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lettres de la campagne

posté le 02-11-2009 à 12:16:37

Visite à Man Ray.

Conversation avec Man Ray, dans son atelier rue Férou.  (suite).

Je venais de trouver dans la caisse d'un bouquiniste, rue de l'Odéon, en allant chez Man Ray, le petit livre qu'avait publié Georges Ribemont-Dessaignes. J'appréciais l'alliance fraternelle de ces deux esprits espiègles.  

- Vous êtes un artiste qui considère qu'il n'y a pas de technique privilégiée en art. Vous en faites un principe. Ce qui compte, c'est l'idée, et peu importe le véhicule. Si  bien que vous avez fait de la peinture, de la photographie et vous composez aussi des objets, les agencez pour leur leur donner un sens au delà du problème esthétique, enfin vous avez abordé le cinéma (on en parlera une prochaine fois).
-Il faut dire une chose, si j'ai plusieurs cordes à mon arc la cible est toujours la même. Je me sers du médium qui convient le mieux à mon idée. Par exemple, je peins des choses que je ne peux pas photographier (ma vision dans ma tête ou un rêve), je photographie les choses que je ne veux pas peindre. Mais je peux changer d'idée en cours de route. Par exemple préparer une nature morte (je n'aime pas le terme) pour la peindre et finalement, parce que l'effet du rendu sera meilleur, prendre mon appareil photographique. Et clic-clac, c'est dans la boite.
Une anecdote pour illustrer ce propos. C'est en Amérique. une petite fille vient dans mon atelier, c'est une voisine,  Elle regarde ma peinture sur le chevalet et l'objet sur la table, que je viens de peindre. : Alors, tu aimes ma peinture ? Oh oui, elle est très jolie, mais pourquoi as-tu deux fois la même chose? "
Pensez la chose comme vous voulez, ce sont souvent les enfants qui vous mettent devant les vrais problèmes.
- Le cinéma ?
- Oui, alors, après avoir fait tant de photos, certaines de mes compositions qu'on appelle abstraites (remarquez qu'elles ne sont pas abstraites, car tout est concret !)
je voulais voir les choses en mouvement. Alors j'ai commencé à tourner, je les faisais bouger, tourner, mais ce n'étaient que de très modestes petits films.
- Vous faisiez des films pour votre seul usage, un  peu pour vérifier votre travail.
- En quelque sorte.
- Pourtant la tentation était grande d'aller un peu plus loin. C'est comme ça qu'est né "L'Etoile de Mer". Il est passé au studio des Ursulines, un haut lieu du cinéma d'avant garde, fréquenté par les surréalistes puis au Cinéma du Vieux Colombier.
- En somme il a amorcé sa carrière de film de référence. Ce qu'il est devenu.

 


 
 
posté le 01-11-2009 à 10:45:52

Rancillac sculpteur.

Rares sont les sculptures de Rancillac qui ne s'y est risqué que très prudemment.
Une figure à la découpe rude, retrouvant l'esthétique de la Vénus callipyge, m'aura suivi dans mes déménagements et trouvant, parfois, l'accueil de la nature qui renforce son caractère rustique (ce fut  à Pierrefitte du temps de Sens Plastique, puis à La Celle sous Montmirail, lors de l'expérience éditoriale des "Pages du Pelais" qui publiera des textes de Dominique Fernandez, Pierre Albert Birot et naturellement le facétieux Forneret, enfin à Grandvilliers sous les hauts arbres de ce qui fut un parc). Elle prend de l'âge, la pierre (tendre) tend à s'effriter, sa chair absorbe les caprices du climat, de son environnement, au pied d'un arbre centenaire. On la dirait venue du fond des âges. Ayant acquit le caractère vénérable d'une idole.

 


 
 
posté le 31-10-2009 à 15:09:13

Le musée d'Alexandre Lenoir annonce le romantisme.

Il faut beaucoup d'imagination à celui qui, musardant dans les locaux de l'Ecole des Beaux Arts (son cloître, sa chapelle), veut retrouver les jardins d'antiques qu'y créa, en 1795, Alexandre Lenoir :  le Musée des Monuments français.
Un curieux personnage que cet Alexandre Lenoir que choque le vandalisme révolutionnaire et qui décide de sauver ce qui peut l'être encore, rassemblant dans les anciens jardins du palais de la reine Margot (la première femme d'Henri IV) les vestiges des couvents, églises, monuments  que la rage destructrice de la Révolution avait mis à mal. Une destruction conduite avec aveuglement et passion parce qu'elle atteignait tous les symboles d'un pouvoir honni.
Alexandre Lenoir prend possession des lieux et organise dans l'urgence un espace de nostalgique méditation qui va marquer toute une génération.
Il avait un rôle pédagogique d'autant plus qu'il va influer sur l'époque et préparer le romantisme.
Avec le jardin d'Ermenonville, marqué par la présence de Jean-Jacques Rousseau, le musée des antiquités nationales va devenir le but d'un pèlerinage culturel.
Victor Hugo y va parfaire son goût pour le moyen-âge et surtout Michelet y développer sa vocation d'historien.
 

 


 
 
posté le 30-10-2009 à 10:26:12

La malle de Pessoa.

L'héritage du poète.

Celui-là, ou un autre. On le voit écrire (avec discrétion), ou l'on sait qu'il écrit. Il n'en fait pas métier, n'en fait pas carrière. L'écriture c'est sa messe basse, c'est son mystère, c'est son souffle. Alors, patiemment, années par années, les cahiers se sont entassés dans une malle. Pourquoi une malle. L'idée du voyage, du départ, d'un autre destin ?
Une malle abandonnée laisse toujours supposer une tranche de vie. Elle peut être aussi sa version macabre. On y entrepose  parfois un cadavre, un autre mystère.
Une malle donc. C'est innocent et sans relief. C'est surtout standard. Comme les cahiers. On pourrait y faire des comptes, et ce sont souvent des cahiers pour comptabilité dont font usage les poètes qui y enserrent leurs textes.
L'oeuvre ne peut vivre, voir le jour, que l'auteur disparu. C'est sa seconde vie. Plus qu'une survie. Sans doute il entre dans la légende, il est forcément grandit puisqu'il est reconstruit. De toutes pièces. Avec des souvenirs, des témoignages, des documents qui sont les miroirs d'instants, d'événements qu'on aura tendance à enjoliver.
Il est des malles mythiques, comme celle où Blaise Cendrars prétendait avoir déposé des pans entiers de son oeuvre ; des malles qui sont un peu une bouteille à la mer, comme celle de Raymond Roussel retrouvée au garde meubles, contenant des oeuvre inédite, des manuscrits précieux. Des malles qui sont un peu la bibliothèque de l'avenir de l'oeuvre qui y est enclose. C'est celle de Pessoa.

 


Commentaires

 

1. saint-songe  le 12-11-2009 à 13:27:03  (site)

A revenir par cet article, je vous avoue que j'y ai moi-même songé, à l'achat d'une malle, aussi n'en trouvant pas de suffisamment grande, je me contente de glisser dans une dizaine de cartons les manuscrits écrits entre 1985 et 2008, tous inédits..., ils me font ainsi remparts contre les vents grossiers de la solitude et du silence, pays réel de l'écrivain...

 
 
 
posté le 29-10-2009 à 11:40:08

Du dépôt au musée.

Avant une grande campagne de rénovation de leurs aménagements, les musées étaient plus proches du dépôt que de la salle d'exposition qu'ils sont devenus avec un souci croissant de la mise en valeur de l'oeuvre, d'une théâtralité, qui entre pour beaucoup dans l'attrait qu'elle peut exercer. Conséquence logique du principe qui veut que ce soit le musée qui fasse l'oeuvre d'art, la plus dérisoire y acquière ce statut de référence ( de déférence) qui donne au plus banal objet arraché à la réalité la valeur d'une oeuvre d'art. C'est l'histoire du porte bouteille acheté au BHV par Marcel Duchamp et qui, présenté dans un musée, avec sa signature, est devenu un objet de culte.   
Le musée archéologique n'est pas très éloigné de ce principe qui veut que le plus modeste tesson de bouteille, le fragment le plus dérisoire, fassent l'objet d'une attention qui a le poids du temps qui nous sépare de son aspect pratique.
Car c'est cette distance qui lui donne tout son prix.
Les musées d'antan (d'où le charme des musées de province qui étaient, le plus souvent le reposoir d'objets de toutes natures, et le refuge du promeneur du dimanche en cas de pluie), entassaient ce qu'ils montraient. C'était le lieu de conservation plus que de présentation, et, celle-ci réduite à l'essentiel (d'où ces tristes vitrines que l'on trouvait aussi dans les salles de travaux pratiques dans les établissements scolaires). On n'était alors pas très éloigné du simple cabinet de curiosité de "l'honnête homme".

