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lettres de la campagne

posté le 16-08-2010 à 10:21:24

Marinetti l'écriture de l'impatience.

L'éclatement de la page chez Mallarmé était plutôt la recherche d'une respiration, une construction, les calligrammes d'Apollinaire une manière de dessiner avec des mots, mais le début du XX° siècle voit fleurir une fébrile activité qui a un caractère infiniment plus révolutionnaire car les mots en liberté c'est surtout une manière de dynamiter (dynamiser?) la phrase pour les futuristes, et pour les tenants du mouvement Dada, d'exprimer le non sens de la chose écrite, un mouvement de protestation, de provocation. D'ailleurs, autant que les futuristes, les artistes de "dada" vont largement contribuer à cet éclatement de la chose écrite ce qui, curieusement, va permettre aux arts plastiques et à la poésie de se rejoindre.
L'espace donné à l'écriture (la page) est largement ouvert, et du livre on passe volontiers à l'affiche. Le texte devient mural.
Nombreuses sont les  options et chacune témoignant de la personnalité de celui qui l'adopte, un peu comme une écriture, c'est la graphologie d'une énergie qui veut sortir la lettre de son inertie, de son rôle de figurant pour en faire un personnage à part entière sur la scène de la page. Théâtre des mots.
Ne voit-on pas un Pierre Albert Birot l'assimiler à l'idée de la danse (des mots à danser), et Marinetti déborder de la page du livre, comme si celle ci trop étroite ne pouvait contenir toute la force de son énergie. La beauté, pour lui, n'est-ce pas la vitesse ? Les mots en liberté c'est une écriture d'impatience.

 


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1. saintsonge  le 16-08-2010 à 10:38:39  (site)

Mais "l 'impatience", tout comme l'exigence, c'est un manque de confiance en soi.... L'avait-il, ce trouble du vide, cette non-assise des idées, l'absence de racines ?..
La bonne journée !

 
 
 
posté le 13-08-2010 à 10:34:21

Nadja, huit jours au plus.

A en croire les spécialistes d'André Breton il rencontre Nadja le 4 octobre 1926 rue Lafayette, et la voit, chaque jour, jusqu'au 13 octobre. Ce qui fut un amour légendaire, marqué par la fulgurance et porteur d'un des plus beaux textes de Breton aura duré à peine plus d'une semaine. Ce qui aura suffit à dessiner dans Paris un itinéraire qui, aujourd'hui encore, est porté par une sorte de magie des formes et des mots, et une force des sentiments qui conduisent les deux amants à percer le secret des choses les plus ordinaires (la fameuse lecture des lieux sur la place Dauphine, le sexe de Paris).
Pour une édition ultérieure André Breton se lance dans une analyse qui tente de cerner les éléments de la folie qui sous-tend l'aventure de Nadja et sa triste destinée. Le texte, de poème devient une sorte de dossier quasi scientifique (il est vrai que Breton a une formation de médecin), et il a fort appris dans le voisinage de Jacques Vaché qui restera une sorte d'élément fondateur du surréalisme, une étape essentielle dans la quête initiatique de Breton fasciné par les destins hors normes, les regards emplis d'étrangeté qui enrichissent notre vision du monde. Alors Nadja dans tout ça. Un point d'ancrage dans la conscience du monde magique quand il est porté par l'amour (et un amour singulier).

 


Commentaires

 

1. saintsonge  le 13-08-2010 à 12:26:01  (site)

Annie Ernaux , in l'écriture comme un couteau "je tiens Nadja pour le premier texte de notre modernité"..
Je souscris.
Et non que je sois né dans la région Lilloise, itou !
Breton : "Se fier à la résonance intime, sans aller au-delà" ... C'est dans ce texte-là tout l'écho exemplaire ("une femme nue qui ne devait avoir eu à se défaire que d'un manteau... - page 41, folio plus")

 
 
 
posté le 12-08-2010 à 15:55:35

André Breton dans ses cahiers.

Doit-on y voir une nostalgie de l'enfance, un cordon non encore coupé avec des souvenirs de classe, quelque chose qui relèverait de la nostalgie ?
Comme beaucoup d'écrivains qui aiment l'intimité d'un cahier d'écolier pour contenir les mots qu'ils utilisent, Breton en fait usage pour des textes qu'il consigne à des fins de publication. C'est "Poisson soluble" qui paraît en même temps que le Manifeste du surréalisme, celui-ci devant être, à l'origine, la simple préface d'un texte qui illustre la pratique de l'écriture automatique que Breton avait explorée aussi avec Philippe Soupault en 1919 avec "Les champs magnétiques".
L'ouvrage ne paraître qu'en 1924, mais c'est  en 1921-22 qu'il le rédige, en partie à Moret sur Loing (dans l'ombre de Sisley qui y avait vécu) et dans l'atelier où il vient d'aménager, 42 rue Fontaine, au dessus du cabaret "du ciel" et "de l'enfer".
Il s'agit de 7 cahiers, le premier sans illustration mais portant une dédicace à Simone (Kahn) qui sera, bien après, la Simone Collinet dont la galerie fut, dans les années 50, un haut lieu de la mémoire du surréalisme.
La couverture du deuxième cahier est illustrée par une image représentant Geoffroy Plantagenêt en armure, le troisième un château fort sur un pic perché avec en premier plan un personnage portant une hallebarde. C'est Lamartine qui a les honneurs du quatrième, et "la nuit du 4 août" le cinquième. Le sixième est orné d'une tête de femme sur fond de paysage et le septième, comme le premier, est dénué d'image mais une inscription  situe peut-être le lieu de son achat : librairie papeterie A. Graillot,  Romorantin.
Preuve, s'il en est,  donnant tout son prix au choix de de ce support . Chacun a son histoire. Et si le texte qu'il contient la prenait en charge, elle deviendrait le sujet contenu dans son objet.

 


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1. saintsonge  le 12-08-2010 à 16:32:22  (site)

Au "cahier", la punition, la rédaction, la composition française, ou la dictée, mais aussi les poèmes au "cahier" de mon enfance, oui, cet article me plaît.
De sorte que c'est un Paradis non moins artificiel que de s'en souvenir !

 
 
 
posté le 12-08-2010 à 11:48:45

A l'ombre de la Mythologie

Familier des dieux, il les tutoie dans ses longues rêveries. Ils font parti de son univers quotidien. Il s'avance dans un peuple de marbre. Les promenades dans les jardins sont un prétexte à réviser des leçons d'Histoire. Diane a mauvaise mine ici, et Hercule a l'air furibond, il en a perdu quelques doigts de sa main qui tient une fourche. Les écuries d'Augias sont derrière lui, sous forme d'un bosquet où la nuit des voyous viennent rançonner les promeneurs solitaires et des femmes vendre leur corps. Debout, à la hâte, et sans jamais montrer leur visage.
Il devine le manège et s'en plaint à une Minerve casquée et fière qui borne l'allée alors qu'on le conduit à un succulent goûter, sous les tendres verdures de jeunes arbres qui agitent leur chatoyante ramure au moindre souffle de vent.  C'est là un pieux souvenir de ses sorties dominicales pour se rendre à "La marquise de Sévigné" qui avait,  du côté du Ranelagh, aux abords du bois de Boulogne, une plaisante boutique où était savoureux le chocolat.
Longue encore sera cette alliance ténébreuse des mythes et du réel, la confusion entre ces personnages taillés dans le marbre, offerts aux intempéries, mais braves sous la pluie, et les défilés sombres et menaçant des protestataires qui passent dans la rue en des temps troublés. D'un geste sec, furieux et réprobateur, une femme (sa mère, une servante, une parente, une figure protectrice) ferme la fenêtre qui cherchait sa part de soleil, et la pièce retrouve sa quiétude. Il sera alors condamné à résoudre d'ardus problèmes de mathématique, avec en fond sonore, une lointaine rumeur, les slogans dénonçant des misères dont il ne sait pas grand chose.
La vie pourrait s'entendre à l'infini dans cette absence de toute contrariétés autres que celles sécrétées par le cercle étroit des familiers. Certains se sont complus dans cet air un peu lourd, et confiné, des conforts discrets. Lui sentait frémir dans le secret de son corps  des exigences saccageuses.
L'esprit flotte, distrait, sur des formules apprises, des leçons ânonnées, s'enfuyant vers ces vagues promesses qu'il perçoit, devine, entre les lignes, entre les mots. Venus jusqu'à lui comme un rayon de soleil qui fait son chemin dans d'épaisses brumes, pour chatouiller le visage  d'un dormeur juste éveillé.
Pourquoi  l'éveil appelle-t-il la violence. Il y repensera parfois. Ce sera l'axe de sa vie cette agression contre la ouate venue de l'enfance à laquelle il semblait condamné.
Au delà des murs insonorisés de l'appartement, et ceux du collège, il y a la rumeur du boulevard, ce théâtre de la vie dont il ne sait rien encore et dont il sent les insidieux appels.
Un boulevard ouvert au rugissement des automobiles, à l'errance des badauds.
Dans la seule compagnie des dieux de marbre, il se confectionne une ardeur qui ne demande qu'à jaillir.
photo christian milet

 


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1. saintsonge  le 13-08-2010 à 12:27:05  (site)

ah , je n'avais pas vu ce joli postérieur !

 
 
 
posté le 12-08-2010 à 09:44:36

L'aval du poète Yves Bonnefoy.

Et ce n'est qu'un début, sortant du brouillard de la mémoire, d'où ce flou qui règne encore quand la mission des mots désormais sera de mieux cerner (après les avoir répertoriés) les vocations de révélateur de l'art qu'incarnent les poètes.
C'est une vieille histoire (la prise de conscience du phénomène). Elle naîtra du côté de la découverte de Baudelaire dans le feu de l'adolescence. D'où la supériorité (en matière de culture) de Baudelaire sur quiconque lui sera comparé.
Le poète sera sorti de l'égocentrisme propre à la poésie (qui tire tout de soi) pour s'égarer (sillonner, musarder, déambuler) du côté de la peinture (mais aussi de la sculpture, et par simple effet de logique, du côté de l'architecture).
Le mot d'ordre est donné par Apollinaire qui titre ses essais "Le flâneur des deux rives" situant géographiquement le  front de l'activité artistique (mais bientôt il faudra sortir de Paris et avoir une vue plus ample et mondiale), et donnant le ton de l'approche : en flânant. Surtout ne pas défendre une théorie, oser l'éclectisme, se fier à son instinct, aux accidents de parcours, aux jeux du hasard. Prendre son temps. Le temps des bilans est pour clore l'aventure. Alors on assemble, recolle, collationne ce qui avait été dispersé dans le feu de l'action, catalogues, préfaces, articles, le tout abandonné aux caprices du vent, exposé aux effets néfastes de l'oubli.
Dernier, et non des moindres effets de cette approche qui n'est pas nonchalante si elle implique la lenteur, la fraternité qui en découle. Ici le commentateur devient le complice d'une oeuvre commune, ce sera le livre, d'ordinaire, et parce que sans doute le territoire le mieux adapté à cette aventure, quand deux regards se croisent. Fraternisent.
Au lent défilé de ceux qui ont osé l'expérience, s'y sont révélés souvent au meilleur d'eux-mêmes Yves Bonnefoy.

