure de l'esprit, de Breton à Gracq en passant par Bataille et sous le signe obsédant de Sade. Ce qui entretenait une manière de légende autour de lui, et dispensait les frissons d'une réputation sulfureuse.
Unica, dans ce climat, se trouvera en complicité, et sans doute aussi, parfois, en conflit. J'ai le souvenir d'une équipée à Ermenonville où le couple avait trouvé refuge. Unica y écrira et dessinera de minuscules géographies fantasmées sur des boites d'allumettes. Le feu était sur la boite en imagerie faussement naïve. Comme des blasons de souffrance. Les portes de l'enfer.
Cette poignée de lettres qui témoignent de l'enfermement d'Unica ne peut qu'évoquer le cas d'Antonin Artaud à Rodez (Lettres de Rodez à Henri Parisot).
Cernant la folie, les mots la ramènent aux dimensions du quotidien, pour le rendre pathétique.
posté le 19-05-2009 à 14:52:36
Jacques Vaché, confection pour homme.
Jacques Vaché agrémentait ses lettres de dessins souvent malhabiles (mais il ne prétendait pas à une carrière artistique) et narquois, surtout vis à vis de lui-même. Affichant un dandy superbe et vain, artificiel et moqueur, le jeu le portant à figurer l'emblème du futile et cela dans le climat de "lettres de guerre".
Loin du front on pouvait afficher un appétit de vivre qui passe par ses symboles les plus artificiels. C'était la version "costume pour homme" présenté dans les vitrines de magasin de confection, du "Diable au corps" de Radiguet qui, lui, engage l'élan de l'amour, du désir, sur fond de mort et de trahison.
Chacun se choisissant un défi à l'absurdité de l'Histoire.
posté le 19-05-2009 à 14:36:40
Jacques Vaché en civil.
L'aspect physique de tous les artisans de l'histoire du surréalisme mérite qu'on s'y attarde tant il en dit long sur la qualité sociale des hommes (et des femmes) qui en figurent l'esprit. Il existe un air de ressemblance, et une manière de s'habiller, d'afficher leur statut social qui les font frères et soeurs et enfants de cette bourgeoisie qui s'est développée sous le signe de la culture. La culture bien plus que l'argent, laissant la culte de celui-ci à la classe des besogneux du commerce et des affaires.
D'ailleurs on affiche un dédain très marqué pour l'argent et le travail n'est pas un but en soi, tout au plus une nécessité traitée avec juste le soin qu'il mérite mais sans étouffer les ambitions créatrices qui prédominent et décident des choix de vie.
On peut aller plus loin encore, et il n'est pas innocent que le suicide ait été l'issue fatale pour ceux qui ne voulaient pas s'engager dans les chemins préparés pour eux, cette espèce de fatalité qui allait tuer le poète en gestation.
Jacques Vaché est significativement dans cette voie. Poète sans oeuvre mais dans cette aura d'un destin qui deviendrait légendaire.
posté le 17-05-2009 à 15:10:31
Virginia Woolf journalière.
Plus que tout autre, le Journal de Virginia Woolf est au coeur même de celle qui s'y abandonne. Il nous la rend présente. Dans l'art si délicat du journal qui peut tourner à l'auto célébration, une attention vaine et excessive de son moi errant dans la réalité, elle, y trouvant un amarrage, comme le puissant navire qui, fuyant la mer déchaînée, s'est réfugié dans un port.
Le port de Virginia c'est sa table de travail, elle s'y accroche avec une volonté parfois désespérée, partagée entre une vie sociale qui peut devenir mondaine, les responsabilités de l'entreprise commerciale qu'elle anime avec son mari Léonard (mais qui lui permet de se publier en toute indépendance), et des accès de "folie" qui scandent sa vie faite de patiente pénétration du réel et d'ardeur, et toute vibrante de ces émotions qui chargent ses romans et les font si riches de texture, si prenants.
La puissante séduction de son oeuvre tient à cette force de pénétration qu'elle développe pour saisir les rapports du corps pensant (sensuel) avec la réalité, que ce soit la nature ou les êtres qu'elle affronte. Autant que Katherine Mansfield elle rend sensible l'approche de la nature, s'identifiant avec la sensation, dans l'esprit du plaisir qui s'en dégage.
Viviane Forrester, avec ténacité, mène une approche sensible de cet univers, nous y introduit avec une grande subtilité, sans doute un accord profond de sensibilité avec son sujet,
posté le 16-05-2009 à 11:10:48
Le Soleil dans la tête, un lieu de poésie.