 


 
 
posté le 29-10-2009 à 10:43:00

Aragon à la campagne.

Peut-on y attendre le poète (propriétaire), poussant la porte et que l'on découvre tout chargé encore des odeurs du jardin qu'il aura parcouru d'un pas alerte, conquérant, à son habitude, avec un rien de provocation qui était, selon l'humeur, de son charme ou rebutant. C'est la version bourgeois gentilhomme et campagnarde, des allures distinguées et feutrées de la rue de Varenne où il avait son logis parisien. Tout en haut et dans la clarté frémissante d'un Paris qui se fait là distinguée. Un souvenir : Elsa Triolet, serrée dans son châle noir, comme une vieille paysanne  (Vieira da Silva la portugaise avait la même allure). Proche de la cheminée, sous sa protection elle faisait tomber en phrases sèches mais au pittoresque de son accent russe, des souvenirs, tandis qu'Aragon, à contre-jour, se dandinait, cherchant manifestement au fond de sa mémoire le mot qui aurait fait mouche en rapport avec les événements que l'on évoquait (leur rencontre).
Ils vivaient en bourgeois intellectuels rue de Varenne, entourés de livres et de tableaux. A Saint Arnoult c'était plutôt le tanière du chasseur confortable, attendant ses amis pour la veillée.
Pas loin, sur la plaque lisse et luisante du péage de l'autoroute, des voitures, tôles contre tôles, frémissantes d'impatience avant de s'élancer dans les vastes espaces d'un week-end rédempteur.
C'est sous le couvert de tels contrastes que l'on perçoit la force des gestes que nous accomplissons, selon le lieu, selon l'heure. Pour être au plus juste de notre rôle sur cette scène de théâtre.

 


Commentaires

 

1. Saint-songe  le 29-10-2009 à 18:57:37  (site)

effectivement, l'inspiration lui dut être facile...en un tel lieu propice à la chasse aux idées les meilleures, les plus profondes !

 
 
 
posté le 28-10-2009 à 12:31:18

Robert Walser en figure d'Icare.

Comme un immense oiseau qui se serait effondré sur le sol, inscrit dans la neige, en contraste violent entre la  blancheur de celle-ci et ce noir qu'on identifie peu à peu. L'homme aura chuté, c'était pourtant un marcheur averti : Robert Walser.
Il est de cette race qui décline le monde du réel en allant vers le détail qui contient l'immensité. S'assimilant par le regard avec le miracle de la vie.
John Cowper Powys avait bien noté que "le seul fait d'être capable de regarder le mousse verte, les branches tombées etc...suffit à justifier le fait d'être né sur cette planète" . Et c'est  Philippe Delerm qui trouve cette si jolie définition de la marche : "les chemins nous inventent" ce qui est une manière nouvelle de reprendre l'idée de Montaigne affirmant que "tout mouvement nous découvre"
Sont multiples les formules heureuses pour valoriser l'art de la marche. De Guy Debord qui avait créé un étonnant itinéraire du voyageur, et donne une nouvelle méthode pour le penseur (qui aura quitté la cabinet de travail)   : " La formule pour renverser le monde, nous ne l'avons pas cherchée dans les livres mais en errant". Et Walter Benjamin, plutôt porté aux atmosphères urbaines (les fameux Passages parisiens), évoque "l'ivresse qui s'empare de celui qui a marché longtemps sans but dans les rue".
Robert Walser l'évoque lui-même, le revendique, "le pas tranquille".  Nulle attitude théâtrale dans sa prise de possession  du monde dans ses aspects les plus quelconques (choses et gens). Il veut être "personne", ne pas avoir de relief comme pour mieux s'intégrer à l'environnement qu'il absorbe et curieusement, si soucieux de bienséance,  comme si elle facilité le gommage volontaire de sa nature rêveuse.

 


Commentaires

 

1. Saint-songe  le 29-10-2009 à 18:58:39  (site)

Heureuse découverte, ici, d'un auteur que je lis encore , et, ce jour-même : "une vie de poète ; la rose..."
Une fraîcheur, que votre article, donc...

 
 
 
posté le 27-10-2009 à 13:24:32

Les Alpilles de Mario Prassinos.

Est-ce un souvenir ou une illusion ? Il me semble que de l'atelier de Mario Prassinos, à Eygallières, on avait une large vue sur les montagnes environnantes. Décharnées, toutes en nervures, brisures, accents vifs et dénonçant avec une calme autorité leur force minérale brûlée par le soleil. Une montagne puissamment écrite contrairement à la Montagne Sainte Victoire de Cézanne qui est de masse, et d'essence géométrique. Prassinos l'avait à portée de main, à portée de regard, dans une sorte d'intimité qui le conduisait à la voir dans sa masse et à la dire dans ses rythmes secrets, ses agitations internes, ses frémissements. D'où l'ardeur de l'écriture pour en traduire l'espèce de fièvre qui conduit la plume, de taches comme crachées,  en jets vifs et cherchant leur chemin dans ce labyrinthe des forces obscures, des vies minérales qui nous échappent et nous inquiètent.
Exprimant à la fois la force tellurique et l'ardeur qui l'habite, les circuits contradictoires qui y forcent un chemin, d'où ce très doux tremblement de la matière.

 


 
 
posté le 26-10-2009 à 15:13:31

Les prisons de Piranèse, un décor pour Sade.

D'une Rome en déconfiture, ayant abandonné ses ruines antiques aux bergers qui y font paître leurs troupeaux, avec ses temples livrés aux intempéries et ses arcs de triomphe dépecés pour leur antiques que l'on retrouve chez les antiquaires, Piranèse a fait un monde-théâtre qui joue sur toute la gamme des sentiments, depuis le charme agreste d'une arcadie en décomposition, jusqu'à une force cachée dans la pierre qui affiche son orgueil conquérant, parle à la fois de victoire et de supplice. Une pierre mobilisée par la politique sociale, une soif de grandeur et de puissance qui s'accorde rarement avec le bonheur domestique.
Construire ne serait-il pas, dans ce contexte, l'exhibition de sa force et jamais la recherche de la sérénité. Une pierre au service du despotisme (un rêve que reprendra Hitler à travers les travaux gigantesques de son architecte Alfred Speer) et qui contient en elle-même un ferment de souffrance.
Jamais Piranèse n'a été plus inspiré que par les prisons. Il les conçoit majestueuses (magnifiques ?) et disproportionnées à leur fonction. Elles témoignent plus d'un rêve de domination que d'une vocation d'enfermement.
Curieusement, pour gommer la clarté que supposerait leur vaste développement, il embrouille les pistes, jetant des ponts, des passages, des montées abruptes, des descentes vertigineuses, lançant le visiteur, l'homme réduit à sa plus petite dimension possible (celle d'un insecte), dans un espace qui ne répond plus à ce pour quoi on l'invoquait mais une sorte de mise en vertige qui retrouve celui du mental. Ce sont des prisons rêvées. Par un concepteur fou. L'homme n'y a pas sa place. Que nié. D'ailleurs on rejoint là les rêves de château d'orgie que Sade avait inventé pour les 120 Journées de Sodome.  Le corps n'y est point en repos. Il y est en danger.

 


 
 
posté le 25-10-2009 à 15:01:27

Proust l'avait dit.