 


Commentaires

 

1. saintsonge  le 12-08-2010 à 10:49:48  (site)

IL SEMBLERAIT que je sois au temps "du bilan " (l'aventure de l'été qui m'a blessé - virtuellement - sera-t-elle terminée , pour autant ?) Je "vous" reprends ainsi par un article synchrone !
Bon re-cheminement....para-littéraire.
J'ai aussi vu, me semble-t-il itou, qu'une de vos filles exposa ?

2. sorel  le 12-08-2010 à 11:52:08  (site)

Bonjour, merci pour votre visite. Ce sont deux de mes filles qui exposent au Plan de la Tour. L'une des boîtes, les deux des photos d'un peu partout dans le monde. Elles voyagent beaucoup pour le plaisir du clic-clac de l'objectif.

3. saintsonge  le 13-08-2010 à 10:01:45  (site)

Exposition bicéphale en ce beau cas d'un Man Ray's Daugthers ?
Vous pensez bien qu'à l'usage d'un mirage (l'avion !), j'eusse été voir les emblavures photographiques, illico presto - Odi profanum vulgus et arceo (j'ai plages au bout de ma rue, et n'y suis même pas allé ! Trop de bifteks humains dénaturés charnels ...! Passé l'été, blessé par l'amour - virtuel..en plus !... Lectures, écritures et promenades, nombreux rêves....Deux autres refus d'éditeurs dont Minuit.)
Le "clic-clac" de vos filles justifie mieux l'unité rythmique à la Arp de nos automatismes... Bonne, très bonne journée ... Et, l'avancée de votre L'auteur-très amont ?...

4. saintsonge  le 13-08-2010 à 10:32:20  (site)

....écritures, nombreux rêves et...dessins (crobars);..Une "vie de poète", me dirait Walser !

 
 
 
posté le 07-08-2010 à 21:43:06

Louis Ferdinand Céline au plus vif.

Il suscite des lecteurs compulsifs. Personne ne sait garder son calme à son sujet, on a toujours des comptes à régler avec lui. Qui est Louis Ferdinand Céline ?
A qui se fier ? Selon les uns c'est "une ordure", et pour d'autres (les plus réfléchis) c'est un génie. Depuis quand un génie n'est pas parfois un "salaud" (selon la définition donnée par Sartre) ?
On y a vu des bandits de toutes natures, des courtisans sans scrupules, des pervertis de tout acabits, et voilà qu'un jette des pierres sur l'un des rares que nous propose notre époque. Génie ?
Par la singularité de son art, son caractère profondément révolutionnaire, l'effroyable lucidité qui l'inspire et le rend si hargneux. Il a le génie de sa hargne, de sa colère. Souvent la colère est mauvaise conseillère, elle enflamme des esprits trop fragiles pour la maîtriser, et peut-être même l'exprimer.
Quand la colère devient langage on a Céline tout armé de sa seule plume pour démolir le monde qu'il refuse, la société qu'il exècre.
De plus, et en cela il est exemplaire : il a su trouver un style en accord avec sa pensée, d'où cette écriture hachée, avec ses  saccades de pointillés qui en disent long. Phrases coupées, haletantes, essoufflées, qui ont de l'asthme.
Le contraire de Proust (l'autre génie dans l'époque) qui la développe pour mieux envelopper sa pensée, qui l'étire par des incises éveillantes et qui tiennent l'attention en remuant les sensations.
Céline affronte (c'est un "ancien combattant" remarqué pour son courage) directement, il vous secoue, ne lâche pas prise pour vous asséner vos quatre vérités qui ne sont pas toujours agréable à entendre.
Jean Dubuffet, (il parle en peintre ), apparemment moins sensible au contenu qu'au contenant, ne manque pas de rappeler qu'importe moins le sujet que la manière de dire, en somme la petite musique du style. C'est aller à l'encontre de tous ceux qui voient en Céline un poseur de bombes, un remueur de problèmes sociaux, une sorte de penseur pamphlétaire de notre société qui court à sa perte.
Le message a été entendu. Il sont nombreux aujourd'hui à distiller un pessimisme qu'il a semé. Et Beckett n'est-il pas un  peu son héritier côté personnages emblématiques, ces apôtres de la désolation, de l'écoeurement;

 


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1. KAFF  le 08-08-2010 à 11:45:15  (site)

Autant pour moi !

édité le 08-08-2010 à 11:46:56

 
 
 
posté le 06-08-2010 à 12:12:54

Lettre à la marquise de Sévigné.

Lettre à la Marquise de Sévigné.

Merci. Grâce à vous j'ai traversé un été délicieux, entre siestes à lecture et ramures pesantes de fruits qu'on tardait à cueillir. Ils ont pourris sur place et des abeilles bourdonnaient d'ardeur dans une lumière éblouissante.
Il est bien vrai que la compagnie de vos lettres met le lecteur en joie et c'est bien de l'audace que d'oser se mesurer à vous en ce périlleux exercice où vous êtes toujours la plus grande. La plus aimée.
C'était une édition savante, pleine de notes et de variantes. J'aime les notes en marge des livres parce qu'elles sont comme les étiquettes (on dit cartouches) au pied des tableaux. Un moyen de rebondir. C'est moins l'information qui est donnée qui me paraît importante que le ressort qui nous projette justement hors du texte, dans des zones qui l'expliquant nous permettent de vagabonder à notre guise, d'aller fouiner dans les bas-côtés. J'aime musarder dans un texte, les notes sont un incitation à cette lenteur qui nous le fait mieux aimer, nous permet de nous y nicher en y apportant des friandises venues de toutes les directions, de tous ces horizons qu'elles nous ouvrent. Une note, c'est un peu au texte ce que le prédelle est au tableau. Un surcroît de l'histoire, une variante, le grossissement d'un détail. Une autre couleur pour le mieux déguster.
Vos lettres découvertes quelques années auparavant, que X.... me lisait à haute voix, faisant miroiter chaque mot comme des éboulis de perles dans le creux de la laine. Car chaque mot a son poids et sa verve. Je les dégustais comme une sucrerie. A petites doses et dans le rythme de journées paresseuses et tendres qui conduisent un été vers son accomplissement : la chute des feuilles.
C'est jusqu'au destin de vos lettres qui me fascinait . Ces feuillets  donnés en héritage et que j'imaginais noués par des précieux rubans, et qui font l'objet de tractations entre héritiers, et menaces d'autodafé. Des promesses solennelles, des complots mystérieux, et la parution soudaine, modeste mais digne, d'une plaquette (75 pages et titrée "Lettres choisies de madame de Sévigné, à madame de Grignan, sa fille, qui contiennent beaucoup de particularité de l'histoire de Louis XIV").
C'était comme la promesse d'une aubaine à venir. Chaque lettre annonce la suivante, la fait désirer. C'est bien le charme de la correspondance que de reconduire toujours, de jour en jour, d'étape en étape, la nature même de leur contenu. Le "à suivre" des romans feuilletons d'Alexandre Dumas, Honoré de Balzac et Eugène Sue ne fait que claironner ce que vous chuchotiez au moment de poser votre signature, cette haute graphie qui grimpe à mesure qu'elle délie les lettres de votre nom et a des allures de figure de tapisserie. Peut-être parce que c'était votre tapisserie à vous. Sans le complexe de Pénélope qui nous aurait privé de tant de plaisir de vous lire.
Je n'aime plus guère voyager, et pourtant je vous suivais dans votre pesante  berline, de la rue de Thorigny à votre Bretagne lointaine, ou encore, avec son étape fluviale sur le Rhône, en passant par d'aimables forteresses de Bourgogne, vers vos salons ventés de Grignan. Vous voilà châtelaine par procuration, et les manants du village qui dansent une bourrée dont vous vantez les charmes annonçant Jean Jacques Rousseau. Une marquise aux champs, voilà de quoi séduire le Promeneur solitaire.
N'ayant jamais atteint Grignan j'ai fait étape à Adhémar qui est le fief de votre gendre. C'est un délicieux village haut perché, aux rues si étroites qu'une voiture automobile ne s'y risque pas, et nous voilà condamnés à la marche à pied, au coeur d'une petite symphonie de ces pierres sèches dont on fait les maisons. Parfois elles ont l'aspect net, et que l'on dirait verni, de l'os. Une maison d'os, y avez-vous pensé, c'est un peu la version morbide de l'aventure de Jonas.
La vôtre avait de ces somptuosités bourgeoises que détaille avec délice le minutieux Abraham Bosse qui fut le témoin oculaire de la bonne société de son temps, et sans doute, s'en laissant compter par les Précieuses dont vous avez été, oh bien distraitement, une complice. Rien à voir avec ces horribles bas-bleus fustigés par Flaubert au XIX° siècle, qui tiennent Salon comme on aligne ses soldats au garde-à-vous, et dirigent la conversation.
On était chez vous plus léger. Côté homme diablotin et freluquet mais avec esprit, capricieuse et malicieuse pour les dames, et on dessinait son destin amoureux sur des cartes qui déclinaient toutes les fantaisies de la nature. Un étang pour contempler la chute du soleil dans le miroir des eaux, un ruisseau tournoyant pour longer ses rivages en galante compagnie, des bosquets d'utopie pour jouer à cache-cache. Ce qui devait être bien difficile dans les jardins tirés au cordeau des dignes hôtels du côté du Louvre, à l'ombre terrifiante de ce lourd passé de l'Histoire de France. D'autres fantaisies s'y ébattaient avant que la pioche des démolisseurs ne mette bas, comme on défriche une forêt, ces bosquets de chimère où mademoiselle de Scudéry n'attend pas Nerval mais fait miroiter au pauvre Voiture la ruelle de son lit à baldaquin. 

 


 
 
posté le 05-08-2010 à 15:54:34

Max Ernst illustre Léonora Carrington.