Alors même que le titre Le soleil dans la tête désignait un recueil de poème (dont la librairie sera la conséquence) il était déjà mal compris et confondu avec une allusion à la joie (du soleil plein la tête était une chanson) alors qu'il s'inspirait plutôt du drame de Van Gogh. Une certaine tension de l'esprit qui ne se portait pas nécessairement vers l'optimisme. C'était une déclinaison du "soleil noir" invoqué, lui, par Gérard de Nerval. Le soleil noir de la mélancolie.
Le soleil dans la tête était celui d'une soif que rien ne peut apaiser. Peut-être une certaine aspiration à s'identifier avec la force (destructrice) de sa chaleur. Dans l'esprit de Bachelard qui décrivait le monde sous le signe des éléments qui le constituaient.
Le soleil dans la tête était une marche vers un but lointain, indistinct encore, auréolé d'un attrait ravageur. Une sorte de quête du Graal en somme. Les poèmes invoqués n'étaient que de modestes petits cailloux sur ce cheminement.
La librairie (galerie) qui en recueille l'énoncé affichait son adhésion à la poésie. Elle fut (dans les années 50-60) avec celles de Pierre Bearn sa voisine (rue Monsieur le Prince) et surtout celle de Marcel Béalu (dans le quartier Saint Séverin) le point de rassemblement de toute la jeune poésie et d'hommage à ceux qui avaient ouvert des chemins exemplaires : René Guy Cadou, Pierre Albert-Birot,
posté le 15-05-2009 à 14:03:01
Jacques Hérold chez le marquis de Sade.
Vu de loin, vu de près.
Il faisait parti de ceux dont on attendait, vus de loin, qu'ils apportent quelque chose de majeur à notre appétit de rêve, tant ils creusaient leur sillon dans les forces de l'inconscient, non sans une voluptueuse cruauté qui n'était pas pour rien dans l'attrait qu'ils pouvaient exercer sur ceux qui découvraient, tout à la fois, Breton et le surréalisme, Ernst et les flambées de la prose de Julien Gracq.
Vu de près on était séduit par sa "bonhomie" qu'il roulait dans les "r" n'ayant rien perdu de ses origines roumaines.
On le retrouve à Lacoste (lieu idéalement fait pour lui), il avait trouvé maison de campagne dans ce qui avait été (mais c'était peut-être une légende) les communs du château du marquis de Sade. Le château était bien là. Il dominait, le village, orgueilleux, impérieux, que l'on aurait dit sorti d'un des ces romans gothiques anglais du XVIII° qu'on aimait tant. On pouvait s'y promener en toute liberté. Les poètes étaient venus là, nombreux, rendre hommage au terrible maître de leurs fantasmes. Hérold ciselait des figures totémiques emportées par la foudre. Son monde était celui du déchaînement. Prestigieuse était la cohorte des poètes qu'il avait illustré : Ponge, Fardoulis-Lagrange, Butor, Breton, Gracq, Jean Pierre Duprey, et tant d'autres qui se croisent dans le jardin des délices et celui des terreurs.
posté le 15-05-2009 à 11:02:31
Les Beauvoir comme on dit les Brontë.
J'avais compris : les soeurs Brontë, se reprenant elle précise, non je voulais dire les soeurs Beauvoir. Une confusion qui me semble fort révélatrice. Elle est pourtant amoindrie par de nombreuses nuances. Les soeurs Brontë fusionnent dans une solitude morbide, les soeurs Beauvoir s'inscrivant dans le monde et se distinguent. Dans son travail Claudine Monteil ne révèle pas tout de suite son intention. Elle nous présente la vie parallèle de deux rejetons de la bourgeoisie plutôt enclines à défier leur classe, et se chercher dans la création.
Simone y parvient avec éclat, provoquant scandale et reconnaissance de cette cause des femmes qui est le véritable objectif de l'auteur (l'auteure comme elle le précise avec insistance). Bientôt elle est introduite dans l'intimité des deux figures de la révolution féminine qui se précise (plutôt avec Simone qu'avec Hélène, plus réservée). Et c'est pourtant elle que l'on va découvrir dans son parcours et l'intimité familiale qu'elle a créé autour d'elle.
Claudine Monteil situe bien ce qui distingue les deux soeurs, et l'ampleur de la démarche de Simone, Hélène étant plus secrète, plus attachante aussi. Dommage que ce soit dans une écriture un peu terne, conventionnelle, qui n'échappe pas toujours aux clichés d'une mignardise attendrie. Qu'importe, elle nous fait approcher deux êtres d'exception, hantés par les problèmes de la création. D'autres personnages virevoltent alentours, dont Sartre. Ce n'est pas là qu'on cherchera à le mieux connaître. Il est hors sujet.
posté le 13-05-2009 à 16:29:33
Goncourt, un dossier objectif de Pieree Kyria.