On sait combien Proust est sensible aux noms. Surtout s'ils portent en eux la charge de l'Histoire dont ils sont le témoin, au mieux l'acteur, d'où l'attrait de ceux qui signalent l'appartenance d'une famille à un terroir. Signe tangible qu'une vie (une succession de vie avec une mission en héritage) aura trouvé son sens dans l'édification d'une identité géographique. Non qu'il y ait quelque raison de s'honorer d'en être l'héritier. Les plus grands noms sont souvent les plus chargés de secrets honteux, de malversations,  d'esprit cauteleux, tant, dans les sociétés qui ont fortifié leur pouvoir, ils  doivent naviguer en eaux troubles. Et ce n'est pas la présence, dans son arbre généalogique, de quelques glorieux  généraux ou prélats de haut rang qui justifie qu'on en tire un orgueil qui n'est que d'illusions. C'est Proust encore qui remarque combien l'attrait du nom s'efface devant la réalité de sa rencontre dans les personnages qui l'incarnent encore. Son prestige et son clinquant relèvent uniquement de l'imaginaire qu'on y porte, qu'on y transporte quand on préfère avoir derrière soi de l'épopée plutôt que le morne déroulement d'une vie sans relief et sans autre but que de survivre.
Toute promenade autour des "vestiges" de ce qui fut le coeur d'un fief, son incarnation symbolique, est emprunt d'une forme très particulière de mélancolie.
Témoin d'une chute, mais aussi du temps passé qui laisse ses traces les plus prestigieuses (palais, murailles, forts) comme le cadavre d'un rêve vécu, d'un rêve épuisé. A quels sentiments complexes de regret, se place celui qui retrouve le palais de ses ancêtres dans le fouillis d'une végétation qui reprend ses droits, impose ses lois sur ce qui fut la fierté d'un rêve rendu vivant par la pierre.
Les raisons de la fierté s'en sont allées, le  nom reste, qui n'est plus qu'un témoignage brouillé. Que d'héritiers de ducs placeurs d'assurances, de conseillers intimes du roi, par ce dernier chargés d'honneurs et de biens, vaguement concierges ou tenant une petite épicerie de quartier. Les grandes familles font le chemin inverse de celui qui conduit vers la gloire. Ils viennent de très haut pour s'enfoncer dans les tracas d'une vie qui n'est plus à l'image du nom qu'ils exhibent.

 


Commentaires

 

1. cybel  le 29-10-2009 à 04:17:57  (site)

Reste l'image dont on reste drappé ppour la nuit des temps

 
 
 
posté le 23-10-2009 à 17:16:14

Wols dans l'herbe.

La rue des Beaux-Arts avait des allures provinciales, et les voitures y semblaient poussives, provenant de lointaines banlieues ou de plus près encore. Quelques galeries ouvraient leurs portes au-delà des heures légales. C'est qu'elles étaient tenues par leurs propriétaires soucieux de faire partager le plus largement possible leurs passions aux passants venant là comme à un pèlerinage. Ce que je faisais lorsque Pierre Loeb, sur le pas de sa porte, pipe à la bouche, humait la fraîcheur des soirées printanières en montrant du doigt, à ceux qu'il croisait là pour le saluer, ses dernières trouvailles exposées  en ses vitrines. Un coup d'oeil, et c'était le début d'une grande amitié avec des peintres dont le nom ne disait encore rien à personne.
Pas loin de là, sur la Seine grise tirant au noir quand la nuit s'annonce, des péniches poussaient péniblement leur cargaison en émettant de timides coups de sirène pour se frayer un passage. Une odeur délicieusement lourde de varech parvenait parfois jusqu'au bord des vitrines d'un noir sévère, presque monacal, que la plupart adoptaient en signe de ralliement pour une cause mieux partagée : l'amour de l'art.
Je vénérais Pierre Loeb et ses conversations sans apprêt, tournoyant autour des amis qu'il défendait et ses souvenirs dont il n'était pas avare pour celui qui les quémandait. J'aimais qu'il me parle d'Artaud ralliant son entresol pour se réfugier, se chauffer, ce long hivers 1947, revenu dans un Paris hagard mais parcouru de frissons comme un animal qui se réveille. De sa large écriture qui fait des sauts dans la page, se cogne aux coins dans sa hâte et sa colère, il avait sur des cahiers d'écolier, traduit le plus pathétique regard que l'on puisse porter sur Van Gogh, une folie à sa mesure. Une sagesse au coeur.
J'aimais le silence de la rue des Beaux-Arts sertissant parfois une mélodie jouée par un piano mollement accordé que l'on devinait dans les étages. Et je pensais aux soirées musicales de Fantin-Latour ici, en face de l'atelier où il avait fait venir Verlaine en état d'ivresse et Rimbaud éclatant de beauté, pour les unit dans le plus beau des mariages sur une toile dont ils sont les figures emblématiques dans une couronne de têtes folles, de têtes fragiles.
Et Wols et Wols, le voici qui surgit au coin de la rue Bonaparte. Le chapeau mou posé distraitement sur une tête presque chauve, le regard de biais et le démarche aussi. Un grand carton sous le bras, cherchant un comptoir où poser son coude.
"J'ai connu Wols chauve, avec une bouteille et une besace. Dans sa besace il y avait le monde, son souci, dans la  bouteille sa mort" déclare malicieux et tendre à son égard  Jean Paul Sartre. Ce qu'il y a d'admirable quand Sartre parle d'art c'est qu'il devient intarissable et l'on s'aperçoit qu'en cours de route il a oublié le peintre et s'épand en confidences, en aveux, en monologue ébloui.
Wols aimait bien s'asseoir près de lui, au bord de la table où se faisait un ordre des mots, lui qui n'avait que des désordres d'images. Alors pour mieux y voir, il fermait les yeux, déclinait des formules de sagesse empruntées à des livres chinois.
Rue des Beaux Arts, Wols rencontre son ami Jacques Boursault, le hèle, l'entraîne dans sa soif. La conversation de Wols, c'est Boursault qui me l'a dit, était aussi surprenante qu'indifférente aux problèmes du moment. C'est qu'il traînait avec lui ses rêves, indifférent aux cloches de l'actualité, aux relents des rues quand il avait encore la tête dans l'herbe. Voilà l'image que je voulais donner : un homme allongé sur le sol, le nez en l'air  et l'oeil dans l'immensité du ciel. On dirait un paysan en rupture de ban. Qui aurait posé sa faux, sa bêche et son chapeau pour observer les fourmis, écouter le discours tendre des plus modestes fleurs poussant d'abondance aux abords des près. Elles sont leurs couronnes et leur plaisir, leur festin et leur honneur. Un champ abandonné des fleurs est comme une femme sans amoureux.
Un regard à hauteur d'herbe vaut-il mieux qu'un regard à hauteur d'homme. Il découvre les divins murmures d'une lointaine contrées qui s'est échouée là, une mer qui aura démâté les navires qui la sillonnent, les peupliers  sont là, tout murmurant du vent qui les frôle pour évoquer la tempête. A s'approcher de si près dans le frisson de l'herbe où le passage de la fourmi est celui d'un guerrier bardé d'amures comme celui du moyen-âge, on s'engloutit jusqu'au trou, quand la terre s'ouvre, et c'est le tourbillon des matières en incandescence, le coeur palpitant d'un corps formidable dont il faut épouser le rythme pour ne pas mourir. Ceux qui meurent sont ceux qui, épuisés, ne contemplent plus la formidable aventure qui se déploie à leurs pieds.
Wols l'a dit : A chaque instant / dans chaque chose / l'éternité est là.

 


 
 
posté le 22-10-2009 à 11:43:52

Mario Prassinos et la reliure.

Attacher du prix à la reliure d'un livre est moins superficiel qu'il y parait. On éliminera  ceux qui enveloppent de cuir, de matières précieuses un ouvrage qu'ils ornent ainsi plus qu'il le protège. C'est une tradition chez les grands bibliophiles qui s'adressent à des relieurs faisant oeuvre originale.  La reliure est alors pour le livre ce que l'ensemble de grand couturier est pour une femme qui y trouvera un moyen d'afficher son opulence, sa distinction, son originalité ou tout simplement sa volonté de se  distinguer de l'ordinaire.
La reliure standard qui protège les ouvrages d'une bibliothèque publique gomme la particularité de l'ouvrage, le banalise afin de le rendre accessible à quiconque.
Il en sera tout autrement avec le principe de la reliure telle que l'a créée Gallimard en offrant des tirages de ses livres sur un plus beau papier et en l'enveloppant dans une reliure conçue spécialement en fonction du texte. Paul Bonnet et Mario Prassinos furent attachés à cette entreprise.
La reliure est une manière d'interprétation du texte. Mario Prassinos y fit merveille qui se collait au texte mais ne perdait jamais le sens et l'esprit de son oeuvre de peintre, la reliure lui faisant ainsi écho.

 


 
 
posté le 21-10-2009 à 14:05:32

Paris 1925 vu par Armand Lanoux.