Dans la vie sentimentale tumultueuse de Max Ernst  Léonora Carrington jette les lueurs d'une fantaisie parfois macabre, les feux ardents d'une errance mentale qui jouxte les frontières de la folie (comme Unica Zurn, dans le voisinage de Bellmer).
Séduit à double titre (le charme de la femme, l'invention verbale de son écriture) Max Ernst s'attache à disposer face au texte des "images" qui en sont l'équivalent plastique, un écho. Un livre comme "La Femme ovale" est un véritable dialogue où texte et illustration se répondent, se complètent, se soudent en un tout cohérent où le lecteur est invité à pénétrer comme en un territoire imprévu, aux séductions parfois perverses, sans doute propres à s'imprimer dans notre mémoire après avoir conquis notre curiosité.
La carrière littéraire de Léonora Carrington se poursuivra sous l'impulsion admirative d'Henri Parisot,  grand amateur de Lewis Carrol et, de ce fait, apte plus que quiconque, à voisiner avec cet univers fantastique de Léonara Carrington qu'André Breton n'a pas hésité à classer dans "l'Anthologie de l'Humour Noir". Ce qui est une clef essentielle pour pénétrer et comprendre son univers.

 


 
 
posté le 05-08-2010 à 11:11:36

Maurice Sachs courtier d'art.

En  publiant en 1948 "Chronique joyeuse et scandaleuse" les éditions Corréa précisent que le manuscrit leur avait été donné par Sachs en 1942, "voulant indemniser de quelques services rendus".
Et  Sachs de préciser (non sans forfanterie, et un rien de naïveté) : "Un jour je serai célèbre et il vaudra de l'argent..."
De fait, il s'y montre égal à lui-même, fanfaron, impudique, naïf dans la précision apportée à ses démarches, qui ici le conduisent dans le milieu très fermé du marché de l'art. A travers ses marchands.
Deux quartiers sont sillonnés par l'apprenti courtier : la rive droite autour de Saint Augustin et la rue de Seine.
Ici et là ce sont des portraits impitoyables de ceux qui manipulent l'opinion et la cote des artistes. Dans un luxe parfois ostentatoire du côté de Saint Augustin (qui est aussi le quartier de Proust) et plus pittoresque dans les pourtours de Saint Germain des Près avec ses personnages haut en couleur.
 Roman à clef où l'auteur poursuit sa volonté d'offrir une sorte de chronique mi mondaine, mi sociologique qui se pare des joyaux de son cynisme naturel. N'est bon témoin que celui qui ne s'en laisse pas compter. Il avait la plume plus près de la cervelle que du coeur, et un tendance à fustiger la bêtise, les faiblesses dont il se savait pourtant affligé.
Ses déboires sentimentaux, ses choix politiques, ses options toujours désastreuses ne sont que le résultat d'un tempérament d'oisif et de lâche. Il en fait une sorte de culture talentueuse et presque masochiste.
 

 


 
 
posté le 04-08-2010 à 14:37:57

Voncq, la gare perdue.

La gare perdue.

Longtemps on l'a cherchée. Annoncée par le dépliant touristique elle s'était égarée (sic) dans les fourrés sauvages d'une voie désaffectée. Enfin, de la route, à cet endroit dominant le paysage, on la découvrait. A demi ruinée, repaire de squatters et déjà j'imaginais les vastes graffitis ornant les murs décrépis. Les abords ferroviaires ne sont-ils pas la plus vaste cimaise offerte aux tagueurs, jusqu'à saturer le  paysage de cet alphabet gothique à la façon rap.
Rimbaud parti de là, et revenu. Va et vient dans l'errance. Les dates sont celles des poèmes qui scandent cette quête. Ecrire, n'est-ce- pas aussi une fuite.
Inutiles sont les horaires des trains. D'ailleurs ici ils ne passent plus. Les derniers rouillent sur une voie de garage. Moins jolis que ceux de Delvaux dont les ors sont ceux de l'automne qu'ils traversent avec des lenteurs de souverains.
Navrés d'une si piteuse découverte on s'est rabattu sur le cours majestueux de l'Aisne dont on voit d'ici la courbe large dans un paysage de grisaille en parti éventré par quelques travaux de gravières. C'est une constance de son voisinage d'offrir en de multiples carrières creusées à la lenteur de vieilles mais efficaces pelleteuses, la gravier qui ira solidifier les routes avant qu'elles ne deviennent de soyeux rubans, couloirs de la mort.
L'arène épuisée ce sont des nappes d'eau qui scintillent jusqu'aux points extrêmes de l' horizon, comme autant de petites mers ourlées de bocages et de menues encoches propices à la pèche solitaire.
Point de bateaux sur la rivière, mais à son rivage des fumées qui s'écrasent dans la brume. Ce sont des bûcherons qui entassent les branches impropres à la consommation des scieries et y mettent le feu. On eu dit des brasiers qu'en Inde on prépare pour l'incinération des cadavres.

 


Commentaires

 

1. Jakin  le 05-08-2010 à 06:43:57  (site)

Compliments pour la photo du jour et bonne continuation.....
Jakin, smiley_id210602

2. Magiemot  le 05-08-2010 à 06:59:54  (site)

là c'est la vrai paix,rire bravo pour la photo du jour,bonne journée,

3. Guiphitho2  le 05-08-2010 à 07:27:26  (site)

Félicitation pour la reconnaissance du jour Sourire
Je me permets d'ajouter que le texte est écrit en petits caractères et j'ai eu un peu de mal à le lire.
Amitié, Carine.

4. fontenouilles  le 05-08-2010 à 16:17:22  (site)

Félicitations pour les honneurs du jour. A force de filtrer la rivière du net, on fini par y trouver quelques pépites... Ce texte est très beau...

 
 
 
posté le 03-08-2010 à 14:35:23

La civière de Rimbaud.

La civière de Rimbaud.

Soigneusement plié, il s'était lentement enfoui dans une lit de poussière où les araignées filaient la soie de leurs toiles.
Tardivement j'en connu l'existence, en compris l'usage, en découvrait l'histoire. Souvenir sanglant (en le déplaçant on y découvrait du sang séché), il servait au transport des blessés de la division que commandait mon grand-père, du côté du Chemin des Dames lors de la première guerre mondiale. C'était un brancard d'ambulancier. Stupidement, un jour, des étourdis crurent malin de l'exhiber dans une contrefaçon de pièce à thèmes où l'amour s'était glissé dans le lit de la mort. C'était un amour blessé.
Longtemps après, en visite à Charleville avec X..., je découvrais la litière que Rimbaud s'était dessiné pour son propre usage, avec la coquetterie des rideaux qui, baissés, évoquaient quelque couche princière comme on en voyait passer en lourdes caravanes, au temps où les rois visitaient leurs sujets dans les plus lointaines provinces.
Il y avait là, dans l'usage qui en avait été fait (ramener Rimbaud vers son bateau) comme l'écho largement transformé, adapté, du mythe des Rois fainéants qui font rêver les enfants découvrant la splendide tapisserie de l'Histoire telle que la racontent les livres scolaires, telle qu'on aime l'imaginer.
Des rois à Rimbaud, le chemin est plaisant à emprunter. Dans lequel je me propose de me risquer.
On a vu Dagobert, non seulement du genre à se présenter en habit de travers, et  braguette en arrière, mais bousculant les servantes au fond des lourds chariots qui transportaient la Cour, de ferme en ferme, où, le cheptel passé en broche, on allait plus loin. Le manger était la dynamique de la marche et l'amour le passe temps du transport.  Des rideaux bordés d'or tremblaient sous la conjugaison de la  bise, du mauvais état des chemins et des assauts furieux auxquels se livrait ce roi d'image d'Epinal.
Le faste des Entrées royales, réservées aux jeunes souverains prenant possession de leur bonne capitale, décline chevaux richement caparaçonnés et litières réservées aux dames de compagnie, suivantes de haut rang, et favorites dont le peuple tente de reconnaître le visage parmi des bouquets scintillants de jeunes évaporés tout essoufflés par la course et la fièvre des foules qui les entourent.
C'est la face étourdie et jubilatoire du pouvoir qui se donne en spectacle et aime s'attarder pour lire les décorations codées, aux pieds des arcs de triomphe qui sont de bois et de toile. Toute l'Histoire de leur gloire supposée. Un vent parfois inopportun vient secouer les silhouettes solides d'Hercule mis à contribution pour servir Vénus où l'on peut reconnaître le minois de la jeune souveraine, alors que Diane  sillonne des chemins escarpés taillés dans des bosquets de fantaisie pour une chasse vaine et la rencontre des cambrures coquines. La mythologie ayant souvent le droit de montrer ce qui ne se montre pas, sinon dans les alcôves. Et dans ces alcôves sur roues, dans un frisson de toile et d'étendards, les corps se resserrent, s'épaulent dans l'excitation d'une marche triomphale en serpentant dans d'étroites ruelles qui sentent l'urine et offrent des coins complices à quelque furtif forfait.
Du triomphe au crime la distance se calcule en mois, en saisons, en colère rentrée, bientôt pendue au bout de chaque langue qui formule ici des Montjoie et de vigoureux Noël pour fêter celui que, demain, elle couvrira d'invectives et précipitera dans l'infamie.
Une promenade chaotique que celle du misérable Rimbaud fuyant  les chaleurs insupportables d'Aden, aspirant à la mer porteuse de tous ses espoirs, et parce que la mer est le chemin naturel de toutes les fuites. La civière deviendra cette courte barque qui oscille sur les flots, et dans sa tête, au terme d'un périlleux voyage, il y a l'odeur des foins de la ferme de La Roque.
Des dames galantes sont aussi passées, rideaux fermés, du côté de la Loire, où on allait en troupe, festoyer dans des jardins bordés de buis odorant et de massifs de fleurs rares qui répondaient au décor des lourdes robes portées par de frêles  filles qui n'avaient de cesse de s'en débarrasser pour se montrer corps nu et sculpté dans l'ivoire d'une chair encore fraîche à des parterres de gentilshommes qui avaient mis dans leur épée leur poids d'honneur.
Des litières en veux-t-on, celle de Rimbaud est la plus pathétique. Dessinée par lui, fiévreux, et avec la minutie d'un ingénieur, elle sautillait entre les mains des mulâtres qui la traînaient dans les bosses du désert, à l'appel de la mer.
Les rideaux deviennent les voiles du navire qui défit la tempête.
Rimbaud a rencontré Ulysse en route.

 


 
 
posté le 28-07-2010 à 22:51:44

Une idée de promenade en passant.

Une idée de promenade en passant.

 


 
 
posté le 28-07-2010 à 22:37:53

L'autre est à mont (3).