La biographie d'André Billy reste " l'incontournable" pour qui veut connaître et comprendre le rôle joué par les frères Goncourt. Mais le petit livre de Pierre Kyria a le mérite d'en offrir une introduction succincte et aimablement écrite, narquoise au détour de certains aspects, comme quoi il n'est pas dupe et ne joue pas l'admiration béate. Julien, qui disparaît prématurément, laisse son frère Edmond comme une sorte de veuf. Il poursuit la rédaction de ce monumental "Journal" qui est la seule raison de conserver sa mémoire, ses romans ayant bien vieillis et ne sont sans doute guère lus aujourd'hui. Un Journal qui est un formidable vivier de toutes les figures de la vie culturelle de l'époque (Second Empire) avec les personnages principaux de cette saga : la princesse Mathilde (à la fois insupportable et nécessaire), Théophile Gautier, Sainte Beuve, Zola, le bon Gustave Flaubert sorte de frère de province, à la fois goguenard et grognon, ou encore Alphonse Daudet, figure fragilisée par la maladie, vu avec une objectivité qui détruit un peu l'image du doux conteur provençal pour révéler un auteur ambitieux et parfois âpre à conquérir la gloire. Un monde lavé de toute dimension légendaire, tant le regard de Goncourt est rude, impitoyable et sans doute parfaitement objectif. Pierre Kyria s'arrête un instant sur les salauderies évoqués dans des pages qui révèlent des aspects parfois sordides des coulisses de la vie quotidienne dans ce quartier des Lorettes (rue Saint Georges) où les frères Goncourt avaient leur logement. Des ragots de palier contés avec une malsaine complaisance. Une curiosité littéraire !
posté le 13-05-2009 à 11:01:35
L'abbé Mugnier une commère des Beaux Quartiers.
L'abbé Mugnier était de la trempe de ceux qui, au XVIII° siècle, hantaient les salons aristocratiques et faisaient bonne figure même s'ils étaient d'origine prolétaire car la soutane leur donnait le droit de défier leur condition sociale, et surtout leur humour, leur aisance naturelle à frôler le péché sans s'y perdre, mais surtout à tendre l'oreille aux confidences qu'ils suscitaient. Il y a un confesseur en tout porteur de soutane et l'abbé Mugnier ne s'est pas privé d'en user, d'en abuser même, son "Journal" fourmille de portraits, de notes, de ragots qui en font un Saint Simon du faubourg Saint Germain, l'originalité du style en moins. Pourtant il aurait voulu être écrivain et c'est pour s'en consoler de n'y être point parvenu qu'il s'approche à pas de loup d'Anna de Noailles (personnage type de cette société caviardée par l'argent, la futilité, le snobisme, mais non sans talent), Proust (un concurrent qui chassait sur les mêmes terres - mais pour faire un chef d'oeuvre), Valery (snob à ses heures), Anatole France (sorte de figure du commandeur dans les salons littéraires) ou Jean Cocteau qui est partout et surtout là où il bien d'être vu. Sur ce théâtre des mondanité il promène un regard vachard complété par un usage fort habile de bons mots. Il faut avoir de l'esprit dans cette société à défaut d'avoir des blasons. Son Journal est un tableau fourmillant et drolatique. Une douche froide dans le confort des salons ouatés où l'on se donnait facilement en spectacle.
posté le 12-05-2009 à 13:45:13
Kafka, une cage partie à la recherche d'un oiseau.
Kafka au quotidien.
Il peut y avoir pire relation que celle-là. Elle fut progressive et prendra de plus en plus de place. Relation capitale. Elle est très ancienne, grâce à la découverte, dans la bibliothèque familiale, de la version du "Château" dans la traduction du savoureux Vialatte (sous une belle reliure de Mario Prassinos).
Il y aura aussi des voyages à Prague, dans la climat lourd de l'invasion soviétique, ce qui était une manière de mieux rencontrer celui qui avait annoncé ce climat délétère. Avec Jean Jacques Lerrant nous errions la nuit, autour du Hradcany, sur les traces de Kafka encore sous le boisseau mais si présent dans notre mémoire.
Et puis il y avait, mais si confidentielle qu'elle ne fit guère de bruit, cette publication par Millas-Martin de quelques poèmes épars, sous un titre justement emprunté à Kafka : "Une cage partie à la recherche d'un oiseau".
Tout est là dans sa force de suggestion, sa brièveté et peut-être le charme étrange de la formule qui va à l'encontre d'une idée toute faite. Nous étions l'oiseau de cette cage portée à bout de bras par un Kafka au visage encore adolescent, ce qui ajoutait à son charme et à la force de sa vision.
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