Le tam-tam nègre et le charleston, les chapeaux cloche et les torpédos. Paris est en émoi, on découvre un art nouveau, les ultimes sursauts du cubisme qui passent dans le mobilier, l'architecture. On s'exalte devant la modernité. Il fallait à une époque aussi tranchée en ses goûts et ses moeurs, ses trésors de fantaisie et de talent, une plume aussi désinvolte et pittoresque que celle d'Armand Lanoux et pour donner un écrin à sa prose si vivante, le délicieux livre conçu comme un programme des Folies Bergère, et ses vignettes sautillantes et spirituelles.
Paris 1925 fait écho au 1900 de Paul Morand, il l'évoque, il en est le fils naturel. Quand l'écrivain s'émerge dans son temps, en analyse les facettes et en décrit les tréfonds, finalement si humains, car ce sont des personnages de chair et de vitalité que l'on trouve ici, qui traversent leur époque, la font vibrer.  
Voici Gide, Breton, Cendrars, Mac Orlan, Cocteau, Aragon, Desnos, Galtier -
Boissière, Kiki, Youki, Barbette, Coco Chanel, Man Ray, Van Dongen, Charlot, René Clair, Kisling, Carco, Erik Satie, Fernand Léger, Chagall, Marie Laurencin, Foujita, Max Jacob, Pascin. Mais ce livre si léger et désinvolte, n'est pas un catalogue. On a donné la distribution, la pièce commence, et les personnages s'agitent sur la scène.
Il est des livres qui ont le charme et la vivacité d'un petit théâtre de poche.

 


 
 
posté le 19-10-2009 à 14:39:33

Michel Tournier parle de photographie.

Quand l'écrivain devient photographe, quand l'homme des mots se glisse, dans le monde des images, la surprise est grande, comme quand il se mêle de dessiner, mais, aujourd'hui photographier est une manière de dessiner.
Il faut s'arrêter au titre que Michel Tournier donne à un ensemble de textes consacrés à des photographes (Zola, Man Ray, Bill Brandt, Jacques Lartigue, Edouard Boubat, Lucien Clergue, Jan Saudek). "Le  crépuscule des masques" laisserait supposer que la photographie pénètre au coeur des feintes de la nature, des conventions du regard, peut-être des illusions, et qu'elle fixe la vérité des choses, des instants.
Nous vivions masqués, voici, grâce à la photographie ( non, aux photographes) la vérité qui s'affiche "toute nue" (comme dans les peintures de nos chers pompiers qui prétendaient la provoquer, alors qu'ils vivaient justement d'illusions, de faux semblants).
La photographie perce la couche des conventions qui occulte le monde tel qu'il est  ?
Le monde serait une comédie (il lui arrive d'être une tragédie, c'est à dire de passer de Feydeau à Shakespeare). La photographie fouille jusqu'aux ultimes réserves de pudeur qui nous protège de nos inhibitions. C'est pourquoi elle se prête si bien à la pornographie. Devant le réel elle nous apprend à le voir différemment. A le voir avec le regard du photographe, qui signe sa réalité. On n'est pas plus avancé. La réalité signée par un photographe nous offre surtout son portrait...

 


Commentaires

 

1. jmdamien  le 19-10-2009 à 15:37:51  (site)

Un très grand auteur dont on ne parle plus tant, pourtant le jour où il disparaîtra, la France aura perdu un très grand écrivain.
Merci pour cet article

 
 
 
posté le 17-10-2009 à 16:58:46

Alain Fournier fait écho à Gérard de Nerval.

Des promenades de l'enfance, toute une vie sera nourrie. On peut identifier une oeuvre aux références qu'elle énonce et chacune a son cadre initial. Initiatique ?
Cheminer dans la Valois, entre Senlis et Ermenonville, c'est retrouver Gérard de Nerval, Il les décrit en toutes lettres ces paysages de la mélancolie. Même l'été y est marqué de ce quelque chose qui échappe à la rigueur et à la logique et nous conduit à méditer. Rêver.  Se souvenir de ces délicats paysages de Corot habités pas des jeunes filles comme celles qui se retrouvent, identiquement chez Nerval et chez Alain Fournier ( un lointain neveu d'esprit !).
Dans ce Berri qui n'est plus celui de George Sand, moins habité par des fées malfaisantes, que des vierges qui sont les vestales de nos campagnes (étaient, car aujourd'hui, elles sont plus proches de Madonna) la promenade a des allures de quêtes comme celle du Grâal. Notre Grâal c'est l'amour avec ses naïvetés, ses splendeurs cachées, ses frissons qui nous aident à vivre. Il est constant que chez Nerval et chez Alain Fournier l'amour est une quête, et l'être aimé souvent inaccessible. Comme une lointaine étoile dans le vaste firmament. Mais  nous aimons les voyages, même ceux qui restent imaginaires.  

 


 
 
posté le 16-10-2009 à 12:30:00

Princesse Bibesco, une litttérature mondaine.

Encore un souvenir d'enfance, et précoce tant il m'était donné d'accéder à la bibliothèque familiale sans contrôle ni réserve. Dans les sombres rayons où scintillaient les titres des livres lus par mon entourage, j'avais remarqué ceux d'une certaine princesse Bibesco qui se répandait à travers les éditeurs les plus fameux (dont Grasset). Sous sa couverture de papier "cristal" qui les protégeait des atteintes de la poussière voici : Catherine Paris, Egalité, Feuilles de calendrier, Le perroquet vert.
Un personnage que l'on aurait dit sorti du monde de Proust (il y aura entre Proust et les Bibesco des liens d'amitié) avec cette pointe d'exotisme qui touche ces émigrés de luxe, venus d'Europe Centrale  dont les noms ont quelque chose de clinquant et de toc.
Une oeuvre sans génie mais bien caractéristique de l'état d'esprit et le niveau de culture d'une classe de privilégiés, dont chaque élan d'expression trouvait une audience de complaisance. On est là dans le mi temps de la création littéraire, entre délassement de nantis et pulsions émotionnelles liées à une éducation soignée, des ouvertures faciles sur le monde, un sentiment de supériorité qui n'est pas chez elle forcément déplaisant, tout au plus pittoresque et peut-être naïf. Rien à voir avec l'arrogance de l'aristocratie que la Révolution française voulait abattre tant elle était néfaste dans son égoïsme.
Si la littérature est le signe d'une certaine qualité d'éducation, elle y est à sa place. Mais hors de toute nécessité. 

 


 
 
posté le 16-10-2009 à 11:31:31

Léautaud face à la mort.

In Memoriam. Une poignée de pages d'une écriture si sobre qu'elle est "blanche", retrouvant l'objectivité impersonnelle d'un constat de police. C'est un choix. Encore que Léautaud est hostile à tout pathos, tout romantisme et excès de langage.
Il aurait sans doute trouvé indécent, voire obscène, de faire du style quand il parle de la mort de son père. Pas à pas, minute par minute (car l'agonie est longue) il assiste, avec un regard objectif à l'engloutissement progressif d'un corps dans l'espace effroyable de la mort. Avec son frère, sa belle-mère, c'est une sorte de ballet autour du corps qui perd progressivement conscience et que la mort pourtant n'a pas encore statufié. Une épreuve qui l'ébranle mais il ne veut pas l'avouer et qui faire remonter en surface des bribes de mémoire. C'est ce présent abominable et ce passé qui s'enchaînent dans une continuité qui devient malsain.
On est saisi par le propos, rebuté et pourtant on se laisse entraîner dans ce récit hors normes. C'est du meilleur Léautaud, pour lui qui milite pour une écriture au plus près de ce qu'elle dit, sans détours ni fioritures qui laisse, furtivement, émerger quelques notes plus tendres (?) mais qui n'atteint pas l'insupportable manie qui lui est chère de s'extasier sur sa sentimentalité. La fuyant, la muselant comme, parfois des satisfecit qu'il s'accorde allant jusqu'à évoquer l'importance que prendra ce qu'il dit, lui parti, car son destin post- mortem le préoccupe plus que de raison.

 


 
 
posté le 14-10-2009 à 14:13:40

Zola des goûts de cocotte.