La légende veut que, le jour où l'on érigea les deux statues dues au sculpteur Auguste Cain, qui représentent respectivement "Le lion et la lionne se disputant un sanglier", et "Rhinocéros attaqué par les tigres", on constata la disparition à part égale, d'un couple de lion, d'un sanglier, de trois tigres et d'un rhinocéros au Jardin des Plantes. Des recherches furent immédiatement entreprises, qui n'apportèrent aucun résultat. L'effroi fut grand dans la population que la presse mis en garde. Des témoignages commencèrent à affluer, de noctambules, et l'on nota quelques disparitions mystérieuses de jeunes vierges.
Un témoin, déclarant avoir croisé le couple de lion benoîtement couché aux pieds de l'arc de triomphe du Carrousel, en s'attardant à quelques innocentes câlineries silencieuses.
Le Rhinocéros fut aperçu sous les arcades de la rue de Rivoli. Le témoin oculaire l'aura remarqué d'assez loin, marchant tranquillement dans la galerie. Le temps mis pour être totalement convaincu qu'il ne s'agissait pas d'un  mirage mais d'une réalité aussi étrange que désagréable et périlleuse, le promeneur, s'approchant de l'animal  de constater, contrairement à toute logique, que c'est de dernier qui semblait manifester quelque effroi. D'ailleurs il abandonna sa promenade, traversant la rue, regagnât le jardin pour se coucher sur le socle où on peut le voir aujourd'hui. Vert du bronze dans lequel l'artiste l'a coulé. 

 


 
 
posté le 28-07-2010 à 22:34:41

Thomas de Quincey le mangeur d'opium.

Tenant du Journal et de l'aveu, les "Confessions d'un mangeur d'opium" se parent de cet aspect savoureux d'une écriture que l'on dira typiquement anglaise (dans le voisinage de Laurence Sterne) avec ce mélange d'intimisme, de réserve et ces pointes d'humour délicieuses qui situent le texte dans un espace de familiarité avec cependant une distance qui est celle de l'élégance.
L'auteur passe d'un sentimentalisme que l'époque cultive (en France, Bernardin de saint Pierre et Jean Jacques Rousseau) à une précision d'analyse qui annonce la littérature d'introspection. Comme un médicament (il l'est aussi), l'opium se mesure. On est à la table du malade qui agence sa potion selon des normes précises (la pesée, le comptage des gouttes), on est devant l'alchimiste qui prépare le breuvage miraculeux (et maléfique) qui va le transporter dans ce territoire de magie et de magnificence, extraire la pensée de la pesanteur du corps, offrant, du même coup, une authentique méthode de maintien de son instrument de drogué.
Manuel d'utilisation de cette arme qui le contraint autant qu'elle l'enchante. Et, dans un sursaut de lucidité, lui ouvre la perspective du prix à payer pour s'en sortir.
Lucide devant l'usage de la drogue, Henri Michaux en fera aussi l'expérience, pour en dénoncer le caractère décevant.

 


 
 
posté le 28-07-2010 à 22:28:18

Thomas de Quincey et le rêve.

Les rêves de Thomas de Quincey sont d'une implacable précision, et comme peints. A vocation d'en mieux imposer la féroce agressivité.
Ils errent dans un territoire qui, s'il est nourri, à l'en croire, d'un inconscient abreuvé d'images et de sensations perçues dans l'enfance (Proust au carrefour), n'en est pas moins, et comme pour en mieux magnifier l'incroyable solitude, cerné par l'enceinte du sommeil et où l'on pénètre par un portique d'une inquiétante splendeur. Celui-là même qu'avait invoqué Milton :

ENCOMBRÉ DE FACES MENACANTES ET DE BRAS FLAMBOYANTS.

On songera au portique annoncé par Nerval en ouverture à Aurélia.
Suivra l'imprégnation du rêve sur la réalité (Nerval encore) et le sentiment de la chute dans les gouffres où s'accomplissent le miracle des mirage (Lewis Carroll) et la dilatation du temps et de l'espace.

 


 
 
posté le 28-07-2010 à 22:20:31

Léautaud le lit.

En marge de son Journal (littéraire) Léautaud en  rédigeait un plus confidentiel, consacré à ses tumultueuses aventures avec Anne Cayssac la "panthère", qui devient "Le Fléau" lorsque ces pages sulfureuses sont publiées après avoir été collationnées par la pieuse Marie  Dormoy qui devait succéder dans le lit encore chaud que le Fléau abandonnait. Histoires d'alcôves mais qui n'ont pas le charme léger, l'impertinence distinguée des grand libertins du XVIII°siècle volontiers portés à fanfaronner sur leurs conquêtes amoureuses.
Avec Léautaud on change radicalement de ton. Il est pesant, geignard, volontiers, grivois et au final un peu répugnant.
L'égocentrisme de Léautaud qui est un peu son "fond de commerce" et donne au Journal cette valeur particulière d'une introspection qui oscille entre la naïveté et l'impudeur, devient dans le cas des confidences érotiques qu'il se plaît à dessiner d'un trait de totale indécence, soit une provocation soit une complaisance vis à vis de ses atteintes à tout romantisme comme si l'amour n'était (il le dira quelque part) qu'un simple rapprochement des corps et une sorte de mécanique sexuelle qui n'a même pas l'attrait que peuvent lui donner ceux qui d'ordinaire se penchent sur le sujet. C'est à la littérature érotique ce que le cinéma pornographique est au cinéma  qui aborde le sujet avec délicatesse.

(Anne Cayssac, à l'en croire, était séduisante (que de fois il note qu'elle est belle) mais avec une mentalité de petite bourgeoise avide, mesquine, tracassière, en somme une mégère. Léautaud ne peut échapper au plaisir qu'elle lui procure (bien partagé) et les soucis constants dont elle l'accable).


 


 
 
posté le 17-07-2010 à 15:45:15

Thomas de Quincey "at home".

S'il maîtrise ses rêves (comme Gérard de Nerval) et s'y plonge avec un ravissement effrayé Thomas de Quincey fait paradoxalement  l'éloge du bonheur au foyer en dévoilant tous les secrets d'un plaisir simple "at home". Il y voit le ferment d'une qualité des rapports sociaux. "Supposez qu'un cottage s'élève dans une vallée à 18 miles de toute ville - une vallée non des plus larges, mais longue de deux miles environs et présentant par là cet avantage  que toutes les familles qui résident dans ses limites composent en quelque sorte une seconde famille à vos yeux et suscitant, plus ou moins,  votre intérêt affectueux". Il décrit alors le cottage "blanc, enfoui dans un berceau de buissons fleuris, choisis de manière à dérouler sur les murs une succession de fleurs et encadrant les fenêtres tout le long du printemps, de l'été et de l'automne".
Passant à l'intérieur il décrit ce qui est moins "le salon" qu'une bibliothèque "car les livres se trouvent être le seul bien  meuble pour lequel je sois plus riche que mes voisins". Il y ajoute , un bon feu et un mobilier simple et modeste "qui convienne au cottage sans prétention d'un lettré". Détail capital (et typiquement anglais) il y a la table à thé. Le rite du quotidien peut se dérouler grâce à la présence évoquée d'une "délicieuse jeune femme assise à la table" dont les bras sont pareils à ceux d'Aurore et les sourires pareils à ceux d'Hébé.
Le mangeur d'opium qui compose son livre sur les affres de sa consommation, dans une alternance de bonheur et de douleurs, se montre ainsi avec son visage d'homme sentimental (il le sera à propos de la petite prostituée rencontrée à Londres), et mobilisé par les plaisirs de l'étude. Lui même, fort savant, prédit à tout homme épris de culture une vie plus clémente que pour celui qui s'égare dans le mythe des seules aventures.

 


Commentaires

 

1. saintsonge  le 17-07-2010 à 17:35:51  (site)

Mais dîtes-moi, j'ai oublié de vous le poster, hier, ici, ce mot, dîtes-moi pourquoi faut-il être si ruiné et mendier - à faim et jusqu'à plus soif - pour être considéré habitant La Maison de La Poésie ?...Des Lakistes, j'apprécie beaucoup Wordsworth, et vous ?

 
 
 
posté le 15-07-2010 à 14:03:03

Piranèse vu par Thomas de Quincey.

Par Coleridge, son ami, Thomas de Quincey prend connaissance de la série des Prisons de Piranèse. Jamais il ne les nomme ainsi, et y voit plutôt un simple phénomène de vertige. Vu d'en bas, ce qui est une bien étonnante et audacieuse manière de le décrire.
On y voit "de vastes salles gothiques" (de fait plutôt antiques, mais l'allusion au gothique rejoint l'esprit des romans "terrifiants" qui prenaient souvent pour cadre d' aventures incroyables, de formidables châteaux forts, des bâtiments qui inspiraient la crainte) et d'y faire une sorte d'inventaire de ce qu'elles contenaient, " toutes sortes d'engins et de machines à roues, câbles, poulies, leviers, catapultes qui exprimaient une énorme force déployée ainsi qu'une énorme résistance vaincue". Pertinente analyse du climat inspiré par ce déploiement de majesté hautaine et d'une incertaine situation historique. Etaient-ce des prévisions de combat (on est alors dans les coulisses) ou, au contraire, le résultat d'une défaite.
Le cadre inscrit dans l'espace (et quel espace !), comme un metteur en scène, il fait entrer le personnage principal Piranèse lui-même. C'est un peu l'équivalent de Dédale visitant le Labyrinthe. Pour en être la victime?
Thomas de Quincey nous décrit alors l'escalier (en fait une envolée d'escaliers) sur lequel (lesquels) Piranèse entreprend de grimper "à tâtons. "Vous constatez qu'il s'arrête soudain abruptement (sur un  palier) sans nulle balustrade, n'offrant à celui qui eût atteint son extrémité d'autre voie que les profondeurs béantes". Juste remarque soulignant combien le monde des Prisons est celui des vertiges et des béances, des chutes et de l'obscurité.
Suivant Piranèse dans cette périlleuse ascension dans sa propre création on le déniche dans des hauteurs plus vertigineuses encore "au bord de l'abîme" et prenant un nouvel élan il se perd dans"les hauteurs obscures de la salle".
Précisant enfin que "c'est avec la même faculté de se développer et de se répéter à l'infini que mon architecture procédait dans les rêves". Et des rêves de Thomas de Quincey  il y a long à dire.

 


 
 
posté le 14-07-2010 à 21:43:44

L'autre est à mont (2) Rivoli.

L'AUTRE EST À MONT (2).