L'époque est au décor chargé et capitonné. On accumule les plantes vertes et les lourds rideaux, les fauteuils dérivés du style Napoléon III avec leur franges et leurs velours aux riches coloris. Zola, nouveau riche et bourgeois complexé par une jeunesse pauvre, va surcharger son décor intérieur comme pour se rassurer sinon faire un naïf étalage de sa réussite sociale. Il retrouve curieusement les goûts douteux des cocottes. Il les fréquentait, soit disant pour s'informer. Dont la vaniteuse Valtesse de la Bigne dont le lit (instrument de ses activités) était déjà un objet de légende. On connaît la remarque de cette dernière quand l'auteur demanda à le voir, elle précisera que l'utiliser était au delà de ses moyens financiers. L'ayant entrevu, Zola le placera dans Nana qui est aussi un portrait quasi collectif de ces dames à chiffons et écus qui étourdissent les fils de famille et ruinent les quadragénaires fortunés
C'est Léon Hennique qui lui avait demandé de recevoir Zola qui désirait explorer son hôtel.
Ecoutons Auriant :
"Elle le pria à un dîner auquel étaient conviés Gervex et Dupray, Mme Strauss et Jullemier, Hennique. En sortant de table, on passa au boudoir et Mme Valtesse de la Bigne fit à Zola les honneurs de son hôtel et lui montra même ce qu'elle avait refusé de montrer à Dumas fils : sa chambre à coucher. Elle devait bientôt regretter sa complaisance. Elle retrouva eu chapitre X de Nana son hôtel très fidèlement décrit, presque photographié, de la cour au cabinet de toilette. Le romancier naturaliste n'avait rien oublié, ses vitraux, ses meubles et ses objets d'art, ses tapis, ses tentures et jusqu'à son parfum favori qui était la viollette..."
Il s'en inspirera aussi pour meubler sa propre demeure. C'est l'esprit cocotte passé au salon de l'homme de lettres."

 


Commentaires

 

1. ricardo  le 15-10-2009 à 01:47:08  (site)

Félicitation pour cette "reconnaissance du jour " ...

@micalement, Ricardo

 
 
 
posté le 14-10-2009 à 11:15:22

Théophile Gautier chez lui à Neuilly.

Dans son indispensable guide des maisons des hommes, (et femmes) célèbres (éditions Horay) Georges Poisson s'en tient à celles qui peuvent se visiter comme des musées. Elles offrent, au visiteur, l'avantage d'aider à mieux comprendre l'oeuvre à travers le climat qui fut celui de leur auteur.
Son exclues de cet inventaire (exhaustif) celles qui sont aujourd'hui habitées et ne peuvent, de ce fait, être visitées. Nombreuses, ces maisons sont pourtant répertoriées et souvent gardent un attrait nullement négligeable aux yeux de ceux qui sont sensibles aux traces, itinéraires et autres approches des lieux de création dont on s'émerveille de penser qu'ils échappent à la banalisation et conservent quelque chose du miracle de la création  dont ils sont alors des témoins.
Il en est ainsi de la maison qui fut celle de Théophile Gautier alors que celui-ci, après maints déménagements, s'y fixe  en 1857, avec Ernesta Grisi, leurs deux filles Julie et Estelle , 32 rue de Longchamp (se réservant un pied à terre à Paris au 14 rue Grammont). Le lieu deviendra un pôle d'attraction pour ses nombreux amis et c'est là qu'il meurt  le 23 octobre 1872.

 


 
 
posté le 13-10-2009 à 14:30:34

Fontana fait des trous.

Dans les années 60 Fontana était une vedette dans l'univers encombré de l'avant-garde. Sa méthode, simple, consistait à trouer la toile préalablement colorée (bleu, rose, rouge). L'écriture se confondait avec les lignes éventuelles d'alignement de ces trouées brutales mais significatives. On pouvait gloser à foison pour justifier cette attitude. L'expliquer.
On pouvait en effet y voir l'affirmation, assez simpliste mais efficace, d'une sorte de désespérance du peintre ayant totalement usé l'arsenal de l'image et du signe abstrait, qui, lui aussi, a ses limites (autant que ses facilités).
 Fontana était l'exemple même d'artistes qui enchantaient les théoriciens de l'art, car il impliquait, de leur part, une mise en mot, en raisonnement, de ce qui n'était ,en fait, qu'un geste primaire. Plus le geste est primaire, revenant aux forces instinctives les plus inconscientes, plus l'explication est subtile, encombrée (?) de références littéraires ou philosophiques (ce qui est pire).
Fontana faisait partie de ces artistes qui ont largement contribué (depuis Marcel Duchamp) à la mise à mort de la peinture. Le geste artistique passant par sa seule mise en valeur au détriment de la chose représentée conduit au débordement actuel de situations, environnements, installations qui s'ancrent totalement dans notre réalité. Pour la dénoncer le plus souvent. On est loin de l'exaltation de la modernité entreprise au début du XX° siècle par les peintres qui découvraient l'idée dynamique du progrès, le lyrisme de la modernité.
Ce mouvement de bascule, cette prise de conscience d'une illusion perdue, se révèle à travers des attitudes comme celle de Fontana. Elle avait son rôle à jouer. Mais elle est déjà du passé.

 


 
 
posté le 13-10-2009 à 10:48:06

Wols photographe.

C'est en tant que photographe ( de mode ) que Wols vient à Paris dans l'entre deux guerres. Son registre de photographe n'empiète ni n'annonce celui du peintre,  constituant un monde autonome. Il implique un regard adapté.
Il porte sur les objets une attention minutieuse, maniaque, allant vers le gros plan comme pour arracher quelque chose de son mystère. Ce qui lui donne une force  singulière et détachée de tout sentimentalisme. Accusant, au contraire, le sentiment de solitude qui peut émaner de tout objet scruté avec une attention d'entomologiste.

 


 
 
posté le 12-10-2009 à 12:17:44

Man Ray dialogue avec Eluard.

 VOIR. Le titre dit tout. C'est sous le signe du "Donner à voir" (recueil de ses textes sur la peinture) que nous avions (Pierre Restany, Jean Clarence Lambert, Raoul Jean Moulin, José Pierre) créé un salon  à une époque où n'existait pas Beaubourg qui va dynamiser la vie artistique parisienne. Dans ce grand désert, l'émergence d'un "salon" qui s'attachait à la mise en valeur des courants contemporains, avait figure d'événement et il était bon qu'il se place sous le signe de la poésie, dont celle d'Eluard qui a si étroitement collaboré avec les peintres à la réalisation d'ouvrages d'une grande force, tant l'image et le texte se répondent, s'épaulent, et échappent à toute hiérarchie. Car il ne s'agit pas d'illustration au sens donné jusqu'alors, quand l'image complète le texte, alors qu'avec lui elle s'y mêle si étroitement qu'il arrive (comme avec Man Ray) que ce soit le texte qui "illustre" l'image.
Un véritable dialogue où la constance de la main s'affirme qui passe du mot au graphisme.
Donner à voir fut une manifestation qui laissait, à chaque critique, la totale liberté d'assembler des artistes sur un thème donné (choisi par lui). Créer en somme des familles d'esprit qui se fortifiaient à une émergence de reconnaissance poétique, le chemin le plus radical pour avoir le droit d'exister, et d'être reconnu.

 


Commentaires

 

1. sylviephotos  le 12-10-2009 à 14:47:52  (site)

bjr merci du com c'est une cité magnifique
bonne journée
sylvie

 
 
 
posté le 11-10-2009 à 14:43:00

Wols vu par Sartre.

L'année 1948 avait été faste pour Wols, outre de nombreuses expositions il illustre plusieurs ouvrages de bibliophilie (des textes rares ou confidentiels ) : Le Berger d'Ecosse de Jean Paulhan, L'Invité des morts de Kafka, Le théâtre de Séraphin  d'Antonin Artaud, Chaystre de Georges Lambrichs, Bref d'Alain Borne et surout Visages de Jean Paul Sartre, lequel s'attache à cet artiste alors à la dérive.
Ecrivant sur lui il précise : "il laisse sa pensée pour toujours aliénée s'organiser en pensée plastique de l'aliénation" . En effet, loin de toute représentation, transposition, l'oeuvre s'est substituée au sujet qu'elle pouvait supposer. "C'est une gouache par elle-même, improvisée, qui ne renvoie qu'à elle-même".
C'est à l'instant où il se dégage le plus franchement de toute référence extérieure du monde du visible qu'il atteint son but. Voir au-delà. C'est bien le rêve de tout un siècle de pensée, d'expression, qui marchait sur les traces des grands inventeurs du XIX° siècle, prétextant de la modernité qui est finalement moins un sujet qu'une manière d'être, de revoir le rôle de l'art, de s'y engager sans calcul, d'être son oeuvre.
D'une peinture qui navigue dans les espaces de la rêverie ("Klee c'est un ange, Wols un pauvre diable"  Sartre) Wols a a exploré son propre univers, ses entrailles, et à son tour, ouvert la voie à une peinture d'expression pure, sans sujet. Devenue l'objet de son expression. A sa manière il précipite la peinture vers sa fin dernière. Brûlée sur le bûcher de ses exigences. En une sorte de kamikaze.