Il aimait la rue de Rivoli et son ballet nocturne où des silhouettes entr'aperçues se glissent entre les lourdes arcades avec des allures de poissons qui flottent dans les eaux troubles d'une nuit océane. Le jardin des Tuileries, lourdes algues immobiles, s'est calé dans sa masse sombre, encore qu'on la devine bruissante de souffles et de furtifs déplacements.
Il ne s'y risque guère, craignant l'assaut des bêtes qui somnolent dans les bosquets. Il le sait, en plein jour, figées dans le bronze verdâtre, offrant leur dos rond aux enfants qui s'y vautrent comme sur quelque fabuleuse montagne miniature. Les lions et rhinocéros qui veillent aux entrées du jardin, discrètement, la nuit se lèvent, quittent leur socle de pilier pour s'étirer silencieusement et se mêlent aux promeneurs égarés qui font parfois les frais de leur curiosité et de leur imprudence.`
Trouvez-vous, une nuit, face à la rue de Castiglione, à travers les grilles vous devriez voir, sur la terrasse, à cette heure déserte, la conséquence de ce phénomène. Le hasard, la chance, votre ténacité,  vous feront témoin de leur absence. Soyez sûr alors qu'ils gambadent sur le sol tendre du jardin, y laissant la marque de leurs lourdes pattes. On en a vu aller jusqu'à la Seine, se faufilant parmi les rares voitures qui empruntent à cette heure tardive, la voie sur berge.
Animaux de bronze, ils bornent comme pour une parade pittoresque les longues marches usées, où Louis XVI, fuyant son palais en furie, et venant chercher un abri au Manège,  butât là, tant de fatigue qu'envahi par une rêverie étrange qui l'assaillait. Il voyait déjà comme en une vision divinatoire, sa tête brandie par une main vigoureuse et peu soucieuse d'étiquette, protégée dans son forfait par la tornade des tambours battus avec énergie par une double rangée de cavaliers qui tentaient de maintenir leurs chevaux anormalement énervés. Au loin, indistincte, confuse mais mouvante, une foule hilare, stupéfaite, assistait là à un spectacle inouï. Le massacre de ses idoles. ( à suivre )

 


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1. saintsonge  le 15-07-2010 à 01:16:45  (site)

C ' est tout apaisant dans la nuit de Tréboul, aussi, cette jolie gravure, je crois encore entendre les clochettes du carosse (quelle femme en pantoufle de vair doit-elle rentrer de son amant, il est passé minuit, son mari la surprendra..."L ' éternité mugit, ainsi qu'une mer lointaine et s'approche à grands pas..L'appartement a disparu" : -sera-t-elle punie pour autant ?...
NUIT NOIRE AU CIEL TREBOULISTE , et je reviens d'aller voir rugir les vagues écumeuses qui arrachent des éclats de roche, ah c'est terrible, la mer, parfois, terrible jouissance des profondeurs pélagiques qui , remontée en surface, réveille la nuit l'univers et les hommes, tenez, le vent vient de même de rugir...

 
 
 
posté le 13-07-2010 à 14:24:26

L'autre est à mont.

L'AUTRE EST A MONT (1).
L'autre est à mont. Autre solitude. Celle-là dédaigneuse. Volontiers sujette à foucades, à colères, à gestes mal interprétés dans son entourage, ou perçus comme de la provocation. C'en est une. Encore qu'il y ait, chez lui, plus de réserve qu'il en montre. Et, surtout, un dégoût d'autrui qui est déjà une maladie.
Aux sommets il aime s'attacher. Non pour le bon air, mais cette manière généreuse d'englober dans un seul regard, la totalité de la ville. Il en connaît bien les tranchées, les pentes, les creusets, les chutes, les cavernes, les sillons tracés à  vif dans la nuit, devinant que l'horreur a ses racines dans le val (la terre n'est-elle pas qu'une vallée de larmes ?), aux approches de l'eau qui y fait son lit d'infection.
De toujours cohabiter avec l'air qui va et vient, fait des siennes avec le vent qui chante, et fait tourner les têtes faute de ne plus faire tourner les moulins, il s'enivre de chimères.
Il est dressé comme un menhir face au vent marin, il ne voit que de sa hauteur. Il n'est pas ambitieux, simplement distrait. D'autant que, pour garder ses distances, il ne sort que la nuit. Il a pour compagnes les ombres. Elles ne le dérangent pas, elles sont froides, elles glissent parmi les monuments comme des souvenirs qui auraient pris corps. Il leur trouve un air de famille pour autant qu'il est maître de leur destin. Oubliant alors qu'il les invente. Et c'est ainsi que, s'oubliant, il se risquera à des errances dans les zones basses de la ville.
Comment converser avec des fantômes. C'est son secret. C'est son art. Leurs méfaits sont étranges et il sera difficile d'en desceller les raisons. C'est leur protection.
Soyez un criminel avec un mobile absurde, et vous serez couvert. Ce sont les mobiles bien agencés, c'est à dire logiques, qui vous perdent.
S'il s'est donné un nom, il ne l'a pas déposé. Ses adresses sont de hasard. Ce qui le coupe du monde, en fait un éternel absent lors des recensements, des listes, des appels, des mises en rang. On lui aurait demandé son identité, sans rire il vous aurait dit : je suis celui d'en haut, du mont.
Pour le trouver, comme le Minotaure, au plus secret de son labyrinthe (mais n'est-il, pas plutôt Thésée), le chemin était secret : un porche à vif, mais au sommet en arcade, dans un immeuble-falaise, noir de la tête aux pieds, une allée qui s'amorce parmi des poubelles, mais bientôt se pare de lilas, de seringas, d'acacias  reconduits de bosquet en bosquet derrière des grilles rouillées qui dessinent des jardins grotesques dans leur appellation tant leur taille est plutôt celui de terrasses. A même le sol l'arbre pouvait y croître du fait d'une bonne et vraie terre, même si l'espace qui lui était alloué était réduit.
Quelques marches, allez savoir pourquoi, il n'y avait pas de caves et l'on pénétrait dans le genre pavillon quatre pièces, avec couloir central, escalier qui fait un coude brusque et accède à un premier étage mansardé. Le vent y gémit les soir d'hiver. De maison en maison, dans les environs, courent des bordures de céramique aux chatoiements bleuâtres et roses, dans une atmosphère de campagne ouvrière.
C'est bien simple : il habitait un point de vue. Il regardait Paris comme le marin, depuis le pont, regard la mer, le départ des hauts et sombres navires, et la cohorte des petites embarcations qui se balancent au gré des courants et des vagues. Ca clignote, ça tournoie, ce sont les grands phares qui protègent les aéroplanes trop hardis qui se seraient égarés sur le toit tranquille de la cité où ne marchent pas les colombes.
De fait, d'un logis planté dans l'espace, aux espaces d'errance qu'il se choisissait, il n'y a pas tant de différence, parce que la quasi solitude d'en haut avait ses échos en bas. C'est ainsi que je vois la déambulation nocturne de Lautréamont. (à suivre)

 


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1. saintsonge  le 13-07-2010 à 18:12:04  (site)

De sorte qu'il eût dû se prénommer SIMON (la cime, et le mont) - comme mon fils, du reste !...
Lourde charge. Mais bon...
Vous avez tout à fait raison, par contre, sur la logique des "mobiles bien agencés qui nous perdent", car ce fut une preuve d'amour hyper-cadrée qui me fit venir sur Douarnenez, il ne me reste plus qu'à planifier un alibi (de criminel ? Quitter l'endroit d'Ys) de Méharée (traverser ainsi mon désert du vivre pour un lieu lointain fort inconnu.. sans mobile apparent qu'un saut dans l'absurde, non ?..
Puissé-je enfin vous suggérer la Hune plus que le pont, et la Vigie plus que le simple marin, qui porte ainsi encore plus haut votre ami l'errant-sans-visage ?

 
 
 
posté le 12-07-2010 à 15:06:42

Une histoire de poupée.

Une histoire de poupées

Acte 1.
Elle est la soeur de Marcel Duchamp, et la femme du peintre Jean Crotti. Ils habitent Neuilly. Oubli, expérience, banalité du quotidien ? Un livre est à l'extérieur exposé aux intempéries, derrière la fenêtre protectrice. Pluie, vent, temps en ses caprices moulent le papier, l'imprègnent, le momifient, le sculptent. Devant l'incident, à la question posée par la soeur à son sagace frère, que faire (de ce qui devient un déchet).
- Une oeuvre d'art affirme celui qui n'en est pas à sa première expérience dans le genre récupération. Et d'ajouter
- Elle traduit le souffle de la vie sur l'objet inanimé qui a bien une âme.

Acte 2.
Pierre Reverdy loge sur Cortot au sommet de la Butte Montmartre, dans l'intimité de ses caprices de terrain qui a conservé quelque chose de sa nature champêtre. Des rues en pente douce, qui tiennent du chemin forestier.
A sa fenêtre Pierre Reverdy pend une poupée.
De ces poupées en chiffon que les petites filles cajolent, enveloppent d'amour et de caresses. Préfiguration de leur destin de femme complaisante.
Elles acquièrent à ce contact intime, quotidien ( nocturne ?) un aspect crasseux, des singularités anatomiques où sont marqués les mouvements d'humeur qui accompagnent des relations excessives, où se jouent, simultanément la tendresse et la rage. Un corps à sa merci. Modelé par ses caprices. Inerte mais à force de l'être, prenant cet aspect fantastique d'une victime.
Il en sortira un poème.

Acte 3.
Bellmer découvre dans le grenier de la maison familiale (quelque part au fin fond de la Prusse) une malle emplie de ces poupées que l'on donnait alors (avant 1914 qui est une frontière culturelle) aux petites filles pour leur inculquer  les rapports qu'elles auront, devenues grandes et mères, avec leur bébé.
Le corps et offert nu (comme à la naissance) et le jeu consiste à l'habiller.  Le déguiser.
En faire un personnage à sa mesure. A sa ressemblance. (Quelle mère ne désire pas retrouver en sa progéniture  un idéal, une image magnifiée de ses propres rêves).
Il en résulte, le plus souvent, le temps du jeu dépassé, des corps avachis, pas loin d'être désarticulés.
Bellmer pousse plus loin encore le désastre. Chaque élément du corps est rattaché à son voisin par un cordon. Il suffit de le rompre et l'on a une anatomie décomposée.
Une sorte de poupée en kit.
Déjà préoccupé d'anatomie revisitée, Bellmer méprise l'ordre convenu, l'harmonie supposée, l'ordre "de nature divine" qui a conçu l'homme dans sa logique anatomique et les conventions de son esthétique.
Et voilà un corps qui n'a plus ses membres là où on les attend. Distribués dans une sorte de défi à la logique, et comme l'écriture d'un désastre. Il atteint la chair. L'idée que l'on s'en fait et que la poupée était sensée traduire.
C'est le résultat d'un viol. C'est du Bellmer.


 

 


 
 
posté le 11-07-2010 à 16:41:26

Restif de la Bretonne rencontre Baudelaire.