 


 
 
posté le 10-10-2009 à 17:19:00

L'atelier d'écriture.

Des rapports entretenus entre un écrivain et son cadre de travail (sinon de vie) dépendra la facture, le style de son oeuvre.
Paul Léautaud remarque (à la fin du "Petit Ami") : "C'est pourtant vrai que certains cadres disposent mieux que d'autres au travail ! Je ne parle pas, bien entendu, de ce travail vulgaire qui consiste à prendre une plume, de l'encre et du papier, et à écrire ce que l'on veut écrire. Pour ce travail là tous les endroits sont bons, même ces affreux cabinet d'auteurs à la mode, encombrés comme des bazars qu'on nous représente dans les photographies de nos contemporains chez eux......"
Léautaud avouant alors écrire dans le désordre parfumé et sensuel d'une chambre de cocotte. Il écrira à la fin de ses jours parmi ses chats et dans une solitude de vieux garçon pas trop soigné.
S'en prenant au cabinet de travail des écrivains de son temps Léautaud dénonce une manière de considérer l'écriture comme un métier. Ce qui n'est pas son cas et tout homme (ou femme) de lettre n'aura pas nécessairement ce goût d'une mise en  scène de son travail.
Il me souvient que Patricia Higsmith écrivait dans sa cuisine (la nuit et  en compagnie d'une bouteille de whisky) sans ce décor conventionnel qui singe la culture. D'ordinaire, écrire n'implique pas nécessairement un cadre convenu. Chacun ira selon ses goûts, son mode de vie. Virginia Woolf écrivait sur une petite table à battant, qu'elle disposait selon son humeur, face au paysage de son jardin, ou dans l'ambiance un peu bousculée son l'imprimerie (la Hogarth Press). Breton préférait la compagnie des tableaux de ses amis, les fétiches océaniens, Mandiargues la vue sur le square de la rue Payenne dans une demie lumière mettant en valeur les figues fantomatiques de Léonor Fini. On sait que Colette ne pouvait écrire que sur du papier bleu, et Simenon préparait soigneusement l'écriture de chacun de ses romans, en disposant papiers, crayons et notes autour de lui comme un artisan qui va réaliser un bel objet. Un livre n'est-il pas aussi, un bel objet.
A en croire les confidences de sa compagne, D.H.Lawrence écrivait sur ses genoux, à l'ombre d'un arbre, dans un contact sensuel avec la nature. René Crevel, fêtard et noctambule, écrivait sur des tables de bistros, au coin  d'un bar, tout comme Antoine Blondin. Marcel Béalu, sur une toute petite table, au fond de sa librairie du quartier latin, en attendant le client. Et n'oublions pas ceux qui écrivent couchés, comme Joe Bousquet, pour raison d'infirmité, ou Proust, pour raison de maladie. Ou encore Anna de Noailles. Par coquetterie ?

 


Commentaires

 

1. Frangidelphe  le 29-03-2010 à 01:56:49

Marcel Béalu n'a, ne vous en déplaise, jamais écrit "sur une toute petite table, au fond de sa librairie", "en attendant le client" (!), mais sur le bureau situé à droite du "Pont traversé" qu'on voyait immédiatement en y entrant. Je vous laisse à vos considérations sur René Crevel "fêtard et noctambule" (vous avez omis "pédéraste") ou sur Joe Bousquet qui, dites-vous, écrivait couché "pour raison d'infirmité". Lues par hasard, quelques-unes de vos lignes "postées" le 10 octobre 2009 suffisent à vous rendre irrémédiablement méprisable.
Frangidelphe, mars 2010.

2. sorel  le 01-04-2010 à 10:58:05  (site)

Ce qui est méprisable c'est de passer chez les gens pour les insulter sans laisser sa carte de visite. Mais le savoir-vivre !

 
 
 
posté le 10-10-2009 à 11:30:36

Man Ray, "un pervers, un criminel !"

Il était presque un voisin, j'aimais aller le voir dans son triste atelier de la rue Ferou, nichée derrière les solides tours de Saint Sulpice. J.K.Huysmans ne les disait-il pas habitées par une personnage qui n'était pas Quasimodo, mais peut-être son cousin.
Man Ray donc, le cousin de tous les révoltés de la terre.
- J'étais un révolté contre moi-même. Parce que j'avais une éducation très classique. Je suis passé dans des écoles, dont celle des Beaux Arts, je suivais les cours, mais je m'ennuyais énormément, et j'ai décidé finalement de ne pas m'ennuyer. Mon rêve : j'avais des copains qui sont sorti de l'école et sont devenus gangsters. Ils prenaient l'argent pour vivre. Je serai gangster. Seulement je n'avais pas ni le physique, ni le courage.
- Mais monsieur Man Ray, il n'est peut-être pas trop tard !
- Non c'est trop tard, et je suis paresseux ; maintenant je suis paresseux.
- Voulez vous que nous parlions maintenant de votre arrivée à Paris, venant d'Amérique où vous aviez rencontré Marcel Duchamp.
- C'est justement parce que Duchamp  (en 1921) partait à Paris que l'idée m'est venue de l'y suivre. J'ai pris le bateau et je suis arrivé...... le 14 juillet. Il y avait des lanternes dans les rues et tout le monde dansait.
- C'était de bon augure
- Duchamp m'a  emmené au café Certa où tous les jeunes dadaïste se réunissaient. Et là, le premier soir de mon arrivée, j'étais assis au Certa, entouré de Breton, Eluard, Aragon, Philippe Soupault, Théodorfe Frankel.. qui avait-il encore. Ah oui il y avait des femmes, la femme d'Eluard : Gala.
- C'était un bon parrainage en somme.
- Paris présentait-il pour vous des avantages, peut-être moraux. Enfin le sentiment d'avoir gagné votre liberté.
- Aucunement. Je voulais simplement quitter New York. Je m'ennuyais beaucoup là bas. J'avais des histoires avec des galeries, avec mes tableaux. On me critiquait, on m'attaquait. Un jour un visiteur demande une photo d'une de mes oeuvres. En toute confiance on la lui donne puisqu'il prétendait que c'était pour un  livre à paraître consacré à l'art vivant. Quelle ne fut pas ma surprise de la découvrir en effet, mais assortie d'un article venimeux. En regardant ce tableau je me dis que ce doit être un drogué, un pervers sexuel, et peut-être un criminel.
- En somme vous avez fuit New York parce que vous étiez un pervers et un criminel !

 


 
 
posté le 09-10-2009 à 14:37:36

Proust l'homme coupé en deux.