Dans l'ombre s'estompe le silhouette curieusement chapeautée par un hibou haut perché, tandis que la cape, aussi longue que le corps le permet, le couvre, l'enveloppe, l'enferme en une sorte d'unité massive qui donne une allure sculpturale au promeneur.
C'est Restif de la Bretonne qui s'est échappé de l'enfer du foyer (une femme acariâtre, des femelles de tous âges s'agglutinent au nom de la famille), et, à pas nobles, fait le tour de l'île Saint Louis dont il connaît les moindres recoins, caressant le parapet qui la cerne comme une muraille le ferait d'une cité (et les bras de la Seine qui l'enserrent en étant les douves), s'arrêtant parfois, et, avec un stylet gravant quelques phrases sur la pierre, aux allures de maximes.
Des fenêtres étouffent les bruits d'intérieur qui cachent leurs secrets. Restif, l'oreille tendue, s'attarde à chaque rencontre (rare en cette heure tardive) pour tenter d'élucider le mystère de toute vie, de tout incident, dont il va nourrir avec l'insistance d'un huissier les mémoires qu'il se plaît à tisser, comme le territoire d'un Paris pittoresque par accident, familier par ambition, périlleux par nature.
Serait-il de la police ? On l'a dit, l'a prétendu. Il se mêle de tout, intervient à tout moment. Il n'a pas la sagesse du hibou s'il a son regard. Fantasque à ses heures il prétendra protéger une grisette pour la mieux séduire, la capturer à l'amour qu'il lui porte et à son désir qui a conservé quelque chose de la naïveté champêtre de ses origines.
Bien des femmes traversent ses pages parfois gentiment égrillardes qu'il compose avec la patience  du moine s'il n'a pas sa servile piété.
Dans l'ombre s'estompe la silhouette, scellée à son hibou. Une autre apparaît. C'est Baudelaire se rendant au club des haschischins  où se réunit la fine fleur de la décadence dont il se fait le chantre. On note l'adresse. C'est 17 quai d'Anjou, hôtel Pimodan.

 


Commentaires

 

1. saintsonge  le 11-07-2010 à 18:31:12  (site)

Votre article arrive au moment même où je ne me suis pas laissé "capturer à l'amour (d'une femelle en chasse)"... Elle était belle, l'occasion, mais j'ai dit : non.
La fustigé-je à la Restif, ou m'en méfié-je, pâle Baudelairiennement...
C'est encore Dame Solitude que j'ai préservé, face à la chair nue offerte de si loin... J'ai dit : - Non.

 
 
 
posté le 10-07-2010 à 16:27:52

Lautréamont sur le Boulevard.

Bâtard magnifique ou parce qu'il se pensait tel, Lautréamont s'est encadré dans la haute porte de son domaine (fait de pierres cyclopéennes, de fer forgé aux origines les plus lointaines) et s'est, un temps très court, redressé (il se tenait souvent le dos voûté) avant que de s'engager sur le boulevard.
La horde multiple, bavarde, caquetante, horripilante des touristes s'engage sous le porche du numéro 7 du faubourg Montmartre, dans le but d'atteindre la grande salle  décoré 1900 du restaurant Chartier. Rien n'a changé depuis sa création (1896), les glaces serties dans les volutes boisées (ou peut-être en stuc), les garçons avec leur tablier si long, étalé sur leur ventre, qui les grandit et les fait ressembler à quelque statue asyrienne, dans le déplacement plein de cérémonie pour apporter des étalages périlleux de hors d'oeuvres à petit prix. Ce sont des agapes  de petits bourgeois servis par des Ganymèdes de Music Hall.
Lautréamont s'est engagé sur le trottoir si large qu'il peut accueillir en bonne entente, le yougoslave sans papier avec la seule amitié de son chien, et le motard venu d'un département voisin, qui fait claquer tout ses aciers et son cuir sur le pavé.
Des filles aux mines aguichantes se déploient en large éventail, comme un bouquet de jeunes fleurs à peine écloses et qui brillent de cet éclat particulier aux avances du plaisir qu'elles vont quêter.  Et toujours en bande. A se demander s'il se prend aussi dans un tumulte partagé comme le suggèrent des films de qualité nulle, déroulant leur pellicule dans de minuscules cinémas presque honteux,, nichés dans des rues qui tiennent de la ruelle et grimpent alertes les molles pentes de cette colline faite des détritus de l'ancienne muraille abattue pour la création d'une voie à vocation populaire, quand domine, à peine perdue dans le tissus serré des immeubles qui l'entourent,  l'église de Bonne Nouvelle aux accents de mercerie pour le Bonheur des Dames.
Les terrasses sont notablement garnies comme des étals de produits promis à la consommation et mises à portée de chacun, que d'un regard lointain (il est perdu sur les océans) morne d'aspect, Lautréamont contemple comme le piètre défilé de toutes les vilenies du monde qu'il veut fuir.
A-t-il un but ? Sa démarche est lente quoique régulière et comme somnambulique. On devine le piéton dont l'esprit est ailleurs, s'est détaché d'une activité purement mécanique de son corps. Il est le robot de lui-même.
La machinerie qui fonctionne dans les intérieurs tumultueux de sa personne ne laisse rien paraître de ce qui s'y fomente. Folle énergie contenue dans les circonvolutions complexes du corps. L' anatomie est en réduction les vastes espaces interstellaires, car Lautréamont est tout un continent en marche.
Où va-t-il ?
A le suivre on ne fait que suivre le plus banal des promeneurs. Il s'arrêtera un temps au Café de Madrid "simple débit de limonade du boulevard Montmartre nous dit Dreyfous (où) s'abouchaient les plus rudes combats contre l'Empire" On se souvenait d'y avoir vu Baudelaire, toujours grave et habillé de noir flanqué de son ami Charles Asselineau, ou Daumier dont la face aux arêtes précises était entourée d'une mentonnière de favoris et couronnée d'une belle chevelure grise.
Mais reprenant son périple il s'arrêtera net devant l'église de la Madeleine.
Là, venant des intérieurs froidement antiques de l'édifice, les volutes graves et doucement reconduites comme les anneaux en cercle d'un frisson sur l'étal de l'eau quand on y jette une pierre, d'une musique qui se veut religieuse mais conserve (et se risque à des coquetteries) quelque chose de cette saveur opulente de la musique d'opéra.
C'est ainsi que Lautréamont la perçoit, et le passant d'aujourd'hui qui se sera glissa dans ses pas.
Et d'imaginer de fabuleux effets de la machinerie qui fonctionne dans les coulisses de ce rite qui n'est que l'exagération (la trahison) de ce qu'il voulait dire.
On s'est arrogé tous les luxes de la parodie. Lautréamont s'y attarde, il sait de quoi il parlera, déjà il conçoit une machinerie d'épouvante qui se calquerait sur les génuflexions, élévations et jeux de manchettes s'adressant à un Dieu qui a absenté les lieux.


 


Commentaires

 

1. saintsonge  le 10-07-2010 à 17:37:51  (site)

Dire qu'on ne connaît même pas le visage de ce grand promeneur, il aura passé tel un spectre, un Hamlet moderne, tout droit venu de Montevidéo (avant Montparnasse ?), et "tout mince, le teint pâle" tel son Maldoror (mal d'aurore=d'horreur ?), lequel est né d'Eugène Sue, ainsi que vous savez... Et dire qu'il avait prédit la Révolte sans même non plus se concrétiser La Commune !.. Heurtant soliloque , le bestiaire est Bachelardien ! Sera-ce la vouivre du vouloir-vivre sans être vu, que son souci ? Le pou (l'époux ?) devient immense ("il serait capable d'écraser les hommes comme des épis"), le pou, avant le poulpe, comme su, et de bien entendu...

2. saintsonge  le 10-07-2010 à 17:39:08  (site)

Lire : non plus voir se concrétiser (le poulpe agit sur moi, qui m'avale, voyez!)

3. sorel  le 11-07-2010 à 16:44:12  (site)

si on connaît maintenant son visage. Grâce à J.Lefevre un spécialiste qui a écrit plusieurs ouvrages sur Lautréamont. Bonne journée.

 
 
 
posté le 09-07-2010 à 10:52:29

Le Grenier de Grandvilliers.

Voilà ! Ils sont réunis (se réuniront, selon leur humeur) dans le Grenier de Grandvilliers. Il y a Julien, qui s'est plongé (corps et âme) dans une folle histoire de Marat (une biographie de biais, sous le signe de incursion, exploration, effraction) et dans la dynamique qui l'a conduit dans le sillon de l'Histoire, il a rencontré la belle, capricieuse, cynique, folle et odieuse Jeanne de la Motte-Valois (celle qui a fait tomber la monarchie à travers l'histoire du Collier de la Reine, on n'est pas loin d'Alexandre Dumas). Sorel (le plus raisonnable, il n'a pas de prétentions littéraires, il se contente de surfer sur les livres des autres), Valentin enfin, un nouveau venu. Il a dans sa besace un lourd manuscrit sur les spéculations poético-géographiques que lui inspire sa localisation, dans le triangle des trois arrondissements qui se rejoignent à la naissance du faubourg Poissonnière, avec, en leur centre, l'entaille vénéneuse et un rien opulente des Passages, et son passant considérable Lautréamont. Il en a tiré une manière d'identité inspiré par son ancienne adresse sur les hauteurs de Paris (Belleville), c'est "l'autre est à mont".
On ne manque pas d'humour dans le Grenier de Grandvilliers.
Autre chose. Comme ce sont des individus frottés de lettres, ils pensent au Grenier des Goncourt, mais sans avoir la prétention d'en être des hôtes en écho. Qui revendiquera le mérite d'être Alphonse Daudet ou Léon Hennique, J.K.Huysmans ou Jean Lorrain. A terme ils se sentent plus proches de ceux qui fréquentaient durant l'occupation le grenier de la rue des Grands Augustins où Picasso avait établi son atelier. Il y avait là Queneau, Michel Leiris, Reverdy, Camus, rien que du beau monde de l'esprit.

 


Commentaires

 

1. saintsonge  le 09-07-2010 à 11:16:47  (site)

Est-elle facile cette pointe d'humour , je pensais de mon côté à ... JEAN Grenier !
Bon... Oui... Joli Grenier, bel endroit que celui-ci... Mais ce "Sorel -sans prétention littéraire", est-ce vous ou le "réel" héros Stendhalien qui en avait pourtant, jusqu' à ... mourir !... Ma foi, du bien beau monde qui s'invite là..!

2. sorel  le 10-07-2010 à 14:59:01

Je ne pratique pas l'identification, ni le transfert. Disons que c'est une invention.