Stefan Zweig, ce remarquable biographe (comme en France André Maurois) brosse un portrait à la fois fraternel et sans concession de Marcel Proust l'homme coupé en deux. Rapportant qu'il n'aurait été qu'un jeune homme alangui, perdant son temps dans des soirées mondaines, friand (d'une manière un peu naïve et souvent irritante) des titres de noblesse et donnant un peu facilement dans le snobisme s'il n'y avait pas eu cette rupture brutale avec son adolescence lors de la mort de sa mère (1903) qui était le pôle affectif de sa vie futile et qu'on aurait cru sans but. On ne le prend guère au sérieux et ce n'est pas la publication de son livre "Les Plaisirs et le jours" illustré par Madeleine Lemaire et avec une préface d'Anatole France qui l'impose à un milieu littéraire d'ailleurs méfiant quand il proposera la masse de la "Recherche du temps perdu".  La première version représente trois volumes, l'ayant repris, enrichi, on atteindra au final les dix volumes de l'édition qui fera son fabuleux chemin dans l'esprit d'une génération bientôt prête à le considérer comme le premier écrivain de son temps.
Le premier Proust, l'élégant jeune homme au teint pâle, et déjà frileux, c'est celui du Prè Catelan, des salons distingués de La Ville l'Evêque et de la rue de Miromesnil, "...le problème de la place attribuée aux convives l'absorbe des journées entières : pourquoi la princesse X. a-t-elle mis le comte L. en bout de table et le baron R. en tête ? Le moindre petit potin, le moindre vague scandale le bouleversent à l'égal d'une catastrophe mondiale, il interroge quinze personnes pour se renseigner sur l'ordre secret qui préside au roulement des invitations de la princesse M. ou pour savoir pourquoi telle autre aristocrate a reçu M.F dans sa loge. Et cette passion, ce sérieux accordé au futilités, qui dominera également ses livres par la suite, le hissent au rang de maître de cérémonie dans cet univers ridicule et léger. Voilà l'existence vide de sens que mène quinze année durant, entre des oisifs et des arrivistes, cet esprit si éminent, l'un des plus puissants créateurs de notre époque, alité le jour,  épuisé, fiévreux, et courant le soir en frac de salon en salon, perdant son temps en invitations et billets, en mondanités, l'être le plus superflu dans ce ballet quotidien des vanités...."
Mais cette longue errance dans les salons va nourrir au second temps de sa vie la trame si complexe et chatoyante de la Recherche.
Ce second Proust est celui de la chambre close du boulevard Haussmann, avec ses murs tapissés de liège, et son incessante reprise du texte brodé de mille détails amassés dans sa jeunesse mondaine. Une course contre la montre devant la mort qui menace, une pathétique ténacité qui révèle un courage exceptionnel, une nature obstinée. "... vingt dossiers sont déjà remplis d'esquisses, les sièges et les tables devant son lit, le lit lui-même, sont recouverts d"une masse blanche de morceaux de papier et de feuilles. Il écrit, le jour, la nuit, à chaque heure de veille, la fièvre dans le sang, les mains tremblant de froid sous les gants, il écrit encore et encore."  Terrassé par la mort (18 novembre 1922).
Et Zweig d'ajouter  "sur la table de nuit du défunt, maculée par des médicaments renversés, on trouve sur un bout de papier à peine lisible, les derniers mots qu'il a écrit d'une main déjà à moitié glacée. Des notes en vue d'un nouveau volume pour lequel il aurait fallu des années...."

 


 
 
posté le 09-10-2009 à 10:53:51

De Dada à l'abstraction.

 

Les principaux acteurs de la vie artistique et littéraire des débuts du XX° siècle (particulièrement fécond) auront été nombreux à laisser leurs souvenirs (d'Alice Halicka à André Warnod, de Carco à Youki Desnos, de Man Ray à André Salmon) mais peu surent comme Georges Ribemont-Dessaignes se faire plutôt historien que mémoraliste et déplacer le pôle d'intérêt sur un champ plus large, dépassant sa stricte expérience et tentant une synthèse qui restera vibrante de l'avoir vécue.
On lui avait rendu visite dans sa modeste maison de Saint Jeannet (près de Vence) où il vivait parmi ses souvenirs (les murs ornés de petits tableaux de ses amis, il me semble Max Ernst, Man Ray entre autres). L'homme débordait de chaleur et d'un enthousiasme tempéré par l'âge mais réel, frémissent plutôt. Il aura été au coeur des plus impétueux combats pour faire reconnaître un "penser nouveau", détruire les académismes. Lui, fils de la grande bourgeoisie, refusait de reconduire un art de vivre (de survivre) qui tuait la poésie, écrasée par les pesanteurs de la bienséance, des préjugés, le règne de l'argent (et cela n'a guère changé).
Il était le conducteur à la fois narquois et résolu de cette mauvaise troupe indisciplinée qui va fomenter quelques scandales retentissants (funérailles d'Anatole France par exemple), militer pour un regard résolument nouveau sur la poésie de la ville, l'esprit de la rue. On se souvient des mémorables visites guidées de lieux insolites (dont le square Saint Julien le Pauvre).
Son regard critique va tracer une ligne de continuité dans l'effervescence artisque de "dada" jusqu'aux courants de l'abstraction qui va se concrétiser après la seconde guerre mondiale. Offrant ainsi un demi siècle de création à vif.
 


Commentaires

 

1. oups007  le 09-10-2009 à 11:02:44  (site)

tout ce que l'on peut dire Sorel, ce que tu as une grande culture littéraire! on connais les plus classiques, les noms cités, je ne connaissais pas! merci pour tout ce partage culturel! douce journée et tendresse oups et ses lutins

 
 
 
posté le 08-10-2009 à 15:17:37

La rue de Tournon en perspective.

Détours.
Il y avait, là aussi, un mystère de détours et de cheminements. (Jules Romains)

Au plus tôt lâchés dans les rues de la ville, et principalement Paris déjà foisonnant en notre coeur chaviré à la plus infime de ses odeurs, nous devinions qu'elles avaient la force considérable qui façonne les statues, donne aux monuments leur dignité et aux souvenirs leurs charmes. La phrase de Jules Romains n'est venue que bien après, donner l'éclairage qui convenait à ce qui était déjà une aventure.
Et voici, dans la ligne de mire, la silhouette vive et fureteuse de P..M.. qui n'a pas achevé le voyage et nous a laissé sur le bord du chemin.
C'est rue de Tournon, au 19, sous le perron qui conduit au jardin, son corps trouvé froid après qu'il m'eut confié, la veille, son peu de goût à vivre encore. C'était au café du Petit Suisse (alors fréquenté par Jean Louis Barrault qui glissait les partitions des répétitions dans une musette acquise aux surplus militaires).
La mort ainsi annoncée comme un rendez-vous pour un dîner, n'a pas toujours la consistance qu'il convient de lui prêter. On est souvent distrait devant la douleur des autres.
Il fallait que ce cheminement fut amorcé sur cet échec d'un rêve qui tourna court.
Il avait aussi pour compagne une maigre fille plus grande que nous d'une bonne tête qu'elle avait blonde, oscillante et fragile comme la pousse du blé dans les vastes étendues de la Beauce en plein soleil. Elle avait son soleil dans la tête et un ventre doux, des jambes de gazelle et le verbe comme un dernier souffle.
Nous vaquions alors avec des ombres qui s'enfonçaient dans leur désenchantement. Nous allions à la rencontre de celles que le passé oublie dans les recoins des rues que nous aimions user de  nos marches nocturnes, se raccompagnant, et impuissant à nous quitter, comme agglutinés à notre propre dérive.
Dériver n'est pas gagner du chemin, c'est le prendre de biais, nier ses lois, défier son dessin de rigueur et d'habitudes. Nous avions l'orgueil de nos premières connaissances et de les savoir insolites, peu partagées, nous renforçait dans l'idée que nous étions des élus.
P..M..le premier comprit l'erreur, et d'une poignée de cachets absorbés avec un alcool bon marché, il était venu à bout de sa solitude.
Le trio s'est réduit, un couple s'est soudé, la marche reprise n'avait pas la même allure, ni le même train. elle se donna encore plus volontiers aux fantômes rencontrés, avec le secret espoir jamais confié, que notre ami figurait dans la cohorte des lamentations que nous devinions dans l'encoignure des maisons.
Venue de loin, survivant en lambeaux, l'ombre de Clément Marot, valet d'un prince opulent qui lui donna ici la maison qui avait pour enseigne "Le Cheval d'Airain". Tu fais quelques pas et tu longes, au 17, ce qui fut l'un des ateliers de David. Un jour il aura son cachot au Palais du Luxembourg qui se dresse comme un tabernacle dans la perspective royale de la rue. Cette placette au dessin capricieux, c'est une exigence de l'urbanisme qui bouscule la mémoire des pierres. Ici (hôtel Foyot), un jour de 1894, Laurent Thailhade qui chantait les pucelles, les fillettes vicieuses et l'anarchie, perdit un oeil sous l'effet de la bombe lancée par un anarchiste.
En descendant vers la Seine qui nous appelle on passera devant la résidence du terrible Père Duchesne, Hébert à l'état civil, et grossier imprécateur. Passé à la fine lame de la guillotine, il laisse la place à mademoiselle Lenormand, la pythonisse que Joséphine Tascher de la Pagerie consultait entre deux secousses érotiques, pour savoir si Bonaparte l'aimerait assez pour l'épouser. Ce qu'il fit. Saint-Just, le cou serré dans un col immaculé, Robespierre caché derrière ses lunettes vertes, Tallien, cocu magnfique et Talma, le geste ample de la tragédie jusque dans ses bottes, passèrent la porte cochère avec des mines de conspirateur. Plus modeste, un certain Charles Cros, qui avait inventé le phonographe et versifiait avec un délicieux humour, vint y mourir.
Tu te dis que voilà un rue bien heureuse de tant de passants prestigieux. Nous avons quêté leur souffle, frôlé le bas des jupes des belles qui rendaient visite à Octave Feuillet et Paul Bourget (au 8), ces faiseurs des modes et des rites mondains de la Belle  Epoque. Il ne restait plus, pour s'enchanter, que de se souvenir qu'ici aussi le Magasin Pittoresque s'était installé en 1909. Ma compagne en collectionnait les derniers volumes que l'on pouvait encore trouver chez les bouquinistes de la rue de l'Odéon tout proche. Elle s'appliqua à versifier en face de chaque image précieusement gravée et cela a donné un album qui fit le délices des amateurs, en souvenir de ces perturbateurs d'images que furent Max Ernst et Max Bucaille.
Nous étions rue de Tournon en souvenir de notre ami étendu sur le sol comme les morts du Radeau de la Méduse. Ceux qui, au premier plan, déroulent leurs corps sculptés dans l'énergie, appelant la volupté et qui sont donnés à la ronde promise des mouches.
Jusqu'alors nous avions marché droit, dans la plus droite des rues. Les détours étaient dans le temps, une impasse dans la chronologie qui décide de l'entrée en scène des acteurs.
N'oublie pas qu'il y aura d'autres promenades à venir. Promises. Attention que ce ne soit pas là l'entrée des Enfers comme le fit Dante qui avait rendez-vous avec Virgile.