 
 
 
posté le 08-07-2010 à 11:10:07

Poussin intrigue.

Devenu simple trace, quoiqu'ayant été gravé dans la pierre, le mot s'auréole de ce quelque chose d'indéfinissable qui lui vaut d'être respectueusement quêté. On va à lui avec le pas du pèlerin. Certains, avec celui de l'archéologue. Parce que le temps lui a prêté un nouveau visage, une nouvelle allure, l'a fait glisser dans cet espace où flottent souvenirs et regrets, et s'amorce l'espace de l'approximation, des erreurs, des suppositions. Des spéculations. Le mot détaché de son actualité, de la mission strictement informative qu'il avait, à l'instant de son inscription, devient un lambeau flottant dans le temps. Le paradoxe veut qu'une inscription mortuaire, le libellé d'un nom sur une tombe qui a pour mission de perpétuer la mémoire de celui qui y repose, définit moins son temps qu'elle fait surgir dans une autre tranche temporelle, le balbutiement de ce qui fut un discours complet.
Ainsi, un nom réapparaît sur une pierre à demi effacée, peut-être les dates qui l'accompagnent. Mais que sait-on de plus du personnage ? C'est l'imagination du récipiendaire qui se substitue à l'information absente (l'espace compris -comprimé- entre deux dates). Elle se glisse dans des données sommaires et compose un portrait. Le mot trace ainsi, dans l'espace temporel, une sorte de survie en pointillé. De même en est-il des inscriptions sensées perpétuer des valeurs morales, une sagesse. D'où la stèle.
La peinture, longtemps attentive au spectacle de la réalité, aspirant parfois à la défier, mais, le plus souvent, déjà apte à en traduire l'essentiel, les points forts, le meilleur, a, elle aussi, préservé le cheminement du mot. Ne fut-ce qu'en ces temps (pas si lointains) de la figuration, quand la photographie n'était pas encore venue perturber la conception que l'on pouvait avoir de la peinture, et où dans la représentation de la réalité le mot intervenait,  tantôt lié au sujet, tantôt en commentaire, en supplément, comme les prédelles dans les peintures religieuses d'autrefois. N'y voit-on pas les origines de la bande dessinée !
Les "ruinistes" bien sûr, plus que tout autres, eurent l'occasion d'introduire dans la toile le mot qui se trouvait justement inscrit dans la pierre. Ecriture publique, exemplaire, destinée à perpétuer les forces vives de la pensée humaine.
Le plus passionnant exemple de cette introduction littéraire, dans un espace moins anecdotique que d'une théâtralité grandiose est, sans conteste possible, le tableau que Nicolas Poussin peignit en 1640, des "Bergers d'Arcadie" dont il avait fait une première version en 1629. Elle aussi dotée d'une inscription mais différente. C'était "et in Arcadie Ego" (moi aussi en Arcadie), quand, sur la seconde le "la felicità sogetta alla morte" (le bonheur soumis à la mort) offre moins d'ambiguïté d'interprétation. On sait combien cette oeuvre intrigue les chercheurs qui y voient un message codé. Les spéculations vont bon train, il suffit d'aller se promener du côté des chroniqueurs de Rennes-le-Château...
Elégiaque, le tableau n'en est pas moins emprunt d'une tenace nostalgie. Le tombeau est le support d'une pensée nécessairement grave.
Peintres d'arcs de triomphe, de palais aux frontons bavards, mais souvent rendus énigmatiques par leur fragmentaire destruction, les ruinistes vont ainsi nourrir la peinture de phrases lapidaires qui surgissent dans notre temps (présent) chargées d'un pouvoir étrange et dont il est impossible de se départir.
Un souvenir pour finir. C'était chez un grand père amoureux de vieilles pierres (il avait acheté un bout de village en ruine pour établir sa maison ) il y avait, perdue dans les épaisseurs d'un bosquet sauvage, une grande et belle pierre tombale, sans doute destinée au tombeau d'un citoyen allemand, l'inscription longue étant dans la langue de Goethe. Un poème m'intriguait que je ne pouvais traduire, il était signé Henri Heine. De charmantes petites fleurettes étaient sculptées dans la pierre qui donnaient à cette étrange stèle un caractère joliment champêtre.

 


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1. saintsonge  le 08-07-2010 à 16:50:00  (site)

Intrigue-t-il pour avoir répété les mêmes sujets, souvent, à moins que ce ne soient les oppositions à Michel-Ange par ses sérénités Raphaéliques ? Tous ses thèmes mythologico-bibliques supputent sans nul doute les thèmes "moraux", autres formes de "prédelles" sous nos autels corrompus (fond de tableaux troubles des affaires de l'argent et de la politique, qui "intriguent" bien plus autrement...)

 
 
 
posté le 05-07-2010 à 17:01:16

Les sources de Maldoror.

Les sources de Maldoror.

Esquisse d'une étude :  "La solitude de Lautréamont" à venir.

Sorti tout droit de l'imagination enflammée de Lautréamont, Maldoror a, dans les profondeurs de sa mémoire, une consistance physique étroitement liée à son adolescence à Montevideo.
S'y profilent, avec une force démoniaque, les figures de militaires fortement impliqués dans des opérations disciplinaires et dans la pratique de la dictature, comme Juan Facundo Quiroya, Gaspard Rodiguez Franciaz ou Juan Manuel de Rosas.
Nommé gouverneur de la province de Buenos Aires, ce dernier prend les français (alors nombreux) en grippe et les assimile aux partisans du parti libéral qu'il combattait. Déjà, à l'époque, des poètes, dont Marmol, s'élèvent contre le tyran.
Son ton légèrement emphatique n'annonce-t-il pas le rythme hautain et prophétique de Maldoror.
" Quel est le démon voilé qui t'accompagne afin que je le suive, armé d'un poignard ? quelle est celle des étoiles qui l'éclaire, afin que je fasse descendre sur elle la malédiction divine ?  A quelle heure se glisse la frayeur dans ta poitrine de fer, afin que j'évoque les visions qui t'épouvantent ? A quelle heure t'endors-tu tranquillement dans ta couche, afin que j'appelle les morts pour te secouer le crâne Prêtez-moi, tempêtes, votre affreux rugissement, alors que le tonnerre éclate et que hurle l'Aquilon. Cataractes, torrents, prêtez-moi votre voix, afin que je l'écrase par une terrible, éternelle malédiction".
Rosas se distingue par sa cruauté.
Le jeune Isidore "revivra chaque épisode du siège. Il entendra le long cri des sentinelles que l'on égorge dans la nuit ; il assistera à la relève au lasso des blessés hurlants qui ont le malheur de tomber entre les lignes"
Méditera-t-il sur de sombres témoignages des horreurs de la guerre, dont ces rites barbares à l'endroit des vaincus : "Déshabillés, obligés d'avancer nus entre des haies de soldats qui, évitant les blessures mortelles, les criblent de coups de lance, de baïonnettes, de couteaux. Châtrés, éventrés, décapités enfin, avec leur tête fichée sur un pique, puis jetés aux avant-postes montévidéens".
Des récits qui font écho à ceux que distillaient à Sarniget où vivait sa famille dans la banlieue de Tarbes, les vieillards qui avaient connus un enfant du pays, le sinistre Barrère, "l'Anacréon" de la guillotine, qui avait signé vingt mille arrêts de mort au sein du Comité du Salut Public, où il officiait aux côtés de Robespierre. Il fallait bien que l'enfance de Lautréamont soit baignée dans le souvenir du sang et de la souffrance, lui-même naîtra dans une bizarrerie conjugale qui sera une autre source de ses cauchemars.

 


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1. elg29  le 05-07-2010 à 17:32:51  (site)

Très intéressant, merci. Je pense que toute chose est bonne à apprendre chaque jour. Cordialement

2. saintsonge  le 05-07-2010 à 18:46:44  (site)

Tarbes, c'est aussi vrai pour le Maréchal Foch, je crois ;... toujours intéressantes, les "sources" ; pour l'élaboration (en chantier) d'un nouveau livre, si j'ai bien saisi ?.. Si oui, voyez qu'il fallait "résister" !... Bonne soirée inspirante...

 
 
 
posté le 02-07-2010 à 15:32:25

Lautréamont en cinq lettres.

D'ordinaire, la connaissance de la correspondance privée d'un auteur dont on veut connaître l'intimité, et juger de son tempérament, offre une ouverture qui a le mérite d'échapper à toute pudeur, toute hypocrisie sociale qui entoure et conforte la vie de chacun. On y fouille le quotidien, le pensée arrimée aux épreuves de la vie, les sursauts d'une douleur, les emballements d'une passion, comme en une sorte de sismographe d'une sensibilité mise à l'épreuve par les frôlements avec les autres et la prise de conscience progressive de sa nature propre.
En regard de la personnalité de Lautréamont, dont sont rares les repères et fluctuantes les appréciations, le recours à la correspondance reste vain.
Elle est constituée de 5 lettres. A son banquier, à son éditeur. C'est à dire dans le triangle obligé entre l'auteur et celui qui va assurer le financement de son ouvrage, Lautréamont étant condamné (comme Rimbaud et tant d'autres) au compte d'auteur.
Triangle périlleux parce qu'il engage la confiance, la reconnaissance de la chose écrite, l'avenir de celui qui s'y inscrit avec conviction et sans doute une forme d'innocence dont beaucoup auront d'ailleurs à se plaindre.
Nulle perspective affective dans cette absence de lettres intimes (et à qui ?)
Cela ne traduit-il pas une profonde et irrémédiable solitude ?

 


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1. saintsonge  le 02-07-2010 à 16:36:03  (site)

ah que oui !.. fait réponse à votre dernière question ; En lisant l'intitulé de votre article, à réception du mail, j'avais cru au mot de cinq lettres, non celui de Cambronne lancé à l'adresse de la Littérature en général, qui berce souvent d'illusions l'auteur qu'on trahit ensuite, mais justement à celui de
"C H A N T"...
Si tout dans la Passion fait solitude, car après tout, Mozart lui-même mourut seul, jeté en fosse, comme un vulgaire paquet (d'ailleurs, au fait, monsieur mon ami, s'il eût été psychanalysé, on eût jamais goûté d'entendre la moindre sonate, peut-être...), si tout amène jusqu' à ces déserts, que ne sommes-nous que des "marionnettes" de nos ambitions, fussent-elles les plus pures ?

 
 
 
posté le 29-06-2010 à 16:43:28

Goncourt sur les lieux du drame.