 


 
 
posté le 06-10-2009 à 16:26:19

La solitude du gardien de musée.

Pourquoi les gardiens de musée ont toujours l'air de périr d'ennui sur leur chaise et d'attendre tout simplement l'heure de fermeture. Etrange ce destin qui consiste à interdire aux visiteurs de s'approcher des oeuvres (du coup le gardien se lève et adopte une attitude agressive), alors qu'ils vivent dans leur intimité. Ils ne les regardent pas, les connaissent-ils seulement ?
Avec le concept actuel de l'art, qui s'empare de la réalité la plus ordinaire pour la placer dans le musée en lui conférant, du même coup, le statut d'oeuvre d'art, on pourrait les prendre pour des oeuvres à moitié vivantes, pas tellement éloignées de ces figures d'infirmes que l'on  avait exposé à la Biennale de Venise (dans les années 70) en se targuant de leur donner ce statut d'oeuvre expressive, au grand scandale des visiteurs.
J'avais un temps imaginé de prendre un gardien de musée comme personnage d'une fiction et d'analyser son comportement vis à vis de ce dont il avait la mission de protéger de toute intervention malveillante. D'être, par profession, si étroitement lié à une oeuvre que nous regardons trop souvent d'une manière furtive et superficielle, devait  nourrir son imaginaire, peut-être engageait-il des relations singulière avec un espace réinventé par l'artiste.
Voilà un "jeu" que les surréalistes auraient pu pratiquer.
Selon l'oeuvre sous lequel est assis le gardien, quels seraient ses fantasmes.
Pour l'exemple :
La radeau de la Méduse de Géricault.
La mort de Sardanapale de Delacroix.
Le Balcon de Manet.
Le couronnement de Naplléon I° par David
Au bordel par Degas.
la liste est longue....

 


Commentaires

 

1. Pitiponk  le 06-10-2009 à 16:47:55  (site)

Cet article m'a fait penser au récent "happening" de la chorégraphe Robyn Orlin au Louvre. Je me permets de glisser un lien :
http://www.arte.tv/fr/Sommaire-de-l-emission/2869998.html

 
 
 
posté le 05-10-2009 à 15:16:59

Le Bal des Ardents.

La finalité du nu passe par sa vêture, son ornement. Une femme à sa toilette se prépare aux jeux de l'amour, à ses rites, lui ouvrant l'horizon de ses plus profonds désirs. Abandonnant la banalité du quotidien pour s'embraser en des moments qui sont cependant inscrits sur une carte dont elle ignore encore tous les itinéraires et dont elle déchiffrera les paysages variés, dont elle gouttera les fantaisies et où elle s'effondrera dans le culte du plaisir.
De fait, tout est programmé. Le lieu choisi en fonction de sa vocation, les partenaires inscrits dans un registre déjà connu, le plaisir seul est dans l'art de grappiller comme on fait ses gammes dans une société réglée en toutes ses manifestations, codifiée jusque dans ses rêves eux aussi inscrits dans le cycle des habitudes.
Le moment même est un rituel. C'est la fin de semaine, l'heure tardive, quand la nuit  a déjà mangé ses promesses, et s'est épaissie aux premiers miasmes dont elle se nourrie. Une nuit de plomb comme il est des heures du jour qui nous suspendent à notre conscience et nous gèlent soudain sur la plus terrible question qui, à cet instant, traverse notre pauvre cervelle affolée de tant de béances.
Hors de nos vies rivées à ses aspects pratiques, millimétrés, les gouffres s'ouvrent autour de nous et chacun, comme il le peut, y négocie ses vertiges.
Pour cette cérémonie des approches, des confusions et des abandons, la vêture est nécessaire qui a ses codes et ses traditions.
Harnachée, la femme est l'objet des regards mais plus que nous elle est déjà sur le chemin de sa solitude retrouvée au delà du flamboiement de ses étreintes.
Tel le prêtre s'habille pour célébrer sa messe, la femme s'apprête pour entrer dans le rite dont elle est l'objet autant que la victime. Toute une gamme de figures au choix, avec des redites, des récurrences, des caricatures de ce que déverse et coule avec la suavité du plaisir, dans l'esprit du spectateur, l'aspect de la femme qui veut incarner le désir.
Et d'opulentes, et de sévères, et de soir et de cuir, et drapées et entrouvertes, et effrangées et glaciales comme une armure.
Un défile de mode est le spectacle le plus franchement engagé dans le flamboiement virtuel de la femme qui s'y pare et s'y glisse, et s'y abîme sous les regards.  
Notera-t-on que l'importance du vêtement, son sens symbolique n'est jamais plus grand que dans un esprit festif. C'est celui du dédoublement, dans l'esprit du carnaval. On se vêt de fantaisie quand on se dêvait de ses contraintes, d'une pudeur contraignante. L'attrait du nu conduit à l'exploration de son inconscient, celui de la vêture à celle de la communication, aux jeux des échanges sociaux. Se dénuder est un geste égoïste qui nous renvoie à  nous même, se déguiser nous projette vers autrui. Dans un personnage de notre choix, relevant d'un rêve fortifié par le costume, ses étrangetés. Mais qui ne dure que le temps d'une fiction. On s'y brûle aux séductions d'un rêve qui s'y incarne.
Comme le firent ces seigneurs aussi légers qu'inconscients, qui se vêtirent de poils, de plumes retenus par une colle pour une danse qui fut celle de leur propre mort.
Le Bal des Ardents est bien au coeur d'une imagerie aussi riche que désordonnée.
Le corps brûle dans les atours de ses rêves. La Bal masqué est l'espace privilégié de la rencontre provoquée  et de la surprise souhaitée. Derrière le masque :l'attente. Réduit à ce objet que l'on tient devant le visage comme pour le doubler. Masque, cet éventail qui colle à la peau. Seul le regard est vrai quand tout ce qui l'entoure relève du grimage. Il y a lieu de s'interroger sur la propension à glisser vers le monde animal. Plumes, couleurs chatoyantes, matières frissonnantes. Toute femme masquée se fait oiseau.


Extrait le "La Femme flambée, de la Sainte Vierge à Brigitte Lahaie."
 






 


Commentaires

 

1. oups007  le 06-10-2009 à 11:54:19  (site)

bonjour Sorel, superbe article littéraire! mes lutins sont plus futés que moi, pour l'analyse de texte! dans ton texte on retrouve beaucoup le condition de la femme, même sans le dévêtu! superbe! ton blog est plein de beaux extraits littéraires! beau, parfait pour ma part! je parle au nom de tous! doux bisouxxxxxxx sorel et encore merci pour tes gentils passages! tendresse la fée plume et les gentils lutins

 
 
 
 

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