C'est un histoire en ricochet.
Edmond de Goncourt retrouve une aquarelle de son frère Jules (qui fut un remarquable dessinateur). L'étrange amour qui le liait à son cadet rehausse toutes ses oeuvres d'une aura justifiée ici par le sujet traité : la rue de la Vieille Lanterne où Gérard de Nerval a été retrouvé pendu.
Première étape.
La rue de la Vielle Lanterne était plutôt une impasse (assez sordide) située dans le plus vieux Paris, celui qui s'est développé depuis le moyen-âge autour de la tour Saint Jacques elle-même si fortement attachée au souvenir de Nerval.
Lors des transformations du quartier et la construction de la nouvelle place du Châtelet, on érige deux théâtres qui se font face. Celui qui fut tour à tour le théâtre de Sarah Bernhardt puis "de la ville", prend place de la rue de la Vieille Lanterne. La légende veut que cette dernière se trouvait à l'endroit exact du trou du souffleur. J'y vois une extraordinaire coïncidence ou une sorte de signe dans le temps et l'espace. De ceux qui nous rallient à des fantômes qui nous sont chers.
Et si c'était Nerval qui parlait par la voix du souffleur, comme les Pythies de l'antiquité. Il ne resterait plus qu'à déchiffrer le discours. De quoi donner envie de relire les livrets de toutes les pièces qui y ont été données.
Mieux encore. C'est là que le 7 juin 1946 un Hommage est rendu à Antonin Artaud.
André Breton déclare alors : "Je sais qu'Antonin Artaud a vu au sens où Rimbaud et avant lui Novalis et Arnim avaient parlé de voir". Et de terminer son vibrant discours par des mots qui mènent loin, en cohorte sublime, tous ceux qui nous fascinent : "Le drame est que la société à laquelle nous nous honorons de moins en moins d'appartenir persiste à faire à l'homme un crime inexpiable d'être passé de l'autre côté du miroir". C'est ce qui avait tué Nerval.

 


Commentaires

 

1. saintsonge  le 29-06-2010 à 20:42:04  (site)

Amusant ça, oui, et que dirait-il ?
- Vous êtes là, braves gens, gentes dames, vous êtes là, j'ai deux mots à vous faire entendre, pendez-vous à leur écoute, et tendez bien l'oreille : mon ami Lautréamont près de moi me souffle ce que je vous souffle par ce trou de basse-fosse : "La poésie doit avoir pour but la vérité pratique", ou comme Breton repassant par là, redonnant du cor(ps) à Tzara, La Voix d'ensemble dirait :" L'art est une chose privée, l'artiste le fait pour lui"... Allez vous en, maintenant que je me suis pendu, c'est trop tard !!! (le blogueur -visiteur du soir que je suis peut-il ajouter cela ?) Ah oui, les Fantômes de l'esprit rôdent bien tard dans les rues de Londres comme dans les Venelles sombres de l'ancienne Lutèce ! C'était aussi un peu votre billet sur Caroll , l'autre côté du miroir, non ?..

2. saintsonge  le 29-06-2010 à 20:59:19  (site)

Votre article m'a inspiré à la seconde ma page de demain, que je vous dédie donc volontiers :
Le Philosophe de la Finitude...

A demain !

3. lesvisuelsdelaurent  le 29-06-2010 à 22:35:12  (site)

Bonsoir
ce blog ma l'air intéressant, mais pour mes petits yeux fatigué les écrits sont petit !
Bonne soirée.

 
 
 
posté le 29-06-2010 à 11:18:20

James Joyce rencontre Marcel Proust.

L'ambition du livre unique (invoquée par Mallarmé) James Joyce l'a vécue. Et pourtant, à en voir la suite, et d'autres recherches (Finnegans Wake), il n'aura su s'en contenter, allant encore plus loin dans l'exploration du verbe.  Pour le faire "éclater", non dans son aspect physique (comme le feront les artisans de dada), mais dans son sens profond.
Le verbe se fait chair, la Bible le place en tête de la création. Sa quête mobilise l'homme  dès qu'il prend conscience de sa nature, et de n'en point maîtriser l'usage (ou mal) le condamne à croupir dans cette sorte d'enfer dont son corps est le théâtre intime, fermé sur lui-même.
Avec "Ulysse" Joyce aborde tous les problèmes qui se posent au seuil de toute ambition littéraire. Baliser un territoire qui vise à l'unicité (de temps : 16 juin 1904, de lieu : Dublin) en disposant d'une palette aux nuances infinies, la diversité d'humeur, de ton, de couleur, comme le rythme des saisons. Chaque chapitre est écrit d'une manière différente, selon toutes les possibilités offertes, jusqu'à l'utilisation jusqu'alors presqu'inconnue, du monologue intérieur.
Serait-ce dire que la prouesse technique se contente de n'importe quel sujet qui  n'est qu'un prétexte. Donnant crédit à l'idée que le sujet importe moins que la manière de le traiter (ce qui n'est pas toujours exact, et certains écrivains savent trouver le style qui va "donner sens" à leur sujet).
Si le sujet l'emporte, c'est du reportage, ce qui différencie le journalisme de la littérature, l'écriture se colle au document, ne le transcende pas.
Quand le sujet n'est qu'un prétexte, l'écriture l'emporte et se développe sur ses propres énergies.
D'où l'usage du pastiche chez Lautréamont et l'idée que n'importe quel fait peut servir d'amorce pour une recherche littéraire.
Par exemple : Joyce et Proust se sont rencontrés le 18 mai 1922, (au Ritz ?). La légende veut qu'il n'en est rien sorti de remarquable (On alla jusqu'à prétendre que dans le taxi qu'ils prirent ensemble, ils échangèrent des propos d'une grande banalise, ce que nous faisons tous).
Reprenons les faits, et voilà le départ d'un ouvrage qui prendrait prétexte de la chose. A vos plumes !

 


 
 
posté le 28-06-2010 à 10:26:28

Joe Bousquet en gisant.

C'est une image qui m'était familière : celle de Joé Bousquet sur son lit, dans sa chambre de Carcassonne. Nous avions, dans la famille, un culte particulier pour lui, au Soleil dans la tête tous ses livres trônaient dans la vitrine.
Le hasard a voulu que lors des combats du Chemin des Dames de la première guerre mondiale, il "rencontre" la balle qui devait la briser, le couper de la vie active et le rendre infirme à jamais, dans le village où je suis né. On a parlé de chagrin d'amour qui l'avait conduit à se montrer téméraire, à braver la mort.
Max Ernst m'a raconté avec émotion qu'il avait réalisé, longtemps après, alors qu'il était devenu son ami, qu'il était dans le camp adverse, chez l'ennemi, de là à supposer qu'il fut responsable du drame ! Et c'est sous des images nocturnes d'Ernst que Joe Bousquet va composer des livres de braise.
Un visage émacié, des drapes froissés autour du tronc posé comme celui d'une statue dans une niche, sur un fond d'oreillers. C'était là tout son espace où se mouvoir.
Tout autour un désordre de livres,  de cahiers, de journaux (Les Nouvelles Littéraires), Joé Bousquet fait passer par l'écriture une vie impossible, une vie interdite.
On venait à lui, comme des pèlerins, de Paulhan à Bellmer, de Dubuffet à tous les collaborateurs des Cahiers du Sud qui accueillaient avec enthousiasme, ses écritrs.
Toujours fasciné par cet effet de substitution que je vois dans quelques oeuvres clefs : celle de Sade par l'enfermement, de Walser par la folie, de Raymond Roussel par l'isolement radical et le repli obsessionnel sur soi. Imaginera-t-on Proust dans cette voie du retrait du monde (lui qui l'a tellement aimé et fréquenté, mais la chambre de liège compense les Salons snobs des aristocrates dont il aimait surtout les nom). Lui aussi a radicalisé son entreprise, se coupant du monde dans l'atmosphère calfeutrée, étouffante d'une chambre close.
La littérature reconstruit un monde interdit. N'est-ce-pas, à tout prendre, le principe même de la création.
Joé Bousquet dans l'espace du grand sommeil.
Son voisin, ou presque, habitant la même terre âpre et martelée par le plus violent soleil, qui est aussi celui de l'âme, Gaston Puel, un poète qui a déjà façonné sa légende en préservant sa solitude, m'entretenait en des lettres chaleureuses, des éclats durcis par la mémoire de son exemple.
Il y a longtemps, alors que je découvrais la poésie à travers lui et ses amis, s'est imposée à moi l'image de cette plongée dans le sommeil, de cette immersion à la fois enrichissante et castratrice parce qu'il faut faire vivre ses rêves dans la vie réelle (Nerval en exemple). Le dormeur peut entreprendre les plus fabuleux voyages.
A quoi rêvent les gisants. Le marbre les a figés et le temps, lentement à poli leur visage comme celui des idoles.

 


Commentaires

 

1. saintsonge  le 28-06-2010 à 13:04:53  (site)

Je l'ai salué dans mon premier ouvrage Autour, Poésie, qui s'achève sur l'une de ses pensées : "il faut que l'âme ait son horizon à l'intérieur d'elle-même"...Est-ce là , lieu des "gisants" ?
AH oui, vous êtes donc de Narbonne, aussi ?...

2. saintsonge  le 29-06-2010 à 07:43:06  (site)

Voyez que les écrivains ne valent que zéro, puisque je constate qu'à votre compteur des visites, face à
Actuellement, le chiffre affiche : O
Ben , et "moi", j'y suis, puisque j'ajoute un commentaire (comment se taire ?)
A moins (à moince disent les belges ou les gens du sud) , à moins que le "moi" est absent de toute existence comptabilisable, que le "je" en est séparé, lui-même distant du "sur moi" que ne connais pas le "ça", holà, mais ça chiffre à au moince cinq personnes en mon unité, cela, alors pourquoi toujours ce "O" , au compteur des visiteurs du moment ?... Mystère Kafkaîen, cela, mystère;..
-. Mystica Verba Profaris !

3. sorel  le 29-06-2010 à 11:07:49

Bon je vais essayer de répondre peu à peu. Pour Bousquet. Non je ne suis ma né à Narbonne (ma mère si) mais à Vailly le village où, justement, Bousquet a "rencontré" son destin. Amitiés.

4. saintsonge  le 29-06-2010 à 20:47:54  (site)

A Vailly, d'accord d'accord... Merci du supplément d'âme... Votre destin fut autre, fort heureusement...
Ah là, voyez, j'existe, votre compteur affiche : 1 (actuellement ; or, le moi n'est pas le je, qui se différencie du je intime, du je social (revenu de quimper), du je sexuel, du je joueur (le sage joue, et se joue de lui-même), du je psychanalysé (dix ans pour moi) , du je plusieurs, etc....Ce qui fait donc beaucoup plus de visiteurs passant incognito, que le compteur ne temporise)

 
 
 
 

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